« Les contes de fées sont partout et de tous les jours ; nous sommes tous des princes et des princesses déguisés, ou des ogres, ou des nains malfaisants. Toutes ces histoires sont celles de la nature humaine, qui ne semble pas changer beaucoup en mille ans, et nous ne nous lassons jamais des fées parce qu’elles lui sont fidèles. »

Lady Anne Isabella Thackeray Ritchie (la fille aînée de Willliam Makepeace)


Vailima, décembre 1892

Cher J.M. Barrie,
Bientôt vous en aurez assez de moi. Je n’y peux rien. J’ai cessé de travailler depuis quelques temps et j’ai relu The Edinburgh Eleven [livre à sketches de Barrie] et j’ai dans l’idée d’écrire une parodie, j'éprouve un  immense désir de vous rendre la monnaie de votre pièce et d’imiter votre toupet [Barrie fait référence dans ce livre à Stevenson] afin de voir comment vous l’apprécierez vous-même. Et alors, j’ai lu (pour la première fois, je ne sais pas comment cela se fait !) A Window in Thrums [livre de Barrie, scènes de la vie de son lieu de naissance]. Je ne dis pas que que le livre est meilleur que The Minister [pièce, puis roman de Barrie] : cette fois, il s’agit pas vraiment d’un conte – et il y a de la beauté, une beauté matérielle inhérente au conte IPSE, que les critiques intelligents de nos jours et depuis longtemps aiment à oublier. Certes, il y a plus de défauts avérés ; quoi qu’il en soit, je l’ai lu dernièrement et c’est écrit par Barrie ! Et il est l’homme de la situation – à mon avis ! Le chapitre intitulé « Le Gant » est une grande page : c’est étonnamment original et aussi vrai que la mort et le jugement dernier. Tibbie Birse [personnage du Petit Ministre] dans le passage consacré à l’enterrement est immense ! (...)

Je suis fier de penser que vous êtes Écossais, bien que, soyez-en assuré, je ne sais rien de ce pays, étant un simple touriste anglais, pour citer Gavin Ogilvy [un pseudonyme de Barrie, mais également l'un de ses personnages]. Je recommande le difficile cas de M. Gavin Ogilvy aux bons soins de J.M. Barrie, dont l’œuvre est pour moi une source vive de plaisir et de sincère fierté nationale. (...) Et, s’il vous plaît, ne pensez pas, lorsque je semble me comparer à vous, que je sois totalement aveuglé par la vanité. Jess [un des personnages de Barrie in Auld Licht Idylls] marque les limites que je ne saurais franchir : je ne puis même pas effleurer sa jupe. Ma plume ne recèle pas une telle séduction crépusculaire. Je suis un artiste compétent, mais j’ai l’impression de commencer à voir en vous un homme de génie. Prenez soin de vous, pour mon propre salut. C’est une chose diablement difficile pour un homme qui écrit tant de romans que moi d’en avoir aussi peu à lire. Et je peux lire les vôtres et je les aime.
Dommage pour vous que ma copiste [Fanny, sa femme] ne soit pas là aujourd’hui et ma propre main est sensiblement pire que la vôtre.
Bien à vous,
Robert Louis Stevenson

Le 5 décembre 1892,
P.S. : On me dit que votre santé n’est pas robuste. Venez ici et essayez la Chambre du Prophète ! Vous n'y trouverez qu'un seul inconvénient : nous nous levons tôt. La copiste dit que vous êtes un amoureux du silence – et que notre maison est bruyante et qu’elle-même est un moulin à paroles – je ne suis pas responsable de ces assertions, bien que je pense fermement qu’il y ait une touche de loquacité dans mes appartements. Nous avons si peu de choses à discuter, voyez-vous ! La maison est éloignée de trois miles de la ville, située au milieu de grandes forêts silencieuses. Il y a un ruisseau non loin de là. Et quand on ne parle pas, on entend le ruisseau, et les oiseaux, et la mer qui vient se briser sur les côtes, trois miles au loin et six cent pieds au-dessous de nous. Et trois fois par mois on entend le tintement d'une cloche. Je ne sais pas où se situe cette cloche ni qui la fait sonner. Il se peut qu’il s’agisse de la cloche du conte d’Andersen. Il ne fait jamais chaud ici. Nous ne dépassons pas les 86 degrés à l’ombre [fahrenheit, à savoir 30 degrés celcius]. Et il ne fait jamais froid, sauf au petit matin. Tenez-le vous pour dit. Je pense que ce climat est le plus sain au monde : même la grippe perd entièrement son piquant. Seulement deux malades en sont morts : et l’un d’entre eux avait dans les quatre-vingts ans et l’autre était un enfant qui avait moins de quatre mois. Je ne vous dirai pas que c’est beau car je veux que vous veniez ici le constater de visu. Tout le monde, hormis ma femme, a du sang écossais dans mon domaine et – je vous demande pardon – les indigènes font également exception. Ma femme est néerlandaise.
(...)
R.L.S.
Venez, cela ouvrira votre esprit et cela me fera du bien.
************************


Je signale la sortie en traduction française de ce livre-ci (une anthologie de contes picorés dans The Merry Men et passim) :

Traduit par l'admirable Marcel Schwob :
http://www.marcel-schwob.org/

http://www.larevuedesressources.org/article.php3?id_article=13

On y retrouve, entre autres, Janet la Torte.



* Dans Better dead, un des premiers livres de Barrie, ce dernier pastiche le Club du suicide
(un fragment des Nouvelles mille et une nuits) de Stevenson. Bien des années plus tard, James Matthew B. reniera ce livre, regrettant de ne pouvoir en détruire tous les exemplaires.
Humeur du jour, en marge de mes billets stevensoniens : love. Avec Sinatra, Harry Bellafonte et quelques autres, Nat King Cole, j'ai le coeur en joie. J'ai une passion inextinguible pour les crooners - to croon « chanter des chansons sentimentales » - question de classe, de charme, de beauté, d'élégance, de bien-être. Impression que rien de grave ne peut advenir dans un monde bercé par ces voix.
Mon homonyme, Holly Golightly, éprouve cette sensation avec Tiffany. Je connais deux endroits au monde où je ne ressens jamais la moindre contrariété. Ce sont les palais du raffinement, d'un certain art de vivre suranné et désuet (les deux adjectifs ne sont pas tout à fait synonymes). Un célèbre café parisien qui est l'une des grandes avenues de ma cartographie intérieure. Non, ce n'est pas le Flore, que j'exècre ! Vous m'offensez ! Et, non, je ne suis pas snob, malgré Boris Vian ! J'aime me sentir en sécurité. C'est aussi simple que cela. Lorsque je me déplace, j'ai besoin que l'on prenne soin de ma petite personne, si mal à l'aise partout elle se rend.
Rares sont les lieux où je puis me décrisper. Un des endroits au monde que je préfère : le Harry's bar à Venise.
Qui n'a jamais mis les pieds dans ce lieu exigu ne peut expliquer les palpitations qui agitent ma carcasse lorsque j'évoque les nappes jaune paille (le ton fut choisi pour mettre en évidence le teint des dames, d'après M. Cipriani), la douceur du bellini (qui ne m'a jamais saoulée et qui n'a pas le goût de celui du Florian), la saveur généreuse du risotto (un de mes plats préférés), le ballet lent et précis des serveurs qui enroulent et déroulent, avec un soin exquis, une nappe qui chasse l'autre, avant le dessert (je n'ai jamais pu reproduire ce geste), les petits pains en spirale qui ont le goût d'une brioche aérienne... Le luxe discret. Le lieu est figé dans une autre époque, celle d'Hemingway (j'aime cet homme, ce grand suicidé des Lettres), qui en avait fait son lieu de perdition.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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