dimanche 15 janvier 2006
Hier, je suis allée au cinéma. Je vais, en général, très régulièrement au cinéma (une ou deux fois par semaine, parfois plus ; quelquefois je fais abstinence) et je regarde encore plus de DVD, parce que j'ai découvert le cinéma il y a peu (il y a environ 5 ans, je pense) et j'ai beaucoup de retard. J'ai engagé une course vaine contre le temps. Depuis que j'ai compris que j'allais crever. Pour de vrai et pas simplement pour flatter mon imagination. Lire le maximum de livres et voir le maximum de films. J'entends de "bons" livres et de "bons" films, à savoir des oeuvres qui ont une chance de réformer mon âme, de me pincer là où j'ai envie d'avoir mal. Pour me sentir vivante ; afin de savoir si je dors ou si je suis éveillée.
Il y a plusieurs catégories de films et celui dont je vais parler appartient au genre que je qualifie de mélodieux : la vie, simple, nue, dans sa présence monotone et monochrome. Rien. Un peu de laisser aller, du désespoir triste (que je distingue du désespoir poétique, celui qui vont donne de l'élan pour créer, même si c'est douloureux), la stérilité d'une vie passée à regarder, amorphe, le paysage qui se tient presque immobile, derrière une vitre sale. Une vie sans intérêt. Sans but important, sans haine radicale, sans malheur saillant, sans joie piquante, sans amour fulgurant. La salle d'attente de la mort. L'absence de révolte. La vie de tout le monde. Ou presque. Je ne parle pas des étoiles. Je ne suis que poussière de comète.
Et puis, un jour, un sourire.
Un dérisoire clignement d'oeil. Rien n'a changé mais la couleur s'installe et l'on ouvre la fenêtre, avant de sauter de l'autre côté, avec un truc chaud dans le creux du ventre : le bonheur, ce truc auquel on n'avait jamais cru, un peu trop chaud et surfait, et qui advient malgré tout. Sans forfanterie, mais bel et bien là, pour soi. On donne la main à quelqu'un d'autre. Ce n'est pas un miracle, mais ça vaut la peine d'être vécu. Sans rien attendre de plus. Juste pour la joie de l'instant. Pourquoi gâcher le peu que nous possédons quand nous pouvons en tirer un peu de miel ?
A cette catégorie de films appartiennent ces tendres oeuvres Ma vie sans moi et Des choses que je ne t'ai jamais dites [on peut trouver ce charmant film pour moins d'un euro sur cdiscount ; je conçois mal comment on ne pourrait pas être transporté par la simplicité et la vérité du propos ; Lily Taylor, actrice bien connue des amateurs de Six feet under y joue sur du velours] d'Isabel Coixet, qui m'ont laissé une empreinte profonde dans le coeur. Coïncidence amusante, Isabel Coixet et Steve Buscemi que je vais évoquer sont tous les deux crédités au générique d'un film en post-production, Paris, je t'aime... Autre affinité élective (Wahlverwandtschaft), Buscemi a participé en tant qu'acteur aux Sopranos, une série qui me plaît beaucoup.
J'ai découvert, hier, deux mois après sa sortie, un ravissant film, qui fait résonance avec les précédents, et dont l'intrigue tient en une ligne : un écrivain raté (comme moi) rentre chez ses parents pour y cuver sa dépression. Il erre. Il pousse, inconsciemment, son frère tout aussi mal en point au suicide. Puis, il fait une rencontre d'un soir,
qui va s'étirer jusqu'à devenir la toile de fond du film de sa vie. Une ancre pour pauvre type à la dérive, qui s'avérera meilleur qu'on ne le pense, finalement. Et plus lucide surtout. Propos minimaliste mais le charme et la forme sont ailleurs.
Ce film a été réalisé par Steve Buscemi
dont je ne savais rien jusqu'à hier soir. Il s'agit de son deuxième long métrage, réalisé en 16 jours, au moyen d'une caméra DV. L'image est granuleuse, presque inconfortable, mais la petite beauté de ce qui montré fait oublier cet inconvénient. On rit jaune, c'est certain, par exemple devant cette mère de famille, immuable dans son optimisme béat et dans ce que l'on prend pour une naïveté sans faille, jusqu'à ce qu'elle demande à son fils cadet (déprimé chronique et looser de première), après que son frère a tenté de se suicider : "Qu'est-ce que nous avons fait pour vous rendre aussi malheureux ?" sans se départir de son sourire. Et, lui, de répondre, sans penser à mal : "Certaines personnes ne devraient pas avoir d'enfants."
Il y a un autre personnage qui sourit dans ce film, avec innocence. Seules ces femmes portent un sourire dans le film. Au milieu d'hommes et d'enfants tristes ou en colère. Seul un de ces sourires n'est pas de façade.
Le sourire dont je parlais est celui de la radieuse Liv Tyler. Elle propose d'ailleurs de le coller sur le portrait d'un Hemingway qui fait la gueule, en compagnie d'autres écrivains suicidés comme lui (Sylvia Plath, Dorothy Parker, Virginia Woolf, etc.) qui sont les anges gardiens de Jim, l'anti-héros, et qui ornent le mur de sa chambre d'adolescent.
Ne serait-ce que pour cette image et ce geste, ce film a une belle âme.
Vivons heureux en attendant la mort, disait Pierre D.
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