mercredi 17 janvier 2007
Deux petites choses : une nouvelle page consacrée à Crochet sur mon site Barrie et, pour faire suite à mon mini-billet d'hier une version alternative à la chanson de Carla Bruni sur le texte de Yeats, Those dancing days are gone, qui est offerte au téléchargement sur le site Naïve, via l'OpenDisc. Sa particularité : la présence de Lou Reed ! lou
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  • Little Mary est une pièce très insolite (ou disons qu’elle est pleinement conforme à l’esprit de l’auteur et nous serons plus proches de la vérité) de J.M. Barrie, qui précède sur scène son immense succès, Peter Pan (le 27 décembre 1904 au Duke of York’s Theatre). Je crois bien que je vais garder pour moi son petit secret et le fin mot de l’humour qui la caractérise. Je ne veux pas gâcher la surprise. Contrairement à ce que l’on pourrait très facilement penser, elle contient des éléments essentiels à la compréhension de Peter Pan et des autres œuvres de Barrie. Jamie n’a jamais exactement redit la même chose, même si le thème majeur demeure présent. Chaque texte est une pièce maîtresse pour la résolution de l’énigme qu’il ne cesse encore d’être. Pour toujours, je le souhaite. La pièce a été donnée, pour la première fois, au Wyndham’s Theatre, le 24 septembre 1903. Parmi la distribution, notons la présence de Gerald du Maurier dans le rôle de Lord Rolfe (il sera bientôt Crochet et Monsieur Darling, puisque par convention le même acteur interprète ces deux rôles… et ce n’est pas un hasard…) et de Nina Boucicault (futur Peter Pan, la première actrice à l’incarner au théâtre ; je lui préfère Pauline Chase, [Toutes les photographies ici présentes sont offertes par Andrew Birkin, l'ange gardien de Barrie. Je le considère comme tel et je crois qu'il sait mon admiration pour lui.]
    bien que je ne puisse juger que sur photographie !) qui donne vie à Moira Loney, l’héroïne si adorable de la pièce. Moira est l’un des prénoms de Wendy, l’autre étant Angela – elle est en quelque sorte une anticipation de cette petite mère - et cela fait, très évidemment, référence au destin, aux Parques ou Moires bien connues. Je vous renvoie à mon site en construction pour glaner photos et détails. Je devrais dès cette semaine me remettre à faire des mises à jour.
    Petit extrait de cette pièce qui fera partie du Volume Barrie à paraître en 2008. Il s'agit d'un fragment de l'acte I. Pardon pour la mise en page, qui n’est pas conforme aux us et coutumes de l’Imprimerie quant à la présentation d’une pièce, mais les « copier-coller » dans Blogger sont décidément trop capricieux et je n’ai pas le courage de reproduire les italiques et autres académismes requis. 
    Monsieur Reilly (à lui-même). Étrange, mais c’est un bon présage. 
    oira. Quoi, grand-père ? 
    Monsieur Reilly. Que celui-ci vienne précisément cette nuit-là entre toutes les nuits ! 
    Moira. Parce que c’est mon anniversaire ! 
    Monsieur Reilly. Oh, ton anniversaire, mon enfant ! Moira. Oui ! Tu ne te souviens pas ? J’ai douze ans (1), aujourd’hui ! (Elle se relève.) Nous sommes si bien amusés ! Regarde ! Elle prend sur la table une coiffe en papier qui provient d’un cracker et le met sur sa tête, où il demeure en place. N’as-tu pas envie de m’embrasser, grand-père, pour mon anniversaire ? 
    Monsieur Reilly. Oui, mon enfant ! Elle est contente. Elle court à lui gaiement et lui tend son visage. Mais déjà il l’a oubliée, replongé au plus profond de ses pensées. Elle est si déçue qu’elle pleure un peu mais courageusement combat ses tristes émotions. 
    Moira (elle est assise, elle coud et irradie). Vas-tu écrire ce soir, grand-père ? 
    Monsieur Reilly. Non, Moira. Je ne vais plus jamais écrire. 
    Moira. Ne plus jamais écrire ? Pourquoi ? Je ne peux me souvenir d’une nuit où tu n’aurais pas écrit ! 
    Monsieur Reilly. Ta mère avait coutume de me dire cela aussi, ma chère enfant. Souvent, souvent, elle le disait. Je me rappelle aussi d’une autre jeune femme, qui s’asseyait près du feu (1), et regardait le livre grossir*. Il s’agissait de ta grand-mère, Moira… Une épouse, un enfant, un petit-enfant ! Il se lève. Moira ! Il détache la clef de la chaîne qu’il porte autour du cou. Apporte-moi le livre ! Moira prend la clef et se dirige vers le coffre qu’elle ouvre. Monsieur Reilly atteint la table de travail, la débarrasse pour y recevoir les livres, et met ses lunettes. Il déplace le panier à ouvrage à l’extrême bout. Le livre est constitué de trois tomes impressionnants. Elle apporte les Volumes 1 et 2, qui sont si lourds que ses bras ont du mal à les porter. Quand Monsieur Reilly prend les livres, elle soulève le panier de table et le met par terre. Il prend les deux tomes et les place l’un à côté de l’autre. Il s’assoit et jubile à leur vue. Il ouvre le Volume 2. Il est en train d’en lire des passages quand Moira apporte le Volume 3, qui contient un morceau de papier buvard. Il ferme le Volume 2, place le Volume 3 dessus, pour finalement le laisser ouvert à la page blanche, où se trouve le buvard. 
    Moira (pathétique). Combien tu les aimes, grand-père ! Tu n’oublierais pas de les embrasser ! 
    Monsieur Reilly. Mon livre ! Moira, ce livre, c’est moi – et non pas cette charpente affaissée qui est déjà presque complètement rongée. Je me suis fondu dedans. Dans ce livre, je demeurerai toujours jeune et vigoureux à travers les âges. Il appuie sa tête sur le livre, se lève et désigne la commode où est posé un porte-plume. Moira, le porte-plume ! 
    Moira. Mais je croyais que tu ne devais plus écrire… ? Elle prend l’écritoire sur la commode avec le porte-plume qui repose dessus et dépose l’ensemble sur la table, à côté des livres. Monsieur Reilly (Il laisse sa chaise à Moira.). Il n’y a qu’un mot à écrire. Je pensais autrefois que ma femme l’écrirait, puis j’ai pensé ensuite que ce serait ta mère, mais c’est toi qui vas l’écrire, mon enfant. Il installe Moira sur sa chaise, puis il prend le porte-plume et le trempe dans l’encrier, le donne à Moira et lui désigne le livre. Ecris ici le mot « Fin ». Moira. « Fin », grand-père ? 
    Monsieur Reilly. Le livre est terminé. Ecris « Fin » ! Elle écrit. Il se tient dans son dos et la regarde faire. Fin ! Fin ! Il éponge la page avec le buvard, le regarde, le referme, le pose sur le Volume 2, enlève ses lunettes, les met sur le Volume 3, quitte la table et va s’asseoir sur une chaise. 
    Monsieur Reilly. C’est ma fin ! 
    Moira (qui va à lui). Mon cher grand-père ! Mon cher grand-père ! 
    Monsieur Reilly. Je suis un petit peu agité, Lucy. Moira. Je suis Moira, mon petit grand-père. Lucy, c’était maman. 
    Monsieur Reilly. J’oublie quelquefois que tu es la petite Moira qui n’a jamais eu un mot plus haut que l’autre à l’encontre du livre. Elles étaient fatiguées de ce livre. Parce que j’en expérimentais les conclusions sur elles. Elles n’aimaient pas cela. Les femmes sont étranges. Moira (qui se rapproche de lui). Mais tu disais que je devrais lire ce livre quand le temps serait venu ! 
    Monsieur Reilly. Le temps est venu ! Il prend le Volume 1 sur la table et il lui tend. Tu vas le lire, Moira, et je vais m’asseoir pour te regarder. Ensuite, lorsque je serai parti, tu resteras assise à le lire. J’ai mis de l’argent de côté pour toi, mon enfant, depuis six ans. Jusqu’à tes dix-huit ans, tu n’auras rien d’autre à faire, sinon lire ce livre. 
    Moira. Oh, grand-père ! Comme je vais l’aimer ! 
    Monsieur Reilly. Ensuite, tu iras chez les grands de ce monde et tu en convertiras certains. Moira. Moi ? Elle recule un peu.
    Monsieur Reilly. Toi ! Moira ! 
    Moira (effrayée). Mais tu viendras avec moi ?
    Monsieur Reilly. Je serai toujours avec toi, car ce livre c’est moi. Tu dois m’emmener avec toi partout où tu te rendras, mais seuls tes yeux doivent me regarder. Personne, pas même ceux que tu soigneras, ne devra savoir la nature du remède. Cela les surprendrait dangereusement. Ces nobles personnages doivent être sauvés discrètement... 
    Moira. Mais n’est-ce pas les tromper, grand-père ? 
    Monsieur Reilly. C’est pour leur plus grand bien. Moira. Alors, je ne serai plus digne de confiance ? Je ne peux pas faire cela ! Je ne le peux !
    Monsieur Reilly (féroce). Tu refuses ? Il se lève. Dans ce cas tout le travail de mon existence est réduit à néant et je me jette dans le feu. Il se dirige vers le foyer de la cheminée et menace de jeter le livre dans les flammes. 
    Moira (elle va à lui, horrifiée). Non ! Non ! Grand-père ! Je le ferai ! Oui, je le ferai ! Elle l’empêche de le lancer en posant sa main sur son bras. 
    Monsieur Reilly (avec émotion). Mon enfant… Je suis quelque peu désolé pour toi, car je ne peux rien sinon constater dans quel domaine (il regarde les lits où sont couchés les bébés) ton bonheur le plus grand aurait pu s’épanouir. Mais nous faisons cela pour le bien de ces chers Saxons, pour l’Angleterre, Moira, de la part des Irlandais reconnaissants. 
    Moira. Je ne les aime plus autant qu’auparavant… 
    Monsieur Reilly. Pour sauver celui qui se tenait ici même tout à l’heure. 
    Moira. Oh ! Comme j’aimerais le sauver ! 
    Monsieur Reilly. Le moi doit être sacrifié. Toutes les aspirations personnelles doivent prendre le chemin du devoir. 
    Moira (fébrile). Oui ! Oui ! 
    Monsieur Reilly (désignant les lits). Tous ceux-ci doivent partir. 
    Moira. Les enfants ! Grand-père ! Oh, cela me tuerait ! 
    Monsieur Reilly. Rien ne doit interférer avec le livre. 
    Moira. Et je n’aurai plus rien** à materner ?
    Monsieur Reilly. Ton ardent désir aurait fait de toi une femme ordinaire. Mais quelle femme extraordinaire tu vas devenir en y renonçant ! (2) Assieds-toi, Moira !
    Moira s’assoit.
    Assieds-toi près du feu et commence à étudier. Mes vieux yeux ont faim de voir la personne que tu seras dans six ans (3). Il porte une lampe et la tient à côté de Moira, afin de lire par-dessus son épaule. Elle est assise, l’air dubitatif, avec le Volume 1. Il se tient debout, la lampe toujours à la main, il la regarde. Il triomphe.
    Cela s’appelle… Mon enfant, lis le titre.
    ---------
    Traduction C.-A. F. aka Holly G.
    Ne pas reproduire sans mon consentement, comme pour chacune des pages de ce JIACO. Précision visiblement utile pour certains êtres sans vergogne, pour des malotrus et autres parasites ! Autant je partage avec grande joie mon travail, sans aucune arrière-pensée, autant je ne supporte pas que l’on essaie de voler des idées et des fragments issus de mon labeur. Je ne suis pas flattée par le plagiat.
    (1) Les lecteurs de Barrie ne seront pas étonnés par cet âge…
    (2) Anticipation d’Alice-sit-by-the fire (1905)
    (3) La même idée, bien qu’inversée, se trouve dans Le petit oiseau blanc.
    (4) Barrie use toujours, à partir d’un point ancré dans le présent, de distorsions temporelles dans ses écrits.
    * comme un ventre de femme enceinte...
    ** "rien" et non pas "personne", le choix de ce mot n'est pas anodin, bien évidemment...



    *****
    P.S. : Dans un de ses romans, Richard Matheson prend pour héroïne, sans la nommer, Maude Adams, l’une des actrices qui fut Peter Pan. Il parle d’ailleurs de son interprétation dans les pièces de Barrie – elle a joué notamment dans Le petit ministre (le rôle de Babbie)
    - et de sa vie. Je voulais rapporter cette anecdote depuis fort longtemps et j’oublie à chaque fois. Je répare donc ce jour ma négligence.
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    Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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