lundi 2 janvier 2006

Lorsque le nom de Charlie Kaufman est crédité au générique d’un film, cela promet toujours un film stimulant et brillant. Les scénarii de Kaufman peuvent donner l’impression d’être loufoques, mais ils le sont moins qu’on ne pourrait le croire. Ils s’articulent toujours autour d’une idée forte, non-conformiste, et à partir de ce centre improvisé avec art le film se tisse, tout en ramifications.

La scène où le couple de personnages principaux s’allonge sur la Charles glacée et où l’on aperçoit la glace se fendiller, dessinant une esquisse de toile d’araignée, est très caractéristique du fond et de la forme du film. L’existence a un centre et l’on y revient toujours, quoi qu’il advienne. On ne peut usurper un autre destin.

Tous les films auxquels Kaufman se prête déploient une force centripète. L’originalité appelle l’originalité. Cette sensation d’inédit est le regard neuf que porte Kaufman sur les pensées, les émotions et les sentiments les plus ordinaires d’une vie d’homme. Cette nouveauté est l’expression d’une singularité qui s’exhibe sans retenue, qui ose fouiller dans l’abîme de sa conscience sans peur des éventuelles trouvailles. Kaufman ne doit que peu censurer ses idées. Il y a en lui une audace qui peut détourner ou séduire. La réaction provoquée est, finalement, un indice sur notre propre (in)capacité à nous mirer dans l’introspection d’une conscience téméraire. Il a obtenu l’Oscar du meilleur scénario. Justice !

Il suffit de nommer Adaptation et Being John Malkovitch, tous les deux réalisés par le non moins délirant Spike Jonze pour se rendre compte à quel point ces deux artistes ont peu de limites. Leur imaginaire est vaste et fertile. A leur manière, ils sont dérangeants et nous brusquent. Bienfaisance de cette bousculade. On a envie d’avoir leur cran. Emulation, peut-être.

Eternal sunshine of the spotless mind réalisé par Michel Gondry est une superbe histoire d’amour qui évite à peu près tous les clichés attendus. Le titre du film est un vers d’un poème d’Alexander Pope, extrait d’ «Eloisa to Abélard». On connaît leur histoire sublime et triste. Le renoncement d’Héloïse comme écho du renoncement de Clementine.

Le vers signifie, littéralement «L’éternel ensoleillement de l’esprit sans taches». Il exprime la virginité de l’esprit ou de la conscience, la pureté qui permet, précisément, de regarder la vie, les êtres, sans le poids de la mémoire et de l’expérience, détaché de tout ce qui nous alourdit et nous ancre dans nos peurs et nos échecs.

Kate Winslet et Jim Carrey sont impétueux de sincérité dans ce film. Le propos est métissé d’humour discret. Le ton est extrêmement pudique. Tout se passe comme si on avait retenu l’absolu de la passion, en l’excavant de tout ce qui l’entache (les doutes, le passé, la crainte devant l’incertitude de l’avenir et les intermittences de notre cœur, pour reprendre une formule proustienne).

L’argument est le suivant : un homme paumé, rêveur, et taciturne rencontre une jeune femme impulsive, joyeuse et (mais) mal dans sa peau. Leur intimité est immédiate. L’amour est une évidence rare, mais parfois ce miracle advient. Un beau jour, Clementine (puisque la jeune femme porte ce nom) ne reconnaît plus son amoureux. Amnésie provoquée par un docteur, à qui elle a demandé d’effacer tous les souvenirs de Joel Barish, suite à une déception passagère, à la fêlure d’un idéal. Joel demande au docteur la même chose. Or, il se rend compte que, malgré la douleur immense, il veut garder la mémoire de Clementine. Mais le processus est engagé. Dans son sommeil provoqué, il va vivre une autre vie avec la jeune femme, et essayer de la cacher dans des souvenirs personnels, dans un for intérieur qu’il n’a pas partagé avec elle, afin de ne pas la perdre. En effet, le docteur efface tous ses souvenirs communs avec elle. Malgré sa résistance, Joel échouera. Toutefois, la vie est bien faite : il va rencontrer à nouveau Clementine et tous les deux vont, à nouveau, tomber amoureux l’un de l’autre (le final du film de Jeunet, Un long dimanche de fiançailles expose la même idée)… et retrouver la mémoire perdue de leur échec. Et poursuivre leur chemin, malgré tout. Le docteur, qui a effacé la mémoire de sa maîtresse et secrétaire à sa demande (puisqu’il est marié et père, ailleurs) se retrouve pris au même piège, puisque son amante retombe amoureuse de lui. L’amour est probablement une sorte de fatalité du caractère plus que des circonstances (c’est pourquoi, le jeune assistant du docteur ne parvient pas à se faire aimer de Clementine, même en volant les mots, les gestes et les souvenirs de Joel).

Le fondu final est sublime. La neige est la métaphore classique de la pureté, qui n’est pas la virginité de la mémoire, mais la capacité à se recréer sans cesse et se désirer neuf pour l’autre à chaque instant. Truffaut achève de même La sirène du Mississippi.

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