lundi 30 mai 2011
"En tant que plante, je suis né près d'un cimetière [Gottesacher - littéralement : champ de Dieu], en tant qu'être humain dans un presbytère."
Nietzsche


***


Ceux qui me lisent et me connaissent savent à quel point Freud est important pour moi.
J.-B. Pontalis, André Green et quelques autres, par leurs oeuvres, m'ont offert le terreau sur lequel ma propre pensée pouvait germer et tenter de croître. La psychanalyse, à l'instar de la philosophie, me semble être un préalable nécessaire à toute vie consacrée à la lecture et à l'écriture véritables, lorsque l'on ne possède aucun génie – il est pourtant de très rares êtres qui, eux, ont le don de la fulgurance. Il faut, je le crois, d'abord être archéologue de soi-même (et des autres), pratiquer la généalogie (au sens de Nietzsche) avant de comprendre et d'écrire quoi que ce soit, sous peine de toujours être prisonnier d'un reflet sur une surface...
Freud est probablement, avec Kant, Schopenhauer et Nietzsche, l'un des philosophes que je ne cesserai jamais de lire.
Visiter le musée londonien dévolu à ce génial penseur a représenté une étape importante de notre voyage, car c'était un événement que je voulais vivre depuis fort longtemps. Mais Londres a toujours été et sera toujours pour moi, avant tout, un lieu de pèlerinage à la mémoire de Barrie ; j'ai donc rarement le temps de sacrifier à d'autres promenades buissonnières. Robert m'a d'ailleurs donné un sage conseil : au lieu de prendre mes quartiers au Milestone, je ferais tout aussi bien d'installer une tente au coeur des Jardins de Kensington. L'idée est très tentante, à un détail près : je hais tout ce qui ressemble de près ou de loin à un inconfort. Je veux bien être naufragée sur une île déserte, mais à condition de l'être à l'intérieur de ma maison tout entière.




La correspondance de Freud est absolument indispensable. Nul ne peut prétendre connaître Freud s'il ne l'a pas également fréquenté à travers ses lettres. Ernest Jones, quant à lui, a écrit une somme passionnante sur son ami. On a reproché à Jones sa partialité et sa subjectivité ; à mes yeux, c'est ce qui donne toute sa valeur à cette monstrueuse biographie. D'une manière générale, je ne crois pas en l'objectivité, qui n'a sa place que dans les mathématiques – et tout cela m'emmerde prodigieusement. 
Vendredi après-midi, le 20 mai, nous nous sommes donc promenés dans le royaume de Freud. À cet égard, je vous conseille cet article qui décrit le musée mieux que je ne saurais (ou n'ai envie) de le faire.
Il s'agit davantage, somme toute, de la maison d'Anna (elle la hanta quarante ans) que de celle de son père, qui n'y vécut qu'un an, même si mille objets lui appartenant sont parvenus jusqu'à nous – y compris le fameux divan, dont on a fait tout un monde.
J'ai toujours dit que la psychanalyse ne me paraissait pas une thérapie possible pour quelque pathologie sérieuse que ce soit, mais elle constitue, très certainement, une formidable exploration de soi, de la psyché humaine d'une manière générale, à condition de conserver une distance que les analysés semblent, dans beaucoup de cas, avoir le plus grand mal à tenir, et pour cause... Très paradoxalement, la psychanalyse est un discours et un dialogue qui me fascinent de l'extérieur, en tant qu'observateur. La psychanalyse est presque une oeuvre d'art écrite à quatre mains, à condition de savoir y mettre un terme (ce qui ne signifie pas l'"achever", mais redevenir le maître de son silence) et ne point y passer sa vie à faire du point de croix sur chaque infime motif de son existence. La pierre d'achoppement de toute analyse, c'est le radotage, l'enfermement dans une introspection stérile et cela se produit lorsque l'analyse devient une simple routine, une sorte d'hygiène psychique, comme c'est le cas très souvent de nos jours, alors que le temps de l'analyse n'est précisément pas celui de l'habitude. C'est l'intempestif.
Pour la freudienne non pratiquante que je suis, l'objet le plus frappant de tout ce musée fut probablement une peinture de Sergei Pankejeff, "l'homme aux loups".



J'ignorais qu'elle se trouvait là-bas ! J'en ai ressenti un choc que je préfère ne point analyser. 
Pontalis écrivait que l'analyse s'emploie à "faire parler l'infans, à faire taire le fatum". Faire parler qui ne parle pas et faire taire ce qui parle en nous... Quelle meilleure définition donner à cette folle entreprise ?

Le musée Freud accueillait une exposition, celle d'Alice Anderson. D'où l'enchevêtrement de "fils" qui recouvraient la maison de Freud et qui sont partie prenante de ladite exposition.


Présentation de l'oeuvre de l'artiste Alice Anderson qui mèle le réel et l'imaginaire dans ses créations. (Source : ici)
"Les cheveux de poupée sont une référence directe à mes souvenirs d'enfance. Je me souviens de ces terribles peurs que j'avais lorsque j'étais seule à la maison et que j'attendais pendant de longues heures, le retour de ma mère. A cette époque, je m'inventais des rituels pour calmer mes angoisses. Par exemple, ces rituels consistaient à défaire des coutures de tissus et à utiliser les fils que je récupérais pour attacher certaines parties de mon corps ou d'autres objets. Peu après mes cheveux ont remplacé les fils.
Se souvenir relève d'un processus imaginatif. Bergson disait que parler du passé c'est rêver. Le temps est mon "matériau" principal, la toile dans laquelle je réinvente mes souvenirs. Je joue avec la dislocation du temps comme les enfants construisent des mondes parallèles. Enfant nous ne pensons pas de façon logique et notre conception du temps n'apparaît certainement pas comme étant une trajectoire linéaire et objective."

Le fil d'Ariane, d'Arachné.
Les cheveux de la poupée. 
Les cheveux de la mère. 
La chevelure de Rapunzel.


Mon enfant est absolument fasciné, comme beaucoup de bébés de son âge, me semble-t-il, par mes cheveux longs. Ses petites mains agrippent avec une force étonnante ces fils cassants qui tombent en pluie de ma tête. Et, lorsque cet enfant me regarde droit dans les yeux en faisant ces gestes-là – enroulant mes cheveux autour de ses poignets, délimitant les contours de mon visage –, j'ai le sentiment que son regard boit en moi mes propres pensées. Nous rejouons des scènes archaïques.


Évidemment, je suis totalement envoûtée par l'idée force de cette jeune artiste et par toutes ses ramifications possibles. Cf. cette vidéo. Les obsessions d'Alice Anderson, les rapports de la mère-araignée et de l'enfant-île (je vois les choses ainsi), des fils d'Ariane, des cheveux de poupée, des cordons ombilicaux, le passage qu'elle opère entre la structure du conte et celle de l'inconscient du jeune enfant demeuré endormi dans la psyché de l'adulte – et attendant le froid baiser du réel qui réveillera le mort-vivant – sont des thèmes qui gouvernent mon imaginaire depuis toujours. En outre, son propos s'accorde, presque miraculeusement, avec le travail d'Anna Freud, qui s'adonnait au tissage et au tricot, comme chacun sait. Tout cela nous ramène à Barrie, par des voies à peine détournées... Thrums. La robe de baptême. Mille autres détails.


Tout cela fait aussi, sans l'ombre d'un doute, penser au jeu de la bobine (le Fort-Da), n'est-ce pas ? 












THE END (jusqu'au prochain billet non londonien).

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Billet écrit en écoutant ce très beau disque :

Les roses du Pays d'Hiver

Retrouvez une nouvelle floraison des Roses de décembre ici-même.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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