mardi 25 octobre 2005
Où Philip Pullman discute de la Poussière, du premier couple (le couple biblique plutôt que le couple présidentiel), et du monde, parmi tous ceux qui existent, dans lequel il aimerait habiter. Il pose également la possibilité d’une histoire ayant pour thèmes des événements antérieurs à la trilogie, et bien plus encore. A : Maintenant, dites-nous quand l’idée de la Poussière vous est venue pour la première fois ? PP : Très tôt. Cette notion de matière noire – quelque chose de complètement persuasif et absolument nécessaire mais complètement mystérieux dans l’univers – a été un des points de départ. C’est un merveilleux cadeau pour un raconteur d’histoires, parce que si personne ne sait ce que c’est, vous pouvez en faire ce que vous voulez. Plutôt rapidement, j’ai trouvé également cette phrase, extraite du Paradis perdu, qui m’a donné le titre général de la trilogie : : "Unless the almighty maker them ordain / His dark materials to create more worlds." Cela me semblait s’adapter si parfaitement aux genres de choses dont je parlais que j’ai sauté dessus. Et l’idée que la Poussière devait être, dans un certain sens, le symbole de la connaissance et de la faute originelle – que les églises ont coutume de comprendre comme le péché, à savoir la désobéissance, la chose qui, en tout premier lieu, nous rend humain – me semblait trop tentante pour être ignorée ; ainsi, je les ai liées. Entre parenthèses, cette idée que le péché d’Eve était en vérité un événement chanceux fut clairement un tournant dans l’évolution de l’homme. Ils ont l’habitude de l’appeler la joie coupable : le péché joyeux. Et j’ai vu là le moment où les créatures humaines ont décidé de devenir pleinement elles-mêmes et non pas d’être les animaux domestiques ou les créatures d’un autre pouvoir. A : Aurais-je raison d’affirmer que vous vous êtes beaucoup amusé en réécrivant la Genèse pour qu’elle s’adapte à chacun de vos mots ? PP : Oh, oui ! L’histoire d’Adam et Eve dans le Jardin d’Eden et la tentation du serpent est pour moi le mythe central de ce que signifie être un humain. Ainsi, il m’apparaissait clairement, depuis le début , que c’était ce que devaient également avoir à dire A la croisée des mondes. Cela me conduirait à un jardin dans lequel quelque chose de semblable prendrait place, ou quelque chose d’analogue, de toute façon. A : Vous écrivez dans vos remerciements que vous avez une dette envers le Paradis perdu, le travail de Blake, et le Théâtre des marionnettes de Kleist, pouvez-vous nous parler de ce dernier et de son effet sur vous et la trilogie ? PP : L’essai de Kleist, qui a été écrit un an environ avant son suicide, vers 1812, parle de la conversation qu’il a eue avec un ami danseur. L’ami en question lui avait dit qu’il avait été témoin de la plus gracieuse exhibition de danse qu’il ait jamais vues – dans un théâtre de marionnette. La grâce non empruntée des marionnettes surpassait tout ce qu’un danseur pouvait produire. Ils parlent de la grâce et de la connaissance de soi, et Kleist raconte une histoire, au sujet d’un jeune homme dont la grâce et la beauté physique étaient admirées de tous. Un jour, ce jeune homme était en train de se sécher après une visite aux bains, et il remarqua – et interpella l’attention de son ami sur ce fait – qu’il était tombé inconsciemment dans la même et exacte posture que celle adoptée par une statue romaine représentant un athlète s’enlevant une épine du pied. Toute la grâce le quitta ; ses mouvements devinrent rigides et conscients d’eux. Le danseur poursuit avec une autre histoire, au sujet d’une époque où il pratiquait l’escrime avec un ami, et le battait à plate coutures. L’ami l’invita à essayer de combattre à l’escrime avec un ours apprivoisé, et le danseur se moqua de lui, mais ne trouva aucun moyen ; aussi acharné fut-il, il ne pouvait toucher l’ours avec la pointe de son épée ; l’ours le contrait à chaque fois. En outre, quand il feintait, l’ours le savait et ne bougeait pas. ( Est-ce que vous vous souvenez de ce passage dans Les royaumes du Nord ? Je suis plutôt honnête avec mes vols.) De toute façon, la conclusion à laquelle ils aboutirent est que plus nous nous éloignons de l’humain – dans la semi-conscience de l’ours, dans l’inconscience totale de la marionnette – plus clairement la grâce émerge. C’est la conscience de soi qui la détruit. (NDT : « consciousness » signifie à la fois « conscience » et connaissance », et c’est ambiguïté qu’il n’est pas possible de rendre dans notre langue est très importante à saisir ) Nous vivons dans une vallée noire, sur un éventail à mi-chemin entre la grâce inconsciente de la marionnette et la grâce pleinement consciente du dieu. Mais le seul chemin pour échapper à cette impasse - ils s’accordent sur ce point -, n’est pas de retourner en enfance : de même, le chemin qui mène au Jardin d’Eden est gardé par un ange avec une épée féroce ; il n’y a pas de point de retour. Nous devons aller de l’avant, à travers les douleurs et les difficultés de la vie, à travers la gêne et le doute, et l’espoir que, de même que nous devenons plus vieux et plus sages, nous pouvons approcher, à nouveau, du paradis originel, comme s’il existait, et entrer dans la grâce qui se tient à l’autre bout de l’éventail. Vous êtes là. Kleist dit en trois ou quatre pages ce que j’ai dit en 1300 pages ou davantage, et il l’a dit mieux que moi. Je ne peux vous dire l’effet qu’a produit cet essai sur moi, et à quel point je pense qu’il est profond et important. A : Laissez-moi vous interroger au sujet des anges, Balthamos et Baruch. Leur évidente passion réciproque n’a pas dû réjouir ceux qui étaient déjà critique quant à Lord Asriel. PP : Je les ai beaucoup aimés dès qu’ils sont apparus. Vous avez un petit frisson d’excitation quand quelqu’un ou quelque chose arrive dans l’histoire et que vous savez que cela va être source d’un récit riche par la suite. Et, dès que ces deux figures indéfinies sont arrivées vers Will, à la fin de La tour des anges, j’ai senti cela. Je ne leur avais pas donné de nom alors, mais je savais qu’ils allaient être présents dans le troisième livre. A : Sur le site Internet de Random House (NDT : sa maison d’édition américaine), vous avez créé le Liber Angelorum (NDT : Le livre des anges) comme un ajout à La tour des anges. PP : Il y a beaucoup plus de choses à écrire que je n’en ai écrit – et un peu plus que je pourrais révéler un jour – à propos des affaires des anges. C’est aussi intéressant que les daemons, en fait. Je ne dis pas : « Ce sont des types avec des ailes, faits d’âme, et qui vivent éternellement. » Mais le fait est qu’ils incarnent certaines qualités et émotions humaines. C’est la manière dont Milton parle des anges dans le Paradis perdu, parce qu’en agissant ainsi il peut exprimer certains états psychologiques avec des images piquantes, d’une éclatante brillance. Et c’est ce que j’essaie de faire, autant que mon habilité me le permet, dans le troisième livre. A : Et qu’en est-il des états psychologiques que les mulefas – les êtres à roues et à trompe sur lesquels Mary Malon tombe par hasard dans le Miroir d’ambre - incarnent ? PP : Ils incarnent l’harmonie avec l’environnement. J’étais sur le point de dire : « Ils sont très californiens, les mulefas. » (rires) Ils représentent un heureux stade de développement dans le processus physique de la vie : ils maîtrisent complètement leur monde, parce qu’ils possèdent ce que nous appelons la conscience. Ils imposent certaines choses à leur monde, mais pas comme les êtres humains le font, qui imposent des produits chimiques agricoles et le pouvoir nucléaire et ainsi de suite ; les mulefas agissent d’une manière plus douce, respectant l’intégrité des choses avec lesquelles ils sont en relation.Par exemple, afin de construire leurs maisons, ils font pousser le bois dans la forme qu’ils veulent pour ce but plutôt que de l’abattre, de faire des plans, de le scier et de le hacher. A : S’il n’en tenait qu’à vous, dans lequel de vos différents mondes choisiriez-vous de vivre ? PP : Et bien, ce serait sympathique de voir le daemon de quelqu’un, je suppose, donc je préférerais vivre dans le monde de Lyra. Mais, d’un autre côté, ce pourrait être plutôt dangereux si je ne connaissais pas mon chemin dans ce monde. Je suppose que ça revient à dire que nous devons construire notre République des Cieux, quel que soit l’endroit où nous sommes ; ainsi, je serais heureux dans mon propre monde, là où je suis. Si ce n’est pas le monde le plus heureux, au moins c’est là où je dois être, là où je dois vivre et travailler. A : Vous avez dit que c’était la dernière fois que nous entendrions parler de Will et Lyra. Est-ce réellement vrai ? PP : Pour le moment. Vous voyez, c’est la fin de leur histoire. A : Même si vous n’écrivez jamais rien de plus à leur sujet, suivrez-vous leur vie ? PP : Peut-être, souterrainement, y aura-t-il quelque chose qui se passera sur le rebord de leur vie. Les éditeurs aimeraient que je fasse un manuel annexe, dont la matière se référerait au contexte matériel, aux biographies des personnages, peut-être – comment appellent-il ça aujourd’hui ? - ce genre de choses qui ont trait à la genèse d’une œuvre, aux événenents antérieurs [NDT : « prequel » est le terme anglais, francisé à tort et à travers, que je refuse d’employer]. Et qui sait, je pourrais le faire… Il est certain qu’il y a un large pan de choses que j’ai laissées dans le silence pendant tout le parcours. De manière sous-jacente, la trilogie tout entière est une sorte de mythe de la création, qui m’est apparu de façon implicite pendant la rédaction de la trilogie, de la même manière que l’Ancien Testament est le sous-bassement du Paradis perdu. Quand j’écrivais A la croisée des mondes, je l’ai couché sur le papier, plusieurs fois, de plusieurs manières, jusqu’à ce qu’il me soit évident. Ça existe, mais ce n’est pas écrit de manière explicite dans le livre, et ça pourrait être quelque chose sur quoi je pourrais m’étendre. A : Vous avez laissé deux ou trois choses ouvertes, cependant. PP : Oui, je ne ferme jamais les portes complètement (rires) A : J’ai entendu dire qu’il y aavit des différences entre les éditions anglaises et américaines du premier tome. PP : Il n’y a pas beaucoup de différences dans le texte – presque pas. Mais les éditions anglaises des deux premiers livres ont des illustrations, une différente pour chaque chapitre, que j’ai dessinées moi-même. J’étais très enthousiaste pour poursuivre la tradition dans le troisième livre, mais une meilleure idée m’est venue. Ainsi, pour le troisième livre, au Royaume-Uni, j’ai mis une petite épigraphe, une citation extraite d’un recueil de poésie ou de la Bible, ou de quelque chose d’autre, en tête de chaque chapitre – juste deux ou trois lignes, pas plus. Ces citations étaient des petits fragments de poésie qui m’avaient accompagné pendant toute la rédaction, ainsi elles étaient importantes pour moi. Et je pense qu’elles ont éclairé les chapitres d’une manière intéressante. A : Laissez-moi vous interroger au sujet des poèmes qui ouvrent le Miroir d’Ambre. PP : Celui de John Ashbery est extraordinaire. Je suis tombé dessus pour la première fois dans ses Poèmes Choisis quand j’étais à Toronto, à la fin du tour promotionnel de prépublication des Royaumes du Nord.. Je l’ai ouvert pour la première fois et il y avait cette merveilleuse strophe à la fin de « L’ecclésiaste » : « De fines vapeurs s’échappaient de tout ce qui faisait la vie La nuit est froide et délicate et pleine d’anges. » Je l’adore tout simplement ! C’est une sorte de petit résumé de ce qui va se passer à la toute fin du troisième livre, et je pensais que je devais le mettre. Le Rilke de la « Troisième élégie », où il s’adresse aux étoiles et se demande si les sentiments amoureux que l’on éprouve pour son ou sa bien-aimé(e) viennent des « pures constellations » - encore maintenant cela me frappe avec une grande force dès que je le lis. A : Et celui de Blake ? PP : Il a été très important pour moi pendant longtemps ; ce passage particulier extrait de son œuvre prophétique « America » me semble exprimer très clairement ce qui arrive quand les morts sont finalement libérés. J’espère que les lecteurs les aimeront. Bien sûr, quand vous inscrivez une épigraphe dans un livre, vous savez que beaucoup de gens ne la liront pas. Mais un petit nombre d’entre eux le feront, et ils peuvent être amenés à en lire davantage au sujet des poètes concernés, ce qui serait formidable. A. : J’aime la description dans Le miroir d’ambre des fantômes d’enfants, dont les voix n’étaient pas plus bruyantes que les feuilles mortes qui tombent et qui passent à travers Lyra comme de la fumée. Je me demandais s’ils avaient été difficiles à créer. PP : Ils l’ont été très facilement. Je les ai vus tout de suite et je les ai entendus tout de suite. Cette association d’idées entre les fantômes et les feuilles mortes est plutôt facile à faire, parce qu’il y a une suggestion de mélancolie, et bien sûr de mort, dans une feuille morte. Elle est très légère, fragile et sans substance. J’ai vu ces enfants très clairement dans mon esprit. A : C’est un crève-cœur quand ils se bousculent autour des libellules – les coursiers des Gallivespiens – pensant qu’ils sont des daemons. Et comment avez-vous pensé aux Gallivespiens, ces espions zélés, qui ne sont pas plus grands que la main de Lord Asriel ? PP : Ils sont simplement apparus soudainement, et j’ai pensé : “Oui, je vous veux.” En particulier avec les éperons et le venin et la nature susceptible et ombrageuse qu’ils présentent. A : J’ai été ravi par votre remarque selon laquelle ils ne seraient pas d’aussi bons espions s’ils avaient notre taille. PP : Mais vous voyez, j’ai pris grad plaisir avec cette sorte de choses. Même si le ton que vous essayez de communiquer est émotionnel, vous avez encore à faire en sorte que l’acte d’écrire soit aussi amusant que vous le pouvez. A : Il y a également des moments, juste pour un instant – ou une phrase – où vous vous adressez un peu plus à vos lecteurs adultes. Par exemple, dans La tour des anges, quand la reine des sorcières lettonnes s’envole en direction de Lord Asriel, vous écrivez : « Chaque sorcière, ici, savait ce qui allait se passer ensuite, et ni Will ni Lyra n’en avaient rêvé. Ainsi Ruta Skadi n’avait aucun besoin de le révéler. » PP : Je ne l’explique pas clairement. C’est bien si vous pouvez le voir, mais ce n’est pas grave si vous ne le pouvez pas. Une des choses plaisantes au sujet de cette série, c’est que j’ai eu beaucoup de réponses de la part des adultes aussi bien que de la part des enfants. A : Est-ce que vous avez pris du plaisir à nous en montrer un peu plus sur Lord Asriel dans le troisième livre ? PP : Oui, ce fut le cas. Et particulièrement d’en montrer plus au sujet de Mrs Coulter. A : Pensez-vous que vos personnages ont également différents aspects de vous en eux ? PP : Bien, je suppose que c’est inévitable, mais je ne voudrais pas savoir ce qu’ils sont. Je ne sais pas s’ils viennent de mon intérieur ou de mon extérieur. Je ne sais pas si je les crée ou si je les attrape. Et je ne suis pas particulièrement sûr de vouloir spéculer. Mon travail est de prendre ce qui vient à moi, d'où que cela vienne, et de lui donner une forme dans une histoire qui tiendra les gens en haleine et leur fera tourner la page. Ainsi, ça ne m’intéresse pas vraiment de savoir si ces traits de caractères sont empruntés à des choses que j’ai observées ou si je les tire entièrement ou les fonde sur des personnes réelles. Je ne sais pas d’où ils viennent ; je sais simplement qu’ils viennent. A : Cela paraît similiaire à l’interdépendance entre le mulefa et les arbres à cosses en forme de roue. Mary Malone se demande : « Qu’est-ce qui est venu en premier : la roue ou la pince ? Celui qui se sert de la roue ou l’arbre ? PP : Ils arrivent ensemble – c’est exact. Ils se créent l’un l’autre.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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