vendredi 22 février 2008
La vie sans musique serait une erreur. Nietzsche dit ceci ou peu s'en faut. Pourtant, je ne parle jamais de musique ici (de véritable musique, j'entends), parce que je ne me sens pas prête à le faire et parce que, à bien y réfléchir, c'est un des jardins souterrains de mes ardents secrets. Non pas que je me sente davantage autorisée à parler de livres, d'études diverses ou de films. Mais, si je puis m'appuyer sur des années d'études philosophiques, sur mes travaux universitaires, sur ma quête en ce domaine, pour me garantir une certaine crédibilité à mes propres yeux, je ne possède aucune assise théorique pour parler de musique. Je suis venue à la musique très tard. Je veux dire avec une certaine conscience, avec un peu de sérieux dans l'écoute. Ma pratique d'un instrument, le violon, a débuté il y a quelques mois. Je demeure extérieure à ce monde qui n'admet aucun dilettantisme ou la moindre faute. Mon jugement n'a aucune valeur ni légitimité. Il n'est que sensation, sans la moindre once d'intelligence. Pourtant, si je dois continuer à écrire ici, de loin en loin, j'aimerais parler de musique, d'opéra, car il manque une facette essentielle au portrait - même si, bien sûr, tout portrait est mensonger.
Pour l'heure, puisque le temps presse, je me contente d'une liste des disques qui ont fait éclater les vitres de ma forteresse intérieure ces derniers mois, les disques que j'écoute et réécoute, dans lesquels je puisse de la force et que je recommande à mes bienveillants lecteurs, avec humilité. Il en manque des dizaines, car la forge qui me sert de ventre et qui nourrit la machine à écrire a, elle aussi, besoin de combustible, mais il fallait faire un choix. Et tout choix comporte sa part d'injustice.
Je suis amoureuse de la voix de Jaroussky, comme je le suis de celle d'Andreas Scholl, pour des raisons évidemment très différentes, et ce Vivaldi-là me donne envie de vivre.

Il ne faut certainement pas manquer de s'offrir cet opus-ci, également, par lequel je suis entrée dans la voix de Jaroussky. Divin.


Un de mes plus grands chocs, fut l'écoute de ce disque. Mon émotion est tellement violente... que je n'écoute cette oeuvre qu'à des moments très choisis. Le concerto de Sibelius par Oistrakh : une de mes oeuvres préférées, sinon la préférée, par son meilleur interprète.

Ma révélation de l'année 2007. Je ne pense pas être très originale puisque tout le monde s'est accordé pour reconnaître à quel point cet interprète donne tout son sens à ses suites. Si Dieu a existé, je pense que Bach en est la preuve.


Je pourrais citer tous les disques de Carlos Kleiber, puisqu'à mes yeux, c'est un génie et qu'il est le chef d'orchestre que j'admire le plus - suivi par Furtwängler.
Je me contente de détacher ces deux-ci :



Le seul opéra dont je ne me lasserai jamais, je le sais. Wagner est mon héros. Disque parfait.


Entre autres, pour la symphonie numéro 7.




Je parlais de Wagner. Ce coffret-ci de la tétralogie est indispensable. Et merde à ceux qui n'aiment pas Karajan !


Parce que dans certain concerto, Samson François fait entendre des choses que je n'ai jamais entendues ailleurs...



Une autre voix que j'aime infiniment. J'espère aller l'écouter, un jour. Ce disque-ci d'abord.



Un "péché de vieillesse" tout à fait étonnant et qui recèle mille et une petites surprises.

Je serais ridicule d'en parler. Nous sommes dans l'essentiel.
Quant à cette version, si j'avais plus de mots, je la défendrais contre les quelques détracteurs.

Un des cadeaux de Noël de mon ami Robert, qui m'a beaucoup émue. "Le bord des larmes" à chaque écoute des lieder de Strauss.



Le voyage d'hiver et pas par n'importe qui... pour atteindre ces contrées de glace que nous portons en nous. Je suis vraiment en retard !


Au revoir.




[Lady Clementina Hawarden]



En relation avec ce très ancien billet.


Fond de tiroir moisi.
Finalement, février aura connu trois floraisons, pour faire pardonner le silence de Mars.




Résultats, idées, problèmes, tomes 1 et 2, Paris, P.U.F., 1984

Freud nous livre, dans le premier tome de ce recueil de textes, une réflexion intéressante et sensible sur « L’éphémère destinée » (1) des belles choses et le deuil que nous devons faire d’elles, un jour ou l’autre. La question qui est posée est celle de savoir si leur caractère éphémère, le fait qu’elles soient vouées au néant, leur enlève ou non quelque chose de leur beauté. Freud pense que non, mais un ami à lui pense le contraire et il essaie d’interpréter cette réaction à partir d’un deuil non consommé.
La référence à Goethe indiquée dans le titre de l’article qui devait servir pour un volume commémoratif doit nous faire comprendre que ce caractère éphémère des choses est aussi (et surtout) le nôtre, il en est l’image ou le symbole. Que notre vie ait un terme et ne laisse rien, sinon d’illusoires et de tout aussi éphémères traces, la rend-elle pour autant vaine et sans la moindre valeur ?
Contre la nécessité de cette destinée éphémère, deux attitudes sont envisagées : le dégoût, plutôt passif qui acquiesce, et la révolte violente.
Freud adopte une voie médiane, qui est celle de la raison et qui consiste à adapter le temps des choses à celui de l’homme. En outre, la rareté des choses fait leur valeur : « La limitation dans la possibilité de la jouissance augmente le prix de celle-ci. » (2) Le deuil est une manière d’affronter la nécessité de la limite des choses et de notre être, puis de l’accepter ; ceux qui refusent la beauté des choses sous prétexte de leur finitude évitent la perte de ceux-ci, et donc le travail du deuil. L’amour que l’on porte à ce qui va périr contient en soi sa propre impossibilité, et il est beau et tragique à cause de cette contradiction. Il faut aimer dans le risque et la possibilité, ce n’est pas un choix, il n’y a pas d’autre voie.

« (…) l’âme se retire instinctivement de tout ce qui est douloureux, ils sentaient la jouissance qu’ils puisaient dans le Beau endommagée par la pensée de son éphémère destinée. » (3)La pensée anticipative rend présente la perte qui n’a pas encore eu lieu ; elle creuse l'absence au coeur de la présence.

« Le deuil né de la perte de quelque chose que nous avons aimé ou admiré apparaît si naturel au profane qu’il le déclare évident. Mais pour le psychologue, le deuil est une grande énigme, un de ces phénomènes que l’on ne tire pas au clair en eux-mêmes, mais auxquels on ramène d’autres choses obscures. » (4)
Pourtant la raison du deuil est donnée plus loin dans son propos : au départ, l’homme est entier et il se morcelle dans ses objets d’amour qui deviennent des prolongements de lui-même, lorsque ceux-ci disparaissent, l’homme se détache de lui-même, il lui manque des parcelles de lui-même.

« Nous nous représentons que nous possédons une certaine quantité de capacité d’amour, nommée libido, qui dans les débuts de notre développement s’était orientée vers le moi propre. Plus tard, mais en réalité très précocement, elle se détourne du moi et se tourne vers les objets, qu’ainsi d’une certaine façon nous accueillons dans notre moi. » (5)
L’amour crée un monde intérieur à l'intérieur d'un monde intérieur. Une île sur une île.

« Que les objets soient détruits ou qu’ils soient perdus pour nous, et notre capacité d’amour (libido) redevient libre. Elle peut prendre pour substituts d’autres objets ou bien temporairement revenir au soi.
Mais pourquoi ce détachement de la libido de ses objets doit-il être un processus si douloureux, nous ne le comprenons pas et nous ne pouvons le déduire actuellement d’aucune hypothèse. Nous voyons seulement que la libido se cramponne à ses objets et ne veut pas renoncer à ceux qu’elle a perdus, lorsque le substitut se trouve indisponible. C’est bien là le deuil. » (6)
On peut expliquer, peut-être, le deuil par l’idée que l’homme retentit sur les autres hommes et sur le monde et qu’il ne peut être sans ces échos qui lui donnent une image de lui-même, une identité, si tant est qu’une telle chose existe.
« Je crois que ceux qui pensent ainsi [que les biens, du fait de leur perte, soient dévalorisés] et semblent disposés à un renoncement définitif, parce que le bien précieux ne s’est pas avéré solide, ne font que se trouver en deuil de la perte. Nous savons que le deuil, si douloureux qu’il puisse être, s’arrête spontanément. Lorsqu’il a renoncé à tout ce qui était perdu, il s’est également lui-même consumé, et voici notre libido de nouveau libre pour, dans la mesure où nous sommes encore jeunes et pleins de vitalité, substituer aux objets perdus des objets si possibles tout aussi précieux ou plus précieux. » (7)
Freud part de la pétition de principe que le deuil doit être consommé sinon il se transforme en mélancolie.




C'est à ce moment précis que nous nous détachons de Freud, car nous ne pensons pas que le deuil soit un travail jamais achevé si l'attachement fut réel et cet inachèvement qui gruge l'âme et l'esprit de celui qui a perdu est le commencement, peut-être, pour certains, de l'art.

Le fragment perdu ne se reconstitue pas ; l'amputation est réelle ; et c'est la meilleure chose qui puisse advenir. Combien sont à plaindre et à mépriser ceux qui achèvent la figure du deuil et qui ne savent rien des chagrins inconsolés !

(1) Vergänglichkeit. Goethe, Faust : « Alles Vergängliche ist nur ein Gleichnis » (vers 12104-12105), « Toute chose éphémère est seulement une allégorie. »
(2) tome 1, p. 234.
(3) tome 1, p. 235.
(4) Ibidem.
(5) Ibidem.
(6) Ibidem.
(7) p.236.

[Caspar David Friedrich]

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Retrouvez une nouvelle floraison des Roses de décembre ici-même.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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