lundi 23 janvier 2006

Le monde de Maurice était épais et géométriquement viable, de la taille d’un très petit rectangle, et tenait dans la poche de son pantalon de velours côtelé dont la trame était maintenant visible sous l’effet d’une pelade disséminée sur les jambes et la ceinture. Son monde était grand et gros comme un petit dictionnaire. Il avait les larmes à l’extrême bord des yeux lorsqu’il pensait que le monde tenait dans sa poche ou dans sa main et qu’il était, en quelque sorte, le maître, ou plutôt le gardien, de cet univers. Il songeait aussi parfois qu’il pouvait reconstituer par une combinaison subtile de mots les plus beaux livres jamais été écrits depuis que le monde était devenu littéraire, c’est-à-dire trop beau. Son monde était à la fois plus petit et plus grand qu’il n’y paraissait.

Sa passion des mots n’avait pour seul obstacle que l’acharnement d’Augustine, sa moitié d’enfer, à dissimuler l’objet de son vice. Si elle avait osé, elle l’aurait détruit, mais une superstition la retenait : la ferveur de Maurice pour l’objet l’avait rendu mystérieux et investi d’un pouvoir auquel elle n’osait se frotter. Et puis, sans être très intelligente, Augustine devinait instinctivement que la torture la plus subtile se doit d’être renforcée par la crainte d’une perte.

L’habitude engourdit l’existence des gens au point qu’ils s’imaginent souvent n’avoir jamais vécu en dehors de cet enclos d’idées et de gestes. La simple hypothèse d’une autre nature est une angoisse, la plupart du temps, insurmontable. Maurice n’avait pas toujours été le prisonnier d’Augustine. Il n’était pas né entre ses mains. Il avait beaucoup bu et chiqué avant de se retrouver enchaîné à son pied de lit ou de table.

Le vieux vivait dans le grenier, en compagnie d’une souris apprivoisée et de l’écho d’une petite fille qui lui rendait parfois visite.

La gangrène avait commencé son œuvre à petits pas.

Lorsque l’on a retrouvé le vieux, tout le monde s’est tu, sauf la vieille qui chantonnait. Il se faisait grignoter les yeux, ou ce qui en restait, par une horde de petits vers grisâtres qui pointaient leur derrière vers le plafond écaillé. Le vieux avait bouffé son dictionnaire jusqu’à son dernier mot, mais la couverture a eu raison de ses chicots pourris. La vieille, elle, dodelinait de la tête en fredonnant toujours la même comptine idiote. Elle n’a pas protesté lorsqu’on a enlevé le corps, mais quand un des hommes a saisi la couverture du dictionnaire, elle s’est jeté sur lui et la lui a arrachée. Elle s’agrippait à ce reste du monde du vieux et s’accroupit en dissimulant la croûte du dictionnaire dans les plis de sa robe nacrée par la crasse.

Les roses du Pays d'Hiver

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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