mardi 25 mars 2008
Pour Fauna, parce que c'est elle, parce que c'est moi.



Il y a un équilibre délicat à trouver sans cesse dans ces eaux mouvantes qui vous bercent entre jadis et jamais, entre jamais et présent, je le disais précédemment au sujet de Doillon.


Des mères ambiguës, il en existe. Ce sont elles qui suscitent ma curiosité. Les bonnes mères n'ont rien à m'apprendre, si tant est qu'elles existent, car toute mère est virtuellement un vampire.Il suffit de peu pour que le monstre éclose. Mrs Coulter, la mère de Lyra, l'héroïne de la trilogie de Pullman, est la mère ambiguë par excellence. Elle est à la fois la mère sublimée à la beauté que l'on suppose vénéneuse et la marâtre sorcière, porteuse de la mort de l'enfance, de la mort et de l'enfance, qui s'exprime d'abord par le mensonge et la duplicité de celle en qui l'enfant devrait avoir foi plus qu'en Dieu lui-même. Oui, le secret est mal gardé et je ne trahis rien : l'homme crée Dieu sur le modèle qui lui a permis de créer ses propre parents, et surtout sa mère. Barrie l'avait très bien compris, M. Pullman également, mais avec moins de tendresse et de bienveillance, semble-t-il.


Quatre films vus ou revus l'année dernière, assez distants les uns des autres dans ma chronologie cinéphilique, m'ont paru se nouer sur la question si importance de l'enfance comme fondement de la croyance : The Other de Robert Mulligan,




Birth de Jonathan Glazer,




The sixth Sense de M. Night Shyamalan



et A.I. de Steven Spielberg.



Ces quatre films ont en commun la notion de double : celui instauré par la schizophrénie dans un cas, celui incarné dans une fausse réincarnation d'un homme mûr et mort dans le corps d'un enfant, celui plus compliqué de l'enfant qui est à la fois là et pas là, entre-deux toujours, et l'enfant de substitution qui n'existe pas réellement, machine à laquelle le désir et le désespoir des adultes prêtent vie.
Les parents ne transmettent pas la vie à leur enfant, mais la mort. Ce don est un cadeau empoisonné, dont on ne saurait tout à fait les blâmer, tant le phénomène est répandu et réputé normal. Ce qui apparaît peut-être aux yeux de certains esprits comme une faiblesse morale est presque un vice de fabrication physique ou métaphysique reproduit à l’échelle universelle. De plus, concevoir toute naissance comme l’éternelle répétition de notre malheureuse condition humaine, fustiger, haïr ce besoin ou désir de prolongation, comme le ferait fiévreusement Schopenhauer, revient à honnir son propre être, puisque nous sommes tous sans exception faits de cette mort ; nous sommes tous les enfants de cette immortelle et aristocratique lady, choyés ou non, par sa gouvernante, la vie. S’il existe une seule tragédie de l’être humain, une seule réalité que l’on puisse réellement nommer tragique, c’est la prise de conscience par l’enfant, entre cinq et sept ans, de sa mortalité. Jusqu'à cette pensée inaugurale, l’enfant vit dans un climat de toute-puissance, dans un royaume dont il est le souverain absolu, et dont les sujets ne sont là que pour satisfaire ses besoins et ses désirs. Jusqu’à la compréhension du phénomène mort, à savoir l’irréversibilité et la nécessité de l’événement, l’enfant ne comprend pas que tout est destiné à finir et à ne jamais revenir. Lorsque l’on évoque devant lui la mort d’un être, il finit toujours par demander : « Quand revient-il ? ». Un jour, il saisit l’essence de la mort et il invente ses premières fictions pour pactiser avec l’inacceptable. Une ruse, la première peut-être, consiste à dire que la mort est un horizon si lointain qu’il ne convient pas de s’en inquiéter, comme si la mort était si retirée, dans le temps et l’espace qu’elle s’en trouve incapable de toucher le rivage de l’enfance, de la jeunesse, du moins sans que nous soyons en mesure d’en saisir la progression et de se préparer à la rencontre. Tel est le discours des parents. Très vite, l’enfant intelligent comprend donc que grandir équivaut à mourir et, lorsque J. M. Barrie dit en ouvrant le mythe qu’il a créé presque malgré lui et qui est si mal compris - Peter Pan, que « Deux est le début de la fin. », cela ne vient rien dire d’autre. De ce traumatisme initiateur dérivent, paradoxalement quelquefois, à la fois notre goût du vivre et un besoin de consolation impossible à rassasier. Nous additionnons les minutes et les années et nous nous gonflons de mort, puisque nous ne sommes, en grande partie, que souvenirs de choses décédées. Lorsque les anglo-saxons disent, littéralement, « être deux ans » tandis que nous disons « avoir deux ans », ils expriment somme toute une différence fondamentale dans la perception qui nous unit au temps. Nous ne possédons pas le temps, c’est lui qui nous possède et nous sommes faits de lui, donc pétris de mort, puisque seul le temps passé est pour nous matériellement palpable et réel.
La pensée est la seule arme de défense du sujet humain, contre l’inéluctable. Cette pensée qui construit, tout d’abord, un bouclier temporel pour nous protéger de l’idée de la mort. La mort n’est jamais pour aujourd’hui, mais pour un jour indéterminé, qui prend place dans un futur impensable. Nous sommes vivants et la mort est un futur qui ne nous pénètre pas, du moins intellectuellement et en premier lieu. Au fond, la mort apparaît toujours comme un accident extérieur qui advient à une substance, qui vit en elle-même, dans une intériorité monadique. Mais la vérité est peut-être autre. On pense en partant de l’être pour arriver au néant, alors qu’il conviendrait peut-être de raisonner à l’inverse. Et si la vie était une détermination de la mort au lieu de songer que la mort n’est qu’une entaille fatale faite à la vie ?

Quelques lignes pour anticiper, je l'espère, un billet qui mettra en vis-à-vis deux films d'inégale qualité, mais méritent l'un et l'autre d'être vus. L'un récent et fantastique, l'autre ancien devenu classique (un chef-d'oeuvre) mais ressorti en salles en février et bientôt en DVD, chez Carlotta, existant déjà en zone 1 chez Critrion : L'Orphelinat (
El Orfanato) de Juan Antonio Bayona (avec notamment Belen Rueda et Géraldine Chaplin, deux femmes magnifiques), produit entre autres par Guillermo Del Toro est le premier




et L'esprit de la ruche (El Espiritu de la colmena) de Victor Erice (avec Ana Torrent, merveilleuse enfant, au centre d'un des plus beaux films que j'aie jamais vus, Cria Cuervos de Carlos Saura) est le second.







Ces deux films nous parlent de l'enfance d'une manière originale, sensible, vraie. Il y est question du jeu, des amis imaginaires, de la fuite du temps, du pouvoir de l'imagination, de la mort et des fantômes, de la peur.
On oublie peut-être cette évidence : il n'existe pas seulement deux traumatismes majeurs dans l'existence : la naissance et la conscience, soudaine, de sa mortalité, mais également la conscience de notre impermanence, l'idée que nous ne sommes pas un, tel ou tel pour toujours, mais que nous traversons des gués, que nous nous sculptons aux autres, aux épreuves du réel. L'adolescence est un de ces ponts bringuebalant. Il est en d'autres. Au sein même de l'enfance. L'enfant n'est pas double. Il est multiple, comme nous, mais il le sait mieux que nous. Puis, il oublie. Cela fait partie du processus...
Sans L'esprit de la ruche, Lucile Hadzihalilovic n'aurait probablement pas réalisé Innocence et Guillermo Del Toro n'aurait probablement pas créé Le Labyrinthe de Pan et L'orphelinat n'aurait peut-être pas vu le jour, ou différemment. L'esprit de la ruche est la matrice de tous les films évoqués dans ce petit billet ; ils en sont des variations (hormis le fiilm de Mulligan, qui constitue encore un autre problème contenu dans la question plus vaste que j'aborde ici de biais). On ne peut pas aller plus loin ou faire mieux.
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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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