lundi 19 décembre 2005
Pour Siréneau. En réponse à sa demande.

"Rendre le réel à l'insignifiance consiste à rendre le réel à lui-même : nous doublons le réel, par la pensée, d'une plus value de sens. Nous n'acceptons pas de prendre le réel tel qu'il est et de comprendre que son seul sens c'est qu'il n'a pas de sens. "Un mot exprime à lui seul ce double caractère, solitaire et inconnaissable, de toute chose au monde : le mot idiotie. Idiotès, idiot, signifie simple, particulier, unique ; puis, par une extension sémantique dont la signification philosophique est de grande portée, personne dénuée d'intelligence, être dépourvu de raison. Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu'elles n'existent qu'en elles-mêmes, c'est-à-dire sont incapables d'apparaître autrement que là où elles sont : incapables donc, et en premier lieu, de se refléter, d'apparaître dans le double du miroir. Or, c'est le sort finalement de toute réalité que de ne pouvoir se dupliquer sans devenir aussitôt autre : l'image offerte par le miroir n'est pas superposable à la réalité qu'elle suggère."Le réel est prisonnier de son inaliénable et immuable singularité (de même chaque être humain) ; le réel est idiot, en repos, il reste nécessairement fidèle à lui-même. Le réel est solitaire, puisque tous les doubles (sens, représentations …) que nous pouvons lui affubler ne sauraient entrer en collision avec lui, ni le toucher d'aucune façon. Il est inconnaissable pour les mêmes raisons qui le condamnent à la solitude : si on ne peut entrer en contact avec lui (de la même façon qu'on ne peut entrer en contact avec une monade), ni par la pensée (qui cherche à donner un sens) , ni par la vie même (qui se représente ce qu'elle vit, ce qu'elle a à vivre…), comment connaître le réel, si ni la spéculation ni l'expérience ne nous ouvrent un chemin vers lui ?

La connaissance par le miroir, thème rebattu par la littérature et la psychanalyse, est une métaphore pour désigner ce que serait une connaissance parfaitement adéquate, où la connaissance épouserait chacun des contours de l'objet à connaître. Une intuition intellectuelle. Si cela était possible, le miroir symboliserait aussi ce que serait une connaissance sans intermédiaire : en effet, on pourrait penser que cette image (qui est mieux encore que la plus fidèle représentation) qui émane de l'objet même à connaître, et que l'on ne lui applique pas, bon gré mal gré, de l'extérieur, doit permettre une véritable connaissance de cet objet, une confrontation directe avec lui. Tel n'est pas le cas. Tout se passe comme si le réel était encore ailleurs, cela n'est pas sans nous rappeler le mythe de la caverne : nous n'avons qu'une connaissance par reflets, donc fausse. L'identité n'est pas divisible, ou plus exactement elle ne peut se dédoubler, même par elle-même. Le singulier (le réel) est une identité idiote ; mieux, l'identité du réel repose sur son idiotie. Où l'on voit comment le mot peut s'appliquer à un être dépourvu d'intelligence, c'est-à-dire incapable de commerce avec autrui, d'adéquation avec les choses et les êtres : l'idiot ne peut sortir de lui-même, de même que le réel ne peut se mouvoir sans perdre son identité, en devenant autre. On pourrait appliquer les réflexions de Rosset quant au réel et à sa fuite, à notre façon de le manquer ou de l'anticiper, aux relations difficiles entre les amants qui restent toujours extérieurs l'un à l'autre. "La réalité est idiote parce qu'elle est solitaire, seule de son espèce (tel est d'ailleurs le privilège de ce qui est, le privilège ontologique, que d'être imitable à merci sans jamais rien imiter soi-même.)" Etre seul de son espèce revient à être condamné au silence et à la monotonie (au sens étymologique), et finalement à une certaine pauvreté. Les hommes n'acceptent pas le réel, parce que s'ils étaient honnêtes avec lui, il leur faudrait renoncer au sens, que véhicule l'universel en donnant une impression d'ordre et de normalité aux choses et aux êtres, à consentir à une absurdité (qui n'en est une que pour ceux qui ne renoncent pas véritablement à trouver un sens, ceux qui trouvent que le réel sonne mal ou est sourd à leurs objurgations, alors que le réel n'est ni muet, ni sourd : il n'a pas d'oreilles ni de bouche). Vivre pour vivre, ou même vivre sans pour est une épreuve insoutenable pour l'être poétique qu'est l'homme. En somme, on peut dire que l'homme n'est pas assez idiot pour cela. "Peut-être suffit-il de deux hommes du même avis pour constituer une opinion suffisamment forte pour triompher du réel. C'est assez dire la fragilité du réel, tel qu'il s'offre à la perception humaine." Les hommes vivent dans le réel qu'ils s'inventent ; aucun homme ne peut et ne veut accepter de vivre dans ce qui ne laisse même pas le choix d'être accepté. Cette attitude doit être assez contagieuse puisque pas un seul être humain ne vit autrement, à moins que cette attitude ne soit constitutive de l'identité, de l'idiotie inhérente à l'espèce humaine...

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