lundi 15 septembre 2008
J'avais promis de revenir en septembre.
J'ai à moitié dit la vérité, à moitié menti - malgré moi. Je fais rarement ce que je prévois. Du moins ai-je un sens du temps qui n'est pas celui du commun.
Le monstre de papier est mort, mais il remue encore. Il a bien failli avoir ma peau, ce salaud.
J'ai attendu une quinzaine de jours avant de revenir écrire ces quelques lignes, ces petits billets, ici, apprenant à écrire ailleurs...
Il ne faudra plus trop compter sur moi. Un peu, tout de même.
Je vais bien. Je suis hésitante comme un enfant qui apprend à marcher et s'étonne à moitié de ce prodige.
Je ne sais pas ce que me réservent les prochains mois, mais je sais que beaucoup de changements s'annoncent à l'horizon. J'ai décidé de prendre certains risques et de me donner les moyens de mes rêves les plus fous mais aussi d'être indulgente avec les plus sages.
Impossible n'existe pas... Je n'ai enfin plus un seul prétexte en réserve pour ne pas traverser le miroir.
Je risque de m'éloigner peu à peu des Roses de décembre (je ne les abandonne pas, toutefois), mais deux autres sites sont en construction : l'un lié à Barrie (un autre site que celui que vous connaissez, dédié à la Société), l'autre consacré à quelqu'un qui compte presque autant que Barrie dans ma vie... Un gentleman.
Je vous en informerai. J'espère que les jours auront plus de vingt-quatre heures.
Il est temps de tourner la page, afin de lire la suite, et surtout de l'écrire, noir sur blanc, blanc contre noir.
De plus, j'ai décidé de reprendre chacun des 919 et des poussières pétales, afin d'en éliminer toutes les imperfections, de les corriger en somme. En effet, j'ai relu dernièrement mes premiers billets et j'ai cru mourir de honte : j'y ai trouvé tout ce que je méprise hautement chez les autres (des facilités, des coquilles, des maladresses, du vide...). Bref, je n'aime plus mon JIACO., si je l'ai jamais aimé. Et c'est peut-être mieux ainsi.
De Barrie, il sera beaucoup question, plus tard, ici et ailleurs.
N'oubliez pas que la vie...

******


Je crois bien que peu de gens lisent encore Elizabeth Taylor (celle-ci) et encore moins Marie Corelli. Si la première est encore connue dans notre contrée, la seconde est assez peu citée en France. Je ne suis même pas certaine qu'il existe beaucoup de traductions dans notre langue de ses oeuvres.
Il y a quelques semaines ou quelques mois - j'ai perdu la notion du temps, après cet été frondeur et épuisant - que j'avais envie de parler de ce film d'Ozon, adapté d'un roman d'Elizabeth Taylor, qui met en scène une jeune femme écrivain, inspirée de la vie de Marie Corelli.
Au cinéma, le mélodrame eut ses maîtres incontestés, comme Douglas Sirk que j'aime infiniment (Carlotta nous avait offert un sublime coffret de quelques-uns de ses plus beaux films, agrémentés de bonus tout à fait époustouflants, que je vous recommande, 


et en prépare un second pour novembre) 




et Vincente Minnelli, pour ne citer que les deux plus grands, peut-être. Le mélodrame suppose une certaine flamboyance des sentiments, un brasier, un aimable taureau de Phalaris dans lequel sont plongés vivants les personnages principaux.

Ozon est un cinéaste qui m’a toujours fascinée, depuis son étrange Sitcom, aux accents pasoliniens. Certains de ses films furent un peu décevants mais, dans l’ensemble, c’est un cinéaste digne de ce nom, un cinéaste auquel je me suis attachée.
Mais la différence entre un Ozon et un Sirk, par exemple, c’est que le premier est ironique, à la limite du cynisme – limite, qu’il ne franchit pas vraiment, malgré des scènes grotesques, sinon le film serait tout à fait détestable -, tandis que le second œuvrait avec innocence mais intelligence dans ce genre, assumant ses conventions et sublimant, dans ce ferme élan d’honnêteté, le genre même. Douglas Sirk s'exprime parfaitement à ce sujet, comme à d'autres dans un livre d'entretiens : "Il faut faire de son mieux pour détester ça - et pour l'aime!"
Ozon est plus ou moins parodique, parce qu’il n’a pas, peut-être, complètement le courage que requiert le genre dans lequel ce film s’inscrit. Il a trop peur d’être mièvre pour oser, complètement, être mélodramatique. Et, si son film n’en demeure pas moins très beau, s’il contient des scènes bouleversantes, et ce malgré leur ton convenu (on sait par avance ce qui va se passer et comment – mais c’est aussi le propre du genre), il n’atteint pas la grandeur humaine de Todd Haynes, par exemple, dans Far from Heaven

lui aussi dans le sillage de Fassbinder, comme ce tout dernier se tenait dans la voie tracée, avec tant d'élégance, par Douglas Sirk.
Ozon, lui, demeure en retrait du génie d’un Fassbinder ou de la grandeur sincère et cruelle d’un Todd Haynes. Mais il est, cependant, intéressant, y compris dans ce genre qu'il pastiche un peu.

Angel nous narre l'histoire d'une jeune fille, une fin d'adolescente, qui rejette le milieu modeste (et la médiocrité du milieu) dans lequel elle est née, qui le méprise d'être trop étroit pour y loger tous ses vastes songes, toutes ses ambitions, et qui rêve d'un autre destin, rêve symbolisé par une vaste demeure, Paradise, devant laquelle elle se prosterne en pensée. Elle se promet, un jour, de conquérir la demeure. Elle s'invente une vie là-bas, une vie en laquelle elle croit et qui n'a rien d'un mensonge pour elle.
Angel écrit comme si sa vie tout entière en dépendait. Sans répit, sans patience, avec violence. Elle a la fièvre. Mais loin de la consumer, cette maladie d'écrire la fait exister intensément, à chaque instant. Elle est habitée par la démesure. Elle ne doute jamais qu'elle puisse échouer. C'est cette innocence, cette inconscience, la foi ardente qu'elle dépose en sa propre valeur qui lui permet de séduire un éditeur avec son premier roman. Elle refuse toutes les corrections suggérées, même les plus légitimes. Ce sera tout ou rien. Rien à voir avec ces écrivaillons qui sont prêts à n'importe quoi pour obtenir une publication, qui n'ont aucun sens de l'honneur... Elle a de l'audace à revendre et elle a raison. On ne mégote pas avec le destin. Et ce destin, c'est elle qui l'écrit. On n'est jamais si bien servi que par soi-même.
On ne peut qu'être subjugué par Angel ou bien, à l'instar de la femme de l'éditeur, fuir cette petite brute qui apprivoise le bonheur à coup de cravache et le fait valser devant elle. Angel a le sens de la mise en scène. C'est une arrogante que l'on ne peut s'empêcher d'admirer, jusque que le ridicule consommé dont elle fait preuve. Elle a décidé que la vie lui remboursera la honte, le déshonneur d'une naissance qu'elle juge indigne de sa trempe.
On reconnaît, en divers endroit, la théorie freudienne du "roman familial des névrosés", que Marthe Robert a exposée avec une grande intelligence dans son oeuvre célèbre. On pourrait d'ailleurs analyser le film , avec profit, à l'aune des réflexions de Marthe Robert. Mais ceci est une autre histoire que je ne vous conterai pas.

Les romans d'Angel ne sont pas de bons romans ; ce sont peut-être de bonnes histoires, des récits palpitants qui donnent soif et empêchent de dormir. Ce n'est pas si mal et Angel est honnête, dans la mesure où elle croit en ses histoires, où elle les nourrit de ses fantasmes, parfois naïfs, mais jamais petits.
Ces livres possèdent une passion qui fascine les foules, parce que les foules sont constituées par les faibles, par les gens qui ne possèdent aucun univers intérieur et qui sont prompts à adopter ceux des autres, pour peu que ceux-ci en proposent d'assez séduisants ou divertissants.
Et, bientôt, Angel devient célèbre, fatalement, et elle va rencontrer l'homme, l'image de l'homme qu'elle brodera sur son propre destin, lui faisant prendre la forme de l'histoire qu'elle est en train d'écrire, celle de sa vie.
L'homme élu est un peintre sans succès, dont l'art n'est qu'exigence, rétif à toute forme de séduction du public, à l'inverse d'Angel. Et la morale de ceci est celle, bien facile à deviner, que les gloires artistiques éclatantes sont souvent éphémères et que les artistes véritables, qui demeurent dans l'obscurité, travaillent pour la postérité, contre l'aveuglement du présent. Et l'on songe à Henry James... Angel est bouleversée comme ses héroïnes emportées par la passion, lorsque son regard devient amoureux. Le peintre, lui, sait mieux qu'Angel ce qu'elle est en elle-même. Il prononce cette vérité, à laquelle se soumet d'instinct Angel, sans la rationaliser : dans ses livres, elle ne communique qu'avec elle-même, pas avec le public, c'est là son secret. Et le public est avide d'entendre cette musique qu'elle crée pour elle-même, parce qu'il n'en possède pas lui-même de plus belle. Il s'approprie la sienne, s'y réchauffe, mais seul Angel s'y brûle sans s'y blesser, cependant. Du moins, dans l'immédiat.
Le temps passe et Angel a conquis son royaume: Paradise. Mais son mari la fuit, s'engage pour combattre au front, revient amputé et aigri. Il finira par se suicider et Angel deviendra une caricature d'elle-même. Elle vit l’instant de la démesure où l’on devient un peu laid, lorsque les traits du visage se mettent à bouger à contretemps du désir et de la peur.
Sa cour va rétrécir, lui demeureront fidèle sa belle-soeur, amoureuse d'elle, dévouée comme seul un amour non payé de retour peut l'être, et son éditeur, lui aussi amoureux d'Angel - ou peut-être de sa foi invincible en l'idée que l'on a la vie que l'on mérite. Angel, avant de mourir, découvrira que son bel amour perdu, davantage imaginé que vécu, entretenait une liaison avec l'ancienne propriétaire, déchue, de Paradise et que de cette union est né un enfant, qui ressemble terriblement à son père. L'enfant qu'elle avait, plus ou moins volontairement, refusé à son mari, écoeurée par la maternité, ne pouvant se résoudre à un enfantement réel, elle qui ne pouvait donner vie qu'à des livres, pressentant que ces deux créations ne peuvent se s'entrecroiser sans risque.

Le contraste entre l'épouse - à bout de souffle, presque délirante - et la maîtresse, douce, apaisée, une belle âme, est saisissant. Mais je ne peux m'empêcher de préférer le destin d'Angel, qui a tout perdu, mais qui a tout vécu, tout vu, tout aimé... Angel ne trouve rien à dire à cette femme. Le passé lui échappe, le présent aussi et il ne reste rien que la cendre des premiers songes en guise de futur. Angel se laisse mourir et la belle maison est abandonnée, recouverte avec un linceul de neige.
Malgré les faiblesses que je pourrais trouver à ce film, je n’ai aucune volonté, vous le comprenez, de m’y attarder, tant j’ai été emportée par le tourbillon du destin d’Angel.
En un mot, Angel incarne ma vision du monde : elle jouit et souffre plus que les autres et elle est vivante, même si elle vit davantage dans ses rêves que dans la réalité. Ses rêves sont le négatif de sa vie. Et le tirage n'est pas toujours à la hauteur du négatif, surtout à la fin, mais qu'importe si l'on peut vivre quelques instants réellement flamboyants ! Tant pis si on crève comme un chien ensuite.
Et même si la vie reprend tout à la fin, cela en vaut la peine, malgré tout. Sentir la morsure du réel, être pris de rage, mourir dans un orgasme.
Vivre. Vivre. Vivre. Hurler plutôt que chanter. Saigner plutôt qu’avoir simplement les larmes aux yeux.

[Toutes les captures d'écran extraites du DVD qui illustraient jadis ce billet ont été perdues et je n'ai pu les restaurer]
Dans les rôles principaux, se présentent à nous :


Andrew Crocker-Harris                              Michael Redgrave (admirable acteur)
Millicent Crocker-HarrisJean Kent
Frank HunterNigel Patrick
TaplowBrian Smith
GilbertRonald Howard
FrobisherWilfred Hyde White




Carlotta, excellent éditeur de DVD, nous offre une sublime occasion de découvrir (pour ma part) ou de redécouvrir un grand film anglais






réalisé en 1951 par Anthony Asquith, qui porta à l'écran Pygmalion de G. B. Shaw*, avant Cukor. [Cynthia Asquith, bien connue des barriens, était la femme du demi-frère d'Anthony Asquith, Herbert Asquith, tous deux fils de deux lits différents de Herbert Henry Asquith.]

Je suis redevable à mon amie Virginia de cette rencontre, n'ayant pas eu auparavant la curiosité de déployer davantage la filmographie d'Anthony Asquith.

Andrew Crocker-Harris, surnommé "le croulant" (jeu de mots fondé sur son nom) par ses élèves, est un professeur de langues mortes. Il me rappelle mon ancien professeur de Grec, une femme que je n'ai peut-être pas, à l'époque, assez comprise, et qui me semblait tout autant que lui inabordable. Pourtant, je crois avoir ressenti pleinement qu'il y avait quelque chose derrière la face qu'elle ne perdait jamais. Je l'ai entrevu à certains instants, en dépit des quolibets des autres enfants. Il y avait une parenté d'elle à moi, de moi à elle. Je le savais. Elle le savait probablement aussi bien que moi, mieux peut-être. Mais nous n'étions pas assez fortes, ni l'une ni l'autre, pour nous l'avouer. Je n'avais pas la générosité innocente de Taplow, dans ce film. Mais je savais , je crois, la gratuité, pourtant : avide d'offrir sans savoir comment, les mains ouvertes, faisant tomber mon offrande et la brisant.
L'homme est détesté de tous. Il n'essaie en aucun cas de se rendre aimable, affecté d'on ne sait quelle maladie de l'âme, en prise avec une maladie physique, plus évidente (le cœur, organe mythique, qui désigne tout à la fois le corps et l'esprit - le film étant construit sur cette dichotomie : lui étant tout esprit, créature éthérée en quête de vérités indicibles, de nourritures psychiques impondérables, esprit de finesse qui ne peut s'incarner, tandis que sa femme n'est qu'un corps avide de jouissance physique, une brute animale, qui n'éprouve que pour mieux ne pas ressentir), qui le contraint à une retraite forcée, à un autre poste, moins exigeant.On apprendra de lui, par la suite, ce que nous supposions d'emblée, sans pourtant se rendre compte du degré de sur-conscience de cet homme : cette attitude d'indifférence ou son incapacité à être touché par les autres n'est pas un choix, plus ou moins (in)conscient, mais un comportement adopté par nécessité, à défaut de pouvoir créer une persona plus aimable pour les autres. Au départ, il pensait que les autres tiraient de lui un certain divertissement et exagérait certains comportements, afin de montrer une face amusante, propice à l'imitation, à défaut d'être aimable. En effet, comment peut-on s'aimer, supposer que les autres puissent vous aimer, quand personne ne vous aime en premier, quand ce miracle n'advient pas, quand quelqu'un vous a ôté l'idée que vous êtes digne d'affection? Andrew Crocker-Harris donne le sentiment d'être maudit et damné, d'accepter cet état, non sans une profonde souffrance intérieure, mais qui ne se laisse pas deviner par le commun sous des dehors rigides, froids. Gestes et paroles articulés autour de la présupposition que son caractère est figé. L'homme fait vivre un caractère et offre le spectacle de quelqu'un qui n'habite pas ce caractère. Tout le monde dit qu'il n'est pas humain. Mais c'est, bien sûr, cette déclaration qui le rend tel et le crucifie.
La moquerie des élèves se transforma en dégoût, puis en haine pour certains, qui guettent les signes de sa déchéance physique, jusqu'à souhaiter qu'il s'effondre, mort, devant eux.


Le film est tiré d'une pièce de Terence Rattigan. J'ose dire que l'on sent la solidité de la pièce à travers le film, qui ne brille pas, au premier abord, par une mise en scène exceptionnelle, mais frappe, en revanche, immédiatement, par des dialogues secs, incisifs, gorgés de sous-entendus qui ne prennent tout leur sens que dans des séquences légèrement décalées. Et c'est là, dans cet infime retard de la conscience face à l'effet posé de la parole, que retentit en nous, à notre insu, le travail du cinéaste. Nous sommes pris au piège d'une réserve formelle, harmonieusement mise à l'unisson du caractère du héros.
Il me semble que le petit secret du film repose sur ce moyen discret. Nous sommes bouleversés et nous n'avons guère eu moyen de nous prémunir de cet assaut de l'émotion, comme c'est souvent le cas.
On le comprend peu à peu : la sobriété et l'effacement de tout ce qui pourrait nuire à l'éclosion du ressenti sert infiniment le propos ; le talent du cinéaste réside bien dans cette capacité à ne pas éblouir le regard du spectateur, pour mieux laisser filtrer jusqu'à lui ce rai de beauté qui sort des êtres - quand la perversité, la méchanceté, elles, s'exposent sans états d'âme, dans une lumière crue et violente, lumière qui sert de paravent à des états d'âme et de pensées terriblement subtiles. C'est alors que l'on est pénétré, d'abord lentement puis jusqu'à la suffocation, par la noblesse de la réalisation, par son élégance, par la discrétion des plans, par la caresse de la caméra et le choix des angles. Le propre d'une réalisation digne de ce nom est peut-être également de ne pas faire sentir sa présence, de se dévouer à ce qui la transcende, surtout lorsque l'objet est si fragile.
L'objet à filmer, à montrer autant qu'à faire ressentir, est un impalpable: le vacillement des êtres, d'un être en particulier. La vérité ou la force de ce film, au-delà de l'histoire en elle-même, réside dans cette réussite : rendre palpable les instants infinitésimaux de la conscience.
En vérité, à bien y regarder, les plans choisis par Asquith sont habiles : le héros est vu de profil, de dos, donnant la sensation qu'il est insaisissable, ce qui rend les scènes où on le voit de face plus intenses. On lit sur les visages une émotion qui s'épanouit en même temps dans les âmes, dont nous prenons presque conscience avant même les intéressés. Il y a quelque chose d'assez prodigieux à nous suggérer le sentiment, l'évolution intérieure du personnage, avant même qu'il ne l'accepte lui-même.
Les deux ressorts du film sont la notion du temps (le héros, l'homme qui n'est plus qu'une ombre - quand tant d'autres personnages n'en possèdent point et je songe à son épouse en écrivant ces mots, qui est brutalement là, dans sa vérité meurtrière, sans arrière-pensées, enveloppée dans sa franchise cruelle - est obsédé par les signes physiques du temps : horloge, montre, cloches qui marquent le rythme mécanique sur lequel il modèle sa temporalité, puisque vidé de toute dimension existentielle, de projection dans le futur...) et la pièce d'Eschyle, Agamemnon, qui sert de miroir au héros, à la différence près que ce dernier est seulement mort dans son âme.
A plusieurs reprises, son assassin, sa Clytemnestre de femme, dit qu'il est déjà mort, que rien ne peut plus lui advenir. En effet, il semble ne plus rien ressentir. Il est un automate. Mais l'hibernation - puiqu'il ne s'agit que de cela - de cet homme grisâtre n'est qu'un sommeil, dont un seul geste de compréhension véritable et de pitié pourrait le tirer.
Or, en attendant ce presque impossible, c'est le règne de la femme qui le tue à petit feu, chaque jour. La cruauté de cette femme pitoyable, qui n'inspire qu'un mépris haineux - je l'éprouve ainsi - est le parangon de la cruauté, de l'absence totale de compassion, de sympathie au sens le plus faible de ce mot. Certes, ses failles sont visibles à l'œil nu, son aigreur, ses ambitions déçues et son incapacité à ressentir, pourraient nous toucher, mais jamais cela n'est permis, car elle commet un acte, qui la perd à jamais à nos yeux.
Un acte simple, brutal, mais qui arrache en nous toute capacité à pouvoir la comprendre, à se mettre à sa place précisément. Elle ôte à son mari l'espoir d'être aimé par un de ses élèves, qui vient lui offrir une traduction d'Eschyle par le grand poète Browning, déclarant que ce dernier le fait par intérêt, afin de passer dans la classe supérieure.
L'amant de sa femme, collègue de Crocker-Harris, dégoûté par son acte la bannit à jamais de son existence et va s'employer à sauver le professeur de langues anciennes, malgré lui, le contraignant à la reddition de son ancienne persona, qui s'est déjà déchirée, lorsqu'il a sangloté face à ce jeune garçon qui lui offre un cadeau d'adieu, le seul être qui lui manifeste un sentiment, qui soit banalement mais miraculeusement humain, tandis que tous les autres se réjouissent de son départ et même de sa mort possible. Taplow est le seul élève qui exprime une forme inférieure d'humanité, d'abord de la politesse, qui se transforme en compassion, puis en admiration lorsqu'il découvre la traduction vivante et moderne (ancrée dans sa temporalité et non plus figée dans des temps immémoriaux) de l'ancienne tragédie d'Eschyle réalisée, autrefois, par son professeur. Le titre du film fait, en effet, référence à la traduction par Robert Browning de la tragédie d'Eschyle, Agamemnon. Je ne la connaissais pas et je me suis mise à la lire, après avoir vu ce film, hier. [Après tout, les tragédies grecques, c'est un peu mon domaine de compétence, du moins l'un d'entre eux, puisque je ne suis à jamais qu'une dilettante... ]
Le professeur avait, dans sa jeunesse de professeur, commencé une traduction moderne du chef-d'œuvre d'Eschyle, il y a bien des années de cela, sans pouvoir l'achever. Les raisons de cet inachèvement ne sont pas claires. Mais l'on peut penser que ce premier échec par démission est le début de cet endormissement et de cet enfouissement de son humanité dans une persona froide et, apparemment, vide. Cette impuissance créative est corrélative de son impuissance physique, qui est le motif suggéré de la haine de la femme à l'égard de son mari et aussi justifie l'acceptation de cette vie matrimoniale exsangue par Crocker-Harris. Il se sent coupable et pense mériter le mépris de sa femme.
On peut aussi songer que ce titre fait référence à la vision de l'histoire (du monde) différente de Browning et non pas simplement à une traduction / adaptation. De même, dans sa traduction avortée, Crocker-Harris faisait vivre un autre Agamemnon, un autre lui-même peut-être. Il ne s'agit pas simplement de voyager d'une langue à l'autre. Il s'agit de prendre et de donner quelque chose d'autre.
Une traduction est une partition, entre soi et celui que l'on traduit. Partition à quatre mains, où l'un se tait quand l'autre parle. Pour moi, la seule traduction possible est celle qui permet de trouver un chemin, qui passe par le traducteur, jusqu'à l'auteur dont on s'approprie tout, mais auquel on doit rendre le meilleur de soi.
Il en est de même des relations profondes entre les êtres, à certains égards.




***


Le discours d'adieu du professeur à ses élèves : Cf. cette page.



*Carlotta nous fait bénéficier d'une édition de ce film en zone 2, précédé dans cette démarche par un autre éditeur qui n'avait certainement pas pris soin de restaurer ce film.


[Toutes les captures d'écran extraites du DVD qui illustraient jadis ce billet ont été perdues et je n'ai pu les restaurer]
Aujourd'hui, c'est la sortie nationale du nouvel album de Julien Clerc. Mon Amour de mari me l'a apporté ce midi. Nous l'attendions tous les deux et j'aurai la primeur de l'écoute.

Je suis présentement en train de lui accorder toute mon attention et je fais couler dans mes oreilles ses belles mélodies, des petites choses sans importance, mais qui, finalement, comptent souvent plus que de grandes choses. Le bonheur, c'est aussi la capacité de se refléter dans une étincelle de joie, un rien, un filament de comète.
Tout l'art mineur, mais essentiel et plus compliqué qu'il n'y paraît, de la chanson, de la variété, Julien Clerc le possède depuis toujours.
Comme souvent, une nouvelle plume sur cet album, à qui l'on doit une certaine jupe en laine.
Clerc

A noter la présence d'une chanson également présente sur le dernier album de Carla Bruni,("Déranger les pierres") que j'aime beaucoup. N'en déplaise à certains.

"... d'un petit mouvement d'épaule...
elle chasse un fantôme..."
Je rappelle aux éditeurs ou à toute autre personne qu'il est inutile d'essayer de venir poster sur mon JIACO des commentaires anonymes, sous l'apparence de commentaires anodins de lecteurs lambda, afin de venir s'étonner ici que je ne parle pas d'un livre dont je serais censée parler - par exemple un livre ayant trait à J. M. Barrie... Ici, je fais la loi ; je suis le shérif. Je n'ai aucun scrupule à effacer ce que je n'ai simplement pas envie de mettre au jour. Je ne publie pas les commentaires que je soupçonne de malhonnêteté ou d'intérêt mal placé. Je ne publie d'ailleurs que les commentaires qui m'agréent. Je déteste la flatterie, surtout lorsqu'elle fait montre de si peu d'habileté et, précisément, ne flatte pas assez le peu d'intelligence qui me reste peut-être. Ici, je partage plus volontiers mes délices que ma bile. Tout ce qui a trait à Barrie, je l'évoque sur son site, à un moment ou à un autre. En vérité, je fais rarement de la publicité - puisque parler en mal de quelque chose est toujours en parler - pour ce qui me déplaît. Cela m'arrive, certes, mais en ce qui concerne Barrie, je préfère maîtriser ma colère, car celle-ci a , hélas, beaucoup d'occasions où s'exprimer. Et, en l'occurrence, je ne vanterai pas une réédition opportuniste de la part d'un éditeur qui ne connaît absolument pas son sujet, un éditeur qui m'a demandé des documents pour illustrer son ouvrage et à qui je n'ai rien envoyé, en découvrant que son intérêt pour Barrie n'était que mercantile. Ceci à qui se reconnaîtra.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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