Quelques chapitres...

lundi 14 mai 2012

Adieu Bellini (2001 – 2012)



Pardon, petite Bellini, je n'ai pas su t'aimer assez. 
Ma vie tout entière ne sera pas assez grande pour contenir ce regret. 
J'ai toujours eu le coeur trop étroit. Tous ceux que j'ai blessés (tués symboliquement) un jour le savent. Je préviens à l'avance, mais on ne me croit jamais. Pourtant, ce n'est ni du bluff ni une politesse. J'ai hérité de l'enfance une dureté et une capacité d'indifférence étrangement proportionnelles à ma capacité de souffrir. Pour durer, il faut bien se durcir, conserver en soi un petit fragment non friable et coupant. 
Une arme. 
Mon aveuglement vient probablement de là.
Mais je pensais avoir une meilleure âme pour mes frères animaux. 
On se déçoit toujours un peu davantage. Vieillir, c'est bien cela, perdre jusqu'à cette illusion qu'il existe en soi un seuil. Une marée de pourri remonte en moi. C'est le goût de l'enfance abandonnée et carnassière.
J'aurais dû me rendre compte que tu étais malade. En prononçant l'odieux verbe devoir, cela en dit assez, bien trop. L'amour, lui, n'a rien à voir avec le commandement militaire de la morale. Il est extra-lucide. Il se donne, plein, dans la fulgurance, sans états d'âme rétrospectifs. Il est parfait ou il n'est pas. Parfait, jusque dans son imperfection – qui est respiration. 
Tu m'as aimée sans conditions, Bellini. Il me faut te remercier pour cela, parmi tant d'autres motifs de gratitude. Je ne t'oublierai pas. Je n'oublie, hélas, rien. Tes cendres rejoindront celles de Torcello. 
Cela n'aurait peut-être rien changé au dénouement de notre histoire, si j'avais été plus aimante, à savoir capable de deviner la maladie ; mais je ne ressentirais pas cette immense détresse aujourd'hui. Je suis consciente que ce sentiment est encore l'expression d'un  terrible égoïsme qu'il me faudra bien un jour abattre. C'est, lui, l'ennemi intérieur. Pas les autres. 
Un égoïsme forcené m'a permis de survivre à l'enfance. Mais la peau d'enfance crevée, l'égoïsme m'est resté, comme une tache acide qui ne cesse de se répandre et corrompt tout. 
Torcello et toi,vous étiez amies. J'aime à croire qu'il existe un Paradis pour les chats et que, ce soir, vous êtes de nouveau l'une près de l'autre. 
En vérité, je n'y crois pas ; je crois déjà à peine au monde réel ; mais j'essaie de persuader du contraire l'enfant que j'abrite encore en moi et qui n'est que la forme de mon âme. Mon âme est une petite fille prisonnière. C'est une peau de chagrin que je tiens dans la main. D'elle, je tire ma vie et elle meurt à mesure que je grandis. Le jour où je renoncerai au make-believe, je renoncerai à cet enfant auquel je dois tout – le meilleur et le pire, qui, chez moi, ne sont jamais séparés.