mercredi 4 octobre 2006
Ces trois lignes pour mon amie Claire, en souvenir de notre première rencontre.
"Une comédie qui parle de la mort et de la liberté"... nous informe le générique. En effet, il n'est question de rien d'autre. La liberté n'est peut-être permise que par la présence brusque d'une échéance, signifiée ici par la mort d'un ami, au sein d'un quatuor, soudain amputé d'un de ses membres. On ne saura et ne verra rien de la vie de l'absent, Stuart, si ce n'est une vague image de ce qu'il fut. Il est figé sur une ou deux photographies au début du film, lorsqu’il prend une pose à la Aldo Maccione. Il était parmi eux. Il est maintenant entre eux, telle une béance à combler, qui les aspire à tour de rôle et qui provoque un ultime mouvement de révolte en eux, avant une prévisible résignation à vivre sans autre façon que dans l’ordinaire quotidien à qui ils ont déjà ouvert la porte.
Claude-Jean Philippe nous a présenté ce film de John Cassavetes, dimanche dernier, dans le cadre de son immuable ciné-club, à l'Arlequin. Premier film en couleur du cinéaste, le film est brutal pour celui qui le découvre, peut-être encore davantage pour qui ignore le style et la manière particuliers de Cassavetes. Il s'attarde sur les visages, comme s'il voulait ausculter les moindres soubresauts de l'émotion, qui palpite et court sous la peau ; il prolonge certaines scènes jusqu'au malaise du spectateur, l'incitant presque au repli et à la fuite. La scène de beuverie dionysienne, pour étonnante qu'elle fût, est plutôt éprouvante. Mais quelle force ! Quelle beauté ! Quelle explosion vitale ! Un spectateur dans la salle s'est plaint, lors du débat, qu'il ne se passait rien dans le film. Oui, précisément, c'est tout l'intérêt de ce film avais-je envie de répondre, en guise de provocation. Et que se passe-t-il de plus dans son existence, à lui ?
Montrer la cavale de trois hommes de New York à Londres. Ils ne font rien de remarquable, sinon marcher dans les rues (une des plus belles scènes est celle où Peter Falk défie à la marche à pieds un de ses compères : tous deux avancent, côte à côte, le plus vite possible et donnent l'impression de deux enfants déguisés en adultes, un peu clowns, un tantinet bancals, mais terriblement en vie), boire, fumer, parler, draguer des filles (cesser d’être un mari et un père, reprendre possession de tous les possibles de la jeunesse), se frotter les uns aux autres, sans souci d'afficher une virilité qui les empêcherait d'être ensemble.
Claude-Jean Philippe parle à l'égard du cinéaste de désinvolture, lorsqu'on lui fait remarquer que l'on aperçoit une perche et un micro, dans l'une des scènes finales. Certes, le principe de Cassavetes est une libre improvisation des acteurs au sein d'un cadre qu'il peut à loisir restreindre ou agrandir (le film qu'il avait en tête durait 6 heures), et il n'a nul besoin de prouver sa maîtrise de la technique pour nous épater, car nous savons déjà sa force. Pourtant, je suis presque persuadée qu'il ne s'agit point d'une coquille (pour consolante que fut cette idée pour moi, je ne sais quoi en penser) car cette intrusion de la technique défaillante perdure pendant de longues minutes. J'y vois plutôt une manière de dire au spectateur que les deux hommes "se font leur cinéma". Et, si c’est une bévue du cinéaste, une manière de jean foutre, j’en alors envie de comprendre que la beauté loge peut-être dans notre imperfection d’homme, dans les défauts et les détails scabreux que mon esprit complaisant et leibnizien en diable nomme monades. Se reflète en eux notre finitude infinie ; ce sont nos grains de beauté, à moins qu’ils ne soient notre corps entier et, inversement, nos petits miracles ces petits points de sublime qui nous poinçonnent, ici et là. L’inachèvement est la marque en nous de Dieu, s’Il existe (je ne crois pas), pour nous donner la chance d’être, chaque jour, un peu meilleurs et toujours humbles – ce qui est le contraire d’un manque d’exigence, car il faut se savoir faible pour avoir la volonté de l’être moins.
Je n’oublierai jamais cette odieuse phrase d’un encore plus odieux personnage, écrivain réputé de son état, pédophile à ses heures (trop nombreuses, hélas, pour les petits garçons de Manille !) que le Tout-Paris encense et a proposé à l’attribution du Renaudot, cette année, lors de sa première sélection (honte à eux !)… J’espère qu’aucun des éventuels visiteurs de mon JIACO ne croit que les prix littéraires sont des indices de la valeur littéraire des auteurs, parce que je pourrais vous raconter des histoires très drôles à ce sujet, mais il paraît qu’il ne faut pas trop balancer… parce que ces gens-là ont la jambe longue et sont prêts à tous les crocs-en-jambe. Sauf que je n’en ai cure ! « La modestie, c’est fait pour les gueux, disait-il, et vous devriez accrocher cette phrase au-dessus de votre lit ! » Non, monsieur, décidément non ! La modestie, c’est la lucidité de reconnaître que nous sommes des vers de terre et de s’en moquer si on en a la force, tel le personnage de Cassavates qui, mi-riant mi-désespéré, explique qu’il a toujours voulu faire du basket, mais qu’il était trop petit et que, de toute façon, à 35 ans sa carrière eût été terminée. Une vie ratée, des gens échoués, quoi de plus dérisoire ?
La philosophie du film est ainsi énoncée : qui a la force de s’élever jusqu’à son rêve ultime, quitte à en crever ? Qui a force de résister lorsque viendra le temps de comprendre qu’il était trop grand pour soi ? Mais n’est-il pas pire de renoncer avant même d’essayer ? « Tu n’es pas doué, ce n’est pas une raison pour arrêter. » dit John Irving, quelque part, au sujet de l’écriture et de la lutte gréco-romaine, dont il était adepte. Faites-moi penser à vous parler de son dernier roman.
"La seule vérité de ce monde, c'est la mort" disait Céline. Le seul moyen de s'en sortir, c'est le mensonge, semble dire l'un des personnages. Tout le film me paraît construit sur cette délicate balance entre vérité et mensonge, vie et mort, la liberté de l'homme étant d'accepter l'une ou d'inventer l'autre. C'est aussi simple que cela. Le spectateur oscille, de même, entre le rire bruyant et le malaise, la jubilation et le désespoir.Peter Falk et Ben Gazzara sont magnifiques. John Cassavetes se joint à eux et donne au trio un air féroce, mais parfois empreint de douceur. Le film a trois pieds, qui sont les trois personnages, qui vont toujours par paire en s’opposant au tiers exclu, jusqu’à ce qu’à la fin le lien se rompe et que chacun retourne à sa vie. Et Peter Falk de s’écrier au sujet de Ben Gazzara : « Qui va s’occuper de lui ? » Et John Cassavetes de ne pas répondre et de pousser la porte de son foyer.
Deux extraits : le début du film, l'enterrement, et sa fin.
Catégorie :
Cinéma
Libellés :cinéma
"(…) une revue parisienne venait de publier un de ses poèmes avec des fautes d'impression, coquilles aussi larges que des bénitiers, vastes comme la conque d'Aphrodite. " Anatole France, Le Lys rouge, ix, p. 91."Avant d'avoir dirigé, moi-même, une encyclopédie, je ne me doutais pas que l'erreur fût aussi sournoise et multiforme, je faisais tout de même assez confiance aux ouvrages dits de référence Je n'y avais jamais remarqué de coquilles, par exemple. Depuis que j'ai dû lire ligne par ligne une collection qui a, sans doute à titre apotropaïque, pris comme signe et label une coquille — celle du nautile —, j'en découvre maintenant chez les autres ! partout ! Dans les dictionnaires les plus chevronnés ! Même une chez Bourbaki, pourtant fort attentif. Comme je la lui avais signalée, il me répondit que c'était par humour qu'il l'avait laissée, pour distraire un peu le lecteur au passage. Au lieu « d'ensemble filtrant à gauche et à droite », il y a « ensemble flirtant à droite et à gauche ." R. Queneau, "Bourbaki et les mathématiques de demain" (in Critique, no 176, janv. 1962), repris dans Bords, 1963.
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Aujourd’hui, je vais m’épancher. Non, ce n’est pas de la synovie, mais des larmes qui dégoulinent, qui font « flac » et puis « floc » quand elles tombent à terre.
« Chacune de ses larmes, qu’il jetait une à une contre le mur, explosait dans une détonation. » (J.M. Barrie)Je hais les gens qui attirent à eux la pitié et, pourtant, je suis aujourd’hui une misérable et une miséreuse. Je n’ai pas la classe de certains vaincus. Je ressens l’accablement des médiocres qui ont cru, un instant, pouvoir s’élever trois pas au-dessus du sol et qui retombent, comme les lourdauds qu’ils n’ont jamais cessé d’être, sinon dans leur inconscience. Depuis samedi, j’étais au fond du trou, dans le terrier de ma mélancolie, là où je me rends le moins souvent possible, car ce n’est pas éclairé et je me cogne toujours contre les parois. Je suis couverte de bleus. J’ai la peau qui marque. Je suis tatouée par un simple frôlement. La dernière fois, j’ai mis des mois à retrouver la sortie et je n’y suis parvenue uniquement parce que quelqu’un a soudain éclairé l’intérieur de cette cuve. Il faudrait que je pense à reboucher ce piège. Définitivement. Barrie trouverait la situation hilarante. D’autant plus que la métaphore de la coquille est celle que j’ai employée pour qualifier Le petit oiseau blanc. Si l’on secouait le livre, nul doute qu’il en tomberait un certain nombre à terre. Je m’y suis blessée à plusieurs reprises, car ces saloperies sont coupantes. Quand je pense au soin apporté à la correction de mes épreuves (Holly s’appliquant, corrigeant la ponctuation en rose foncé et les fautes de frappe, les répétitions, les méchantes tournures en violet, etc.), je ris (jaune) de ma candeur. Bien sûr que le pire est certain. Adage de Cioran. Le pire, c’est que je m’en doutais, car j’avais bien remarqué que, malgré l’excellence de la ligne éditoriale des éditions Terre de Brume, ce problème était récurrent dans leurs diverses collections. Pauvre de moi ! Lisa Chaney, biographe consciencieuse de Barrie, a dernièrement eu le même problème (des erreurs énormes, qui ne lui doivent rien), c’est mon ami Robert qui m’en a informé. Est-ce que le malheur des autres console ? Un peu. Peut-être. Je ne sais pas. En tout cas, la philosophie n’est d’aucune utilité dans le cas présent. Je le savais déjà ; j’ai consacré ma thèse à dire la vanité du concept qui expurge la douleur du monde et la noie dans l’universalité. Exit le stoïcisme et mise à mort des autres fredaines, qui ne sont que jeux intellectuels. La vraie vie, celle qui pue et qui rampe, est toujours en avance. Hegel avait au moins compris ce retard de la réflexion sur ce qui tue, corrompt, affecte et dénerve. Certes, beaucoup ont dégraissé ma peine ces derniers jours. Il reste un peu de couenne autour de ce vilain chagrin de petite fille, car ce n’est rien d’autre, et, malgré ma propension à vivre excessivement les événements, sur un mode dramatique, j’en suis consciente. Mais c’est trop pour ceux qui ont mal à leur enfance mal tannée. Mon mari proposa une solution radicale : acheter tous les exemplaires, afin qu’il y ait un rapide retirage, qui verrait s’envoler les coquilles à jamais. Il en est capable. Il a déjà fait des choses tout aussi folles pour moi. C’est presque normal : il est magicien. Je refuse cette solution ruineuse, ce remède facile, bien entendu. Sans cet être exceptionnel, Holly n’existerait pas, encore moins Céline. Je n’ai encore jamais parlé de lui, parce que j’ai toujours pris le parti de ne pas montrer mon intimité en public, autrement que par le prisme de mes goûts littéraires, philosophiques ou cinématographiques. Plutôt montrer son cul que son cœur, disait, je le crois, Desproges. Aujourd’hui, je montre mon petit cul (non, mon ridicule cœur) mais, profitez-en, car c’est la dernière fois, comme le disait, par exemple, Vanessa Paradis à la sortie de Noce blanche - allez voir le dernier film de Jean-Claude Brisseau, un des rares cinéastes français qui a quelque chose à dire... Mon mari ressemble à la femme de Columbo. Pourtant il est là, derrière chaque mot, chaque geste. Il est la meilleure part de mon être, la seule qui ne soit pas gangrénée par mon cynisme et ma propension à la désillusion, mais étant donné qu’il est le maître des illusions, je n’ai aucun pouvoir sur les siennes. David, mon grand ami, depuis plus de dix ans, celui à qui on peut tout avouer – surtout le pire ! – me souffla à l’oreille une remarque drôle que je n’avais pas encore eu l’idée de goûter : « Il y a une certaine ironie dans l'histoire. Les gens ne remarqueront ces fautes que si votre livre est un succès. Moins vous aurez de lecteurs, plus ces erreurs passeront inaperçues. Je vous souhaite donc d'être jugée coupable des coquilles les plus célèbres de l'histoire de la littérature. » Siréneau, dont l’avis m’importe tant, m’affirma qu’il se moquait de ces coquilles et que le livre demeurerait dans sa nouvelle bibliothèque (j’espère qu’il ne "me" placera pas à côté d’Anna Gavalda ou de Virginie Despentes ! Vous ne feriez pas cela ?) et il relativisa le malheur, si bien qu’il n’en resta pas grand-chose. Wictoria, toujours à la fleur des émotions, m’écrivit une belle lettre, qui inversa le courant de mes larmes. L’amitié est un trésor que j’ai toujours du mal à regarder en face. Marie, douce et tendre, comme ses poèmes en témoignent, sut trouver les mots. Mélanie, elle, généreuse à l’excès, prétendit n’avoir vu aucune coquille ! Il ne faudrait pas oublier Gaëlle, qui, malgré son "incarcération", a trouvé le temps de me remonter le moral et les bretelles ! Des lettres de lecteurs arrivèrent, dans ma boîte électronique. Petit miracle : on comprenait que je n’étais pas responsable, on ne m’accusait pas d’incompétence, mais on fustigeait l’éditeur. Je ne le ferai pas, non pas par hypocrisie ou par crainte de me tirer dans le pied, mais parce qu’il m’a répondu avec honnêteté et parce que j’aime beaucoup les livres qu’il a le courage de publier. Il m’a expliqué clairement les raisons de cette scarification textuelle : le correcteur attitré de la maison était en vacances, son remplaçant demandait cinq semaines de relecture (un délai qu’une moyenne maison d’édition ne peut se permettre), le tout fut donc confié à une secrétaire, sûrement peu aguerrie à cet exercice… On appelle cela un mauvais concours de circonstances ; je nomme cela : avoir de la poisse jusqu’aux semelles de ses chaussures ! De ces quelques lettres de lecteurs, amoureux de Barrie, je retiens celle d’un garçon qui a « exactement l’âge de Barrie, l’année de la publication du Petit oiseau blanc ». Il se reconnaîtra s’il vient me lire ici. Celle-ci, je l’ai reçue, hier soir, avant que je ne parte pour mon deuxième cours de chinois (je sais désormais dire et écrire, entre autres, que « La Chine est grande et le Japon est petit. ») et elle a scellé du mot « fin » ce triste épisode. Je le souhaite en tout cas. Je me remets au travail, le cœur serré, mais non brisé, c’est déjà cela et peut-être que ça prouve que j’en ai un, finalement. Je crois que je vais écrire une nouvelle sur ma mésaventure, à la manière de Dezsö Kosztolànyi dans le Traducteur Kleptomane…
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