jeudi 8 juin 2006
Puisque indirectement Peter Falk était présent dans le billet précédent et dans un souci de lier au maximum chacun de ces billets
(Dans un ordre d’idées comparables, Columbo, inspiré à la fois du Père Brown de Chesterton et du Petrovitch de Dostoiëvski (Crime et Châtiment) dissimule son intelligence prodigieuse avec des ustensiles : son imperméable fripé, sa vieille voiture étrangère, sa femme, son chien, ses petites questions, ses anecdotes quelconques.)

je ne résiste pas à dire un mot de ce film que j'ai découvert, il y a quelques jours (alors qu'il orne depuis longtemps un angle de ma bibliothèque), The Brink's job
de William Friedkin. Le film relate, sur un ton qui hésite constamment entre la comédie parodique et le film de genre, le plus grand casse du siècle. Ce balancement indécis est cause d'une légère frustration du spectateur, car le film manque assurément de fermeté dans la ligne directrice. Rien n'est réellement développé jusqu'à ses conséquences ultimes et la fin prend au dépourvu. Le film n'est pas flatté par l'intelligence et la rigueur du scénario. Il demeure pourtant un film plaisant. Nous sommes très loin du film noir. Si vous vous attendez à ressentir des émotions comparables à celles que provoque Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, vous serez marris. Le film s'inspire d'une histoire véridique. Une bande de guignolos très sympathiques et tout aussi maladroits vivotent de gentils larcins (ils ne sont pas dangereux). Le "cerveau" de la bande, est Tony Pino (Peter Falk dans un registre inverse de celui de l'indémodable inspecteur Columbo y révèle, comme chez Wenders, son talent de comédien, souvent masqué par son identification avec l'homme à l'imperméable, devenu son double). Il s'aperçoit que la Brink n'est absolument pas une forteresse et que la "dame" peut être prise en un clin d'oeil, presque sans efforts. Il monte un coup avec ses associés et le tour (l'argent) est dans le sac ! Mais est-ce aussi simple au final ? Le film offre quelques beaux instants et trois ou quatre citations humoristiques. Je retiendrai cet homme qui se flatte d'avoir été volé par l'un des auteurs du coup d'éclat...
J'ai beaucoup glosé sur le bonhomme. Je crains d'avouer quelques centaines de mauvaises pages à son sujet dans mon ordinateur depuis quelques années. Je vais clore la discussion en postant un extrait d'une autre étude que j'avais tentée d'écrire concernant le bonhomme et qui fut refusée. Si on me le réclame à cor et à cri, je posterai le fichier pdf de cette dernière. Son âge mûr lui permet d’être un tant soit peu achevé ; c’est un homme fini, figé par l’expérience et peu enclin à la dérive des sentiments et des passions. C’est aussi l’homme sans âge, à savoir un archétype. Poirot vit au présent éternel. Au fond, on le constatera, ce qui importe, c’est sa capacité à penser sans être détourné par le besoin de s’accomplir dans une carrière ou par l’urgence de prouver sa valeur au monde. Sa réputation le précède. Il ne vit pas dans l’attente de devenir : il est. Poirot, tel David Copperfield naît coiffé (chauve), ou telle Athéna, casqué (muni d’une moustache épatante) et armé (de la raison). Il a déjà un passé, mais aucun futur ou présent : son destin est scellé. Il porte en lui son essence, qui, contrairement à ce qu’en dit Sartre au sujet de nous-mêmes, précède bien ici son existence. Sa situation est fondamentale pour comprendre ce que l’on peut juger être son extravagance. Poirot est, en effet, en dehors du monde. Il le contemple ; il ne participe pas à son mouvement. Il ne crée pas de cercles concentriques autour de lui. Dame Christie nous livre l’acte de naissance de Poirot :
«Quel détective pouvais-je engager ? Je passai en revue les détectives que j’avais rencontrés et admirés pendant mes lectures. Il y avait Sherlock Holmes, le seul et l’unique : je ne serai jamais capable de rivaliser avec lui. Il y avait Arsène Lupin : était-ce un criminel ou un détective ? De toute façon, ce n’était pas mon type. Rouletabille dans Le Mystère de la chambre jaune : voici le genre de héros que j’aimerais inventer. Un personnage inédit. Qui engager ? Un écolier ? Plutôt difficile. Un scientifique ? Que savais-je des scientifiques ? Soudain, je songeai à nos réfugiés belges. (…) Pourquoi ne pas faire de mon détective un belge ? pensai-je. Il y en avait de toutes sortes, de ces réfugiés. Et pourquoi pas un officier de police réfugié ? Un officier de police à la retraite ? Un qui ne soit pas trop jeune. Quelle erreur commettai-je là ! Le résultat, c’est que mon détective fictif doit être bien plus que centenaire à l’heure actuelle. Je me décidai donc pour un détective belge. Je le laissai progressivement s’installer dans son rôle. Il aurait été inspecteur, de sorte qu’il posséderait une certaine connaissance en matière de crimes. Il serait méticuleux, très ordonné, me dis-je tandis que je rangeais moi-même pas mal de choses qui traînaient dans ma chambre.»
Cette dernière remarque n’est pas une parole en l’air : d’une certaine manière, Agatha Christie a calqué son personnage sur ses traits de caractères personnels. Sans conteste, la «reine du crime» souffrait des mêmes travers que Poirot : la rigueur de la femme écrivain transparaît dans le comportement du détective. Cette rigueur froide a l’inflexibilité de la logique. Au fond, Poirot a quelques caractéristiques, hormis sa moustache, d’un enfant, le sien ; elle insiste tant sur sa petite taille, qu’elle compense aussitôt en l’affublant d’un nom trop grand pour lui, le nom d’un héros. Il est petit dans son esprit afin qu’elle puisse le manœuvrer plus commodément, peut-être. Sa petitesse nous apprend, en réalité, quelque chose sur Agatha Christie. Il semble qu’elle ait eu toujours eu des arrière-pensées en songeant à son « enfant ».
«Puisqu’il devait être petit, Hercules serait pour lui un bon prénom.»
Quelle étrange association de cause à conséquence ! Sauf si l’on conçoit que son prénom est la réparation de sa défaillance physique. Le contraste, en tout état de cause, est saisissant et n’est qu’un des paradoxes du personnage. Il doit être petit et moyennement laid ou beau, pour ne pas susciter l’intérêt : son physique est sa couverture. Aucun risque, somme toute, qu’on aime ce type et qu’on le distraie de sa fonction. C’est toute la différence qui sépare le détective entièrement cérébral du beau gosse, un peu raté (mais point trop s’en faut) et un peu à la dérive, qu’incarne le privé du roman noir. Dans un ordre d’idées comparables, Columbo, inspiré à la fois du Père Brown de Chesterton et du Petrovitch de Dostoiëvski (Crime et Châtiment) dissimule son intelligence prodigieuse avec des ustensiles : son imperméable fripé, sa vieille voiture étrangère, sa femme, son chien, ses petites questions, ses anecdotes quelconques. Poirot est un personnage démesurément suffisant : son objet de fierté toute virile est sa moustache, qu’il entretient avec des procédés plus ou moins douteux (teinture, vernis, etc.) au grand dam de Hastings ! On pourrait, avec un esprit un peu leste, se demander si cette moustache ne le dédommage pas de quelque autre attribut… Les moustaches exceptionnelles de Poirot et son arrogante vanité sont de tels accessoires. Ils produisent le même effet. Ils portent le regard et l’esprit des suspects et du lecteur ailleurs.
« Mais, Ariadne, ma chérie, dit-il, tout cela est très bien, mais avec cette moustache et tout le reste, comment peut-on le prendre au sérieux ? Vous affirmez réellement qu’il est compétent ?»
Lorsqu’on s’attache à une apparence, la vision demeure superficielle et localisée, pour ce qui est de la spatialité, et ancrée dans l’instant, en ce qui concerne l’axe temporel. Ainsi, on ne cherche pas d’emblée à imaginer les intentions passées et / ou futur du détective, tétanisés que nous sommes devant une conduite outrancière ou un manque flagrant de personnalité. De même, on ne verra que ce qui fait saillie dans le geste ou la parole, par excès ou par défaut, et non pas ce qui se tient derrière, devant ou sur les côtés. En revanche, rien ne dit qu’ils agissent sciemment en entretenant cette brume qui dérobe à notre regard leur activité heuristique. En outre, tout le roman policier tient dans cet esprit de prestidigitation. Un nom donne une identité ou prétend réaliser un prodige de la sorte. Hercule fait référence, sans aucun doute, à la figure mythologique. Il n’est pas inutile de rappeler des évidences. Une des leçons du roman policier incite à les remâcher. Un recueil fameux des plus célèbres aventures où il intervient se nomme Les travaux d’Hercule et celui-ci se trouve dans la position de son éminent homonyme : douze épreuves l’attendent. Il faut retenir de cette source l’idée que les deux Hercule sont des êtres supérieurs (l’un par sa force, l’autre par son intelligence), douée d’une âme vaillante (la vertu et le sens de l’honneur anime les deux hommes). Il y a quelque chose d’ironique, voire de méchant, de la part d’Agatha Christie d’avoir nommé son héros de la sorte. L’homme aux yeux de chat (verts) est même accompagné d’un (faux) frère dont le prénom est tout aussi invraisemblable. Un instant, Poirot se parodie en s’exhibant sous ce nom. Hercule et Achille, l’un sans faille, l’autre avec un point faible. Dans l’avant-propos aux Travaux d’Hercule cité en épigraphe de ces lignes, Agatha Christie fait discuter son personnage avec un certain Docteur Burton. Ce passage est riche en clins d’œil. Dame Christie cite souvent Shakespeare et les œuvres de la littérature classique. Ici il faut comprendre qu’elle fait référence à Robert Burton, celui qui écrivit l’Anatomie de la mélancolie. « Dr Burton interrupted his melancoly. »
« Dites-moi, pourquoi ce prénom, Hercule ? - Vous voulez dire mon nom de baptême ? - A peine un nom de baptême, rechigna l’autre. Tout à fait païen. Mais pourquoi ? C’est ce que je veux savoir. Une idée fantasque de votre père ? Un caprice de votre mère ? Des raisons familiales ? Si je me souviens bien, car ma mémoire n’est plus ce qu’elle était, vous aviez un frère nommé Achille , n’est-ce pas ? (…) - Seulement un petit laps de temps. Le Docteur Burton s’éloigna avec tact de ce sujet. (…) Songez à cette conversation imaginaire. Votre mère et feue Madame Holmes , assises en train de coudre ou bien de tricoter : "Achille, Hercule, Sherlock, Mycroft…" Poirot ne parvenait pas à partager l’amusement de son ami. - Dois-je comprendre que, quant au physique, je ne ressemble pas à un Hercule ? Le regard du Docteur Burton examina de part en part Hercule Poirot : sa personne proprette affublée de pantalons rayés, d’une veste noire comme il faut, d’un pimpant nœud papillon. Son regard remonta des chaussures chics en cuir jusqu’à son crâne d’œuf et à l’immense moustache qui ornait le dessus de sa lèvre. »
Le patronyme, quant à lui, est plus mystérieux. Poirot a une sonorité qui n’est guère attrayante, elle suggère, en français le poireau, un légume aussi fadasse que la courge, amie dudit détective. Mais ce légume s’obstine : il est planté en terre, bien droit, de même son homophone demeure sur les lieux du crime tant qu’il n’a pas résolu son affaire. Nous ne croyons pas tout à fait Agatha Christie lorsqu’elle affirme avoir oublié d’où provient ce nom. Le secret des associations d’idées est souvent tabou et révèle plus que ne le désire le sujet. Cette réticence est compréhensible. Probablement que nous pourrions apprendre beaucoup de la source de ce nom, mais nous n’y sommes pas parvenus. Pour le moment… Agatha Christie, qui a instauré, dans le prolongement d’une tradition victorienne - qui aime à procéder à ce qui nous apparaît, lecteurs français du XXIe siècle, comme une certaine subversion du monde de l’enfance - la tradition d’écrire certains de ses romans en fonction de comptines (des nursery rhymes) a très vraisemblablement pensé à Humpty Dumpty en créant Hercule Poirot. Son «crâne d’œuf» est connoté par l’intertextualité. A la fois, le personnage des nursery rhymes mais aussi le protagoniste de Lewis Carroll, pour qui le langage n'a de sens que par l'intention que je lui accorde, les mots n'étant que des mercenaires, auxquels j’attribue telle ou telle tâche, c'est-à-dire telle ou telle signification. Personne n’ignore à quel point Poirot est attentif aux mots, même s’il a la fâcheuse tendance à citer de travers Shakespeare, et à écorcher la langue de ce dernier, ainsi que nous le rappelle sa notice nécrologique. A Carroll est peut-être aussi emprunté la montre à gousset du lapin, dont ne se départ pas Poirot. Poirot est un paradoxe vivant : il refuse, ainsi que le souligne Narcejac , l’absurde et l’humour, alors qu’il les incarne parfaitement. Il est un personnage enflé de son importance. Trop gros pour être vrai. Forts de cette certitude, on ne peut qu’en déduire trois choses : Poirot est un archétype et un automate, ainsi que le souligne Narcejac et ceci a pour fonction, dit-il sans s’expliquer davantage, d’empêcher l’installation, dans le roman, de l’angoisse. Il faut donc que Poirot soit irréel, faute de quoi nous allons « souffrir » avec lui et nous attacher davantage à sa personne qu’à l’intrigue. Cette définition de Bergson lui convient parfaitement :
« Ce qu’il y a de risible (…) c’est une certaine raideur de mécanique là où l’on voudrait trouver la souplesse attentive et la vivante flexibilité d’une personne. »
La constante répétition, d’un livre l’autre, des manières de Poirot provoque aussi le rire :
« L’idée est chose qui grandit, bourgeonne, fleurit, mûrit, du commencement à la fin du discours. Jamais elle ne s’arrête, jamais elle ne se répète. Il faut qu’elle change à chaque instant, car cesser de changer serait cesser de vivre. Que le geste s’anime donc comme elle ! Qu’il accepte la loi fondamentale de la vie, qui est de ne se répéter jamais ! Mais voici qu’un certain mouvement du bras ou de la tête, toujours le même, me paraît revenir périodiquement. Si je le remarque, s’il suffit à me distraire, si je l’attends au passage et s’il arrive quand je l’attends, involontairement je rirai. Pourquoi ? Parce que j’ai maintenant devant moi une mécanique qui fonctionne automatiquement. Ce n’est plus de la vie, c’est de l’automatisme installé dans la vie et imitant la vie. C’est du comique. »
Nous comprenons ainsi le propos : si Poirot est un être mécanique, il faut le comprendre de deux manières. D’une part, ses traits primaires de caractère sont réguliers comme un métronome. Il est toujours présenté avec les mêmes tics. D’autre part, son autre aspect mécanique s’exprime intellectuellement. Il est régi par l’unique principe de l’intelligence : il conduit le monde selon la seule logique, sans se soucier de l’aspect sentimental, sensible ou passionnel des événements. Il se comporte comme un mathématicien face à une équation à résoudre ou comme un physicien mesurant des forces en présence. Mais de quelle intelligence et de quelle logique parle-t-on au juste ? Hé bien, celle, si rassurante du roman policier, cousine germaine de celle qui s’expose dans l’exercice philosophique.
« Vous savez ce que vous m’évoquez ? dit Mrs Oliver. Un ordinateur. Vous vous programmez vous-même. C’est bien comme ça qu’ils disent ? Vous ingurgitez toutes ces données tout le long de la journée et vous attendez de voir ce qui va en sortir ensuite. - Vous tenez une bonne idée, dit Poirot, intéressé. Oui, oui, je joue le rôle de l’ordinateur. On le remplit d’informations… - Et supposez que toutes les réponses obtenues soient fausses ? dit Mrs Oliver. - C’est impossible ! dit Hercule Poirot. Les ordinateurs ne se trompent pas. - Ils sont supposés agir de la sorte, dit Mrs Oliver, mais vous seriez surpris de savoir ce qui se produit parfois ! (…) Je sais qu’il existe un adage selon lequel "L’erreur est humaine". Mais l’erreur d’un homme n’est rien en comparaison de ce dont est capable un ordinateur quand il s’y met. »
L’idée de la machine et de l’aspect automatique de sa personnalité se trouvent confortés par cette déclaration. Ajoutons une troisième caractéristique. Une machine est impersonnelle et n’éprouve pas de sentiment. Poirot, à la différence d’un Nestor Burma par exemple, ne parle jamais en première personne. Soit Hastings raconte ses exploits soit un narrateur anonyme (l’auteur) les rapporte. Il n’existe que par ouï-dire ; il n’est jamais le narrateur en première personne. Pas même lorsqu’il rédige cette dernière lettre, celle que nous découvrons avec Hastings, lors du dernier chapitre du dernier roman où il intervient, puisque c’est par les yeux d’Hastings que nous la lisons. L’existence d’Hercule Poirot est ambiguë sur tous les fronts : en plus d’être abstrait et concret, il est à la fois omniprésent et étrangement absent. Mais son cas n’est pas extraordinaire dans la littérature policière :
« (…) le détective lui-même est incapable de faire des confidences autobiographiques (…) le détective se tait parce que tout destin est muet pour lui. Son mutisme s’explique non par l’engagement absolu de l’existence, mais par l’absence d’existence propre à l’engagement rationnel, absence qui lui interdit la parole (…) C’est pourquoi il est accompagné du confident qui chante ses louanges et qui arrache la résolution des cas à l’obscurité dont l’entoure son caractère impersonnel. » (S. Kracauer)
Poirot est une caricature. Ne pourrait-on pas dire de même de son frère aîné, Sherlock Holmes ou de ses cousins éloignés, Columbo ou Monk, ou encore de Nestor Burma que nous venons d’évoquer ? Qu’est-ce qui diffère, par exemple, Poirot d’un type tout à fait humain, comme l’inspecteur Morse créé par Colin Dexter, par exemple ? Morse nous est proche : il a des amours, des vices, des états d’âmes, etc. Il rend possible l’identification. Poirot vit en exilé, en exclus : il n’est pas de notre univers et c’est la raison pour laquelle il peut le démonter à loisir et le remettre en marche, comme un horloger qui aurait une parfaite connaissance des rouages d’une machinerie infernale. Il n’est pas un homme ; il incarne une activité. «Hercule Poirot» n’est pas un nom, c’est une fonction, un métier. D’où ces formules distanciées par rapport à lui-même, cette manière de se traiter à la troisième personne, ce maniérisme qui lui est spécifique et qui n’est pas uniquement indice de vantardise :
« Je devrais peut-être, madame, vous en dire un peu plus à mon sujet. Je suis Hercule Poirot. (…) Je suis, ainsi que vous le savez peut-être, dit Poirot, un détective. Il se frappa la poitrine. Peut-être le plus célèbre détective au monde. » «Je suis Hercule Poirot. Je suis le grand, l’unique Hercule Poirot. »
Ce qui importait pour Agatha Christie, c’était de créer un personnage original. Si le roman policier guidé par un enquêteur est un genre aussi ardu à écrire et à renouveler, c’est en partie à cause de la difficulté qu’il y a à inventer un détective, qui ne ressemble pas à tous les autres et qui génère un univers autre. Au-delà de la qualité du problème ou de l’énigme à résoudre, ce qui donne son cachet et son intérêt à un roman policier, c’est la saveur de l’ambiance, le charisme ou la fantaisie du personnage principal. Il est très remarquable de constater que la plupart des romans d’Agatha Christie sont extrêmement pensés de ces deux points de vue, quant la galerie de personnages secondaires est assez peu – tout est relatif, n’est-ce pas ? – travaillée. Pour autant, il ne faut pas s’imaginer Agatha Christie, tendre et amoureuse de son personnage. N’écrit-elle pas, dans son autobiographie :
«Hercule Poirot, mon invention belge, était accrochée à mon cou, fermement attaché là, comme le vieil homme de la mer. »
Si tel avait été le cas, elle n’eût probablement pas ressenti le besoin de le tuer. Certes, elle eût pu concevoir de la jalousie, à l’idée qu’il lui survécût ou qu’un autre auteur l’adoptât, mais la raison est différente, nous en sommes bien persuadés. Quelques lignes issues de Mrs McGinty est morte nous le prouvent. Un des personnages récurrents de Dame Christie se nomme Ariadne Oliver, qui est en quelque sorte le double de l’auteur, ou pour le moins son ombre chinoise. Ariadne est également romancière, officiant dans le genre policier, et elle semble revêtir certaines des caractéristiques de Mrs Christie.
«Qu’est-ce que j’en sais ? dit Mrs Oliver avec humeur. Est-ce que je connais les raisons pour lesquelles j’ai un jour inventé cet homme répugnant ? Je devais être folle. Pourquoi un finlandais [On pourrait se dire : pourquoi un Belge ?] alors que je ne sais rien de la Finlande ? Pourquoi un végétarien ? [Très amusante réflexion, si l’on reprend le début dudit roman, qui expose les ennuis de Poirot quant à l’alimentation !]Pourquoi possède-t-il tous ces tics idiots [La relation avec Poirot est claire comme de l’eau de roche !] ? Ces choses arrivent et c’est tout. Vous essayez quelque chose et les gens semblent l’apprécier. Alors, vous continuez. Ets avant de vous rendre compte où vous en êtes arrivé, vous vous retrouvez lié pour la vie avec quelqu’un du genre de cet exaspérant Sven Hjerson [ou Hercule Poirot…Il est très vraisemblable qu’Agatha Christie ait développé une certaine haine à l’encontre d’Hercule Poirot, comme son meurtre le laisse penser.] Et les gens vous écrivent même pour vous signifier à quel point ils sont convaincus que vous l’adorez. L’adorer, lui ? Si je rencontrais, dans la vrai vie, cet échalas de Finlandais, amateur de crudités, je commettrais un meurtre [On peut dire qu’elle l’a fait, littérairement parlant] à côté duquel tous ceux que j’ai inventés jusqu’à ce jour ne seraient rien. Robin Upward la contempla avec un profond respect. « Vous savez, Ariadne, savez-vous que cela pourrait être une idée merveilleuse ? Un véritable Sven Hjerson. Et ce serait vous qui le tueriez. Vous en feriez un livre qui serait votre chant du cygne. Il ne serait publié qu’après votre mort. [Ceci est très troublant, surtout quand on songe que la réalité a rattrapé la fiction. En effet, Agatha Christie avait mis au coffre un Poirot et un Marple inédits à ne publier qu’après sa mort, même si les conditions n’ont pas été tout à fait respectées…] - Pas de risque ! dit Mrs Oliver. Et l’argent ? Le salaire du crime, je le veux maintenant ! [Ce cynisme plus ou moins avéré est possiblement celui de Mrs Christie.]»
Ces lignes ont été écrites pendant la seconde guerre mondiale, soit plusieurs décennies avant que le public ne découvre la mort de Poirot, mais elles sont à peu près contemporaines de la rédaction du dernier opus de Poirot ! La dernière intervention de Poirot écrite par Christie, dans la chronologie réelle, étant celle d’Une mémoire d’éléphant. Mais, au fait, après cette revue de détails, nous n’avons pas posé la question qui sied tant à la culture britannique. Monsieur Poirot est-il un gentleman ? Bien qu’il n’ait pas sucé le lait d’Eton, bien qu’il baragouine l’Anglais, et qu’il soit décidément trop fantasque, Hercule est peut-être un gentleman car il recherche la vérité, qui est la première des vertus qu’il honore. Il est, en tout cas, frère d’âme d’Aristote. Néanmoins, son goût immodéré pour les questions indiscrètes et le mensonge ne lui permettent pas, nous le craignons et le regrettons, de l’asseoir à la table des gentlemen.
Un autographe de Peter Pan en personne (presque...), acquis récemment. Pour le contempler allez sur cette page (tout en bas) et cliquez sur les images pour les obtenir en très grand format. Je ne suis pas naïve au point de croire que Pauline Chase signait toutes les photographies-cartes postales, mais pour la raisonnable somme de sept euros, je me permets de faire semblant d'y croire... Mes rêves ne sont pas si luxueux.

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