lundi 24 juillet 2006
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Le Florian
Vidéo envoyée par misshollygolightly

J’ai tout de suite adoré les rideaux. C’est la première chose que j’ai remarquée et aimée sur la Place. Je crois que ce sont des objets symboliques pour moi. Ils ne sont pas aussi frivoles que moi car ils ont une fonction utile : ici, ils protègent de la chaleur ; je ne peux pas ne pas songer qu’ils dissimulent également des secrets et des vieilles blessures. Ils sont aussi poétiques que le reste, aussi incongrus que ce campanile qui m’a toujours paru collé de force sur la place en désaccord avec la Basilique… Le Florian est un de mes lieux de prédilection. A l’extérieur, sur la Place Saint-Marc, sous les arcades ou bien, l’hiver, dans les superbes salons passementés de velours, de glaces et autres luxes. J’y demeure une partie de mes journées lorsque je suis à Venise. J’aime son allure distinguée et ses personnages étouffés. On dirait des silhouettes découpées dans de la feutrine, mais elles sont toujours rigides, car il faut un poignet ferme pour tenir sur trois doigts les lourds plateaux d’argent. Quelle grâce chez ces hommes ! Casanova venait y faire tomber les belles. Lors du Carnaval, qui ne dure guère longtemps de nos jours, alors qu’il s’étendait sur des mois il y a très longtemps, il est exquis d’y rencontrer les vénitiens costumés si naturellement qu’ils ne semblent pas jouer le moins du monde. J’y retournerai un jour en robe blanche et en cape de velours crème, chaussée dans des bottines avec des rubans en soie en guise de lacets. Je serai princesse d’un jour ou d’une nuit. C’est promis. Il y a peu de visages, parmi les serveurs, qui me sont étrangers. Et leur prénom n’est point un secret car je suis un bon détective. Certains me reconnaissent. J’aime cette complicité latente qui ne consiste qu’en un sourire discret et en une demi-révérence. J’ai remarqué que les plus aguerris d’entre eux portent un nœud papillon noir (le nœud papillon est un objet hautement érotique à mes yeux) tandis que les plus jeunes au service arborent le même artifice mais en blanc. Lorsqu’ils s’interpellent entre eux, ils produisent un drôle de son mouillé qui ressemble à s’y méprendre à un baiser. Tendez l’oreille. Ils sont très regardés et photographiés et prennent la pose de bonne grâce. Lors de la belle saison, il y a des musiciens. Chaque année, j’ai peur de ne pas retrouver « mon » accordéoniste, celui que je viens écouter depuis le premier jour. S’il partait, mon plaisir serait amputé de quelque chose d’essentiel. Ce serait un mauvais présage. Je déteste lui annoncer mon départ et je ne le fais presque jamais. Ainsi, il me voit arriver mais jamais m’enfuir. Je ne viens qu’aux heures où il joue, car il y a, bien sûr, deux équipes de musiciens qui se relaient pour le bon plaisir des passants. La plupart d’entre eux ne les écoutent pas et oublient de les applaudir. Cela me révolte et je les rétribue de toutes mes forces au moyen de deux mains gauches. Au loin, on entend ceux du Quadri (l’autre grand café – plus viennois, moins élégant, mais qui possède un bon restaurant au premier étage et ses mérites), qui leur font écho. Leur travail est une besogne de forçat si l’on considère la chaleur aux pires heures du jour. Mon accordéoniste paraît souvent fatigué mais je sais qu’il aime jouer dans son cœur et jamais interprétation de New York New York ne me fit autant d’impression que lorsqu’il me l’offre. Il la joue avec des petites cuillères… en effet, il maîtrise un certain nombre d’instruments de musique. Le soir, lorsque le frais recouvre la Place, il reprend vie et joue le Concerto d’Aranjuez à la clarinette.
Venise, campano San Giovanni e Paoli Vidéo envoyée par misshollygolightly
J'ai rêvé Venise avant de la connaître physiquement si tant est que les rêves ne soient pas corpusculaires, émanations épicuriennes qui vrillent la rétine... De toute façon, je vais mourir là-bas, puisque mes cendres y seront déposées. Je veille au grain, c'est le cas de dire... bien que celui de ma vie soit davantage papier de verre que poudre de riz. Je me demande si mes cendres teinteront une seconde la lagune. La douane de mer m'a longtemps servi de reposoir, pour mes lettres secrètes et mes souvenirs qui n'en étaient pas encore, qui n'étaient alors que des œufs à la coque où tremper le bout de ma mémoire. J'aime beaucoup Jean d'O. parce qu'il est désuet, brillant et cultivé. Cet homme est d'une extraordinaire gentillesse - à moins qu'il ne s'agisse que de politesse, d’une formalité, quoique ses yeux bleus soient trop bons pour n'être pas un peu véritables. Mais il n'est pas un écrivain que j'admire, pour qui je me damnerais, en qui je me reconnais. Il possède de l'esprit mais cela ne suffit pas à faire de lui, à mes yeux, un romancier. Or, le roman est mon genre ou mon sexe, si l'on peut considérer que les écrivains (y compris les ratés dont je suis) sont désignés par leur genre (essai, roman, étude, biographie, monographie, etc.). De ce point de vue, je suis peut-être bisexuelle, car l’essai est aussi ma tentation suprême. J'ai fait la connaissance de Venise, il y a dix ans. Ce fut mon premier voyage hors de la sphère de mon petit et tyrannique moi intérieur. Je ne fus pas enfant voyageur et je n'avais pas vogué hors du giron natal, excepté pour mes examens de philosophie, une fois par an, puisque j'ai toujours étudié seule. Ma force et ma faiblesse, l'une à cause de l'autre. Venise m'a choquée, claquée et mise en demeure de l'aimer. Chaque année, je lui rends visite comme à une vieille dame fatiguée, coquette et cruelle. Elle est belle, ridicule et minaude. Cette année, je la fête autrement. Je l'aime et m’autorise une distance à travers l’œil de la caméra. L'été est réputé pour être la saison la moins agréable selon les sybarites. Je n'acquiesce pas. Certes, les touristes (et pourquoi m'exclure de ce commun vulgaire sous prétexte que nous nous connaissons un peu intimement ?) sont des hordes qui menacent de vous écraser sans l'ombre d'une pitié sous un soleil martien. Le Pont des Soupirs est l'endroit par excellence où vous menacez de rendre l'âme. Bel hommage aux prisonniers des Plombs ! Venise est un cliché. Si vous parlez d'elle, vous devenez ridicule et balbutiant. Je prends le risque ; je n'ai pas tant d'estime pour moi et puis je zézaie déjà depuis des lustres. Les déclarations d'amour sont toujours stupides ou touchantes ; tout dépend du moment où elles se présentent dans l’esprit de celui qui les reçoit. Je suis de celles qu'elles rendent souvent désespérées. Venise-cliché mais réalité. Celui de l'amour et de la mort, exacerbés et tiraillés par cette berceuse, par ces mains qui vous frottent entre ciel, terre et mer, qui prennent et nouent ces trois pans. Thomas Mann, Ruskin, Byron, Casanova et consorts. Venise est impossible. J'aime sa démesure et sa désinvolture, ses eaux stagnantes et, parfois, légèrement puantes, sa verdeur et ses arcs-en-ciel. Poupine, ronde et raide, Venise est un échec pour dire, penser et vivre. A peine autorise-t-elle des rêves qui vous trouent le crâne dès que vous lui tournez les talons. Venise donne des crampes à mon imaginaire, brutalement sevré par un départ précipité en bateau-taxi. A Venise, comme à New York (différemment), je m'autorise à me croire autre. Et, n'étant pas femme pour rien, je deviens alors moi-même, pour (la) contredire. Je suis un rôle, une pierre, une éraflure dans ses fondations. Je me jette du haut du Campanile et je me demande si je serai clémente envers mes buts inavouables. Je suis là pour elle ; je guette ses signes et je singe George Sand, quelque part, dans un mauvais coin de ma tête. Pauvre Alfred ! Cette année, j'ai emporté un manuscrit au lieu du traditionnel Dickens. J'ai été bouleversée de lire ce roman, qui sera bientôt publié. Son auteur se reconnaîtra. Je n'avais jamais lu un livre avant sa naissance officielle. Plongée in utero même si l’enfant est bel et bien présent. Le lire à Venise me paraissait une belle idée, une manière de lui faire prendre les couleurs de l'Italie, de lui forger un berceau porte-bonheur. Il n'en aura pas besoin, car il est heureux, dans tous les sens du terme. Je t’aime, joli roman ; je t’ai même embrassé. Je peux publiquement avouer que j'aimerais écrire un livre qui ait autant de force, de beautés, de tendresse, de cruauté, qui parle autant à l'enfance qu'aux adultes, à notre moi profond et à celui qui se cache, couard et roublard. Moi, je mégote ; lui il m’indique la voie. C'est un livre courageux. J'ai l'outrecuidance de prétendre le comprendre, car il me parle avec une violence, une vérité, et une douceur dont j'ai besoin. Je prédis que son auteur connaîtra la reconnaissance qu'il mérite. J'ai vécu intensément, à son rythme, cette histoire, qui dit ce que je ne sais que gueuler ou souffler. J'ai eu la désagréable surprise de constater que je ne pouvais pas extraire la totalité des mes films vénitiens (Guérine, si tu me lis, pardonne cette dénomination : en guise de film, on a droit à un flux et un reflux d'images saccadées qui donnent l'impression que je suis parkinsonienne !!!) des DVD ! Je peux les lire sur mon téléviseur et sur mon ordinateur mais point les extraire pour les transmettre ! J'ai seulement pu sauver quelques prises en les refilmant sur mon écran d’ordinateur ! Je suis mortifiée, car j'avais reconstitué des scènes de Mort à Venise version Holly sur les lieux : à l'Hôtel des Bains et sur la plage privée du Lido qui lui est attenante - la seule où je pose mon postérieur (et en robe de soirée, si possible) ! Vous auriez pu entrevoir Holly s'enfonçant dans les eaux (je ne sais pas nager), vêtue d'un de ses célèbres jupons noirs, corsetée jusqu’à l’asphyxie ! Ce film-ci ne répond plus sur le disque. Cette vidéo débute sur le Campano San Giovanni e Paolo, non loin de la librairie française. La tenancière, en dix ans, n'a jamais consenti à un sourire. Je suis toujours frappée par ce manque d'hospitalité et de chaleur chez les êtres. Son mari est nettement plus avenant ; hélas il n’était pas là et je n’ai pu lui parler de Corto Maltese, que j’ai envie de découvrir. Nous nous situons près de l'hôpital, qu'il suffit de contourner pour apercevoir l'embarcadère où arrivent les ambulances et les pompes funèbres. Chaque année, j'y croise un mort. Le cimetière, sur l'île de San Michele, qui s'impose à vous, sur sa longueur rose et orange, est juste en face. Dommage que mon extrait ait mêlé les couleurs dans un fondu infâme. Je contemple deux petites culottes qui sèchent sur un fil. J’aime cette exposition de l’intime rendu publique et anodin. Je mesure le dérisoire de nos vies. Je suis heureuse.
Post-scriptum : une "private joke" à un ami écrivain, un clin d'oeil involontaire à Sept ans de réflexion et quelques cameo appearances à la Hitchcock !

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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