jeudi 6 juillet 2006
[Petit fragment pendant qu'un peintre s'occupe de mon plafond. Et tant que mes mains sont propres...] Impossibilité de se laisser prendre tout à fait au sentiment des autres, aux siens en propre. On vivote entre deux eaux. Il y a une distance entre soi et la représentation que l'on donne, mi-conscient mi-innocent de cette dualité ou duplication de l'être qui s'expose et se retire instantanément. Sartre en a exposé magistralement les mécanismes de la mauvaise foi et du rôle dans L'être et le néant. La coquette à son premier rendez-vous et le serveur.
Dans la mauvaise foi, il n’y a pas mensonge cynique, ni préparation savante de concepts trompeurs. Mais l’acte premier de mauvaise foi est pour fuir ce qu’on ne peut pas fuir, pour fuir ce qu’on est. Or le projet même de fuite révèle à la mauvaise foi une intime désagrégation au sein de l’être, et c’est cette désagrégation qu’elle veut être. C’est que, à vrai dire, les deux attitudes immédiates que nous pouvons prendre en face de notre être sont conditionnées par la nature même de cet être et son rapport immédiat avec l’en-soi. La bonne foi cherche à fuir la désagrégation intime de mon être vers l’en-soi qu’elle devrait être et n’est point. La mauvaise foi cherche à fuir l’en-soi dans la désagrégation intime de mon être. Mais cette désagrégation même, elle la nie comme elle nie d’elle-même qu’elle soit mauvaise foi.
Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un peu trop d’empressement, sa voix, ses yeux, expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d’imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d’on ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu’il rétablit perpétuellement d’un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s’applique à enchaîner ses mouvements comme s’ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes ; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyables des choses. Il joue, il s’amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps pour s’en rendre compte : il joue à être garçon de café.
Lorsque le je distant, offert au regard et à la perception et le je intérieur, insondable, inviolable se rejoignent, à de rares instants, il y a comme un léger trouble ou un recul de soi en soi-même. L'impression est celle que l'on éprouve dans le viseur d'un appareil photographique. Préhension et appréhension. Perception et aperception. Je songe à Kant. Il me faudra parler de lui à ce sujet. Un autre jour. On peut reconnaître dans le jeu cette mise à distance et en présence des diverses instances du je. Un court texte de Freud dit magistralement tout ceci autrement. Mais la relation me paraît évidente, bien que forcée ici par un manque de temps pour la dire comme je le désire. Le psychanalyste n'est pas phénoménologue. Il ramène tout à un présupposé, à un priori, qu'il suppose vrai ou pour le moins vraisemblablement efficient et véridique. J'ai longtemps eu le sentiment que Freud pouvait lire entre et dans mes pensées. Ce sentiment doit être partagé par ceux qui le lisent en ayant la sensation de se découvrir. Le petit essai de Freud Der Dichter und das Phantasieren est le genre d'études freudiennes subtiles et pertinentes que j'aime lire. Freud explique que nos fantaisies quotidiennes, nos rêves éveillés procèdent d'un mécanisme identique au jeu enfantin et à la création littéraire. "Je crois que la plupart des hommes, en certaines périodes de leur vie, forgent des fantaisies." Le propre de ces fantaisies est leur caractère plus ou moins tabou pour ceux qui les créent ou les abritent, car ils s'imaginent déchoir de leur statut d'adulte en s'y adonnant, présentant instinctivement la parenté de ces "rêves éveillés" avec le jeu de l'enfant, devenu condamnable. Or, Freud expose magistralement ici le lien qui unit le mécanisme du jeu à celui de la création littéraire (par exemple). "(...) chaque enfant qui joue se comporte comme un poète." Il faut entendre le mot de poésie dans son étymologie grecque, bien entendu. Le jeu de l'artiste est aussi un faire valoir pour les désirs étouffés de l'être qui trouvent alors moyen de s'exprimer, voire être satisfaits pour une part, dans cet univers illusoire (mais sérieux, car ce n'est pas le sérieux le contraire du jeu, mais la réalité) ouvert par l'oeuvre. Jeu, fantaisie (rêve éveillé par exemple, mais il en est d'autres à la portée du sujet qui s'ignore artiste de l'instant) et création ont en commun une nature identique, qui engage imitation, consolation et sublimation de l'inflexible réalité. "Les désirs insatisfaits sont les forces motrices des fantaisies."

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