jeudi 14 octobre 2010
Très lentement, je mets à jour mes divers sites internet, entre deux pages d'un roman ou d'une traduction, le tout entrecoupé de divers projets théâtraux... et de quelques surprises littéraires que je prépare secrètement dans mon antre. 
Aujourd'hui, je vous renvoie simplement, si le coeur vous en dit, à certaine page pour y découvrir deux petites raretés musicales que je viens de déposer sur mon site Cary Grant – qui n'est pas encore véritablement né, faute de temps. Mais Cary Grant est presque aussi important pour moi que Barrie et j'ai l'intention de le prouver... Depuis des années, je collecte des documents et des pièces rares, qui sont autant de preuves de mon amour et de ma dévotion à l'un des plus grands acteurs de tous les temps. Je suis un être constant, aux passions multiples, mais d'une fidélité à toute épreuve à ces dernières. Je tiens fermement les rênes  et, jamais, je ne renonce avant d'avoir réalisé mes rêves, et ce, quoi qu'il advienne. Probablement que, de l'extérieur, certains m'imaginent comme un papillon ivre, voletant, affolé, d'un point à un autre, mais il n'y a rien de plus faux. Chacune de mes pensées et de mes passions, chacun de mes actes, est la perle d'un même collier. Il y a une cohérence en moi que bien peu perçoivent – en particulier, ceux qui attendent de moi que je fasse des choix. J'éprouve le besoin de préciser cet état afin, une fois pour toutes, que mes lecteurs (ceux qui ont la bonté de m'écrire et pour qui, d'une manière générale, j'éprouve de l'amitié) me pardonnent de n'avoir pas toujours le temps de leur répondre comme ils le mériteraient certainement. Parfois, je préfère laisser un courrier orphelin plutôt que de n'accorder que des miettes. Peut-être ai-je tort. Probablement ai-je blessé des êtres (qui attendaient trop de moi, et à qui, cependant, je n'avais rien promis), mais Holly n'est pas tout à fait Céline, et si la première oeuvre avec l'accord et toute la sincérité possible de la seconde, il me semble que le meilleur de moi est ici, dans mes divers sites, dans les livres que j'essaie de publier... et qu'il n'est guère utile de vouloir mieux me connaître. 
Louis-Ferdinand Célinemon autre versant – de même que Barrie avait une écriture dextre et sénestre, il me semble que ma persona a deux hémisphères – disait ceci, dans une lettre à l'une de ses amies : 
"Si on se laissait aller à aimer les gens qui sont gentils la vie deviendrait atroce. Je ne sais pourquoi mais ce serait ainsi. Il faut se raidir pour vivre."
Et ceci, dans Mort à crédit
"L'essentiel c'est pas de savoir si on a tort ou raison. Ce qu'il faut c'est décourager le monde qu'il s'occupe de vous.. Le reste c'est du vice."
J'ai toujours, plus ou moins consciemment, adopté ces préceptes dans ma vie, depuis l'enfance, probablement pour me défendre de la tendance inverse. Mais force est de constater que, de temps en temps, j'oublie ces règles d'hygiène existentielle.
Je me souviens d'une ancienne relation amicale, qui a beaucoup compté pour moi à l'époque, qui m'a même aidée à progresser, mais qui voulait, à tout prix, me soumettre au joug de la raison et de l'équilibre, me restreindre dans mon appétit, rogner sur mes possibles... et qui s'étonnait que l'on puisse se consacrer à Barrie et à Louis-Ferdinand Céline, priser Cary Grant et Hegel, aimer à la folie Bach et Michael Jackson... Il en est trop de ces tristes sires qui, jamais, ne comprendront que la vie n'est belle qu'entrelacée de mille fils - de fer, de coton, d'or ou prélevé sur une toile d'araignée – mais qui tous concourent à dessiner le même motif dans une existence. 
lundi 11 octobre 2010
"La vie n'est rien auprès de nos raisons de vivre..."





Albert Caraco est un drôle de type. Du genre que j'aime – et pas à moitié. 
Je ne remercierai jamais assez mon ami Pierre de m'avoir fait rencontrer ce livre.
Caraco ne cherche pas à plaire et le lecteur sait d'instinct qu'aucune prise réelle sur lui n'est possible : il demeure sur une île taillée à ses seules dimensions, inaccessible à ce que le reste du monde peut bien penser de lui. Ce n'est pas une pose ; il y a une liberté absolue chez lui qui ne peut qu'indisposer le plus grand nombre. Je suis certaine que la plupart des lecteurs diront qu'il est un homme du ressentiment, aigri, malheureux, malsain, etc., sans jamais avoir le soupçon qu'il est simplement au monde comme un naufragé, séparé des autres comme de lui-même. Et même bien plus de lui-même que des autres. 
Il sait vivre, lui !
Là où (mon très cher et estimé) Cioran, par exemple, fait montre d'une irrésistible drôlerie, Caraco est dépourvu de tout humour, (presque) de tout pathos ; c'est une créature à sang froid : il est objectif et chirurgical. Il ne se réfugie dans aucun asile, pas même celui de la littérature ; la littérature est sa patrie, mais il ne semble tirer d'elle aucune consolation, et certainement pas la moindre glorification. Il vit la littérature ; il en est le digne fils et se veut orphelin de tout ce qui n'est pas elle. Mais l'on n'est jamais assez orphelin pour prétendre au génie, pour devenir un jour silène... Nous ne sommes jamais que des répliques de ces "Hollow Men" dont parle T.S. Eliot. 
Il n'est même pas désespéré : il a certainement dépassé ce stade dès l'enfance. Demeure cette lucidité terrible, à laquelle il manque pourtant un degré pour être tout à fait implacable : "Nous aimons ce qui doit mourir et nous n'aimons que parce que nous nous sentons mortels et menacés." ; "On aime un être que les lendemains menacent et d'autant plus qu'il est menacé, Dieu n'aime pas et n'est pas un objet d'amour, l'amour divin est un non-sens, le mieux est, certes, de n'aimer personne et pour ce nous devons commencer par nous-mêmes. Qui fait profession de se haïr rompt les attachements sensibles."

Mon fantôme, en lisant ces mots, s’assoit sur mes genoux et me dit ces mots.
Ma plus grande peur dans la vie fut de ne pas aimer assez, donc de ne pas aimer. Je ressentais tout l’effroi que ce doute, fétu après fétu, construisait patiemment et habilement en moi, jusqu'à l'étincelle. Mais ce doute était également porteur d’une jouissance terrible : souffrir de ce doute constituait un antidote à la peur elle-même et lui opposait un contre-argument salvateur ; il n’y a que ceux qui sont satisfaits qui sont coupables. Enfant, je me punissais donc lorsque j'estimais que j'avais failli à mon amour absolu pour la gardienne de mes jours : je me pinçais, je me giflais pour obtenir à mes propres yeux  mon absolution ; il fallait que je payasse mes fautes, j'ai toujours été très honnête de ce côté-là. Aimer véritablement, c'était attendre sans répit la mort de l'être aimé – afin de savoir si l’on mourait ou non de chagrin. On survivait toujours. On était factice. Aimer véritablement était une inquiétude permanente qui empêchait de vivre. Il y avait des distractions. On était réel dans ces tristes illusions que l'on faisait marcher. Un tel sentiment impliquait que l'on renonçât définitivement à soi, bien qu'on ne le pût jamais. Aimer, toutefois, apprenait l'humilité puisque l'on n'aimait jamais assez, puisque l’on n’aime jamais, puisque la réalité n'était jamais à la mesure de l'exigence ; c’était le néant qui aspirait à l’incarnation dans un possible ; c’était là toute la puissance du négatif.




"La douleur est partout et le premier devoir consiste à l'éviter, elle est la monnaie de l'amour, l'amour et la douleur marchent sur une ligne, moins nous aimons et moins nous sommes menacés, le propre de l'amour est de dégénérer en tremblement, alors nous apprenons à trembler pour les autres et nous portons la chaîne du souci."
Caraco est, somme toute, plus optimiste que moi. 
Il me semble que l'on ne souffre pas assez d'aimer, que l'on ne tremble pas de tout son être, mais superficiellement, là, dans cet infime interstice, dans ce pli infime où la peau est encore tendre, parce qu'elle n'a pas eu le temps de tout à fait durcir. Mais cela vient, avec le temps. Nous sommes tous des vaches.
Au fond, le mépris, le sublime mépris de tout, exprimé par cet être étrange, pétri de contradictions, qui loue en même temps qu'il improuve cette femme, l'origine de son monde, et, malgré lui, peut-être, son inspiratrice – sa mère –, vacille peu à peu, et ce petit livre n'est que le récit d'une chute dans le sentiment. Le passage d'une fausse indifférence à une douloureuse épiphanie. Un combat de la réflexion contre le soupir. Un arrachement au silence. 
Caraco, comme Barrie avec sa mère, devient le père de sa mère. Il porte sa mère en lui. Ils se sont "hantés l'un l'autre", comme il l'écrit si bien, et il ne la retrouve jamais si bien que dans l'absence que sa mort creuse. Il devient alors sa mère et s'abolit dans sa mort. 
Il la porte


Il est notamment ce passage :






que l'on ne peut que rapprocher de celui-ci, extrait de Margaret Ogilvy :


Je ne lui ai jamais rien lu de ce dernier livre. Quand il fut terminé, elle était trop accablée par le poids des ans pour suivre une histoire. Pour moi, c’était comme si mon livre devait s'en aller, tout seul et nu, de par le monde (ainsi que tous ceux auxquels je donnerai vie désormais) et ma sœur, dont le dévouement n’a trouvé d’égal chez aucun autre être que j'aie jamais connu, comprit cela et, par des moyens qui demeureront mystérieux à tout homme, persuada tendrement ma mère de redevenir un instant la femme qu’elle avait été. Un jour, à peine trois semaines avant sa mort, mon père et moi fûmes doucement appelés là-haut. Ma mère était assise, droite comme un I, dans son vieux fauteuil, près de la fenêtre, là où elle adorait se tenir, un manuscrit dans les mains. Mais elle regardait autour d’elle sans vraiment comprendre. « Simplement pour lui faire plaisir… », chuchota ma sœur et, alors, d’une voix basse et tremblante, ma mère commença à lire. Je regardai ma sœur. Des larmes de chagrin glissaient sur son visage. Bientôt, la lecture ralentit, puis cessa. Après une pause. «Il y avait quelque chose que vous vouliez lui dire… », lui rappela ma sœur. « Chance…», murmura une voix qui semblait d'outre-tombe. « Chance...» Et le vieux sourire vint éclairer son visage, comme si un allumeur de réverbères était passé par là, et elle me dit : « Je suis déjà partie trop loin pour être capable de lire, mais il me semble que je suis encore dans le livre ! » 





Les mères sont toujours dans nos livres, surtout celui que l'on ne peut jamais écrire parce qu'il nous tuerait en la détruisant...


***


Cf. ce site qui lui est entièrement consacré.


Combien différent, sur le même thème, est le Journal de deuil de Roland Barthes. Différent dans l'exposition et l'expression, dans cette chute inversée à celle de Caraco qu'il donne à percevoir, mais si semblable, pour peu que l'on gratte au sang les pages.


De l'un à l'autre, s'entend la même intonation funèbre et coupable. 


Culpabilité du survivant ! 

dimanche 3 octobre 2010

À la fin de sa vie, Barrie écrivait ceci, alors qu'il mettait en fiction les souvenirs de sa jeunesse :

« Jamais est plus triste que Jamais-Plus, parce que celui-ci renferme les douceurs de la mémoire. Jamais-Plus signifie que, vous avez beau être vieux et chenu, il y eut jadis des moments de bonheur sur lesquels vous pouvez vous retourner avec tendresse. Ils sont passés mais ils furent. Nul réconfort de la sorte ne peut être obtenu du Jamais. Le regard furtif de l’amoureux, la main que l’on presse, tous ces moments pendant lesquels on vit toute une existence, il est triste en effet de penser qu’ils n’adviendront plus, mais il est encore plus triste de penser que, jamais, ils n’ont été. Jamais-Plus était une condamnation pour l’avenir ; Jamais une condamnation pour le passé et l’avenir. Le plus triste de tout, c’est que Jamais signifiait que vous étiez conscient d'être passé à côté de tout cela et de devoir continuer à le faire jusqu'à la fin. »
 J.M. Barrie (trad. C.-A. F.)


Il me semble, après toutes ces années passées en sa compagnie, savoir enfin parfaitement ce que tait et dit ce Jamais mélancolique. 


***


Les roses du Pays d'Hiver

Retrouvez une nouvelle floraison des Roses de décembre ici-même.

Rechercher sur mon JIACO

Qui suis-je ?

Ma photo
Holly Golightly
Never Never Never Land, au plus près du Paradis, with Cary Grant, France
Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
Afficher mon profil complet

Almanach barrien

Rendez-vous sur cette page.

En librairie

En librairie
Où Peter Pan rencontre son double féminin...

Réédition !! (nov. 2013)

Réédition !! (nov. 2013)
Inédit en français

Actes Sud : 10 octobre 2012

Une histoire inédite de J. M. Barrie

En librairie le 2 juin 2010

Actes Sud, juin 2010.

En librairie...

Terre de Brume, septembre 2010.

Tumblr

Tumblr
Vide-Grenier

Cioran tous les jours

Cioran tous les jours
À haute voix, sur Tumblr

Une de mes nouvelles dans ce recueil

Oeuvre de Céline Lavail


Voyages

Related Posts with Thumbnails



Écosse Kirriemuir Angleterre Londres Haworth Allemagne Venise New York

Copenhague Prague

Les vidéos de mes voyages sont consultables ici et là...

Liens personnels

"Une fée est cachée en tout ce que tu vois." (Victor Hugo)

J'apprends le mandarin

Blog Archive

Entrez votre adresse de courriel :

Lettre d'information barrienne

Archives