dimanche 17 septembre 2006
« Chez les obsessionnels, on trouve aussi cette forme d’impossibilité de choix entre deux pensées ou deux sentiments. Il n’y a pas de choix possible, parce que dans un choix, il faut que l’objet choisi dévalorise l’objet non choisi – ou la pensée non choisie – pour envahir tout le champ de la conscience et devenir la pensée dominante, ce qui est impossible à l’obsessionnel.» (89)
Ce qu’il faut comprendre, semble-t-il, est le paradoxe sur lequel se construit la pensée de l’obsessionnel. Le choix est impossible car choisir implique une action volontaire qui exclut une part du réel au profit d’une autre, et ce de manière volontaire, ce qui implique la responsabilité de ce choix pour le sujet – ce que l’obsessionnel cherche précisément à éviter. Toutefois, on pourrait rétorquer que ce refus d’une idée dominante et organisatrice dans la pensée de l’obsessionnel est pourtant mis en échec. En effet, tout obsessionnel n’a-t-il pas toute sa pensée et ses actes dirigés par une pensée unique, celle de l’évitement du choix, c’est-à-dire du réel ? Lorsque nous parlons de paradoxe, nous voulons signifier que l’obsessionnel refuse le choix qui fixe le réel – le « plus rien n’est possible » -, afin de laisser tous les possibles ouverts, mais en même temps rien ne l’effraie plus que le possible - le « tout est possible » - qu’il combat par la contrainte qu’il s’impose et qui consiste en une annulation permanente de sa pensée et de son acte …
Que se passe-t-il dans le doute ? Le sujet se trouve devant l’impossibilité de lâcher une proposition comme étant fausse ou n’étant pas "convéniente". L’obsédé, c’est l’âne de Buridan entre un seau d’eau et un seau d’avoine. Lorsqu’il va vers l’un, il regrette déjà l’autre. L’obsédé est toujours clivé ; une partie de son être reste attachée à autre partie de lui-même qui résiste et l’empêche de faire un choix. Un choix engage la totalité du sujet. Dans l’obsession, il y a toujours une partie qui fait que le choix n’est jamais un vrai choix. (…) Entre le savoir et le sujet, il y a le doute et l’obsession, le fait de ne rien vouloir abandonner. » (131)
Représentations de mots et représentations de choses :
« Il y a une absence de dialectique, une imperméabilité à l’expérience. Tout se passe comme si l’expérience ne laissait pas d’empreinte ; il faut toujours recommencer, redémontrer, réexpliquer. » (108)
Ce qui est très remarquable chez le psychotique est la rationalité du système de pensée qu’il met en place, à quelques détails près. Exemple qui nous a été offert par un médecin qui a œuvré dans un centre psychiatrique : un malade prétendait qu’il suffisait chaque jour de tirer au fusil autant d’oiseaux qu’il était nécessaire afin de nourrir tout l’hôpital. Il établissait un calcul précis du nombre d’oiseaux par personne avec la valeur énergétique requise, le nombre de fusils nécessaire, les heures de chasse rapportées au nombre de chasseurs, etc. Tout semble rationnel de son point de vue. Mieux, la logique qu’il déploie est sans failles tant qu’elle ne concerne que le monde qu’il habite (seul). Mais ce qui ne l’est pas, rationnel, saute aux yeux, mais uniquement pour n’importe quel observateur qui voit la réalité d’un point de vue extérieur à celui du malade. Quel sujet porte alors un jugement sain ? Un jugement en terme d’impossibilité (il n’y a pas assez d’oiseaux) et d’inadéquation entre la fin et les moyens (cette chasse et l’objet de cette chasse ne sont pas le moyen le plus raisonnable et le plus pratique pour nourrir les habitants de l’hôpital). Il y a toujours une sensation de saugrenu dans le discours du psychotique, d’absurde, de non sens, voire d’humour (1) – mais involontaire de la part de celui qui profère de telles billevesées.
(1) On peut aussi construire une esthétique du pathologique, c’est une tentation facile, comme dans le cas d’Antonin Artaud, auquel Frogé consacra sa thèse.
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