mardi 9 mai 2006
Chère Mariel,
J’ai rédigé à la hâte ces quelques lignes, dépourvues de la moindre ambition ou de rigueur philosophiques, pour vous, en souhaitant qu’elles vous éclairent un peu et surtout qu’elles ne travestissent pas la pensée de Kierkegaard. C’est un immense raccourci que j’emprunte sans réfléchir. Je me distrais donc d’un vilain petit chagrin, en me passant en boucle la bande originale de Singin’in the rain,
et en pensant à vous lisant ces mots.
Avec mon amitié,
Holly
Le distrait et l’abstrait
Souvent, la distraction est le fait des esprits préoccupés par une réalité qui échappe à la plupart des êtres de notre monde, trop ancrés dans le quotidien de l’homme banal, dans l’efficacité. Ce sont des êtres poétiques, qui brassent la brume et l’éther enrobant le temps et l’espace et qu’ils sont les seuls à voir. Ils vivent capitonnés par leur imagination. Ils marchent en dehors des clous. Ce n’est pas en ce sens que Kierkegaard entend le mot « distrait ». Ou peut-être ne retient-il de cette idée que l’incapacité à saisir l’instant présent de l’éprouvé, le vécu personnel, le prosaïsme vulgaire mais réel, l’irrémédiable d’une situation unique au sein de laquelle un individu singulier vit et pense. En ce sens, le distrait est celui qui évite la réalité brute.
Le moyen de cet acte manqué est la pensée.
Philosopher, c’est user de la pensée conceptuelle, ce qui revient à découper le réel selon les articulations prescrite par la logique, en un mot abstraire. On ne pense pas à partir des choses mais avec des mots qui les remplacent, ne conservant d’elles qui ce qui les rend semblables les unes aux autres.
« On a souvent repris le cogito ergo sum de Descartes. Si par le « je » compris dans cogito, on entend un homme particulier, la proposition ne prouve rien ; je suis pensant, ergo, je suis ; mais si je suis pensant, quelle merveille que je sois, c’est déjà affirmé, et le début affirme même plus que la fin. Si donc par le « je » compris dans le cogito on entend un homme particulier existant, la philosophie s’écrie : balivernes ! Sottises ! Il ne s’agit pas ici du je mien ou tien mais du je pur ! Mais ce je pur pourtant ne peut avoir d’existence autre que celle de la pensée : que signifie alors la conclusion ? Il n’y en a pas, car la proposition est alors une tautologie. » (Kierkegaard, Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques, vol. II, Œuvres complètes, t. XI, Éditions de l’Orante, Paris, 1979, p. 15)
A travers cet exemple du cogito cartésien, Kierkegaard fustige l’incapacité du philosophe à penser en première personne, car ce singulier n’existe pas, alors même que nous ne cessons de dire « je ». Il est abstrait de la réalité que je fais vivre, que nous incarnons tous pour notre propre compte. Le cogito cartésien est une imposture car il ne dit rien de l’être ; il n’exprime que la circularité d’une pensée sans chair.
« L’abstraction ne s’occupe en rien de la difficulté propre à l’existence et à l’existant. »
En effet, elle est une forme pure, vide de tout contenu émotionnel, réel, qui ne concerne pas l’être, et qui ne plaît qu’à la pensée extraite de l’univers des vivants. Kierkegaard est l’un des rares philosophes qui dénonce l’abstraction et qui défend la pensée du singulier, de l’être vivant x ou y, contre la pensée universalisante d’un « je » anonyme et formel, creux.
Le philosophe est le héraut du monde des possibles quand l’individu lambda vit l’impossible, c’est-à-dire ce qui n’est plus possible, car déjà mort ou vécu. Le philosophe ne pense pas l’immédiateté, il se place du point de vue de l’éternité, à savoir hors du temps. Il pense faux si penser juste signifie penser l’être singulier. Mais peut-on penser le singulier sans concepts universels ?
Les problèmes cruciaux de l’existence humaine défient l’explication rationnelle objective. Il n’y a pas de vérité hors de la subjectivité.
Abstraire, c’est se distraire de cette difficulté.
Telle est l'accroche qui ornait le New York Times il y a quelques décennies...
Pour lire l'article, cliquez sur l'image, puis augmentez la taille en cliquant à nouveau dessus :
Article en date du 6 août 1975.
« A la fin de sa vie, il était perclus d’arthrite et souffrait du cœur. Il était souvent en fauteuil roulant et était transporté de sa chambre au salon commun des pensionnaires de la maison de retraite de Styles Court, dans le Sussex. Il portait une perruque et des moustaches factices, afin de dissimuler les outrages du temps qui offensaient sa vanité. Dans ses jours actifs, il était toujours impeccablement mis. Monsieur Poirot, qui mesurait simplement un mètre soixante-deux (1), arriva de Belgique pendant la première guerre mondiale en tant que réfugié. (…) La nouvelle de son décès, annoncé par Dame Agatha Christie, ne fut pas une surprise. La rumeur selon laquelle il était à l’article de la mort nous était parvenue en mai dernier. »
(1) Cinq pieds et quatre pouces.
Je joins ce petit texte que j'ai écrit en guise de variation autour du célèbre détective... Il mériterait des développements sur de nombreux points. Considérez-le comme une esquisse.
Attention : il contient des informations sur le dernier roman où apparaît Poirot.
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