lundi 19 mars 2007
« Je trouve très raisonnable la croyance celtique que les âmes de ceux que nous avons perdus sont captives dans quelque être inférieur, dans une bête, un végétal, une chose inanimée, perdues en effet pour nous jusqu'au jour qui pour beaucoup ne vient jamais, où nous nous trouvons passer près de l'arbre, entrer en possession de l'objet qui est leur prison. Alors, elles tressaillent, nous appellent, et sitôt que nous les avons reconnues, l'enchantement est brisé. Délivrées par nous, elles ont vaincu la mort et reviennent vivre avec nous. »
Marcel Proust
« Et la mère fermant le livre du devoir
S’en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences
L’âme de son enfant livrée aux répugnances .»
Arthur Rimbaud, Les Poètes de sept ans
« Je n’ai que le portrait de mon père, qui est toujours muet. »
Charles Baudelaire, correspondance à sa mère, 6 mai 1861
***********************
Le détail est essentiel. Il n'est point question de frivolité mais de style. Qu'importe, à la limite, si le style a mauvais goût, tant que l'effort est à la hauteur d'une certaine originalité ou d'une volonté de s'affirmer un peu autre, à savoir soi. L'excès de singularité est de mise et qu'importe si personne ne s'en aperçoit. Au contraire, dirais-je, ce n'est en que plus louable et plus jouissif. De quoi parlons-nous au fait ?
D'une oeuvre d'art picturale ? D'un livre ? D'un film ?
De tout cela, certes, mais aussi de la vie, des choses de la vie, des immenses événements et des infimes jours sans suite. Et pourquoi pas des états d'âme. Pourquoi certains d'entre eux ne seraient-ils pas nobles et d'autres misérables ? L'esprit est-il une massive crédence, ou bien l'étendue solaire où crépite la pluie de l'âme ? J'ai envie de parler d'élégance, aujourd'hui, c'est bien normal puisque je pars pour le royaume de Barrie.
La classe est l'indéfinissable par excellence. D'instinct, je pourrais vous citer des êtres qui en possèdent (Cary Grant ou Audrey Hepburn) ou des oeuvres (Ulysse de Joyce ou n'importe quelle pièce de Shakespeare) qui l'exhalent, mais définir en quoi consiste précisément la classe me paraît une tâche plus ardue que n'importe quelle explication philosophique, fût-ce l'hypotypose symbolique dans l'oeuvre critique de Kant ou bien les trois genres de la connaissance chez Spinoza. D'emblée la notion de classe semble appeler à elle la grâce, une forme de tenue ou de rigueur et de gratuité. Et si j'ai tant de mal à la penser cela signifie certainement que j'en suis dépourvue.
Tout le monde a un style, qui, parfois, hélas, est de ne point en avoir.
Autrefois, l'éducation, la bienséance implicite, la classe sociale même, pouvaient dispenser de ce revêtement graveleux et du geste et de la parole. Aujourd'hui, le nivellement est tel que nous jouons au coude à coude. Les véritables riches éduqués n'existent plus et les pauvres ne le sont plus assez pour avoir cette honte sociale qui leur garantissait une forme d'honneur, du moins au sein de leur monde. Même si tout ceci était factice, au moins nous savions à quoi nous en tenir. L'hypocrisie avait ses lettres de noblesse en ce qu'elle pouvait s'inscrire dans le trait d'esprit cruel. La politesse et le tact réels ont disparu. La gratuité n'existe presque plus. Nous sommes dans une ère commerciale où presque tout s'achète. L'arrivisme, lui, fleurit gras et nauséabond sur ce fumier. Mais tous les petits cul-terreux de l'existence, des lettres, du cinéma, les médiocres ne sont pas à la hauteur de leur ambition, car ils ne dupent personne.
Je hais l'hypocrisie mais je la hais encore plus quand elle manque d'ambition et... de style dans son expression.
Les bonnes manières se perdent mais l'hypocrisie, elle aussi, manque de tenue. Le vernis s'écaille vite et dessous on lit les misérables desseins de l'entrepreneur en fausseté.
Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute. Maxime à retenir. Tout est dans la qualité du remerciement obséquieux et dans l'éloge excessif du prochain que vous reconnaîtrez celui - ou celle - qui se sert de qui semble être votre faiblesse. D'ailleurs, dans la bassesse de l'arrière-pensée, les femmes sont beaucoup plus tartes que les hommes, tant elles s'imaginent plus finaudes qu'eux...
Il est très rare qu'un auteur mort dégringole dans notre estime. Dommage qu'il n'en soit pas de même dans les relations humaines que, parfois, dans un moment d'égarement et d'aveuglement, nous appelons trop vite amitié.
C'est à la qualité des choses minuscules, dans les êtres ou les choses, que la vie (ou une oeuvre) vaut la peine d'être appréciée et reconnue dans sa valeur. Si le détail manque de finesse, soyez assurés qu'il reflète un défaut plus profond et plus grave qu'une escarbille.
S'il ne tenait qu'à moi, je ne sortirais jamais sans chapeau (j'en possède une petite collection, vestiges de la fin de mon adolescence hyper romanesque), y compris pour me rendre dans des endroits aussi vulgaires qu'un supermarché. Or, j'ai dû renoncer à cette élégante habitude à cause du commun des mortels qui semblait être par trop interloqué par mes goûts en matière de couvre-chef. C'est ainsi que je suis devenue, vestimentairement parlant, banale et que l'agitée du bocal s'est assagie. En apparence, car la tempête couve sous mon crâne. Pourtant, il me reste encore des lubies. Mais celles-ci sont peu remarquables, noyées dans l'anodin. Jusqu'à ce que l'hypocrisie et le mensonge quotidiens me fassent sortir de ma retenue. Car, voyez-vous, je prétends en plus à la sincérité en ce monde ! La mienne d'abord, à laquelle il m'arrive de manquer comme chacun d'entre nous, et aussi à celle des autres. Je ne puis qu'être déçue.
Qu'ai-je fait des leçons de Rousseau ? Finalement, je préfère de loin les objets à la plupart des êtres humains et les morts aux vivants, qui se laissent plus facilement aimer dans une perfection, celle de la finitude, quand bien même les vertus que nous leur prêtons sont illusoires.
En attendant d'avoir de la classe, je pousse cependant le raffinement jusqu'à accorder la couleur de mes bagages (un mixte entre le framboise et le rose vif, agrémenté de papillons)
à mon humeur, à mon musée Barrie (work in progress)
et à mon goût du voyage, celui que j'entreprends dans le passé de Barrie.
m'attendra à l'arrivée et Jamie, lui-même, sera installé à l'intérieur. Il jouera du trombone avec ses sourcils. Le décor sera en noir et blanc. Puis, peu à peu, nous remonterons le temps, je reprendrai des teintes qui me conviendront davantage, à mesure que nous nous éloignerons de cette époque, qui manque tant de fantaisie et de poésie, où il ne s'agit que de vendre, de se vendre. Je crois que je tiens l'une des raisons de ma passion barrienne : une certaine absence de compromis de la part d'un écrivain, qui n'avait cure de déplaire.
Il est des auteurs résolument absents de leur œuvre, du moins en apparence, car il est impossible de raconter sans donner de la voix.
La voix de l’auteur est la gueule de l’acteur, c'est son style, quand il en possède un bien sûr et qu'il ne singe pas ceux qui l'ont devancé, car il y a des caméléons et des bègues. Beaucoup d’entre eux, d'hier et d'aujourd'hui, le sont. Ce n’est pas un reproche, c’est peut-être une nécessité, quelque chose de logique et de fonctionnel. Il faut bien laisser voguer les songes pour que d’autres les adoptent, les essaient, les abîment et les abandonnent, au gré de leur fantaisie et des gammes que jouent quelques démons sur le piano de leur âme. Les auteurs portent leur histoire, la déposent dans un livre et demeurent sur le seuil, sur la pointe des pieds, pour la regarder vivre à quelque distance d’elle, de cette manière précise et ferme à la fois dont une mère regarde son enfant dormir, par la fente d’une porte entrebâillée. Chut ! Tandis que la voix d’autres auteurs se fait entendre et zèbre le récit. Barrie appartient à cette seconde catégorie.
La voix de Barrie n’est pas commune, aussi bien celle que j’entends avec mon tympan, grâce à quelques archives qui demeurent, que celle à laquelle je redonne vie avec l’eau de mes paupières qui mouillent les mots lyophilisés, endormis, depuis un siècle et plus. C'est cette tessiture particulière qui, à mon sens, est peut-être la cause d'un relatif oubli en France de cet auteur magnifique.
Le premier chapitre de Peter Pan, le roman, par exemple, possède une étrangeté qui tient à la grande proximité qu’il établit avec son lecteur. Cette familiarité feinte qu’il suscite, nous faisant croire que tout ce que nous lisons et apprenons ne sont rien d’autre que choses très naturelles, provoque un profond malaise. Cette gêne est certainement moins perceptible à l’âge adulte qu’elle ne l’est dans la grande enfance. Je me souviens avoir eu peur de Peter Pan lorsque j’étais petite fille, ne comprenant pas de quoi il retournait et ne trouvant aucune explication solide dans le déroulement de cette histoire. Or, les enfants sont des créatures éminemment logiques, même si elles sont prédisposées à l’imaginaire d’une manière plus forte et différente de leurs aînés. Elles demandent explication au réel, le provoquent en duel avec leurs âmes qui sont de farouches armes. Barrie nous laisse prendre des vessies pour des lanternes (ou des lampes pour des fées), avec un naturel fort déconcertant.
[La lampe qui aurait inspiré Tinker Bell - Cf. le livre de mon ami Robert Greenham]
« Le sommeil de l'enfance s'achève en oubli. » nous dit Hugo dans L’homme qui rit. Oui, il existe une amnésie de l’enfance, qui ne consiste pas seulement à ne point se souvenir de ses premières années mais aussi à perdre un des sens du réel, qui ne reviendra jamais et que Barrie a su, bizarrement, conserver. Le temps nous déverse peu à peu dans une personnalité qui ne cesse de se diviser, à la manière d’une cellule, et de se réunifier pour créer à chaque fois un autre être, un peu différent du précédent tout en demeurant semblable. Est-ce dans cet interstice que niche la fausseté de l'adulte, éminemment réprouvée par l'enfant ? Mais qui oserait prétendre que l’enfant n’est pas le père de l’homme qu’il va devenir, pour citer une formule de William Wordsworth, reprise en chanson par Brian Wilson ?
Barrie, lui, ne fut pas touché par ce sommeil de l'âge adulte. Il est le Prince Charmant qui vient réveiller d'un mot ou d'une phrase l'enfant en nous. Je lui rends grâce pour ce style et cette élégance.
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Catégorie : Barrie
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Dans ma valise, il y aura Rickie Lee Jones, Brian Wilson, Randy Newman et Sinatra, un livre de Barrie, la recette du conte de fées, un exemplaire du Petit oiseau blanc en guise de contribution au BookCrossing (je vais abandonner un exemplaire dans les Jardins de Kensington), l'image d'un enfant sauvage, un Moleskine et peut-être Victor Hugo (ou un fragment du journal de Samuel Pepys, en bonne lectrice de Miss Hanff).
Je vous retrouverai la semaine prochaine, selon toute vraisemblance, si les fées ne me kidnappent pas. Peut-être avant, peut-être après. Qui sait ? Je suis ici et ailleurs, toujours et jamais moi-même. Une autre.
Libellés :James Matthew Barrie,miscellanées
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- Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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