dimanche 1 avril 2012
[Le bateau de R. F. Scott, le Terra Nova]
***
THE MYTHMAKERS
(Les créateurs de mythes)
Histoire d’une amitié
entre un homme qui devint un mythe
et celui qui écrivit sa légende
***
« En Antarctique, la chose la plus difficile, c’est d’écrire avec des doigts gelés… »
***
En 1922, lorsque Barrie devint Recteur de Saint Andrews, il prononça un discours qui fait encore aujourd’hui piquer les yeux des moins sensibles d’entre nous, un discours extraordinaire intitulé Courage qu’il dédia aux étudiants et qui apparaît comme une sorte de défi lancé à la jeunesse d’après-guerre. Il donna littéralement son souffle, son âme, à ces mots simples, forts et beaux, qui avaient pour eux toute la douloureuse force de l’expérience et qui trahissaient, à chaque instant, l’inspiration que donnent le chagrin et la mise à l’épreuve de l’âme humaine. La guerre de 14 avait porté, comme le dit, je crois, un auteur que j’aime, ces fruits qui croissent sur les ciselures de la peine. En petits rangs serrés, les fantômes de ceux qu’il avait tant aimés s’alignaient devant lui. Sylvia Llewelyn Davies, George, Michael, Mary qui l’avait trahi et abandonné… Tous, ils avaient laissé la trace de leur absence dans l’existence du solitaire d’Adelphi. Le discours porte l’empreinte de tout cela, mais il vibre aussi d’une foi singulière qui irradie le lecteur : « Le courage est la chose essentielle : si l’on perd le courage, tout est perdu. Voici ce qu’en dit notre glorieux Johnson : “À moins qu’il ne possède cette vertu, un homme n’a aucune certitude de pouvoir en conserver aucune autre.” Nous devrions remercier notre Créateur trois fois par jour de nous avoir fait don du courage au lieu de le faire pour notre pain quotidien, qui, si nous travaillons, est sûrement la seule chose que nous puissions exiger de Lui. Ce courage est la preuve de notre immortalité (…) Ne soyons pas simplement courageux, mais également enjoués et le cœur content. »
Dans ce discours, qui est l’un de mes deux préférés parmi tous ceux qu’il a écrits, il fait intervenir quelques figures amies, des revenants, des êtres qui avaient tous en commun un courage assez remarquable, des hommes qu’il transforme en héros par le simple pouvoir d'une magie dont il avait le secret, les mots : R. L. Stevenson, W. E. Henley (« Je suis le maître de mon destin ; je suis le capitaine de mon âme ») et, bien sûr, le Capitaine Scott…
Précisément, il s’agissait pour moi, lorsque je me rendis à Londres, le week-end dernier, d’aller à la rencontre de Robert Falcon Scott et de Barrie… Richard White et Rose MacLennan Craig ont écrit une pièce épatante (disons-le d’emblée, pour ceux qui n’auraient pas la patience de me lire jusqu’au bout !) sur l’amitié qui unit les deux hommes. La pièce était à l’affiche dans un charmant théâtre de Londres et le sera bientôt, de nouveau, dans un autre. Mon rêve est… de la faire venir en France ! Mais c’est une autre histoire…
J’éprouve toujours beaucoup d’appréhension lorsque l’on s’avise de « s’en prendre » à celui qui est, pour moi, plus réel et plus vivant que bien des êtres qui s’agitent autour de moi. Barrie est, précisément – puisqu’il ne sera question que de cela dans ce petit texte de présentation –, mon héros. Si j’avais autant détesté le film de Forster, Finding Neverland, à l’époque, c’est bien parce qu’il falsifiait autant l’image de l’homme que celle de l’écrivain que je connaissais presque personnellement, étant la prisonnière consentante de son univers si particulier… Je n’ai jamais pu souffrir l’argument paresseux selon lequel le film « avait eu le mérite » de jeter la lumière sur l’existence d’un auteur somme toute méconnu – et peu importe, pour ceux qui affirmaient cela, si l’image était fausse ! Ceux qui ont découvert Barrie par ce film ne méritent pas de le connaître et très certainement ne le connaîtront-ils jamais véritablement… De plus, je n’ai jamais vraiment aimé Johnny Depp, qui ne fut un acteur convaincant que dans deux ou trois rôles, et encore… Il était tellement falot en endossant ce qu’il croyait être la peau de Barrie qu’il en devenait presque fascinant. Presque, dis-je, car je ne suis point masochiste.
Je n’attendais rien de l’acteur qui, par le pouvoir propre au théâtre, allait bientôt devenir Barrie dans cette salle et, pourtant, un sentiment d’amitié et de respect naquit rapidement en moi, lorsque, dimanche, je fus témoin du travail d’acteur de Steve Hay. Il incarne un Jamie à la fois facétieux et triste, un Barrie à la fois tourmenté et porteur d’un étrange enthousiasme, un Barrie désespéré et terriblement vivant, passant intérieurement en revue ses fantômes personnels – lui-même en passe d’en devenir un, au moins sur le plan symbolique.
Steve Hay sert Barrie avec beaucoup d’honnêteté et une certaine distance, peut-être, ce qui le préserve de bien des maux et des erreurs. Certes, il ne possède pas l’inquiétant pouvoir de personnification propre à Ian Holm (indépassable), mais qui, raisonnablement, pourrait exiger cela de lui ? L’accent qu’il adopte n’est peut-être pas celui de Barrie, il n’en demeure pas moins qu’il est coloré de teintes écossaises fort agréables à l’oreille de la petite française assise au premier rang… Jonathan Hansler fut également un Capitaine Scott assez proche de l’idée que je me fais de l’original, même si je ne le connais pas assez pour savoir si mon sentiment est justifié.
Scott nous est présenté comme écrasé par le poids de ses responsabilités (il ne le sait pas encore, mais il emmène ses hommes à la mort et envisage cette expédition comme un départ pour le front) et par le pressentiment que la providence s’est joué de lui et qu’il doit aller au bout de ce chemin qu’il a emprunté à cause de circonstances qu’il n’a pas tout à fait maîtrisées. Et peut-être est-ce là le véritable courage : poursuivre sa route, être engagé dans un destin que l’on a à peine choisi, mais ne pas renoncer pour autant. Aimer son destin, quel qu’il soit. L’épouser, sans hésitations, même en n’apercevant qu’un fragment de son visage. La condition, peut-être, pour que l’échec futur se transmue en gloire. Mais n’est-ce pas souvent ainsi, par un curieux paradoxe ? Nous ne sommes peut-être jamais admirés pour ce que nous sommes vraiment, pour ce que nous avons réellement accompli de valable en pleine conscience, mais pour certaine faille ou faiblesse, pour des échecs, ou des réussites qui ne nous doivent pas grand-chose. Malgré tout, la grandeur d’un homme se lit toujours et uniquement sur son visage, lorsque l’échec et le malheur sculptent son destin. Dans la réussite, nous sommes rarement à la hauteur des qualités que l’on nous prête. De noblesse réelle, il n’est que dans l’échec et la belle mort, là où nous n’avons que le choix de révéler ce que nous sommes vraiment, le personnage inconnu que nous avons peut-être toujours ignoré porter en nous et que nous découvrons, soudain, à la faveur d’une tragédie.
Barrie se rêvait en explorateur et Scott enviait le talent d’écrivain de Barrie. La pièce se construit sur cette admiration réciproque et sur ce désir de l’autre, dans son génie particulier : l’un tire des mythes de la page blanche, l’autre en écrit un dans cette réalité blanche et presque chimérique qu'est le pôle Sud, en l’incarnant.
Et puis vient un non-dit, une blessure, un malentendu peut-être. L’amitié est toujours fragile, bien plus que l’amour. Un froid s’installe alors entre les deux hommes, surtout de la part de Barrie (c’est la dernière lettre de Scott qui nous le révèle). Il est toujours trop tard et, jamais, la blessure ne pourra se refermer, faute de temps, faute d’une ultime rencontre. Quoi de plus terrible que d’être le survivant d’une amitié véritable entachée par l’incompréhension, le silence, une amitié gelée à jamais dans une impossibilité ? C’est cette histoire que nous raconte The Mythmakers, l’histoire de James Matthew Barrie et du Capitaine Scott, qui mourut, il y a cent ans, d’une manière si tragique qu’il ne pouvait que devenir un héros. L’incroyable réussite de cette pièce est peut-être d’avoir fait d’un sentiment très simple et très humain – la cause de ce froid entre les deux hommes – un mystère.
Je ne suis pas du tout certaine que Barrie ait tourné le dos à Scott à cause de la raison invoquée dans la pièce et je crois que personne ne le sait, mais l’idée est fort plausible. Humainement plausible. Et personne n’était plus humain que Barrie, l’auteur, le créateur de mythes et l'homme incompris. Séparés à jamais par un silence irrattrapable, tombé tout à coup dans l’éternité des regrets, Scott écrira cependant avant de mourir ces mots célèbres : « De toute mon existence, je n'ai jamais rencontré un homme que j'ai autant admiré et aimé que vous, mais je n'ai jamais pu vous montrer ce que votre amitié représentait pour moi, car vous aviez beaucoup à donner et moi rien du tout... »
Les deux acteurs, seuls sur scène, donnent remarquablement vie au beau texte (beau, mais aussi d’une grande finesse – qualité rare dans le théâtre actuel) des auteurs, tant et si bien que l’on oublie de ne pas aimer tout à fait le décor, parfois entaché d’un soupçon d’anachronisme, réduit au strict nécessaire. La mise en scène, sobre mais efficace, nous retient, vibrants et en équilibre, à l’intérieur de ce mythe en train de naître devant nous. Le texte tout entier se déploie autour de nous et nous sommes enserrés par l’émotion. Nous nous sentons, soudain, témoins de quelque chose de simple et sublime en même temps, et nous retenons notre souffle. Ce quelque chose, c’est l’ébauche d’un mythe.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit – aussi : avoir l’illusion de pénétrer dans le secret ou l’origine des mythes… Celui d’un auteur et celui d’un héros.
Mais qu’est-ce qu’un héros ?
C’est celui que l’on élira et que l’on nommera tel, parce qu’il nous paraît être le meilleur intercesseur possible entre le monde humain – où nous crions peut-être grâce –, et le monde divin auquel nous aspirons – probablement. Les écrivains ont besoin de héros pour raconter leur légende, vous vous en doutez. Un héros est un modèle nécessairement inimitable et, pourtant, il nous enjoint à le suivre, à marcher dans ses pas, sans mot dire, par la seule force de son aura. Il ne faut que du courage et de la détermination pour être un héros.
C’est peu et déjà plus que n’en possède la plupart.
Le héros, comme beaucoup de fictions essentielles à nos vies, naît surtout du désir que l’on a de lui, auréolé d’une légende que l’on adopte et nourrit de soi-même (la légende doit s'entretenir et voyager d'esprit en esprit), ou que l’on crée si l’on est soi-même, comme Barrie, un Author. Le héros est toujours un être claudicant. Homme ordinaire, doté d’une volonté et / ou d’un destin extraordinaires, il est toujours étrangement en retard sur le déroulement de son existence, presque en dehors de lui-même, spectateur de ses actes – comme l’écrivain, en somme : « Un écrivain ne sait presque rien, et c’est ce qui fait de lui un étranger aux yeux de ses amis et de sa famille. Il vit à l’extérieur de sa propre existence, cherchant à la comprendre. C’est un endroit affreux où vivre… » (Barrie ou, plus exactement, le Barrie de Rose MacLennan Craig et Richard White).
Ce décalage, tous les écrivains le ressentent. Les héros aussi, probablement, mais ils sont fatalement moins lucides, peut-être. Le héros doit mourir pour être un héros, sinon il n’est qu’un chic type ou, au mieux, un grand homme ; la légende des héros s’écrit avec leur sang et leurs larmes ; la mort doit se refermer sur lui, comme l’ambre sur l’insecte ; il ne se sait donc jamais tel, car le héros est par nature aveugle : il semble jouer la partition d’un destin que lui ont écrit les circonstances.
Le héros doit tout, a posteriori, à celui qui écrit sa légende. Il ne vit d’abord que par cette légende, qui est fiction, qui est mensonge, et donc stricte vérité – un peu celle du conte. La légende n’est pas (encore) le mythe, car le mythe, lui, est indépendant et détaché, à savoir intemporel, universel et comme désincarné. Le mythe dévore ce dont il est le mythe et l'auteur du mythe. Cette pièce donne à voir cela, très subtilement, en arrière-plan.
Le mythe est détaché. Il paraît alors presque logique que Scott et Barrie soient séparés... Et le Scott que fera revivre Barrie dans ses souvenirs ou ses phrases n'est pas exactement le Scott qu'il a connu. C'est tout à la fois sa faute et celle du mythe.
Le mythe est détaché. Redisons-le.
Et de celui qui l’a créé et de celui qui l’incarne – ce dernier, toujours malgré lui. Le mythe tue le héros ou, plus exactement, l’être humain en lui. Le mythe est, lorsqu’il est achevé, à lui-même son propre mythe. La légende, elle, se nourrit en permanence d’événements – réels ou fictifs, surtout fictifs – et est historique. Le mythe, par opposition à la légende, dit une vérité métaphysique, existentielle, une vérité humaine qui a valeur d’exemple. On ne peut jamais considérer que l’extériorité du mythe. Dès que nous évoquons un mythe, il nous rejette. Le mythe a également ceci de fascinant qu’il s’énonce et se vit sur le mode éternel d’un présent qui ne se mue pas en passé. Le mythe transforme en nature une intention inscrite dans le temps et l'histoire, un événement singulier en éternité. Il nous fait oublier l’origine et la contingence de l’événement au profit d’un modèle érigé en universel. Le mythe évacue le réel, il se fonde en nature et en éternité, en droit.
Et, même si, las et vaincu, le Barrie de The Mythmakers nous fait ses adieux sur ces mots : « Je suis peut-être le créateur de mythes, mais vous, Scott, êtes le mythe. », Barrie fut et est encore aujourd’hui, par son génie littéraire et sa mystérieuse personnalité, un mythe, et pas seulement un créateur de mythes. Et il s'y est employé plus qu'il n'y paraît en écrivant sa propre biographie (tout à fait imaginaire) dans ses fictions.
J’ai toujours pensé que, si l’on voulait vraiment dire quelque chose d’essentiel sur soi, il fallait commencer par avouer la pensée la plus triste que l’on ait jamais conçue et portée en soi. Posez cette question à ceux que vous aimez : Quelle est la chose la plus triste à laquelle tu aies jamais pensé ? Bien peu sauront ou pourront répondre. Instinct de protection. Mensonge pudique.
Le seul combat qui vaille est celui que nous menons contre nous-mêmes, et non pas cette lutte contre les autres, contre le monde entier, en prenant à témoin ceux qui peuvent nous porter secours – croit-on. La mort a-t-elle le dernier mot comme le dit ou semble le dire le Barrie de la pièce de Richard et Rose ? Oui, mais l’art a l’avant-dernier…
Barrie n’a jamais eu peur d’ouvrir toutes les portes dérobées de son cœur. Il en donne la preuve dans le discours évoqué plus haut – lorsqu’il dresse le portrait de son double M’Connachie –, qui est l’une des inspirations implicitement revendiquées des auteurs de la pièce. Et sa pensée la plus triste était peut-être la conscience aiguë de cette triste vérité : si nos morts revenaient, ils n’auraient très probablement plus de place dans nos vies. Il a exprimé cette idée dans plusieurs œuvres, notamment dans la pièce Mary Rose. La mort transforme ceux qui lui appartiennent en mythes ou en revenants. C’est parce que Barrie éprouvait une infinie pitié pour ces revenants, parce qu’il ne voulait pas les laisser glisser dans l’oubli qu’il essaya d’en faire des mythes ; et ce qui le fascinait tout autant dans le processus de la création littéraire que dans l’aventure réelle vécue par les explorateurs, c’était cette illusion de pouvoir combattre à armes égales avec la mort.
Dans The Mythmakers, Scott compare son Antarctique et celui de Barrie : l’un et l’autre ont un espace à conquérir, un combat à mener, dont l’issue possible est la mort – celle de l’écrivain n’est pas moins terrible que celle de l’aventurier. Les deux tâches requièrent une seule arme, le courage.
Un écrivain incarne une forme de providence dans l’univers d’encre et de papier auquel il prête son souffle. Il crée des héros et des légendes, parfois des mythes, dont le destin est de le rejeter (Peter Pan a dévoré Barrie, lui a échappé). La providence, elle, d’après les auteurs de la pièce et d’après leur Scott, nous engage toujours dans un marché de dupes. Le mythe n’existe que si quelqu’un l’écrit et lui donne le pouvoir de demeurer vivant dans la mémoire de l’humanité. Le maître ou le créateur des mythes est celui qui est capable de geler le temps, de le transformer en éternité.
Les héros existent parce que nous sommes des ratés. Ou, plus exactement, parce que la majorité d’entre nous ne le sont pas tout à fait, et ne pas l’être tout à fait est un manque absolu de grandeur. « Nous sommes tous des ratés – en tout cas les meilleurs d’entre nous le sont… », écrivit Barrie, toujours son discours intitulé Courage. Et c’est aussi pour dire cette noblesse de l’échec qu’est écrit cette pièce sensible et intelligente, qui nous donne à pénétrer dans le cœur d’une histoire d’amitié, qui, elle-même, fut un échec.
Scott eut le dernier mot et Barrie, à n’en point douter, tira de ce dernier mot quelques pensées cruelles et sublimes. Le vent a toujours murmuré de sombres histoires à l’oreille de Barrie. Le vent est porteur des secrets des morts et seul celui qui, bien malgré lui d’ailleurs, est dans le secret des mythes, sait les entendre et il a le devoir de les retranscrire pour nous, humbles mortels. Le maître des mythes est béni et maudit. « Le diable l’emporte toujours. Vous êtes plus chanceux que moi, Scott. Vous ne vieillirez jamais, endormi à jamais dans la glace. Moi ? Vous auriez du mal à me reconnaître. Et qui me connaît à présent ? La plupart de mes amis sont des fantômes… » (The Mythmakers) Néanmoins, il faut continuer à avancer. Le courage est ce qui demeure, lorsque tout le reste est perdu. Et il faut encore plus de courage pour écrire que pour simplement vivre.
On entend parfaitement l’écho de Scott, l’écho d’une amitié perdue, dans le discours que prononça Barrie en 1922 et auquel se réfèrent en plusieurs occasions les deux auteurs de la pièce.
« Lorsque je pense à Scott, je me souviens de cette étrange histoire qui se déroula dans les Alpes : un jeune homme perdit la vie en tombant d’un glacier ; l’un de ses compagnons, un scientifique, calcula le temps qu’il faudrait au corps pour réapparaître d’ici plusieurs années. Lorsque le temps fut venu, quelques-uns des survivants retournèrent au glacier afin de vérifier si la prédiction s’était réalisée. Ils étaient vieux à présent ; le corps réapparut aussi jeune que le jour où cet homme les avait quittés. C’est ainsi que Scott et ses camarades surgissent, toujours jeunes, de ces blanches immensités.
Il y a de la beauté dans l’épreuve supportée avec allégresse ; cette tâche n’est pas hors de portée des plus modestes d’entre nous. Qu’est-ce que la beauté ? C’est le chant porteur de courage de ces hommes au caractère bien trempé qui, de leur tente, s’élève vers vous ; ce sont les murmures de cette île, où ces hommes exemplaires ont élu domicile, qui parviennent jusqu’ici pour vous dire leurs exploits. Parfois la beauté se répand, nous dépasse, et alors l’esprit se libère du corps. Des siècles peuvent se passer, tout absorbés que nous sommes dans notre contemplation et notre écoute, car le temps est annihilé. Il est une très vieille légende que m’a racontée l’explorateur Nansen – j’aime beaucoup la compagnie des explorateurs –, la légende d’un moine qui se promenait dans les champs lorsqu’une alouette se mit à chanter. Il n’avait jamais entendu auparavant le chant d’une alouette, alors il se tint là, fasciné, jusqu’à ce que l’oiseau et son chant se confondissent avec les cieux. Puis il s’en retourna au monastère et y trouva un portier qu’il ne connaissait pas, pas plus que ce dernier ne le connaissait. D’autres moines vinrent et tous lui étaient étrangers. Il leur dit qu’il était le Frère Anselme, mais cela ne servit à rien. Ils finirent par se tourner vers les livres du monastère et ceux-ci leur révélèrent qu’il y avait eu un Frère Anselme, il y avait au moins cent ans de cela. Le temps avait été occulté pendant qu’il écoutait l’alouette.
Voici un exemple de ce qu’est la beauté, cette beauté qui se répand ou bien cette âme qui se répand – et c’est peut-être la même chose. L’esprit se libère alors du corps et, hors de lui, se met en mouvement dans le monde. » (Barrie, Courage)
Scott était un peu cette alouette et Barrie ce moine… Et cette pièce nous donne le privilège d'entendre ce chant.
{Toutes les citations traduites le furent par nos soins.}
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