mardi 24 septembre 2013
Rémi m'a demandé d'écrire un tout petit texte pour un dossier de présentation concernant la future création de sa compagnie. Je le dépose également ici... L'année a été plus remplie que je ne l'espérais, car en vérité j'aspire au vide et au calme. Je termine des corrections d'épreuves de deux livres à venir et, enfin, j'hibernerai au creux de ma pauvre petite prose... pour quelques mois. Je le désire !
***
ORPHELINS !
***
« Les
enfants apportent les dernières nouvelles de l'Éternité. Ils ont le dernier mot
d'ordre. En moins d'une demi-heure, tout homme devient grave aux côtés d'un
enfant. Il arrive, d'ailleurs, des choses extraordinaires à tout être qui vit
dans leur intimité. »
(Maurice
Maeterlinck)
« Il faut connaître
la voix entière,
le son qui sort de nous n'est que le quart ;
ces disparus nous parlent de la mère
à nous, les orphelins et les bâtards. »
le son qui sort de nous n'est que le quart ;
ces disparus nous parlent de la mère
à nous, les orphelins et les bâtards. »
(Rainer Maria Rilke)
***
… Car
c’est la seule question qui importe...
Qui parle ?
Mon
adaptation tente d’être la réponse à cette question qui vaut en tout temps et
en tout lieu littéraire.
C’est
un orphelin qui parle à un orphelin, ou qui se parle à lui-même – et rien d’autre.
Si vous n’êtes pas orphelin, vous ne comprendrez rien. Être orphelin signifie
être capable d’entendre la Voix. Non… Être capable d’entendre la Voix signifie
que l’on est ORPHELIN. Voilà, la vérité ! On peut avoir des parents et
être un parfait petit orphelin. Nous ne sommes pas obligés d’avoir tué nos
parents ou d’avoir été abandonnés par eux pour être des orphelins. Il suffit
que nos parents soient muets pour que nous soyons définitivement orphelins. Il
suffit même que nous soyons morts avant d’être nés. Barrie ne parle qu’aux
orphelins, aux enfants morts de ne pas être nés. Et peut-être aux bâtards, nés
de la mort et de l’oubli... Parole d’un orphelin à d’autres orphelins. Rien de
plus simple.
On ne
lit pas Barrie ; on l’aime ou on se méprend à jamais sur lui. À son
contact, on devient même un peu médium ; on n’adapte pas Barrie, on
s’adapte à lui ; de même qu’on ne le traduit pas, mais on se laisse
traduire par lui… C’est lui qui lit en nous et non l’inverse. Et je crois que
c’est la raison principale pour laquelle, précisément, Barrie a été si peu
traduit. Le lire exige une forme de communion avec l’auteur, une communion des
sens et de l’esprit, qui découle d’une dangereuse Révélation sur lui et sur soi
– en même temps. Le prodige est là : dans la concordance ou coïncidence des
âmes ! C’est un hasard magnifique, mais un hasard qui a le visage de la
Destinée. On paie sa livre de chair et plus encore. Cette Révélation, je le
crois, nous est apportée par Peter Pan qui se heurte aux barreaux d’une fenêtre
et aux yeux clos de sa mère – deux métaphores de l’oubli et de l’enfermement
dans cet oubli. C’est la Révélation de l’orphelin. Et, si elle nous touche,
c’est parce qu’il y a en chacun de nous un enfant qui crie et que l’on entend,
parfois, de loin en loin. Cet enfant est enfermé dans une petite boîte ;
c’est un enfant que la Mère nous a dérobé et qu’elle a caché dans un faux pli
de sa mémoire. La Mère nous a rendus orphelins à Jamais. De nous, d’elle et de
Dieu. Il est folie de tenter d’avouer cela !
C’est donc
seulement parce que j’ai d’abord traduit Barrie, parce qu’un jour j’ai cru
entendre la Voix – un appel –, que j’ai osé me lancer dans une adaptation. Adapter
Barrie est impossible : car il ne s’agit pas de délier et de renouer les
divers fils d’une histoire, mais de trouver la Voix du texte et, surtout, de ne
jamais la perdre. S’il existe une façon de s’attacher définitivement à ce texte
à la structure fort complexe – en enchâssement –, c’est celle-ci : la Voix
et rien d’autre. La Voix, ses intonations colorées, et son grain ou sa
tessiture… et ce qu’elle nous dit, bien
évidemment. Cette voix est celle du narrateur, le Capitaine W—, qui se confond,
parfois, souvent même, avec celle de Sir James – de même que Le Petit Oiseau blanc fait écho à la vie personnelle de l’auteur. Pourtant, la vie
de Barrie et son décalque fictionnel sont tour à tour le positif et le négatif l’un de l’autre, sans que l’on sache jamais si
nous tenons l’Ombre ou la Substance. Il s’agit donc d’un entrelacement subtil, d’un
duo. Mais ces voix ne sont pas seules ; il en est d’autres et nous avons
alors affaire à un chœur, celui des enfants à jamais perdus, dont nous faisons
partie (si nous nous reconnaissons orphelins). Il y a deux lignes de chant distinctes
dans ce texte et deux tonalités. La tonalité majeure qui se manifeste dans les
scènes humoristiques, dans l’ironie un peu vive et la cruauté dionysiaque, et
la tonalité mineure, qui est parole d’orphelin – en Barrie et en nous. Il y a du Rilke et du
Rückert en Barrie, du Mahler et du Schubert aussi… Il y a du vous et du moi en
lui. Il y a de la Mère et de la Mort en lui.
J’ai
taillé dans le vif pour ne conserver qu’une lecture du texte, celle qui me
semblait, à l’oreille, la plus
révélatrice de Barrie, celle qui permettait, précisément, de couper sans trahir,
sans affaiblir la Voix... Ce texte, tiré du roman, est, dans mon esprit, comme une
valse à trois temps et chaque temps correspond à trois enfants : David, Peter
Pan et Timothy, trois personnages d’une ronde, où l’enfant de chair et de sang
s’invite à partager les jeux des enfants-fantômes. En sa qualité d’Entre-Deux,
Peter Pan est l’enfant qui suture les deux mondes explorés par Barrie, mais
aussi par son double, le Capitaine W—. Peter Pan est le pivot ; il est à
la fois l’enfant de tous les personnages et l’enfant de personne. L’Orphelin
par excellence, comme Barrie… Comme vous… Comme moi... Et Peter tient dans sa
main, sans le savoir, la dernière boîte parmi toutes les boîtes qui constituent
ce roman-gigogne : la boîte où loge le secret – qui n’est fait que de
silence. Le secret de celle qui ne parle jamais.
Toutes
les œuvres de Barrie ont le même thème : celui de la Mère Morte, de
l’Enfant Mort, de la mémoire blanche
– autre nom de l’Oubli. L’adaptation traverse diverses saisons, qui sont autant
d’états de l’âme, de Barrie et de ses personnages – tous en quête de Mère et de
Mort. J’ai osé écrire quelques scènes qui n’existaient pas dans Le Petit Oiseau blanc, mais toutes sont
inspirées de Barrie, de son œuvre, dans laquelle je vis et rêve depuis presque
deux lustres ; elles reprennent des thèmes et des idées abandonnés par Barrie,
et des phrases empruntées à d’autres œuvres qui sont en résonance avec Le Petit Oiseau blanc. Ce texte est à la
fois personnel, puisqu’il s’agit de ma lecture de l’œuvre, et totalement
indépendant de moi, puisque je me suis abandonnée à Barrie. C’est donc lui qui
a eu le mot de la fin et je n’en attendais pas moins de lui… Que dit-il ?
On
vous fait toujours tout payer, un jour. Tout n’est que deuils dans nos
existences d’éphémères et, même pour les rois, le soleil ne se lève qu’une fois
par jour. L’enfance était une belle journée. Le crépuscule arrive trop vite. Il
faut entrer dans la nuit et y creuser notre tombe. Noir sur noir. Avec une
tache de sang rouge sombre : celle de l’amour fou. Amour fou éprouvé pour
Barrie, amour fou de Barrie pour ses personnages... Pour nous !
Orphelins !
Céline-Albin Faivre, septembre 2013.
(Anne W. Brigman, The Wondrous Globe)
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