jeudi 5 janvier 2006

Siréneau écrivait ceci dans sa Crique : "Out of Africa m'a tiré quelques larmes à l'époque où je chantais "l'amour est un bouquet de violettes", maintenant je suis devenu si inconséquent, je chante à tue-tête "l'amour c'est du pipeau, c'est bon pour les gogos" comme Brigitte Fontaine, pour conjurer ce vide dont vous parlez si bien et qui me déconcerte."

Voici ma réponse (un extrait d'un de mes travaux universitaires et non une création du jour) :
L'amour véritable est un mystère et une énigme dont on ne sait rien et dont on ne parle qu'à l'aide de mythes(1) et de contes auxquels seuls croient les enfants, parce que l'enfance, "l'inexpérience est ce qui permet à la jeunesse de réaliser ce que la vieillesse sait impossible"(2). Du côté de "l'adultie", l'amertume, les regrets, les échecs et des déceptions, du côté de l'enfance les rêves et les espoirs. L'amour fusionnel fait partie des rêves de l'enfance, encore si proche de l'utérus ou du sein. Tout le parcours d'une vie peut se résumer en la destruction progressive et sans appel des mythes fondateurs de l'enfance. Il y a parmi ces mythes et ces contes, l'idée de l'amour fusionnel, où les deux cœurs sont à l'unisson, sans assimilation ni possession réciproque, mais où deux êtres préfèrent l'autre en soi, en s'épanouissant dans cette préférence sans rien perdre de soi. Il y a aussi l'idée d'une vie longue protégée des embûches par un prince ou une princesse charmant(e), garant(e) du bonheur. L'exceptionnel n'est pas l'impossible et pourtant ils se fondent dans l'esprit des grandes personnes ; on peut échouer neuf cent quatre-vingt-dix-neuf fois et réussir la millième, et cependant de ces neuf cent quatre-vingt-dix-neuf fois on fait une règle, non sans raison d'ailleurs…
L'amour est une déchirure à deux titres : d'abord, il est la destruction nécessaire des rêves d'enfance et d'adolescence qui permet le passage à l'âge adulte, à l'âge de la raison : l'être aimé ne nous consolera jamais tout à fait de l'enfance, il est donc déchirure entre deux périodes de notre vie, la déchirure du cocon qui nous laisse entrer dans la vie ; il est également ce qui crée en nous une rupture entre nos deux natures, sensible et intelligible, égoïste et altruiste, animale et humaine, destructrice et créatrice, reproductrice et artiste… et même nous les révèlent à nous-mêmes, mais toujours dans la douleur. Notre première déchirure vient de l'enfance et c'est elle qui inscrit en nous la souffrance, la blessure d'amour n'est qu'une douleur qui ravive ou plutôt rend consciente cette souffrance existentielle qui est notre lot à tous. La première déchirure vient de la mère qui va démentir l'idée de l'amour fusionnel que nous possédons tous, c'est finalement le premier être qui va nous décevoir. Un être qui nous impose une limite, une distance entre lui et moi. L'amour est symbolisé par deux figures: Aphrodite (ou Vénus) et Eros (ou Cupidon), la femme et l'enfant. On peut légitimement se demander à quoi correspondent ces deux personnages : la femme, Aphrodite, peut être envisagée comme le premier être que nous aimons - avant le père, nécessairement - et dont l'amour nous servira en quelque sorte de modèle dont on se déprendra plus ou moins difficilement ; c'est aussi l'être inaccessible, avec lequel certaines relations sont prohibées, alors que c'est précisément l'être avec lequel nous avons été le plus proche, du moins physiquement - et dans certains cas la relation entre la mère et l'enfant ne sera jamais plus que cela - mais l'idée de cette intimité et de cette extrême proximité donne l'idée, sinon l'envie, inconsciente de la recréer. La déchirure est donc celle de l'accouchement en premier lieu, puis en second lieu celle de la prohibition de l'inceste valable pour les filles et les garçons), puis en troisième lieu toutes les déceptions que peut infliger un être imparfait et limité. Toutes ces ruptures sont autant de réitérations de la déchirure initiale et physique. Nous sommes des êtres déchirés, un lambeau d'un être -si l'on considère que l'enfant dans le ventre de sa mère et la mère constitue encore un seul individu -, c'est d'ailleurs ce qui explique l'attirance et la séduction qu'est susceptible d'exercer sur nous le mythe de l'androgyne. Nous sommes des êtres nostalgiques d'une unité perdue ou simplement rêvée, imaginée… Les deux moitiés originelles sont les lambeaux d'un être initial qui a été déchiré. Il est aussi une autre déchirure qui a trait à l'amour : la rupture de l'hymen, la défloration causée chez l'être féminin par le premier acte d'amour, par l'être masculin. Une déchirure qui symbolise un passage entre deux âges de la vie. Mais qu'en est-il de ce que nous avons appelé la blessure d'amour ? Pourquoi l'amour est-il représenté comme une blessure, comme une plaie causée par une flèche ? Eros, le petit enfant malicieux, cruel et presque innocent blesse avec ses traits les cœurs des humains et les rend amoureux. Si c'est Eros qui blesse et non pas Aphrodite cela a un sens. La femme ne blesse pas physiquement car elle ne se sert pas des armes des hommes ; elle séduit, elle égard, elle perd ; elle fait souffrir (pour autant que l'on distingue la douleur comme plus physique et la souffrance comme plus psychique ou intellectuelle, parce que réfléchie). L'enfant (de sexe masculin, donc virtuellement doté d'une force d'homme) est celui qui surprend : on ne s'attend pas à recevoir un coup d'un enfant, l'enfant est l'être qui aime jouer et qui peut faire mal sans une totale conscience, il est aussi un être dont la raison n'est pas développée et qui, de ce fait, ne sait pas tout à fait ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, l'enfant est un être proche de sa mère et est dépendant d'elle, il ne se suffit pas à lui-même. Une telle définition de l'enfant va comme un gant à l'amour. En outre, si c'est un enfant qui symbolise l'amour, c'est peut-être aussi pour dire que ce que nous aimons c'est la figure de la pureté, de l'innocence.
C'est toujours un être déchiré par son enfance qui aime un autre être et il aime cet être avec une blessure au fond du cœur, une plaie causée par le trait jeté par Eros. Ce trait est l'expression métaphorique de la distance qui nous sépare toujours de l'être aimé, et conceptualisé sous le terme d'altérité. Que l'on parle d'écharde -élément étranger qui s'introduit en nous, de flèche (empoisonnée ou non), de l'épée de Tristan qui sépare les deux corps, toutes ces armes coupantes et blessantes ne sont que des images qui désignent l'identité de l'aimé à laquelle je me heurte et me blesse et qui m'exclut et me rejette dans ma solitude. Cette blessure d'amour laisse une plaie plus que la déchirure qui ne fait que rompre en moi des réalités et me séparer d'elles. Cette plaie est le signe d'une irréversibilité, ainsi la rupture de l'hymen est à la fois déchirure et blessure.
"L'amour véritable n'est pas un choix ni une liberté. Le cœur, le cœur surtout n'est pas libre. Il est l'inévitable et la reconnaissance de l'inévitable." (3) L'inévitable, c'est la blessure et la réouverture d'une blessure plus ancienne ; mais l'amour véritable est-il inévitable ? L'amour est inévitable, certes, parce qu'on ne peut s'empêcher d'aimer ceux qu'on aime, mais l'amour véritable n'est peut-être inévitable que dans sa tentation. Après, il faut à l'être choisir entre lui et l'être aimé, choisir de succomber ou non, même si une pente nous incline nécessairement. L'amour est une préférence absolue d'un autre être à soi ; un acte irrationnel, un délire, une folie. En ce sens, il est peut-être inévitable, parce que la folie et le délire sont une dépossession de soi…
La grande déception de l'amour, c'est de réaliser que l'on est toujours deux : l'amour est, parfois, une imperceptible dissonance et, plus souvent encore, une maladroite harmonie. Perdre son enfance n'est peut-être rien d'autre que cette défloration de l'imaginaire.
N.B. : Pour en revenir à Barrie, génie tutélaire de ce JIACO, je pense que ses relations avec sa mère l'ont condamné à donner naissance à des sentiments estropiés concernant les femmes.
(1) Cf. le mythe de l'androgyne raconté par le personnage d'Aristophane dans le Banquet.
(2) Tristan Bernard.
(3) Albert Camus Le premier homme, Gallimard.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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