jeudi 31 août 2006

Je dois, à nouveau, cette découverte à une lectrice. Je suis sa très grande débitrice, car cette oeuvre est forte et ne vous laissera pas en paix, même après avoir refermé définitivement le livre. Je lui demande, par avance, pardon de si mal parler de cette oeuvre envoûtante et brillante. Passionnée par l'époque victorienne, je suis toujours prompte à me saisir des romans qui exploitent cette période bénie du Roman avec un regard contemporain ou faussement d'époque. Sarah Waters a parfaitement réussi à faire siennes les moeurs victoriennes, par exemple, et à nous entraîner dans l'illusion d'un roman écrit dans la verve de cette ère révolue, où raconter des histoires n'était pas une exception bénie. Ce gros roman de presque 1150 pages ne vous rassasiera pas le moins du monde. Ne vous hâtez point. Prolongez le plaisir de l'abriter dans votre esprit, car sa présence massive vous fera bientôt défaut. Les bons livres se désignent par les stigmates qu'ils laissent en nous. Ils nous hèlent, quelquefois, du passé qui les a vus naître et mourir le temps de la lecture, de leur existence éphémère, dont il ne reste que la trace vivace mais malgré tout bientôt estompée dans la mémoire du lecteur. Michel Faber prend d'emblée une décision courageuse mais risquée : il transforme résolument son lecteur en voyeur, sans lui demander son avis. Nous sommes donc des spectateurs invisibles, transportés aussi aisément que des poupées en papier au coeur d'une histoire, celle qui lie quatre personnages principaux. Je vous les présente en coup de vent : Sugar, une prostituée à l'intellect exacerbé, William, un balourd cultivé et ambitieux, à la tête d'une entreprise florissante, qui va acheter Sugar, Sophie, la fille délaissée de William et Agnes, la femme de William, qui est presque un fantôme. Il y a en Michel Faber quelque chose qui n'est pas étranger au livre de Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur... Toutefois, aucune perplexité ou complexité ne viendra rider la surface de la lecture. Le procédé d'injonction, qui était déjà celui de mon cher Tristram Shandy, est presque ici une politesse ironique à l'endroit du lecteur. L'abrupte fin du roman confirmera mon impression... Nous sommes d'abord aspirés par le livre et rejetés aussi vivement sur la grève de notre solitude, dépossédés tout à coup de cet univers où nous nous sentions en position de force et d'admiration. Nous rencontrons ce livre et il nous congédie comme le fait le Maître des histoires, le vieux barbu, là-haut, ailleurs, nulle part... Nous n'avons rien d'autre à faire qu'à ressentir et ce n'est pas peu ! Je lisais la critique d'un lecteur sur amazon.fr, qui se plaignait d'avoir été plongé dans la fange (la merde, le sperme, la pisse et la misère) et d'avoir souffert de ces réalités visqueuses et odoriférantes, d'avoir été malmené en quelque sorte. Si je suis pleinement d'accord avec sa description, je n'accepte pas cette conclusion car j'ai le sentiment d'avoir été privilégiée, d'avoir pu me glisser dans les pensées et la réalité concrète des divers personnages. Ce roman est charnu et palpable et, bien que sa fonction ne soit pas d'être réaliste, il y a moyen d'éprouver violemment nos sens au cours de ce voyage. Ce roman, qui donne le beau rôle à la fiction, est tenaillé par un certain nombre d'images, qui ne laissent comprendre leur signification que peu à peu. La maladie de peau de Sugar, l'ichtyose (la peau de poisson si vous préférez), est très symbolique. Cette permanente desquamation de son corps dit au moins deux choses : la mue progressive de Sugar, qui, de prostituée ne pensant légitimement qu'à sa sauvegarde personnelle, va se transformer, peu à peu, en mère pour une enfant qui n'est pas la sienne. Quelle belle surprise pour le lecteur que cet éveil d'un amour gratuit ! D'autre part, cette peau qui ne cesse de s'effriter, cette sécheresse qui l'habille de haut en bas, appelle quelque chose qui la nourrisse, l'irrigue, et la sauvegarde : l'amour, peut-être. Elle l'attend de la part de son bienfaiteur tout en ayant la lucidité de ne pas l'espérer, car elle sait la nature des hommes. Sa propension à se fondre dans les bains chauds, où elle trouve un apaisement provisoire, où sa peau se détend dans cet autre élément, rappelle probablement inconsciemment le liquide amiotique. Sugar est devenue prostituée à cause de sa mère qui l'a vendue sans remords aux plus offrants et l'on ne peut ignorer à quel point elle n'a pas été aimée par sa propre mère. On est outrés par ce viol de l'enfance ; mais l'auteur ne nous laisse pas le temps de verser une larme, il nous presse d'avancer. Lorsque Sugar rencontre la fille de William, Sophie, petite souris effrayée et confinée dans ses appartements, elle va se prendre, malgré elle, d'amour. Mais cette affection ne versera pas, là encore, dans la sentimentalité. On sent toutes les résistances inconscientes de Sugar, ses tentatives bouleversantes pour ne pas ressembler à sa propre mère, en lisant leur histoire. Un des plus beaux personnages de ce livre est celui d'Agnes, la femme trompée de William. C'est un ange ridicule et émouvant. Réputée folle, alors que l'auteur nous précise, en passant, qu'une tumeur est logée dans son crâne. Petite bombe à retardement. Lorsque l'auteur nous offre spontanément cette information, dont il ne sera jamais fait usage dans le cours de l'histoire et qu'aucun personnage ne découvrira, il nous place un instant dans le secret des dieux pour, ensuite, nous renvoyer à notre position de spectateur / voyeur. J'emploie à dessein ce mot et non celui de "lecteur" car le livre se déroule comme un film. Bien sûr, le train de la lecture s'arrête, ici ou là, quand il bute sur une formule élégante, mais la lecture se glisse en nous et nous dépossède de tout sens critique. Nous lisons et nous aimons beaucoup cela. Pauvre âme tourmentée que cette Agnes, trop pure pour ce monde qui n'est pas le sien, prisonnière d'une société qui l'a rendue ignorante des choses les plus élémentaires, imbue de religion, qui rêve d'un autre corps, tandis que Sugar se régénère elle-même, mue après mue, plus forte car dotée d'un savoir puissant. Ces deux portraits de femmes sont construits parallèlement et ne se comprennent complètement que l'un par rapport à l'autre. Je gage que le titre original, The crimson petal and the white (Le pétal pourpre et le blanc) désigne au moins autant Sugar (aux cheveux roux) et William que Sugar et Agnes ! L'un des grands mérites de l'auteur est de n'avoir sacrifié aucun personnage au profit des principaux acteurs de ce drame. Il donne consistance, ne serait-ce que par quelques lignes ou souvenirs épinglés, à chacun d'entre eux. Qui peut oublier Caroline ? Il a su créer un univers cohérent et riches en odeurs et en couleurs, poussant le raffinement jusqu'à nous accorder une place de choix pour contempler tout ceci. Certains auteurs, très mesquins de n'offrir à leur lecteur qu'un misérable petit strapotin sur le côté, pourraient en prendre de la graine ! Michel Faber est l'enfant improbable de Dickens et de Zola, un conteur engagé, qui défend par son travail une idée du Roman qui n'a presque plus cours en France. 

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mardi 29 août 2006

[Excellent second rôle que celui porté à l'écran par Finlay Currie]

[Ce rire-là, capturé dans son expression la plus euphorique, me porte au plus près de Dieu, en qui pourtant je ne crois guère. Le rire et la joie sont ce qui nous rapproche le plus d'un état de communion avec le monde.]
Doctor Noah Praetorius aka Cary Grant :
I consider faith properly injected into a patient as effective in maintaining life as adrenaline, and a belief in miracles has been the difference between living and dying as often as any surgeon's scalpel.

Je crois que la confiance injectée dans un patient, comme il convient, est aussi efficace à le maintenir en vie que l'adrénaline. La croyance aux miracles fait aussi souvent que le scalpel du médecin la différence entre la vie et la mort.
Joseph Leo Mankiewicz est un de mes cinéastes préférés. Il est l'un des dix réalisateurs de mon panthéon personnel.
J'ai fait souvent état de cette admiration, ici même et ailleurs. Il a le don de pouvoir officier dans des genres très différents sans se perdre ou tordre son style (que ce soit dans le conte romantique à mi-chemin du rêve et de la réalité, qui ouvre une aube où se dessine la délicieuse Mrs Muir, dont serait tombée fou amoureux Barrie, la comédie de moeurs, Letter to three wives, la tentation du gothique, Dragonwyck, la fresque gigantesque, Cléopâtre, la chronique familiale, The late George Apley, le film policier, Somewhere in the night, le film d'espionnage, Five fingers, ou encore l'analyse psychiatrique, Suddenly last summer...). A chaque fois, il donne le ton avec une imperturbable classe, une pureté d'âme qui lui permet de parler des sentiments humains les plus ténus sans jamais les briser entre les mâchoires d'un scénario imparfait ou les mouvements brutaux d'une caméra inquisitrice. Même lorsque la caméra est au plus près des acteurs, lorsqu'elle se fait regard appuyé sur le visage, elle ne les brutalise jamais, évitant d'être avide d'une l'émotion qui ne paraît jamais provoquée mais s'épanouir naturellement dans les expressions et les gestes.
Distance et présence au coeur de l'intimité des êtres sont les deux soucis primordiaux du cinéaste. Ce recul salvateur s'exerce souvent par l'humour, parfois assez mordant mais jamais cruel, mais aussi et surtout par une économie de paroles et d'effets. Il invite le spectateur autour du foyer intime des personnages, à nous frotter à leur lumière, à les coudoyer, à les comprendre intensément. Pour cela, il glisse quelques points de suspension au moment opportun. Nous participons au déroulement de l'histoire sans en être pleinement conscients sur l'instant. L'émotion ultérieure reviendra hanter le souvenir de la projection.
Il est des cinéastes curieusement absents de leur création. Tel n'est pas le cas des films de Mankiewicz, qui parlent de lui, d'une voix de basse. Il est pleinement audible, séparés que nous sommes de lui par des décennies. Prodige.
L'élégance du coeur et de l'esprit des plus grands, à savoir l'intelligence alliée à la modestie, confère à son oeuvre une chaleur commune à tous ses films. Le cadre de ce film-ci est la jalousie d'un homme médiocre et la force de ce monstre aveugle que l'on appelle la rumeur, qui sera à peine évoquée. C'est aussi le portrait modeste et authentique d'une simple histoire d'amour qui tient sa place dans cet encadrement dramatique. Ce film-ci est un de ceux que, dans sa filmographie, je prise le plus fort et pas seulement parce que Cary Grant y est plus que jamais l'homme parfait, c'est-à-dire celui de la situation. A l'instar des films de Capra, il y a dans ce film une générosité proprement dickensienne. Il faut distinguer ce trait sensible des vulgaires bons sentiments. Quelle différence entre l'indigeste compassion mielleuse et la bonté d'âme ? me sommerez-vous de répondre. Avant de m'incliner devant votre légitime curiosité, j'aimerais extraire de ce film une scène, qui sanctifie à la fois l'immense talent de l'acteur Cary Grant et qui exprime l'intelligence du film mentionné. Je crois qu'elle me permettra, in fine, de répondre un peu à cette interrogation. Cary Grant interprète le rôle d'un docteur, comme il n'en existe plus guère, bien que j'aie la chance d'en connaître intimement un tout aussi merveilleux... Il officie dans une clinique qu'il a créée et donne des cours à la faculté. Il est jalousé par un ignoble personnage, tout droit sorti d'un roman de Dickens, plus filandreux que Uriah Heep* et à peine plus grand, du moins à l'échelle de l'âme, que Quilp. C'est ainsi que l'ami de Cary Grant, le condamné à mort et miraculé, qui l'accompagne dans son existence, tient ce discours, fort réjouissant pour le spectateur, à la petite vermine qui a tenté de faire basculer, à force de calomnies, le destin du noble docteur :
Professor Elwell, you're a little man. It's not that you're short. You're...little, in the mind and in the heart. Tonight, you tried to make a man little whose boots you couldn't touch if you stood on tiptoe on top of the highest mountain in the world. And as it turned out...you're even littler than you were before.

Professeur Elwell, vous êtes un petit homme. Je ne parle pas de votre taille. Vous êtes petit, dans votre esprit et dans votre coeur. Ce soir, vous avez essayé de rapetisser un homme. Vous ne pourriez vous isser à la hauteur de ses chevilles, même si vous vous teniez sur la pointe des pieds au sommet de la plus haute montagne en ce monde. Et la conséquence de tout ceci, c'est que vous êtes maintenant plus petit que vous ne l'avez jamais été de votre vie...
La médiocrité morale fait souvent état d'une médiocrité intellectuelle. Le personnage incarné par Cary Grant ne sombre pas dans l'autre piège, celui de la grandeur d'âme à tout prix - partant, la fausseté. Une de ses patientes apprend de lui qu'elle est enceinte. Or, elle n'est pas mariée et refuse d'imposer à un père qu'elle adore la charge d'un enfant. Ils sont dépendants, l'un et l'autre, de son frère, un rustre fermier. L'avortement est même évoqué en filigrane lorsqu'elle dit au docteur qu'elle ne peut acheter sa tranquillité d'âme au prix de la sienne. Elle tente donc de se suicider. Le docteur la sauve et se félicite que peu de gens aient une réelle connaissance de l'anatomie ; en effet, elle s'est un peu trompé en visant le coeur avec son pistolet... Afin de la préserver de l'idée d'une récidive et de gagner du temps, il lui fait croire qu'il s'est trompé et qu'elle n'est pas enceinte. Mais il va tomber amoureux d'elle et l'épouser. Lorsqu'il lui avouera qu'elle est enceinte, mais pas de ses oeuvres, elle aura un mouvement de détresse, pensant qu'il ne l'a épousée que par charité. Or, tel n'est pas le cas. L'amour vaut mieux que la moralité. Cette dernière n'est utile que parce que nous manquons souvent d'aimer. Mais la moralité n'est réelle qu'irriguée par l'amour véritable. Les casuistes et religieux de tout poil l'oublient souvent.
Ici, Cary Grant expose devant ses élèves la différence entre un cadavre et le corps défunt d'un être humain, une très belle femme en l'occurrence. Il n'y a cependant aucun débordement lymphatique. Le pathos gluant de larmes est loin. La précaution avec laquelle Cary regarde ce corps inanimé, la douceur de son intervention, la douleur imperceptible de ce regard, disent le caractère de l'homme. [L'encodage de ma vidéo a connu un problème, car une scène est coupée, celle où Cary Grant enlève très lentement la serviette qui entoure les cheveux du cadavre ; ironie des choses, puisque ce sont les secondes que j'estime le plus !] Ce qu'il faut retenir de ceci est l'impartialité avec laquelle il considère le corps inanimé, sa capacité à le détacher de ce qu'il représentait vivant. On pourrait considérer cette saine réflexion comme une métaphore du travail de création cinématographique ou, plus largement, romanesque. Selon moi, il expose la conception cinématographique du réalisateur. Il me faut emprunter un travers pour m'expliquer. Pardonnez-moi.
L'autobiographie, à moins d'être le fruit d'une expérience de désensibilation au Moi et d'être abordée par quelqu'un de particulièrement talentueux, recèle bien des périls. La seule voie pour se frayer un chemin vers l'authenticité est celle que j'appelle "voie du classique", qui nous incline vers l'universel, par-delà la singularité du propos. La chair est singulière, c'est sa nature, elle ne peut être autrement. La peau ne se prête pas. Le squelette ou la charpente supporteront d'autant mieux la chair du roman ou du film qu'ils seront solidifiés par une assise plus large et plus profonde que celle qui s'ancre dans le dérisoire Moi.
En ceci, mon billet du jour fait écho au précédent, qui évoquait la famille, Daudet et Fournier. Le bon sentiment (on pourrait dire de même du mauvais sentiment brandi par le souci de provocation, par l'outrance) est niais (fermé sur soi) s'il n'emprunte pas son essence à ce qui l'inclut tout en le dépassant : la charité, le sens moral de l'homme. Notre sens moral mais non pas en tant qu'homme singulier, partie lambda de l'humanité, mais en tant que représentant anonyme de l'Humanité. Lorsque Kant, par exemple, parle de la loi morale, lorsqu'il va défendre un non-droit de mentir jusqu'à ses conséquences les plus insoutenables contre Benjamin Constant, il ne parle jamais de vous ou de moi comme exemplaires uniques d'êtres humains. Il ne fait que s'adresser à ce qui, en nous tous, nous confère une appartenance métaphysique au genre humain et nous permet d'être moraux.
Hé bien la bonté de Mankiewicz, de Capra ou de Dickens est de cet ordre-là ! Elle oppose au pathétique opportuniste d'une oeuvre médiocre, aux mécanismes éprouvés du tire-larmes, un appel à la moralité. Il s'agit de rechercher la gratuité d'une émotion qui ne cajole pas simplement notre immédiateté sensible, mais qui exhorte notre nature supérieure d'être moral. La différence tranchée entre les deux est difficile à établir ici, car elle est du domaine de la philosophie et non pas celui d'une chronique légère. Pourtant, instinctivement, nous savons reconnaître ce qui nous incite à soulever l'état d'âme passager qui nous recouvre, devant une scène éminemment pathétique, et nous convie à un envol en direction d'un sentiment plus vaste et plus profond. C'est la différence, à mes yeux, entre le pathétique et le tristement pitoyable.
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People will talk Vidéo envoyée par misshollygolightly
* Est-il réellement possible qu'Andersen eût été le modèle de Dickens pour créer ce répugnant personnage ?
lundi 28 août 2006
J'ai reçu une autre "plainte" d'après laquelle mon JIACO est illisible. Mon blog est encodé en UTF-8. Normalement, pour le lire sans ennuis de ce genre, il convient de modifier dans le navigateur l'option d'affichage et de choisir UTF-8. Je n'en sais guère plus. Si un homme (ou une femme) de l'art peut m'aider à résoudre ce problème, je lui en serai reconnaissante. J'aimerais que ceux qui ont des difficultés à me lire, me laissent un message en précisant le navigateur utilisé et leur éventuelle configuration. Je vous remercie infiniment. Catégorie:
  • dimanche 27 août 2006
    Alors que j’attends l’air de ne pas y croire, faussement blasée de crainte d’être déçue, l’arrivée du Petit oiseau blanc, dans son costume de carton, avec des fourmillements dans la tête, je suis passementée de haut en haut par une appréhension bien légitime quant au nombre de coquilles qui auront échappé à l’imprimeur, mal à l’aise à la pensée de tout ce qui lui fera fatalement défaut à cause de moi. Le pire sera ce dont je ne suis pas responsable. J’ai le sentiment de l’avoir abandonné. Puis, je me remémore les étapes de ma rencontre avec James Matthew Barrie, et je me dois d’être pleinement honnête. Bien sûr, je mentirai un peu, ici ou là, car la mémoire aime à retoucher son tableau, mais qu’importe si la vérité subsiste, entière, malgré les jolis détails qu’on lui adjoint pour la rendre plus présentable ? C’est une politesse. Un cadeau de prix de la part de quelqu’un qui ne ploie guère ses façons devant la sainte décence.
    Ma grand-mère, qui n’a peut-être jamais existé ailleurs que dans mes cauchemars ou ma prose, appelait tout cela, les artifices de la pudeur et les manières gentiment tournées, des « trompe-couillons ». Au même titre que les parfums et les cosmétiques dont s’enduisaient les dames plus riches et mieux conservées qu’elle. Elle les jalousait de pied en cap. La haine était sa ferveur. La verdeur de son langage n’avait rien de tendre ou d’enfantin, car sa bouche croupissante était celle d’un ogre qui vous engloutissait plus sûrement que la baleine de Pinocchio. Il ne fallait pas la regarder sans ciller de crainte d’être prise dans ses filets rompus à l’exercice.
    Acceptez-vous, par conséquent, que je vous couillonne un peu ? Tous ceux qui écrivent un peu plus que de raison, dans l’échec ou dans la réussite, ont ceci en commun d’être des acteurs dans l’âme. Le mentir-vrai et le faire-croire sont le propres des scribouillards de l’intime (quoi de plus illusoire qu’un journal intime de qualité ?) ou de la fiction. Ecrire, c’est tenir à distance. Tenir à distance, c’est se mettre de côté, réserver la meilleure part de soi (la chair tendre et faible), quelque part, pour le grand festin, tandis que l’on prête des idées et des sentiments à son ombre. Celle-ci va jouer quelques tours, devant vous, et regagner ses pénates. Rien n’est aussi vrai que ce qui est réputé faux par la mémoire et le témoignage des spectateurs. Réciproquement, les médecins légistes de l’écrit, les vaniteux blessés de l’autobiographie ne livrent, dans leur mièvrerie égotique, qu’un feu d’artifice de faux-semblants. Je le sais parce que je ne suis jamais aussi médiocre que lorsque je dis « je » en y croyant.
    Si je n’avais pas été appréhendée, dans mon enfance, par mon propre reflet démultiplié à l’infini dans Le petit Chose*, si ma vieille peau de sale gosse attardé n’avait pas été mille fois attendrie par Dickens, quelques années plus tard, je n’aurais certainement pas eu l’oreille assez fine pour entendre son murmure plaintif. Et si cette ouïe avait été assez puissante, il est des chances que j’eusse été tentée de la rendre moins sensible, par peur. Tout simplement par la crainte de découvrir, ailleurs, une sentence bien frappée qui dirait mon sale petit secret. Qu’ai-je à cacher, pourtant, sinon rien de très évident ? Tous les enfants éclopés du monde entier reconnaissent cette langue particulière, qui est celle des exilés de ce que mon ami de toujours, Baudelaire, pauvre âme trempée dans la tourbe des adultes, n’appelait pas si inconsciemment vert paradis.
    Mais le vert paradis des amours enfantines Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets, Les violons vibrant derrière les collines, Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets, Mais le vert paradis des amours enfantines, L'innocent paradis, plein de plaisirs furtifs, Est-il déjà plus loin que l'Inde et que la Chine? Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs, Et l'animer encor d'une voix argentine, L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs?
    Le vert est tout aussi bien celui de la jeunesse, imprégnée d’une sève vive et brûlante, que la couleur du cadavre à ses débuts, celui des souvenirs, vécus ou non. L’imaginaire est le croque-mort que j’exhorte à accomplir son ingrat labeur, avant qu’il ne soit trop tard. Je ne connais guère, à mon regret, Michael Jackson,
    mais il a écrit et interprété une très belle chanson sur le sujet qui est le mien, My Childhood (Mon enfance), que m’a fait connaître un être sensible, ami de Barrie lui aussi, qui se reconnaîtra…
    Have you seen my Childhood? I'm searching for that wonder in my youth Like pirates in adventurous dreams, Of conquest and kings on the throne... Before you judge me, try hard to love me, Look within your heart then ask, Have you seen my Childhood?

    Jackson

    Que l’on pense ce que l’on veut de lui, peu me chaut. Je l’admire d’avoir modelé une vie hors du commun, d’avoir atteint ses cieux inspirés en même temps que son inflexible enfer personnel. Avait-il le choix, un autre choix que la voie empruntée ? Il y a chez Jackson une fragilité presque métaphysique, qui alimente cette autre faiblesse, peut-être psychologique, qui se nourrit de cette enfance déficiente. A mes yeux, ce concept de résilience dont se gargarisent parfois un peu trop les psy-quelque-chose est un truisme. Ce qui ne tue pas rend plus fort. Tout le monde connaît ce constat nietzschéen, voire darwinien. Mais qui se demande le prix de cette force de vie ou de survie ? Il serait fou de ne pas estimer avec précision la valeur de cette rançon exigée par la sur-vie…
    La thèse de Cyrulnik concernant la résilience est simple : tout sujet qui sait résister au malheur et se construire une vie enviable est nécessairement comparable à la figure littéraire que l’on nomme l’oxymoron. Alliance de contraires. Dommage qu’il ne s’engage pas à penser davantage l’autre versant de cette réussite âprement constituée. Les bons sentiments de Boris Cyrulnik peuvent agacer, légitimement, mais sa thèse, pour simpliste et évidente qu’elle soit, expose une réalité que tous les personnages convoqués par ce billet du jour ont vécue. De là, à faire intervenir Cioran, qui exultait dans cette formule faussement blasphématoire :
    « Lorsqu’on n’a pas eu la chance d’avoir des parents alcooliques, il faut
    s’intoxiquer toute la vie pour compenser la lourde hérédité de leurs vertus. »
    J’ajouterai que ma haine profonde, instinctuelle, pour tout ce qui ressemble à la famille m’a sûrement sauvée de l’asile et m’économise, aujourd’hui, bien des peines et des désagréments. Une occlusion due à une tonne d’hypocrisies et de haines rentrées est le danger qui menace ceux qui plient. Au moins, je ne connaîtrais pas le léger tourment de conscience à l’idée de laisser crever dans leur pisse et leur merde mes parents. Qu’ils crèvent tous. Je suis fatiguée de jouer pour ces pauvres types. Pardon pour le plagiat. Cela m’importe moins réellement que la sauvegarde et la croissance de mon paradis intime. Je n’ai pas de cœur et je ne m’en porte pas plus mal.

    Familles, je vous hais ! Qu’en est-il de la haine pour ces étrangers auquel le hasard vous a indéfectiblement liés ?

    « Au soir, je regardais dans d'inconnus villages les foyers, dispersés durant le jour, se reformer. Le père rentrait, las de travail; les enfants revenaient de l'école. La porte de la maison s'entr'ouvrait un instant sur un accueil de lumière, de chaleur et de rire, et puis se refermait pour la nuit (…) — Familles, je vous hais ! foyers clos; portes refermées; possessions jalouses du bonheur. — Parfois, invisible de nuit, je suis resté penché vers une vitre, à longtemps regarder la coutume d'une maison. Le père était là, près de la lampe; la mère cousait; la place d'un aïeul restait vide; un enfant, près du père, étudiait (…) »

    Gide, Les Nourritures terrestres, IV, I.

    Certes, Gide est envieux de ces gens. Il y a toujours un peu de jalousie de la part de ceux qui n’ont pas goûté à cet état paisible de la joie domestique. Pourtant, la haine est davantage sincère que cette flammèche d’envie qui la parcourt et la chatouille de la pointe. Et puis le bonheur donne des responsabilités futures, qui entravent à jamais. La liberté est le bien le plus précieux. L’idée d’un dimanche en famille ou de vacances en compagnie d’oursins apprivoisés me paraissent plus insupportables qu’une séance chez le dentiste. Dieu merci mes crocs sont en parfait état ! Et je mords à la gorge. Faute de lait, je tête leur vice et leur sang gangrené. Serge Lama a parfaitement exprimé mon état d’esprit :

    Lama Lorsque j’ouvre un livre de Barrie, j’entends des pleurs sourds. Bien sûr, il ne s’épanche comme le fait cet autre enfant que j’ai aimé en premier :

    « Le vieux gymnase de l’école de marine est plein d’une ombre froide et sinistre. Par les grillages d’une fenêtre, un peu de lune descend et vient donner en plein sur le gros anneau de fer - Oh ! Cet anneau, le petit Chose ne fait qu’y penser depuis des heures-sur le gros anneau de fer qui reluit comme de l’argent... Dans un coin de la salle, un vieil escabeau dormait. Le petit Chose va le prendre, le porte sous l’anneau et monte dessus ; il ne s’est pas trompé, c’est juste la hauteur qu’il faut. Alors il détache sa cravate, une longue cravate en soie violette qu’il porte chiffonnée autour de son cou, comme un ruban. Il attache la cravate à l’anneau et fait un nœud coulant. Une heure sonne. Allons ! il faut mourir... Avec des mains qui tremblent, le petit Chose ouvre le nœud coulant. Une sorte de fièvre le transporte. Adieu, Jacques ! Adieu Mme Eyssette !... Tout à coup un poignet de fer s’abat sur lui. Il se sent saisi par le milieu du corps et planté debout sur ses pieds, au bas de l’escabeau. En même temps une voix rude et narquoise, qu’il connaît bien, lui dit : « En voilà une idée, de faire du trapèze à cette heure ! » Le petit Chose se retourne, stupéfait. C’est l’abbé Germane, l’abbé Germane sans sa soutane, en culotte courte, avec son rabat flottant sur son gilet. Sa belle figure laide sourit tristement, à demi éclairée par la lune... Une seule main lui a suffi pour mettre le suicidé par terre ; de l’autre main Il tient encore sa carafe qu’il vient de remplir à la fontaine de la cour. De voir la tête effarée et les yeux pleins de larmes du petit Chose, l’abbé Germane a cessé de sourire, et il répète, mais cette fois d’une voix douce et presque attendrie : « Quelle drôle d’idée, mon cher Daniel, de faire du trapèze à cette heure ! » Le petit Chose est tout rouge, tout interdit. « Je ne fais pas du trapèze, monsieur l’abbé, je veux mourir. ─ Comment !... mourir ?... Tu as donc bien du chagrin ? ─ Oh !... répond le petit Chose avec de grosses larmes brûlantes qui roulent sur ses joues. ─ Daniel, tu vas venir avec moi « dit l’abbé. Le petit. Daniel fait signe que non et montre l’anneau de fer avec la cravate... L’abbé Germane le prend par la main : « Voyons ! Monte dans ma chambre ; si tu veux te tuer, eh bien, tu te tueras là-haut, il y a du feu, il fait bon. » Mais le petit Chose résiste : « Laissez-moi mourir, monsieur l’abbé. Vous n’avez pas le droit de m’empêcher de mourir. » Un éclair de colère passe dans les yeux du prêtre : « Ah ! C’est comme cela ! » dit-il. Et prenant brusquement le petit Chose par la ceinture, il l’emporta sous son bras comme un paquet, malgré sa résistance et ses supplications... »
    Daudet explore une veine autobiographique mais il ne perd pas pied. Je crois que l’autobiographie n’est acceptable pour le créateur et supportable pour le lecteur que si elle est revécue par celui qui l’écrit à la manière d’une fiction, où l’auteur peut remanier comme il le désire son passé, avec la distance et l’indifférence vermillonne d’un étranger. D’où la possibilité de la résilience. Il faut ronger la laisse, déporter en enfer la peau morte.

    Mais Barrie pleure différemment. Trop subtil et trop assuré qu’il est de l’idée qu’il ne faut pas réveiller ce qu’il ne pourra pas rendormir, une ancienne douleur qu’il a colmatée avec de sacrés beaux mensonges. L’art, l’intellectualisation et surtout l’humour ou l’ironie dépersonnalisent et permettent au sujet singulier de se tenir à distance et de considérer son malheur comme détaché de lui-même.
    Qui pourrait croire, en lisant l’hagiographie de sa mère, Margaret Ogilvy, qu’il aimait réellement cette femme ? Aimer sa mère au point d’en faire un dieu est selon moi à la mesure de la culpabilité qu’il ressent à la haïr. Je réserve cette analyse à un travail qui est en cours, mais je suis persuadée que cette femme fut nocive à l’extrême pour le petit Jaimie et sa sœur Jane Ann. Quelle mère digne de cette fonction accepterait que l’un de ses enfants sacrifie sa vie pour elle ? Barrie a combattu le complexe (inversé dans le cas présent) du Pélican de Strindberg.

    Peter Pan était « L’enfant qui haïssait les mères ». Barrie était et n’était pas Peter Pan. Lisons le premier chapitre du livre consacré à sa génitrice.

    « Le jour où je suis né, nous achetâmes six chaises cannées. Ce fut un événement d’importance, ramené à l’échelle de notre petite maison, mais cela représentait surtout une grande victoire dans la longue campagne d’une femme. La main d’œuvre qui avait été requise pour leur fabrication, le billet d’une livre et les trente-trois pennies qu’elles avaient coûtés, l’anxiété qui avait précédé leur achat, le spectacle qu’elles constituaient dans la pièce située à l’ouest, la froideur inhabituelle de mon père quand il les avait ramenées à la maison (son visage était pâle), tous ces détails étaient partie prenante de l’histoire que je devais entendre si souvent par la suite. J’ai participé à tant de triomphes de cette sorte lorsque j’étais enfant et, même ensuite, quand je fus un adulte, que l’arrivée des chaises me semble être un événement dont je suis en mesure de me rappeler, comme si j’avais sauté du lit le premier jour afin de regarder quel effet elles produisaient. Je suis persuadé que les pieds de ma mère faisaient tout leur possible afin de l’amener jusqu’à cette pièce, bien avant qu’ils ne pussent être assurés de leur stabilité. Et l’instant qui suivit, celui où elle se retrouva seule face à moi, on la trouva nus pieds dans la chambre à l’ouest en train de diagnostiquer une éraflure (qu’elle avait été la première à détecter) sur l’une des chaises, ou bien en train de s’asseoir royalement sur chacune d’entre elles, ou encore disparaissant et revenant sur ses pas ouvrir soudainement la porte, comme si elle avait l’intention de les prendre toutes les six par surprise. Et, alors, il me semble qu’un châle avait été jeté sur elle (et il m’est étrange de penser que ce n’était pas moi qui avait couru après elle avec ce châle) et elle fut fermement ramenée au lit. On lui rappela alors sa promesse de ne pas bouger. A ceci elle répondit que, probablement, elle s’était absentée, mais seulement un instant, et que l’on pouvait donc en conclure qu’elle n’avait pas quitté du tout son lit. Par conséquent, une petite part d’elle-même me fut révélée immédiatement : je me demande si, sur l’instant, je l’ai noté. Les voisins venaient afin de voir le garçon et les chaises. Je me demande si elle était sincère avec moi en affirmant qu’ils nous étaient semblables ou si je vis clair en elle dès le premier instant, car elle était si aisément transparente. Quand elle sembla d’accord avec eux sur le fait qu’il était impossible que je reçusse une éducation supérieure, me laissais-je abuser ou bien étais-je déjà conscient de la nature des ambitions brûlantes abritées par ce visage aimé ? Quand ils parlèrent des chaises comme d’un but rapidement atteint, étais-je si novice que ses lèvres timides fussent obligées de proclamer : « Elles ne sont qu’un début ! », avant même d’entendre ces mots ? Et quand nous fûmes laissés seuls en tête à tête, ai-je ri des grandes choses qui agitaient son esprit ou bien dut-elle m’en informer d’abord dans un murmure ? L’ai-je, ensuite, enlacée entre mes bras en lui disant que je l’aiderai dans ses projets ? Car il en est ainsi depuis si longtemps qu’il me paraît étrange qu’il n’en ait pas été toujours de même depuis le commencement.

    Pendant six ans, tout fut matière à conjectures, et la femme que je vois et qui habite ces années-là est celle qui entra tout à coup en scène quand elles furent à l’agonie. Ses lèvres timides, ai-je dit, mais elles ne l’étaient pas à l’époque, mais elles le devinrent quand je fis sa connaissance. Le doux visage, ces années-là disent qu’il ne l’était pas autant alors… Le châle qui avait été jeté sur elle – nous n’avions pas commencé à la chasser avec un châle, nous n’avions pas fait écran avec notre corps entre elle et les courants d’air, ni pénétré sur la pointe des pieds dans sa chambre vingt fois pendant la nuit pour se tenir là pour la regarder dormir. Nous ne la voyions pas alors devenir petite, pas plus que nous ne tournions brutalement nos têtes quand elle disait d’un air étonné que ses bras avaient rapetissé. Dans ses moments les plus heureux, et jamais il n’y eut une femme plus heureuse, sa bouche n’était pas agitée par un tic soudain et les larmes n’emplissaient pas ses yeux bleus silencieux, dans lesquels je lus tout ce que j’ai jamais su et tout ce que j’ai à cœur d’écrire. En effet, lorsque vous regardiez dans les yeux de ma mère vous saviez, comme s’Il vous l’avait dit lui-même, pourquoi Dieu l’avait expédiée dans le monde. C’était pour ouvrir l’esprit de tous ceux qui se tournaient vers de belles pensées. Et ceci est le commencement et la fin de la littérature. Ces yeux que je ne peux voir avant d’avoir six ans m’ont guidé à travers la vie et je prie Dieu qu’ils puissent demeurer jusqu’au dernier jour mon seul juge sur cette terre. Ils ne furent jamais davantage mon guide que lorsque j’apportais mon aide pour la mettre en terre. Je ne pleurnichais pas parce que ma mère m’avait été reprise après soixante-seize ans d’une vie glorieuse, mais je me réjouissais en ce soir qui était le sien, devant sa tombe. Elle avait un fils qui était loin d’elle, parti à l’école. Je me rappelle si peu de lui, simplement qu’il possédait le visage joyeux d’un garçon, qu'il courait comme un écureuil jusqu’au somment d’un arbre et secouait les branches tandis que les cerises tombaient sur mes genoux. Quand il eut treize ans et que j’eus la moitié de son âge, une nouvelle affreuse arriva. On me raconta que le visage de ma mère était affreux dans son sang-froid, quand elle se mit en route pour se planter entre la Mort et son petit garçon. Nous nous dirigeâmes avec elle en direction de la colline qui menait à la gare construite en bois. Je crois que je l’enviais à cause de ce voyage dans ces mystérieux wagons. Je sais que nous jouions à ses côtés, fiers de notre droit à être présents en cet endroit, mais je ne m’en souviens pas. Je parle uniquement d’après ouï-dire. Son ticket était acheté. Elle nous avait dit au revoir avec ce visage combattant que je ne peux pas voir, quand soudain mon père sortit du bureau du télégraphe et dit d’une voix enrouée : « Il est parti. » Nous revînmes sur nos pas très silencieux et rentrâmes à la maison en montant la petite colline. Maintenant, je ne parle plus par ouï-dire. J’ai désormais fait à jamais la connaissance de ma mère. »

    (Trad. rapide de Céline-Albin Faivre, je souligne.) Amour et haine confondus. Vérité et mensonge.

    Culpabilité pressentie lorsque l’on relit les Carnets de Barrie et que l’on déchiffre (grâce au travail colossal d’Andrew Birkin) ceci :

    « Histoire d’un amant qui, afin de faire plaisir à son aimée, tue sa propre mère et lui arrache le cœur. Il trébuche et le cœur sanguinolent dit ceci : "T’es-tu blessé, mon cher fils ?" »

    Et de refermer, quelques instants, les pages de cet autre livre, celui de son existence, qui pourrait être aussi sœur de la mienne. * Les deux cariatides de mon enfance, Le petit chose et Le grand Meaulnes.

    jeudi 24 août 2006
    Je parle souvent de Tristram Shandy... Aujourd'hui, encore... Petit extrait d'un travail sur le sujet :

    Et si nous n’étions que des personnages d’une pièce de théâtre, dont l’auteur et le metteur en scène serait Dieu ou quel que soit le nom qu’on lui donne ? Jacques le Fataliste,
    roman ou plutôt anti-roman, clin d’œil appuyé à Sterne et son Tristram Shandy et pastiche, le lecteur est pris à partie et mis dans le secret des dieux – de l’auteur-narrateur. Le lecteur ne peut croire à l’histoire, il n’est pas le complice des personnages, comme dans le roman traditionnel (dont Dickens est l’un des représentants les plus éminents), mais celui de l’auteur, qui s’évertue à lui montrer que l’histoire dans laquelle il pénètre n’est qu’une histoire, et qu’il ne peut y croire qu’à la faveur de la vraisemblance et d’un ordre dans la narration que déploie l’auteur pour lui. Tant Diderot que Sterne abolissent la vraisemblance en cassant le récit, par leurs interventions répétées et en substituant à la chronologie – ordre diachronique de la narration – les irruptions d’une conscience divagante et fantaisiste. Pourtant, dans le texte demeurent des îlots de vraisemblance qui forment une histoire. Paradoxalement, les interventions du démiurge-narrateur créent une attente vis-à-vis de l’histoire dont on désire le dénouement et nous révèlent la nature de ce désir. Sterne, plus encore que Diderot, a élevé le lecteur au rang de personnage de roman grâce à la digression, qui devient l’outil de notre soumission au texte. La digression permet à l’auteur de se frayer un passage dans notre pensée. L’œuvre est vivante, de par les heurts et les ressauts de la conversation que l’auteur engage avec le lecteur, et non plus un texte figé que la lecture ne peut ranimer. Dans cette association de malfaiteurs qu’est la littérature, le lecteur devient complice de ce crime de lèse-majesté commis envers le réel :
    « Ainsi, Sterne, comme ses devanciers, n’a que faire de l’isolement de l’artiste, et le héros avec lequel il s’identifie provisoirement aura toujours une conscience aiguë du lecteur, avec lequel il s’efforcera d’établir des rapports de sympathie — pour ne pas dire une connivence —et de la conserver jusqu’à la fin. » (1)
    Le héros est à mi-chemin entre l’auteur et le lecteur : il est l’enfant illégitime de ces deux-là. Sans le lecteur, quel qu’il soit et en même temps, bizarrement, ce lecteur-ci et pas un autre, l’œuvre est incomplète :
    « ( …) il faut que je le cherche (que je le "drague"), sans savoir où il est. Un espace de la jouissance est alors créé. Ce n’est pas la "personne" de l’autre qui m’est nécessaire, c’est l’espace : la possibilité d’une dialectique du désir, d’une imprévision de la jouissance : que les jeux ne soient pas faits, qu’il y ait un jeu. » (2)
    Le roman de Sterne ou de Diderot ouvre une dimension où le lecteur rejoint la réalité de l’œuvre et devient personnage. C’est lui qui joue : il n’est plus spectateur ou lecteur ; il est acteur au plein sens du terme. C’est pourquoi l’histoire ne peut se faire sans sa coopération, il vit selon les hasards de l’auteur, sans nécessité (il peut interrompre la lecture) et néanmoins sans une réelle contingence non plus (puisque l’histoire est écrite, oui mais elle écrite pour lui…). Le fait que le personnage de Tristram Shandy n’existe pas vraiment dans le roman éponyme de Sterne – le héros ne naît pas avant le milieu de l’ouvrage et, ensuite, on l’oublie – laisse la place au lecteur pour qu’il devienne le personnage principal, voire l’auteur : ce qui expliquerait que l’ouvrage soit inachevé par exemple et que l’ensemble soit en désordre (le chapitre 26 qui se situe après le chapitre 18, la dédicace est située au milieu du livre, des pages entièrement noires, des chapitres faits de points et de lignes, etc.). C’est à celui qui lit de mettre de l’ordre à l’œuvre, de lui donner un sens qu’il tirera de lui-même et qui ne peut exister dans le livre. Le véritable lecteur, aux yeux de Sterne, est celui qui essaie de deviner, de construire le fil de l’histoire, pas celui qui n’est tranquille que lorsqu’il sait TOUT. Sterne est insolent avec le lecteur et déclare pouvoir choisir le lecteur qui lui convient! La lecture comme processus est comparé à un voyage qui doit permettre de découvrir des secrets, cachés sous une apparence absurde, loufoque : il faut lire entre les lignes, ce qui suggère une interprétation que doit mettre en place le lecteur, sans garanties de trouver ce qui est caché… La familiarité instaurée par l’auteur entre lui et le lecteur a pour but de faire compatir le premier et d’abolir son sens critique dans sa croyance vis-à-vis du protagoniste principal. Au fond, ce n’est peut-être pas très évident, mais ce qui est en jeu dans Tristram Shandy, c’est l’identité du lecteur et le suspense repose sur la manière dont l’auteur va le prendre au piège et faire de lui… Quoi, au fait ? Ce que le lecteur voudra être ? Le comportement de Tristram se modifie en fonction du lecteur probable. L’illusion d’une conversation réelle se fait moins sur la scène de l’histoire – si tant est que quelque chose d’approchant existe – que sur la scène du langage même, qui est le lieu de rencontre entre l’auteur- narrateur et le lecteur. Bien que la prose de l’auteur apparaisse comme trop complexe et trop préméditée pour restituer le langage oral, dans sa rapidité, sa fluidité et sa spontanéité, la ponctuation répare ce tort que la phrase longue et syntaxiquement tortueuse cause à l’illusion d’une conversation réelle. Le rythme est donné par les marques d’exclamation, les virgules, les points-virgules, les astérisques et surtout le tiret proprement shandien (comme il existe les trois petits points céliniens) ! A ce sujet, William Holz écrit :
    « Le tiret de Sterne semble fonctionner au mieux comme l’expression imagée des nuances de geste propres au langage au meilleur de son expression ; coudre de bout en bout les pages de conversation, cela suggère constamment quelque chose d’autre, et cette autre chose est la présence de celui qui parle – l’implicite infrastructure du ton, de l’accent, du rythme, du geste et de l’expression, tous hautement personnels et chargés d’un pouvoir dramatique. » (3)
    Le lecteur est romancé et virtuellement entraîné dans la narration du vieux Tristram. La distance temporelle est annulée entre le lecteur et le narrateur grâce à cet emmêlement de présent et de passé fictifs. Mais ce qui permet au narrateur de prendre le pouvoir sur l’imagination du lecteur, c’est la manière très particulière dont l’écriture se déroule : elle semble se déployer au même rythme que la conscience du lecteur et être au moins aussi imprévisible ! Ce n’est pas le lecteur qui lit à son rythme ni à sa manière, c’est l’auteur-narrateur qui le guide et lui apprend à lire cette œuvre qui a ses propres règles de fonctionnement. Ordinairement, le roman est fondé sur une continuité de la narration, là, l’auteur ne cesse de s’assurer que le lecteur a « bien » lu et lui suggère même des retours en arrière. L’auteur-narrateur s’impose comme le souverain et le lecteur doit consentir à être son inférieur : l’auteur est omnipotent – il sait où il va et comment, du moins jusqu’à un certain point… L’éveil du lecteur est maintenu par des allusions grivoises très subtiles ; le lecteur est un part du roman qui ne peut fonctionner sans son attention soutenue, et pas seulement en vue de repérer les polissonneries, qui sont des « récompenses » cachées dans le texte ou des appâts pour le lecteur friand de ce genre de gourmandises. Le roman est interactif et nécessite la complicité du lecteur, sans qui la magie des mots ne peut opérer. Il requiert également du lecteur de lire et d’élucider ce que l’auteur-narrateur n’a pas le temps de développer ou de vérifier lui-même dans des livres dont il donne les références... Le livre est un monde relié à d’autres mondes (-livres) où le lecteur est convié. L’auteur-narrateur va encore plus loin : il demande au lecteur de l’aider à débarrasser et à nettoyer la scène, d’entrer dans les coulisses de son roman – ce qui va à l’encontre, bien sûr, de ce que disait Louis-Ferdinand Céline à propos de la jouissance du lecteur, qui a payé pour jouir et n’a pas à entrer dans la cuisine ou l’antichambre de l’œuvre. Le lecteur doit intervenir dans ce monde fictionnel comme s’il en faisait partie. Le théâtre de Tristram est un cube transparent où le lecteur est invité à pénétrer. La scène et les coulisses existent dans le même monde, sans coupure, simultanément. Le lecteur n’est pas étranger à l’œuvre, comme il est d’ordinaire. Il a le doit de VOIR ce qu’on lui interdit ordinairement de regarder. L’écrivain se dit impuissant à écrire des scènes de transition, mais en écrivant cela, la transition est faite, par l’attention qu’y porte le lecteur. Il y a, de la part de l’auteur, un appel à la reconstruction du texte : les blancs, les tirets, les astérisques… L’acte de lire participe alors pleinement de la création du texte. La responsabilité est partagée entre l’auteur et le lecteur. Ici, par exemple, l’auteur essaie de nous faire déduire et écrire ce qu’on veut : "— Lord have mercy upon me, — said my father to himself —* * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * * *" (VI, 39) Il en va de même ici, où il laisse carrément un blanc pour le lecteur : "When the first transport was over, and the registers of the brain were beginning to get a little out of the confusion into which this jumble of cross accidents had cast them — it then presently occurr’d to me, that I had left my remarks in the pocket of the chaise — and that in selling my chaise, I had sold my remarks along with it, to the chaise-vamper. I leave this void space that the reader may swear into it, any oath that he is accustomed to — (VII, 37). Ce jeu atteint son apogée quand l’auteur laisse généreusement au lecteur une page blanche afin qu’il y fasse le portrait, tel qu’il se l’imagine, de la Veuve Wadman (VI, 38). C’est aussi une manière de rappeler au lecteur la matérialité de cet objet qu’on appelle livre. Il nous fait pénétrer dans la fiction en nous donnant des choses à faire. Tristram Shandy déconstruit sans cesse l’illusion de la réalité. 
     1. Henri Fluchère, Laurence Sterne : De l’homme à l’œuvre, Paris, Gallimard, 1961, p. 235. 
    2. Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Editions du Seuil, 1973, p. 10-11. 3. 
    William Holtz, "Typography, Tristram Shandy, The Aposiopesis, etc.", The Winged Skull : Papers from the Laurence Sterne Bicentenary Conference, London, Methuen, p. 251. 
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    mercredi 23 août 2006
    "The past is a foreign country—they do things differently there..."


    *

    Adapté d'un roman (que j'ai hâte de lire dans sa version originale, mais qui a été publié il y a quelques années chez 10/18 et désormais épuisé),
    sur un scénario de Harold Pinter, avec qui il collaborera plusieurs fois (The servant, Accident), Joseph Losey signe ici la chronique intimiste et solennelle de deux amours : l'un interdit et presque honteux, l'autre sans espoir et bientôt saccagé. Le premier servira de révélateur au second. Le premier sera consommé avec fureur, le second fermera le coeur à jamais de celui qui l'éprouve. Briser le coeur d'un enfant est le plus honteux des crimes qui soit et le châtiment de la récipiendiaire de ce pur amour sera de payer le prix de ses fautes, comme le laisse entendre cet étrange épilogue, qui vient délivrer son message, en surimpression sur la continuité du film.
    Néanmoins, la leçon de cette histoire est sans ambiguïté : l'amour vaut la peine d'être vécu, lorsqu'il se présente, indépendamment des conséquences éventuelles, dût-il tout ravager sur son passage.
    Mais, avant tout, il s'agit de la douloureuse perte d'une innocence, celle d'un enfant, Leo, à cause des machinations des adultes.
    Le film révèle sans aucun doute des accents jamesiens, même si Leo ne fait pas preuve de la perspicacité acidulée de Maisie. Le cinéma de Losey est sensuel et cérébral. Les deux ne font pas toujours bon ménage, mais le grand homme dispose de la difficulté assez aisément, semble-t-il, ou tout au moins a-t-il la politesse de le laisser croire. Une touche d'horreur, induite notamment par la musique de Michel Legrand, fendille le vernis de la correction, flattant ici et là l'existence de tout un chacun.
    L'époque édouardienne, peut-être moins galonnée de vertu et de rigidité que la victorienne, n'en demeure pas moins parfaitement découpée en castes inflexibles, où la bienséance distribue les rôles. Le langage est châtié, les moeurs propres, les réactions idoines et les apparences polies jusqu'à les rendre opaques. Au moins, dans ce monde, les règles sont évidentes. La vie est simple. Chacun connaît son jeu et sa place.
    Leo (Dominic Guard) aura bientôt treize ans. Sa mère est veuve et les temps sont difficiles pour lui. Il s'en rend certainement compte mais il assez bien élevé pour éviter de déchoir jusqu'à une prise de consciente trop claire. C'est un enfant devenu pauvre, mais il peut se prévaloir d'une excellente éducation. Cette dernière est son visa pour un monde plus fortuné que le sien et il va passer un été chez un camarade de classe. Engoncé dans son unique costume présentable (mais d'hiver), il fait triste mine au milieu de ces gens à qui il ne viendrait pas l'idée d'avoir le mauvais goût de manquer de quoi que ce soit. Marian, la demoiselle de la maison, va acheter des vêtements convenables au jeune garçon. Nous nous prenons soudain de tendresse pour elle. Comment pourrait-il en être autrement ? Julie Christie donne de la ferveur à son personnage ; elle détonne dans ce cadre étroit. Elle est si jolie qu'on en oublie qu'elle puisse avoir des arrière-pensées. Pourtant, les sous-entendus et les calculs sont partie prenante de son milieu. Marian n'oublie pas qu'elle lui appartient ! Ô combien sa mémoire est vive ! On l'estime, toutefois, malgré de rapides soupçons à l'encontre de sa peronne, aimable de faire preuve de tant de compassion pour cet enfant. Mais la mauvaise foi est le propre de la société qui est la leur, répétons-le ; je ne prétends pas que la nôtre soit meilleure car les limites entre le coeur, le devoir et le spectacle de la vertu que l'on donne à contempler aux autres, sont simplement déplacées...
    Très vite, Leo va s'éprendre de la si belle Marian, qui, à ses moments de désinvolture, flirte gentiment avec lui. Marian a un sale petit secret : elle est amoureuse de Ted Burgess (Alan Bates), un fermier.




    La déchéance n'affecte pas simplement le coeur puisqu'elle lui livre également son corps. Nous n'avons aucun doute à ce sujet, avant même la révélation finale.
    Leo va devenir leur Mercure, c'est-à-dire le messager des dieux, entre elle et son amant, un solide gaillard, dont la force bestiale est exhibée, par contrastes avec la bonne tenue des autres personnages, à plusieurs reprises.
    La scène la plus frappante est peut-être celle où Burgess se saisit d'une lettre de Marian, les doigts tachés du sang d'un lapin qu'il vient d'abattre. Le sensible Leo sera écoeuré de ce qu'il prend pour un défaut de délicatesse. Sauf que Burgess est peut-être le seul personnage qui vive sans se soucier des apparences. Ce sang sur la lettre est aussi un rappel silencieux du sang de Marian, celui de son hymen.
    Leo veut savoir ce qu'il en est de l'amour. Il demande des précisions crues à Burgess, car il pense peut-être qu'il est le seul à même de ne point lui mentir. L'homme préférera se taire et lorsqu'il sera prêt à lui signifier les mystères des "hommages" que les hommes rendent aux femmes, l'enfant ne voudra plus savoir, déjà souillé et traumatisé par trop de révélations.
    Leo s'est rendu compte, plutôt tard, de la nature de l'échange épistolaire entre les deux amants. Il en souffrira mais demeurera loyal, même lorsque la mère de Marian, le nez pincé, reniflera le parfum du scandale. On peut trouver la mère de Marian abominable mais elle n'est pourtant pas dépourvue de sentiments. Sa raideur morale n'est pas un péché contre l'affection et l'amour dus au prochain ; elle a soin de Leo, d'une manière peut-être brutale, par exemple lorsqu'elle écrase sa tête contre elle, afin qu'il ne contemple pas Marian prise à la hussarde par Burgess, mais sincère. Finalement, par comparaison, les sentiments de Marian à l'égard de Leo sont inexistants. Elle se sert de lui jusqu'au bout, jusqu'à l'épilogue de leur relation, insoucieuse de ce qu'il peut éprouver.
    Mais, comme le lui avait dit, le fiancé officiel de la cruelle et douce Marian, Hugh Trimingham (Edward Fox), "rien n'est jamais de la faute d'une lady". L'homme trompé épousera d'ailleurs sa promise, malgré tout. Et l'on comprend alors qu'elle a eu un enfant de Ted Burgess.
    Leo voulait tout savoir de l'amour et il ne pourra jamais plus s'y ouvrir, puisqu'il demeurera célibataire, inapte à cet abandon ultime, frigorifié à jamais par une vérité sanguine qui l'a entaché à jamais.
    Losey fait sienne, une fois de plus, la phrase de Brecht : « Un homme ne peut pas ne pas avoir vu ce qu'il a vu ». Ce dévoilement précoce de l'intimité cachée équivaut pour Leo à la perte de sa virginité, à un viol de son âme, qui le crucifie à jamais.

    mardi 22 août 2006

    Le professeur Dodds cite en exergue du dernier chapitre de son livre majeur,

    cette citation de T. H. Huxley, qui pourrait illustrer notre propos préféré, dans son entièreté :

    « A man’s worst difficulties begin when he is able to do as he likes.» ("Les pires difficultés de l'homme commencent quand il lui est possible d'agir à sa guise.")

    L’homme a peur de sa liberté. Toute sa vie, il réclame plus de liberté et si, par malheur, celle-ci lui échoit, il ne sait qu’en faire. La liberté sans imagination est une punition, une boîte vide qu’il faut remplir, un ennui sans rémission.

    Les hommes manquent de sève pour vivre hors du joug des contingences - qu'ils travestissent en nécessités - d'une existence prosaïque. Seul l'artiste est libre même s'il se plie aux exigences de sa muse ou de son daïmôn.

    Le rationalisme de certains Grecs, tels les Stoïciens, héritiers du Platon autour du Timée et des Lois, a tenté de bâillonner l'irrationnel de l'âme humaine, réduisant par exemple les passions à des jugements erronés.

    Quelle folie ! Retour de bâton de l'irrationnel, malgré eux. Ironie.

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  • lundi 21 août 2006
    Les fictions ne servent à rien si l’on considère l’utilité effective qui est la transformation, la modification de la réalité ; mais leur inutilité apparente est peut-être ce qui fait leur valeur et leur sens. En outre, l’utilité des fictions réside peut-être dans l’influence invisible et souterraine qu’elles ont sur nous, sur notre esprit, notre intelligence, notre imagination… et de ce fait participent, bien qu'indirectement, à la réalité.
    Nous aimerions citer ce texte de Freud extrait des « Principes du cours des événements psychiques » in Résultats, idées, problèmes (vol. I) :
    « L’art accomplit par un moyen particulier une réconciliation des deux principes [le principe de plaisir et le principe de réalité]. A l’origine, l’artiste est un homme qui, ne pouvant s’accommoder du renoncement à la satisfaction pulsionnelle qu’exige d’abord la réalité, se détourne de celle-ci et laisse libre cours dans sa vie fantasmatique à ses désirs érotiques et ambitieux. Mais il trouve la voie qui ramène de ce monde du fantasme vers la réalité : grâce à ses dons particuliers il donne forme à ses fantasmes pour en faire des réalités d’une nouvelle sorte, qui ont cours auprès des hommes comme des images très précieuses de la réalité. C’est ainsi que, d’une certaine manière, il devient réellement le héros, le roi, le créateur, le bien-aimé qu’il voulait devenir, sans avoir à passer par l’énorme détour qui consiste à transformer réellement le monde extérieur. Mais il ne peut y parvenir que parce que les autres hommes ressentent la même insatisfaction que lui à l’égard du renoncement exigé dans le réel et parce que cette insatisfaction qui résulte de la substitution du principe de réalité au principe de plaisir est elle-même un fragment de la réalité. »

    Le principe de plaisir nous conduit là où nos pulsions et nos désirs pourront être satisfaits. Or, on ne peut compter sur le réel, qui n’est pas fait pour nous et qui s’accorde rarement avec nos exigences. Le principe de réalité est le principe de plaisir en tant qu’il tient compte des possibilités que lui offre ou non la réalité, c’est un principe de plaisir raisonnable qui sait différer ou renoncer à ses jouissances. Ce qui le fait agir, c’est le souci de notre conservation, de notre bien être, donc le principe de plaisir. L’art semblerait pour Freud être ce qui nous permet d’atténuer la douleur et les frustrations consécutives à nos sacrifices et à nos échecs. Non que l’art nous fasse échapper au réel par une substitution d’un autre réel fantasmatique, illusoire, ou par le divertissement qu’il occasionne. L’art produit des œuvres qui sont réelles même si elles ne sont qu’une image de cet autre réel.
    Le mot « fragment » est un mot (et l’idée qui lui est associée) qui revient sans cesse dans les écrits de Freud lorsqu’il parle de la réalité. La réalité n’est pas un bloc incassable. Le regard lui-même détaille le monde. Que dire de la pensée qui n’agit que par découpage ?
    La fiction a une fonction talismanique, c’est pourquoi les images qu’elle nous offre nous sont si «précieuses».
    Sir Arthur Quiller-Couch était un écrivain et un professeur renommé de Cambridge. Dans son On the Art of Writing (non traduit en France), celui-ci expose ce qu’est pour lui la littérature. Nous traduisons d’une manière hâtive, mais espérons-le fidèle :
    «(...) ainsi que Johnson l’a affirmé de l’Elégie de Gray : "elle regorge d’images qui trouvent un miroir dans chaque esprit, ainsi que de sentiments auxquels chaque cœur renvoie un écho". Quand George Eliot dit : "Je n’ai jamais trouvé autant de mes propres sentiments exprimés de la manière dont j’aurais aimé qu’ils le fussent", elle ne faisait que dire de Wordsworth (dans une langue plus simple, plus familière) ce que Johnson disait de Gray ; le même témoignage repose dans cette fine remarque d’Emerson : "L’histoire universelle, les poètes, les romanciers" - tous les bons écrivains, en somme - "ne doivent en aucun endroit nous faire sentir que nous dérangeons, que ces mots s’adressent à des êtres meilleurs que nous. Plutôt doivent-ils, en vérité, nous laisser penser que c’est dans leurs mots que nous nous sentons le mieux chez nous." Il existe moult preuves, dont ces extraits sont des exemples, qui expriment une théorie qui pourrait être résumée comme il suit : nous demeurons ici entre deux mystères, celui d’une âme fermée de l’intérieur et celui d’un univers extérieur ordonné [qui manque à cette âme et auquel probablement cette âme manque également ; « without » semble indiquer deux choses : l’extériorité et le manque], alors il est accordé à certains hommes parmi nous de parler. [les deux sens du mot « dwell » sont utilisés dans la même phrase et cette connivence entre le verbe « demeurer » et « parler » n’est pas rendue par la traduction]. Ces hommes ont une fibre intellectuelle plus délicate que leurs contemporains ; leur esprit est ainsi fait qu’il semble posséder des filaments pour intercepter appréhender, conduire et ramener chez nous des messages perdus entre ces deux mystères, de même qu’un télégraphe moderne a appris à chercher, à saisir et à relier entre eux des messages humains égarés parmi les vastes étendues d’eau de l’océan. De cette manière, le poète peut rendre ce service à l’homme ordinaire, afin que ce dernier (ainsi que le professeur Johnson le déclarait) "sente ce qu’il se rappelle avoir déjà ressenti auparavant, mais qu’il le sente avec une sensibilité plus grande" ; ou bien, même si le message ne lui est pas familier, qu’il nous suggère alors (...) de "sentir que nous sommes plus nobles que nous ne le pensions". »
    La littérature est pour Quiller-Couch
    « une nourrice pour les natures nobles et le bien lire fait de l’homme un être entier ».
    Contre Platon, Quiller-Couch affirme que
    « les hommes n’ont jamais pu se débarrasser de la littérature depuis son invention, ne serait-ce que pour un moment. »


    On ne peut que se réjouir de cette impossibilité...
    Lier ce mini-billet à celui-ci et à celui-là.



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  • dimanche 20 août 2006
    Après l'indépassable The Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Michel Gondry réalise son troisième film, en France, sans la compagnie de Charlie Kaufman.

    The science of sleep : le site officiel du film, extrêmement intéressant.
    Alors que j'avais tendance à attribuer beaucoup de mérites au génial scénariste de Gondry, je puis enfin prendre la mesure du talent propre à Gondry, qui a écrit et réalisé le film en solitaire. Il s'agit d'un autoportrait ou peut-être bien de ce que Barrie nommait une cartographie de son imaginaire. C'est dire l'énormité de la tâche, mais aux coeurs purs rien n'est impossible.
    Imaginez un univers où l'eau d'un ruisseau est faite de morceaux glanés de cellophane, où les voitures et les immeuble sont en carton, où il n'existerait pas de séparation franche entre l'état diurne et nocturne. De quoi faire vaciller Descartes... Bien fait ! Faisons un croche-pied au réel.
    Vous venez, tout à coup, d'envahir la devanture

    de ce joli petit film, qui se dépêtre d'un soupçon de maladresse avec une grande dose de poésie et de fraîcheur. Vous êtes l'invité d'un cerveau en fusion, pour lequel imaginer est aussi important que de battre pour un coeur. Vous êtes dans la vie très privée de Stéphane.
    En aucun cas, il ne s'agit d'affectation. On devine que le cinéaste est sincère. Sans cette conviction, le film agacerait. Je prends le pari qu'il déplaira aux aigris de l'existence. Je propose même de se servir de ce film comme d'un étalon mesure pour la morosité des esprits. Les deux univers des personnages principaux (ou ceux de Gondry et de Kaufman d'ailleurs) sont, bien entendu, liés de façon étroite. De l'un à l'autre, on a le sentiment de se promener dans une galerie de glaces déformantes. Nous sommes soudain des enfants. L'émerveillement est permis. Qualité si rare en notre sombre époque. Il n'y a, pour moi, que les victoriens pour avoir su saisir ce merveilleux en mouvement au sein de notre prosaïque existence.
    Aucun des personnages de ce film n'est réellement un adulte accompli. Ils sont des bienheureux. Louons-les ! Les deux héros (nommés respectivement et ingénieusement Stéphane et Stéphanie - comme un dextrogyre et un levogyre)

    ne sont donc pas en total décalage avec le reste du monde, malgré l'univers fantaisiste dans lequel il vivent et gravitent. Tous les deux ressentent la nécessité de créer le décor de leur existence fantasque, d'exprimer concrètement l'essence vaporeuse de leurs rêves, de leur intimité créatrice.
    L'un fabrique d'étranges inventions, dont une machine à remonter ou accélerer le temps (mais seulement d'une seconde à la fois) ! L'autre crée des personnages et des objets en feutrine (mais non exclusivement). L'appartement de Stéphanie (Charlotte Gainsbourg, toujours aussi épatante dans son jeu retenu) est littéralement peuplé d'objets dotés d'une âme. Elle leur insuffle la vie d'une manière ou d'une autre. Elle ne connaît pas la solitude, j'en suis persuadée. Les gens qui ne supportent pas de demeurer seuls, en face à face avec eux-mêmes, sont en général très dépourvus intérieurement. Elle ne se rend probablement pas compte de son étrangeté pour les pauvres êtres que nous sommes, car nous n'osons pas toujours autant qu'elle...
    J'ai toujours escompté, quant à moi, ma capacité à vivre au-delà de mes ressources imaginaires.
    Il faut se pavaner, en balançant légèrement la tête, et non pas marcher les fesses serrées. Vivre en promeneur et non en tâcheron : mon unique but. C'est à la portée de chacun d'entre nous puisque l'imaginaire ne connaît aucune des lois restrictives du réel supposé. Le monde intérieur est-il moins véritable que celui dans lequel on se projette machinalement au travers d'un travail, par exemple ? Bien sûr que non. Si vous pensez l'inverse, c'est que vous manquez de conviction et que ce modeste billet n'aura pas rempli son dessein.
    Il y a de la magie là-dedans, mais un enchantement involontaire, qui ne répond pas aux besoins d'une technique (contrairement au fiancé de la mère de Stéphane, prestidigitateur de son état).
    Stéphane, attiré un instant par l'amie de Stéphanie, qui paraît plus jolie mais qui est aussi un peu (complètement) garce, ne peut que se tourner vers Stéphanie, car elle possède la vie, parce qu'"elle est différente" dira-t-il plus tard.
    Mais deux cerveaux fantaisistes peuvent-ils se pénétrer ? Quoi de plus impossible à partager qu'un rêve ? Comment jeter une passerelle entre leurs deux mondes personnels qui peuvent ne jamais se télescoper, à la manière de ces deux marcheurs qui se croisent dans la rue et accomplissent à chaque fois le même geste, bloqués dans leur marche par le mouvement de l'autre qui s'oppose aux leurs ?
    Stéphanie demeure dans sa réserve. Elle accepte de créer des objets avec Stéphane mais semble avoir peur de cette collision entre leurs deux mondes, c'est pourquoi elle sera d'abord outrée que Stéphane pénètre par effraction chez elle - car ils sont voisins de pallier

    - mais sera émue de constater que Stéphane a mécanisé son merveilleux poney en feutrine, pendant son absence.
    La vie. Le rêve. La vie et le rêve. La vie dans le rêve et le rêve dans la vie. Tel est le sujet du film au travers d'une histoire d'amour en devenir, car l'amour et l'enfance sont le combustible privilégié de l'imaginaire. Peut-on à nouveau aimer avec la foi et l'absence de mémoire des enfants ? Il me semble que c'est l'une des questions posées par ce film fragile et tendre.
    Il fallait beaucoup d'audace pour oser donner naissance à un film aussi difficile, de mon point de vue, à réaliser. Je ne suis pas certaine qu'il sera toujours bien reçu et compris. Puissé-je me tromper !
    Gael Garcia Bernal était extraordinaire dans La mauvaise éducation d'Almodovar et il l'est tout autant ici, dans un registre plus léger. Il a le profil d'un homme-enfant, ce qui est assez rare dans le panorama du cinéma mondial. Les femmes-enfants sont légion mais pas leurs homologues masculins. Stéphane-Gael est un spéciment assez rare de cette catégorie que j'aime nommer le néoromantique*. Qu'est-ce donc ?
    Un homme qui sort de l'enfance comme il le ferait de son lit. Inquiet de l'amour, maladroit, qui se cogne ici et là contre la réalité, parce qu'il ne parvient pas à ouvrir tout à fait ses yeux. Grand bien lui fasse de les laisser à demi clos.
    Il se rendormira à la fin du film, dans le lit de celle qu'il aime et qui le repousse, et rêvera qu'il galope dans son monde onirique, chevauchant avec elle le poney qui est leur création commune, qui est le point d'intersection entre leurs deux mondes.
    L'histoire murmure cette fin mais elle ne précise pas tout à fait si Stéphanie rejoindra Stéphane dans la réalité. Et c'est mieux ainsi, car les choses n'adviennent que si l'on croit en elles, et la foi exige une incertitude à combattre, sinon elle ne vaut rien, sinon c'est de la triche. Et qui plus qu'un enfant refuse la tromperie ?
    Le conditionnel est le mode de ce beau film et j'exprime ma fougue et ma tendresse à l'indicatif.

    * REM. Néo- étant senti comme élément permutable, les comp. sont généralement écrits avec un tiret; certains préfèrent appliquer la règle générale et écrire : néokantien, néoromantisme, etc. (Le grand Robert)
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    vendredi 18 août 2006
    J'en discutais avec mon ami Robert. Je lui disais à quel point j'étais convaincue de l'influence néfaste de Margaret Ogilvy sur son fils, James Matthew Barrie.
    Et voici ce qu'Andrew Birkin publie ce jour sur le forum ANON...
    Je traduis ses paroles en couleur. Le reste de la traduction est celle qui se rapporte aux écrits du biographe de Barrie.
    **************************************************************************
    Le passage suivant, extrait du manuscrit original de la biographie de Denis Mackail, en date de 1941, pourrait être d’intérêt. Il a été censuré par Cynthia Asquith avec un crayon rouge. Les mots : « Détruisez ceci ! » barraient le passage. Voir la page 212, troisième paragraphe, dans la biographie de Mackail, pour comparer les deux versions.
    « Jane Ann [la sœur de Barrie] avait quarante-six ans [en 1893]. Toujours aussi dévouée, se sacrifiant comme de coutume. Simple, déjà vieille, mais ayant surmonté le risque de développer la complexion vaniteuse de sa mère. Elle vivait dans le secret de son existence intérieure, qui était si malheureuse et pénible (il n’est plus besoin de le cacher plus longtemps), car elle n’était pas le seul membre de la famille à céder à cette tentation mortelle. Il y avait, en effet, deux démons qui guettaient les enfants de Margaret Ogilvy : la mélancolie et la boisson. Seul le plus fort d’entre eux pouvait résister aux deux forces. Jane Ann, par l’exemple qu’elle avait sous les yeux et par la prévention qu’elle avait conçue contre l’un d’entre eux, s’était battue et avait remporté le combat. Mais, voilà, il semblait maintenant que cette victoire avait laissé une voie à l’autre démon. Son frère savait. De même qu’il était au courant de tous les incidents se produisant par ailleurs. Il me fit part qu’il devait prendre garde à ne pas succomber lui-même. En effet, il y prit garde. Une ou deux fois, cela lui procura un certain bien-être lorsque l’un de ses mondes tomba en ruines. Mais c’est le pire qui lui advint. Ce sentiment ne le gouverna jamais. Et, bien que la mélancolie flotta dans les airs, autour de lui, toute sa vie, il put toujours la contrer, au moment où il le voulut, car il était aussi bien fuyant que courageux, y compris quand l’hérédité avait rattrapé tous les autres et qu’il était à terre. Mais les autres étaient plus faibles et vulnérables que lui. L’impulsion donnée par la renommée et par leur situation ne pouvait les aider qu’indirectement. Alors, ils buvaient ou bien se mettaient au lit pour n’en plus se lever. Encore une fois, tout se passait comme s’il existait quelque effrayant mystère biologique produit par l’union de ce tisseur et de cette fille de maçon. Quelque chose d’inexplicable, qui les remplissait d’effroi, qui les hantait tous. De quelque façon que ce fût, apparemment, qu’ils fussent ou non coupables, chacun de leurs enfants dut payer une impitoyable rançon. »
    Il doit être rappelé que Denis Mackail – à la fois un ami de Barrie et des enfants Davies – avait été nommé par l’agent littéraire de Barrie (à savoir, Cynthia Asquith et Peter Llewelyn Davies) pour écrire une biographie. Celle-ci, selon Nico, manqua de le tuer !
    Je précise que le terme d'hypocondrie, présent dans le texte original, désigne en fait davantage une forme de mélancolie. Je traduis donc ainsi. Cette mélancolie ou cette neurasthénie s'apparente à ce que l'on nomme aujourd'hui la dépression. Je commenterai tout ceci plus tard.
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  • Il y a quelques semaines, j'ai fait une découverte magnifique.
    Si vous désirez savoir de quoi il retourne, il vous suffit de visiter ce lien.
    Miss Poivert, en lectrice avisée, connaissait déjà cette bonne adresse, je viens de m'en rendre compte.

    Tout ceci ne serait jamais arrivé sans la propension de mon grand ami David à exciter mon appétit en matière de bandes dessinées.

    Pendant mes vacances parisiennes, il m'a offert plusieurs trésors. Je vous en reparlerai peut-être.


    Le premier d'entre eux est la bande dessinée de Little Nemo in Slumberland
    ("Petit Nemo au pays des songes" littéralement ; je rappelle que Nemo en latin signifie "personne"). Ce délicat bijou laisse muet d'admiration et d'émotion confondues. Je connaissais bien évidemment de réputation cette oeuvre, j'en avais avisé plusieurs planches, mais je ne possédais rien d'aussi magnifique qu'un ouvrage relié pour faire plus ample connaissance.

    Winsor McCay (1867-1934), un américain, la dessina de 1905 à 1914, puis, de nouveau, de 1924 à 1927. Née le 15 octobre 1905, dans le supplément dominical du New York Herald, la série a simplement (mais les idées les moins denses sont les meilleures, car la pureté est un état difficile à atteindre) pour thème les rêves d'un petit garçon, Nemo, qui se réveille à la dernière case de chaque planche... en tombant de son lit !

    Par le biais de l'onirisme, l'auteur épuise et explore diverses voies narratives pour une bande dessinée qui s'élève bientôt au rang d'art. Son style graphique s'inspire parfois (souvent) de l'Art nouveau. La couleur y revêt, pour la première fois, une importance capitale. Remarquable idée puisque la plupart d'entre nous rêvent en noir et blanc...
    Nemo a les yeux écarquillés mais bien moins que nous, à chaque fois supris par les inventions de la Reine Mab*. Son univers poétique est distors, aspirant à une verticalité qui appelle les cieux de ses voeux.

    Par association d'idées, je songe tout à coup à ces comic strips qui ont inspiré le film inattendu de HustonAnnie. Harold Gray inventa le personnage de la petite orpheline Annie. Cette série est contemporaine de la deuxième vague de Little Nemo.



    Grâce au site précédemment nommé, j'ai découvert un autre dessinateur, Frost.

    McCay considérait A.B. Frost


    comme le plus grand dessinateur de son époque. Son principal souci était d'illustrer la vitesse, la rapidité des réactions. Parfois, l'animal qu'il dessine court si vite qu'il ne laisse que sa trace dans la case !


    Lewis Carroll lui demanda d'illustrer Rhyme ? or Reason ?, ce dont il s'acquitta. Mais la collaboration tourna court par la suite. Hélas !

    Dans un état d'esprit voisin, je me suis prise d'affection pour Carl Larsson, dont l'apparente naïveté rendu par un trait géométrique quasiment exempt de rondeur, ou qui atténue fortement la portée de cette dernière, et par l'exposition de scènes domestiques, me touche assez profondément. Il est l'un des premiers suédois auteur de bandes dessinées. Il a peint quelques portrait de sa compatriote Selma Lagerlöf. L'oeuvre de ces deux individus me paraît en grande harmonie.

    * Reine des fées, dans la littérature anglo-saxonne, accoucheuse des songes.




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