mercredi 14 décembre 2005


Je me sens souvent proche de Léautaud, qui est comme un vieil ami auquel je me confie dans le silence des mes jours. Il ajoure le rideau de velours de ma mélancolie passagère, bien que durable.

La photo que je joins à ces quelques lignes est signée Doisneau. La demeure de Léautaud ressemble étrangement à mon bureau. Je n'exagère même pas. Certes, il y a moins de chats, à peine moins...
Léautaud est un grand écrivain. Son Journal littéraire est une somme. Il est imprimé en plusieurs gros volumes, sur papier bible. Un luxe démesuré pour un homme qui vécut chichement.
Je ne l'ai pas lu in extenso, mais je m'y plonge souvent. Cela me donne le ton d'une époque, d'une manière d'être en retrait. Léautaud ajoute des couleurs à mes haines de circonstances ou à celles qui sont plus éternelles. Il y est souvent injuste et méchant, mais toujours brillant et fier. Il fustige en rafale, flingue comme on respire et se fait un honneur d'être toujours contre. Contre tout le monde. Contre ceux qui sont contre. Contre lui-même.
Cet homme-là est un passionné, un faux aigri, un coquin, un peu pervers parfois, un vilipendeur, un misanthrope, un amoureux des animaux.
Léautaud est l'homme que je serais si je n'étais pas femme et si j'avais bien (mal) tourné.
Le petit ami est son chef-d'oeuvre. Il y a parle de son seul amour, un amour impossible et destructeur, un amour qui fut la matrice de toutes ses amours mort-nées*. La destinataire de cet amour sans retour est sa mère. Une cocotte qui l'a abandonné. J'en connais une qui ne la vaut même pas... Bref. La relation qu'il a tissée avec son père ressemble, par certains aspects, à celle que Sacha Guitry entretenait le sien, l'affection en moins. Cet amour bizarre fut presque consommé. Mais qu'importe l'inceste physique quand l'inceste moral fut déjà. Les choses ne pouvaient être pire.
La langue de Léautaud est une langue bien élevée et cela même quand il dit des choses qui le sont moins qu'elle.
Ses entretiens radiophoniques avec Léo Mallet sont un moment d'anthologie. Sa voix, ses colères sont celles de ses textes. Il frappe le sol avec sa canne, hurle, rit aux éclats, s'emporte et ne s'excuse jamais. Mais le vernis de la haine craque.
On sent la fêlure. Et je pense à Fitzgerald. Au texte qu'il intitule ainsi (The Crack-up) et où il explique que toute existence est un "processus de démolition".

*Intéressante difficulté de la langue française, si sournoise et délicate.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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