lundi 19 décembre 2005

Lorsque le philosophe écrit : « Cependant il est certain que Dieu est, ou qu'il n'est pas ; il n'y a point de milieu. » , nous pourrions rétorquer que cette alternative n’est pas nécessaire, ou plus exactement qu’elle ne l’est que pour un esprit qui veut prouver soit l’une des propositions de l’alternative, soit l’autre, ce qui suppose implicitement que la discussion est d’ores et déjà pipée. Nous pourrions, en vérité, appliquer cette constatation à toute discussion philosophique. La démonstration se met au service de ce qui est à prouver, et par là même préjuge favorablement de son existence. CQFD. Le principe de contradiction est infaillible en lui-même, mais il ne sert à prouver une existence qu’à la condition que la réalité à laquelle il s’applique existe. Sinon, il n’est que nécessité dans la forme. La logique ne prouve pas l’existence de ses propositions ; elle ne l’a jamais fait et ne le fera jamais. Prenons l’alternative suivante : « un chat avec des ailes existe ou n’existe pas ». Du point de vue strictement logique, je ne puis que conserver l’une des deux propositions au plus : « un chat avec des ailes existe » ou « un chat avec des ailes n’existe pas », il en serait de même pour n’importe quel couple de propositions contradictoires, puisque ce qui importe est la forme et non la possibilité ou non d’une référence concrète, dans le monde matériel, pour ces propositions. Toutefois, rien ne m’oblige à en choisir une au moins. A cet endroit, Pascal outrepasse le pouvoir que lui confère l’usage de la logique. La logique ne tient pas compte du réel et quand bien même elle s’y référerait, elle ne songe pas que celui-ci puisse avoir plusieurs dimensions. Le réel n’est pas seulement la totalité de ce qui existe, de ce qui est présent à mes sens et à mon intelligence en vue d’une connaissance ; il est aussi tout ce qui n’est pas et ne sera jamais de ce point de vue : ce que mon imagination aime à concevoir, à mettre en scène dans son for intérieur, ces ébauches de vies que personne d’autre que moi ne voit, ce tumulte de la conscience, ce chaos que j’appelle monde intérieur ou identité. Des ailes ailés peuvent être dans ce monde et même ils peuvent ne pas être, la seconde d’après. Il est tout à fait permis à la raison ne pas entrer dans ce cercle que Pascal ouvre pour elle. Aucun argument logique ne la contraint et la raison du sujet ne perd ni sa dimension rationnelle, ni sa dimension raisonnable, dans ce cas. On pourrait opposer à ce refus, la mauvaise volonté de celui qui envisage l’alternative, ou encore des motifs d’ordre passionnel. Mais, alors, ce serait supposer que l’interlocuteur récalcitrant est déraisonnable. Comment pourrait-il l’être, cependant, si son attitude est celle de l’indifférence et du silence ? Cette attitude n’est pas celle du doute, qui, lui, est toujours plus ou moins artificiel, puisque le seul doute réel est celui qui porte sur la pensée d’autrui et l’avenir du monde, ce qui ne dépend pas de moi donc, ce en quoi je suis incertain par manque d’informations et de participation. C’est un doute très différent de celui qui a trait à l’indécision qui m’empêche momentanément de choisir entre deux jugements pour une réalité déjà présente et figée. Douter de l’existence de Dieu est déjà lui accorder une existence virtuelle, ou à titre de possible, lui prêter la vie d’une fiction abstraite. Probablement l’esprit pénétrant de Pascal a compris que se fonder sur le seul principe de contradiction n’est pas suffisant pour remporter l’adhésion, bien qu’il prétende qu’il faille parier et que «cela n'est pas volontaire». Son « pari » est déroutant, non par son contenu mais parce qu’il est pari, là où l’on attendrait démonstration ou foi. En effet, il y aurait quelque chose de trivial, voire de cynique, à parier quelque chose d’aussi grave, de la part d’un autre que Pascal. Ne nous y trompons pas, il s’agit bel et bien d’une démonstration, mais déguisée en pari. En effet son pari est sérieusement fondé sur un calcul de probabilités, sur la raison. Or, toutes les démonstrations visant à prouver l’existence de Dieu ne sauraient avoir pour effet ce qu’elles visent : convaincre. Ceci prouvant, s’il est besoin, premièrement, qu’aucune démonstration efficace n’est possible (sinon tout le monde affirmerait l’existence de Dieu), deuxièmement que peut-être une seule démonstration serait valide mais qu’elle n’a pas été pensée (peu probable), troisièmement que l’existence de Dieu ne se démontre pas, quatrièmement que, même s’il existe une démonstration parfaitement logique et rigoureuse, la logique ne contraint pas à vouloir ou à accepter l’existence de Dieu. C’est la raison pour laquelle la « démonstration » de Pascal se présente sous forme de pari. En effet, le pari fait appel à une certaine défection de la volonté et de l’intelligence au profit de celles du hasard ou de l’hypothétique bienveillance du destin. Celui qui parie se laisse faire par les événements en souhaitant qu’ils lui soient favorables. Le procédé du pari ressemble à celui de la lecture de fictions. Pascal désirant nous acculer à tout prix à un choix prétend que « ne parier point que Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas. » A quoi, il est facile de répliquer que ne point parier que Dieu est, c’est simplement ne point parier du tout. Ne point parier qu’il n’existe pas des chats ailés, n’est pas parier qu’il en existe ! Ne point parier que j’existe n’est pas parier que je n’existe pas. Le pari est un jeu sur les probabilités – matière où Pascal est « spécialiste » ; qui m’oblige à jouer ?

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