dimanche 23 août 2015
Libellés :bêtise,Jacques Brel,vivre
samedi 22 août 2015
« Qu’ils
vous aiment ou qu’ils vous haïssent, qu’ils lisent ou méprisent vos écrits, il
n’importe : dites ce qui est vrai, faites ce qui est bien ; ce qui importe à
l’homme est de remplir ses devoirs sur la terre, et c’est en s’oubliant qu’on
travaille pour soi. Mon enfant, l’intérêt particulier nous trompe ; il n’y a
que l’espoir du juste qui ne trompe pas. » (Jean-Jacques Rousseau)
***
La pudeur est
le déshabillé amidonné de la honte. La honte, elle, se boit à petites gorgées
et, lorsque la source est tarie, elle ne se renouvelle jamais ; la honte fut
peut-être le dernier bastion de la conscience occidentale. Pudeur et Honte
étaient jadis une armure, un bouclier, nous préservant de l’exhibition du
pire en l’homme. Las ! Plus rien de tel en 2015 ! Puis la conscience
nue a fini, elle aussi, par mourir – faute de vêture. L’homme d'aujourd’hui,
parfois désemparé, souvent hypnotisé, est un être entièrement dévoilé et il
mourrait d’effroi, peut-être, s’il devait, un jour, se regarder en face et se
rendre compte de tout ce qu'il a perdu par manque de courage – et de foi.
« Pornographique »
me semble être le meilleur mot pour définir l’état actuel de notre monde. Rien
de plus éloquent ni de plus précis ne me vient à l’esprit. Cette antienne,
cette complainte intérieure sont les miennes, lorsque, bien malgré moi, je
tends l’oreille et ouvre l’œil sur le monde. Avec la meilleure volonté du
monde, je suis incapable de me convaincre que nous n’allons pas vers le pire,
que nous ne sommes pas conduits par un sort, dont rien ne pourra plus nous
sauver, un sort que nous avons même appelé de nos vœux par pure paresse ;
oui, il y a matière à renoncer, et ce, même si je m’échine, chaque jour, à
sauver mon petit arpent de bonheur. Oui, tout a commencé par une sensation
d’étouffement, de plus en plus précise et douloureuse : une atmosphère
pornographique permanente s’infiltrait dans les moindres recoins du discours et
du paysage – extérieur ou mental –, pour se révéler à l’analyse comme le
symptôme ou l’expression la plus éclatante de notre irrémissible décadence. La
décadence de la France et, plus généralement, de l’Europe. Un pourrissement
généralisé.
Je ne songe
même pas à l’ « art » contemporain qui s’exhibe, par exemple,
sous forme de godemichés pour sodomites ou
de vagin géant, exposés dans des lieux symboliques, tout cela par haine de tout
ce qui s’est fait de grand ou de beau dans notre pays, car il s’agit bien de la
haine du beau, mais aussi, pour certains, de la haine de la France, de ses
traditions, de son passé. De même qu’il existe une haine de notre histoire –
réécrite dans les manuels scolaires et expiée avec une repentance onctueuse,
voire une complaisance masochiste par le genre politique –, il existe également
une haine éclatante de notre langue. Celle-ci est constamment brutalisée par le
Français moyen, dans les replis de l’obscure province ou par celui, en
apparence plus raffiné, qui prend ses quartiers boulevard Saint-Germain. Je
suis charitable : je n’évoque pas les bêtes politiques ni les journalistes.
Lorsque j’entends (ou lis !) : « Il n’y a pas de souci » ou « c’est
juste pas possible,
c’est juste incroyable », j’ai des envies
de meurtre, voire de raffinée torture, à l’endroit de ceux qui sont assez
faibles et/ou désinvoltes pour être la cible consentante de ces épidémies
langagières. Voilà, sans aucun doute, une imbécile contamination qui relève
autant de l’effet de mode, emportant par vagues l’esprit déjà peu solide,
enivré soudain du sentiment si rassurant d’appartenir à la masse et de se fondre en elle !
Une épidémie chassant l’autre, nous aurons bientôt droit à un nouvel affront,
mais l’habitude et la paresse à réagir entérineront, une fois pour toutes, le
mauvais usage. Nous consentons à abâtardir notre langue, donc nous livrons
notre pensée à ses pires ennemis et nous nous délivrons, dans le même temps, de
toute responsabilité. Avec la pudeur et la honte ont aussi disparu l’effort de
penser et la force de réagir. Nous avons un État qui pense à notre place et pourvoit à
nos besoins les plus vils. Nous ne sommes plus des hommes et des femmes, il y a
bien longtemps que nous avons mis notre âme au clou ; nous ne sommes plus
que des consommateurs – des jouisseurs de l’immédiat. Et nous nous laissons déposséder de notre arme la plus puissante : le savoir et la culture. Pourquoi le gouvernement actuel, épigone des précédents (désormais, on touche malgré tout le fond), enterre-t-il définitivement le grec, le latin et l'allemand ?
Dès que je
suis confrontée à ces offenses, je songe d’emblée à mon Enfance et à ses séquelles.
Les oreilles me chauffent, tandis le rouge me monte aux joues et au front. Le
patois berrichon et le langage si vert qui m’ont servi de berceau me semblent
encore avoir plus de santé et de beauté que le langage dans lequel nous baignons,
en 2015. J’ai appris à lire toute seule, en secret, pendant la dernière année
de maternelle, dans un milieu (vous verrez, il n’est question que de cela, de
milieu) où il était tacitement interdit de posséder ou d’ouvrir un livre. J'ai passé la première partie de mon existence auprès de personnes qui savaient à grand-peine lire et auraient été incapables d'écrire une
phrase dans le respect de leur langue maternelle. Pourtant, de respect, jusqu'à la négation d'eux-mêmes, ils débordaient. Ma grand-mère avait
quitté l’école à onze ans et quatre mois pour aller récurer les fonds de
culottes sales de jeunes demoiselles mieux loties qu’elle. Ma grand-mère était
une fragile âme au sein d’une fratrie de onze et, l’aînée ayant déshonoré la
famille en déposant sur le seuil du foyer un bébé sans père, elle dut quitter
la maison pour faire place à cette nouvelle bouche à nourrir. Mon grand-père
avait eu une autre histoire (une mère qui le rejetait), mais les conséquences
furent identiques : au turbin, dans les champs, à douze ans. Ce n’était
pas extraordinaire pour des hommes et des femmes nés en 1916 et 1917. Chez ces
gens-là, dans mon Berry natal, l’écrit suscitait à la fois défiance et respect.
Les lettres étaient réservées aux riches et ces derniers étaient moins haïs
qu’admirés, aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui.
L’instruction était une possession à laquelle ils n’auraient pas osé prétendre
de front, fuyant d'instinct le péché d’orgueil et le reproche le plus terrible
qui soit, celui adressé par le maître – ne pas savoir rester à sa place. Une
hybris de l’époque et du milieu, où le respect mêlé de crainte faisait office
de sagesse ordinaire. Ce sort échu à la naissance, il ne leur serait pas venu à
l’idée de le combattre ou de le maudire. Peut-être convoitaient-ils une autre
vie, mais en secret, et ce secret était leur unique fierté et leur trésor le
plus beau. Ils ne l'auraient montré à personne d'autre. Réfléchir à sa condition ou se lamenter, il n’en était pas question.
On marchait jusqu’à la tombe, dans le sillon déjà creusé, et on s’y couchait
assez tranquillement. Lorsque l’on devait, chaque jour, gagner son pain et ne
compter que sur soi, il fallait travailler dur, à l’âge où il aurait mieux
convenu de dorloter encore un peu contre soi une fine enfance, si grise et
triste fût-elle. Ces gens-là n’avaient pas d’états d’âme ni le loisir de
penser, mais je prétends qu’à certains égards ils valaient mille fois mieux que
nous. Mes grands-parents brûlaient de la honte de ne
pas en savoir davantage et cachaient leurs fautes d’orthographe et leur
inculture, sans pour autant avoir l’audace de se croire capables de mieux. La
honte et la pudeur les entravaient, certes, mais les préservaient également de
bien des maux. La dignité, la vraie dignité, c’était cela (une honnêteté, une morale de
pauvre), et non pas celle avec laquelle, à présent, on se frotte la langue et
les dents à longueur de journée pour qualifier, par exemple, le trépas annoncé
(souhaité !) de tel ou tel individu, parce qu’il ne sert plus à la société
– vieille pièce cassée, indigne ! Mourir dans la dignité ! Comme si
nos peuples éprouvaient encore le sens de ce mot !
Ayant vécu
dans ce milieu sans livres, sans culture, sans autre horizon que Châteauroux
(je n’ai pas quitté une seule journée ma ville natale avant d'atteindre mes 19
ans), ayant pour idéal (celui de ma grand-mère), une carrière dans les lettres
(postière), j’ai tout appris seule, donc fort mal. J’allais à l’école quatre
jours sur cinq. Je rédigeais mes mots d’absence moi-même et ma grand-mère les
recopiait dans le carnet, en s’appliquant, en suant ce qu’il faut. Les jours
glaireux, quand le cafard l'empoignait, elle préférait que je restasse avec elle,
pour lui passer l’envie de se tuer, disait-elle. Je la distrayais et j’étais
son « bâton de vieillesse ». Elle m’avait recueillie pour cette raison et je
trouvais cela parfaitement normal. Dans ces conditions, vous imaginez bien que
je n’ai pas reçu tout l’enseignement que j’aurais pu espérer. Mon professeur de
philosophie, en classe de terminale, avait trouvé pour moi plusieurs places en
hypokhâgne ; je suis restée à Châteauroux pour soigner le cancer de ma
vieille et, après sa mort, pour d’autres raisons, je ne suis pas partie. J’ai
fait des études par correspondance jusqu’à obtenir une maîtrise de
philosophie (on ne parlait pas encore, avec la pompe et le ridicule qui siéent
à notre époque, de « master »). Ensuite, j’ai assez peu mis les
pieds à la Sorbonne, car j’ai rapidement compris dans quel bois pourri
étaient taillés la plupart des professeurs. Le « meilleur » d'entre eux, l'un de mes directeurs de thèse, était
un léniniste convaincu, adepte des implants capillaires, qui se plaignait de
trop travailler – quelques heures par semaine, faisant d’ailleurs lire les
thèses qu'il était chargé de diriger par un « doctorant »... – et de ne pas
être assez payé – 6000 euros par mois ; mais je suis allée au bout d’une
promesse : un doctorat en philosophie. Je ne regrette pas une seconde
d’avoir étudié sans rigueur, en dilettante, passant d’un auteur à l’autre, en
fonction de mes goûts et de mon instinct plutôt que selon un plan d’attaque
rationnel et déterminé par autrui. Je suis, de toute façon, inapte à tout ce
qui ressemble à une contrainte extérieure. J’ai étudié seule, j’ai obtenu tous mes inutiles diplômes sans autres mentors que mon mari et ma juvénile inspiration, puis j’ai grandi à la va-comme-je-te-pousse. Mais je suis en retard de ces dix-neuf premières années et j’aurai beau travailler dur et y mettre tout mon cœur, mon
français ne sera jamais parfait – ainsi que le prouve très certainement ce
billet – et mes connaissances seront toujours lacunaires. Mais jamais on ne me
prendra en défaut de m’en moquer ou de me dire que j’ai fait assez bien ou bien
assez. Non. La petite fille qui se lavait et faisait ses devoirs en cachette,
pour ne point « user l’eau et la lumière », le soir tard, lorsque ses vieux
grands-parents dormaient, existe toujours, ne serait-ce que pour me rappeler ces choses essentielles ayant le goût prononcé du jadis ; elle ne
permettrait pas ce sommeil de ma conscience.
Ce long détour
par mon passé pour dire ma révolte et mon dégoût du climat actuel, et pour
expliquer ce que d’aucuns considèrent parfois comme un mépris de ma part, quand
ce n’est que l’expression d’une lente agonie en moi, la mort au ralenti d’un
espoir : celui du meilleur en chacun. Voilà pourquoi j’ai envie de cogner
sur ceux que je surprends à perdre leur temps à ingurgiter de la merde, sous
forme de livres ou de produits dits « culturels ». Je ne peux pas
accepter que l’on préfère lire Tatiana de Mon Cul (qui écrit comme un
pied gangrené et se fait lécher le trou de balle par d’apprentis
écrivains en quête de publication et de pseudo-journalistes ou libraires, qui
ne s’insurgent même pas lorsque la dame confond Charlotte et Emily Brontë, pas plus qu'ils ne relèvent la liste d’erreurs énormes dont elle gratifie, à
titre ornemental, son étron consacré à Daphné du Maurier !), Gavlada,
Rangot, Monthomb ou encore Moussi à Tolstoï (pas dans une version abrégée, comme certaines se
vantent de l’avoir lu, sans la moindre honte), Eschyle ou Shakespeare. Je n'accepte pas davantage cette jouissance décomplexée devant
des programmes télévisés ineptes ou des films débiles. Non, je n’accepte pas,
sachant la durée très courte d’une vie humaine, que l’on perde son temps de la
sorte, alors que le meilleur est disponible, et ce, presque gratuitement. Si
j’avais eu un accès à internet, enfant, ou encore la liberté d’aller à la
bibliothèque, j’aurais saisi toutes ces chances ! Bien sûr, on me dira que
ma seule chance, par une royale ironie, fut ce milieu nu et rude et que, si
j’avais été autrement gâtée, je serais peut-être pire que les inspirateurs, bien malgré eux, de ces lignes. Je ne le crois pas, cependant, parce que, comme tout un chacun, je
ressens en moi l’appel du vide, du mal, et y succombe parfois, mais ma
conscience me ramène toujours à la surface pour reprendre souffle et vie. Et
chacun de nous, je le crois, possède pareille conscience… C'est ce qui nous
rend dignes de vivre et d'agir.
Mais…
La
pornographie, voilà donc la maladie dont nous sommes tous victimes. Non, je ne
pense même pas au téton insolent ou à la petite culotte d’une actrice aussi
dépourvue de talent que d’intelligence, lors de la montée des marches à Cannes,
sous le regard voyeur et crépitant de la presse. Je ne parle même pas des
hystériques sans un gramme de cervelle qui exhibent leurs seins tristes dans
les églises, allant jusqu’à y mimer des avortements, avec du foie de veau, au
nom de la liberté de la femme, prétendant agir contre le pouvoir asservissant
de l’Église. Qui les finance ? La réponse à la question est
probablement savoureuse. Le féminisme de cette salope de Beauvoir à la perverse
Butler, relayée par des pseudo-journalistes à tête de fouine et au sourire en
lame de rasoir (madame Fourrée, par exemple), m’a toujours filé la nausée et a
donné raison, a posteriori, aux misogynes. Elles m’inspirent de la pitié et du
mépris, ces bonnes femmes, mais davantage de mépris. Je les mets toutes dans le
même sac de merde. Et que personne ne me dise que je n’ai rien compris, par
exemple, à l'idéologie du genre ! S’il faut souiller une église, autre est
l’acte flamboyant et désespéré d’un Dominique Venner (Un Samouraï d’Occident,
Pierre-Guillaume de Roux), que je ne peux m’empêcher d’admirer, bien que je
n’aie certes pas l’âme d’un martyre…
Je n’évoquerai
pas plus, dans le détail, cette exhibition permanente du pire comme allant de
soi, s’étalant à longueur de journée sur internet – qui est,
probablement, l’invention du diable, tant il a permis et permet la diffusion de
la bêtise – autre maladie fort contagieuse –, et de la méchanceté, souvent sous couvert d'anonymat. Internet est bien sûr pornographique, quand il pourrait
être une invention aussi merveilleuse que l’imprimerie. La télévision était
déjà un instrument redoutable pour l’abrutissement et l’asservissement du petit
peuple, qui a bien ce qu’il mérite, ma foi, tant il est consentant. Mais
internet, c’est vraiment l’infini et l’explosion du pire et, accessoirement, la
mort de la langue française. Tout est donc pornographique, de nos jours ! La
pornographie au service de la destruction de notre civilisation et comme
conséquence de son délitement. Le serpent se mord la queue. On ne sait plus
très bien distinguer les causes et les conséquences. Nous sommes en pleine
confusion. Nous sommes au bordel.
Il suffirait,
néanmoins, de peu pour qu’il en fût autrement : du courage et de la joie.
Une pleine conscience. En effet, le remède est présent au cœur du mal
généralisé. La majorité est embrigadée, mais la majorité n’est faite que de
volontés individuelles qui pourraient se libérer de l’hypnose dans laquelle
elles sont plongées, mais elles ne le veulent pas. « Peut-être est-ce le
remède à leur mal de vivre, il faut bien se distraire après une longue journée... », affirmera une bonne âme, encline à la
tolérance, mais qui a déjà pactisé avec les forces du mal. La tolérance est,
aujourd’hui, l’autre nom de la lâcheté et du vide. Celui qui tolère tout ne
possède aucune valeur, aucun idéal, il lui est donc facile de consentir.
Je disais
récemment à l'une de mes amies intimes que la seule pensée qui ne me quitte
jamais est celle de la mort. Ce n’est même plus une pensée, c’est une aura
brûlante qui me ceint tout entière. N'allez pas déduire de cette déclaration
brutale que je sois une créature maussade ou dépressive. Ceux qui me
connaissent savent bien que c'est (sauf circonstance dramatique) tout le
contraire. Penser la fin, le néant, la gueule noire vers laquelle je m’avance
en sautillant ou avec ce qui me reste d’élan et d’enfance m’exhorte à vivre. Je
me sens en incandescence et ne me sens vivante que dans cet état d’extase ou de
combustion intérieure. C'est parce que je vis dans la pleine conscience de
cette réalité que je chéris, autant que faire se peut, le présent. Réaction
implacablement logique, puisque je le perçois si miraculeux et fragile. Très petite, dès l’instant où j'ai
découvert l'effroyable secret que l'on cèle aux enfants (je n'agis pas de la
sorte avec ma fille), à partir de ce moment où me fut révélée ma mortalité, le
sentiment de faire la course avec la mort (je la personnifie toujours, même si
elle change de traits d'une heure ou d'un jour à l'autre) ne m’a jamais
quittée, me sachant d'avance vaincue, mais aimant la course plus que de
raison, car consciente que l'essence de la vie est ce mouvement tragique et
joyeux. On meurt, si l’on s'arrête. Il ne faut pas tenir compte des points de
côté. Je suis dans la course, mais, voilà, il est facile de perdre son
enthousiasme, en 2015, parmi toute cette clique d’éteigneurs de consciences et
d’esprits qui ont en main les rênes du pouvoir politique et médiatique. Vraiment, il
faut le dire, rien ne me dégoûte plus que cette « pensée » politique
qui s’affirme du côté des faibles, de la morale (pour le dire vite) et qui, en
vérité, châtre les forces vives de la nation, dans des buts inavouables, pour
son propre profit. Tout fonctionne par réseaux, par centres concentriques. Il
n’y a pas de complot. L’essence qui fait tourner la machine, c’est la bêtise de
chacun de nous et notre paresse.
Mon époque me
dégoûte et je me sens lointaine, en exil du Jadis, même si je sais bien que notre devoir n'est pas de regretter le passé, mais d'inventer un avenir. Je ne reconnais même plus
mon pays, celui de mon enfance. Il ne s’agit pas de la nostalgie propre à un
certain temps de la vie ni de l’illusion du « c’était mieux avant ».
Non. Pour la première fois, comme beaucoup de Français, je le crois, j'éprouve
un sentiment de « liquidation totale avant fermeture définitive ». Un immense
mépris et une nausée permanente inspirés par les politiques – tous ! – et
les journalistes me submergent parfois. Tous, oui, ils sont complices et coupables de
la faillite morale et intellectuelle de notre civilisation. Et nous aussi, en
nous soumettant comme nous l’avons fait et le faisons. J’ose le désormais gros
mot « civilisation » ! Nous n’avions déjà plus le droit d’employer le
mot « race »… Lorsque l’on accuse et rend coupables les mots de tous
les maux, cela signifie que l’on est impuissants à penser le monde et, ensuite,
à lutter pour certains idéaux. Je sais que ce n’est pas tellement plus réjouissant
ailleurs, en Europe, mais je pensais que mon pays serait plus résistant.
Quand un pays
n’a plus de valeurs, dès lors que la morale de l’homme ordinaire, raisonnable,
au cœur simple, mais porteur du juste, est perçue comme une insulte, il n’est
guère étonnant que les pires intégrismes (la barbarie dont se gargarisent ceux
qui, pourtant, célèbrent la Révolution française comme un grand moment de
l’Histoire ou se réclament du communisme, qui fut probablement
l’idéologie la plus meurtrière au monde) se fraient un chemin dans l’esprit de
personnes en quête de repères – aujourd'hui inexistants. Le terreau est
favorable.
Tout est
permis, donc tout est, sans la moindre distinction, désirable et admissible, et
ce, je le répète, sans hiérarchie aucune. Le problème est bien là :
l’égalisation et l’indifférenciation massives, dans tous les domaines. À cela
on ajoutera le renversement des valeurs : l’injuste devient le
juste ; la morale chrétienne (et plus universelle qu’ils ne semblent le
croire) d’hier, l’immonde bête qu’il faut mettre à mort. Il n’est même plus de
genre féminin ou masculin, sinon dans l’affirmation paritaire qui ajoute un
« e » à des mots qui s’en seraient bien passés, allant à l’encontre
de la logique de la langue. Je me rappelle d’une connasse qui avait assistée à
ma soutenance de thèse et qui m’avait déclaré qu’à présent je pourrais écrire
« docteure »sur mes cartes de visite. Face à mon indignation et au
mépris que j’affichai alors (babines retroussées, prête à la mettre en pièce),
elle me rétorqua que je trahissais la cause des femmes, que je devrais avoir
honte, etc. J’ai manqué de la cogner.
Confusion
généralisée, orchestrée… Tout est prétendument une construction sociale,
intellectuelle… alors… déconstruisons, déconstruisons… et assemblons tout et
n’importe quoi… Nous, les Occidentaux, sommes des décadents, des monstres, et
nous paierons le prix fort, car tout est lié en ce monde : le beau, le bon
et le juste ; l’amour de son pays, de ses traditions, de son histoire et
de sa langue.
Point besoin
de religion ou de directeurs de conscience, ou encore de prescriptions
républicaines (le mot « république » me porte sur le cœur, lorsqu’il
sort de la bouche des politiques – de même « laïcité »). Il suffit
d’écouter sa voix intérieure. Voyez-vous, je suis une fille très simple. Nous
avons le sens du bien et du mal inscrit en nous. De cela, je suis certaine. En
cela, je me sens, pour une fois, plus proche du Rousseau de « La Profession
de foi du vicaire savoyard » (in Émile,
IV) que de Nietzsche. Je ne dis pas ce que je sais, tel qu’un philosophe le
ferait, mais ce que je crois et ressens en tant qu’ « individu sans
importance collective ».
« Conscience !
conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un
être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et
du mal, qui rend l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de
sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui
m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en
erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe. »
Lorsque l’on
considère que l’avortement, l’euthanasie, les mères porteuses ou le don de
sperme sont des choix indiscutables et que le fait de s’y opposer ou de
souligner les graves problèmes moraux que de tels actes entraînent relève, aux
yeux de l'opinion majoritaire, d’une arriération mentale, de l’intolérance ou
de prescriptions religieuses dépassées, lorsque l’on valorise même la
marchandisation du corps, de l’être humain et que l’on réfute, toute notion de
sacré, sous couvert de « progrès », il n’y a plus rien à dire, sinon
on vous accusera d’être un intégriste (catholique, de préférence), un raciste,
un fasciste – un ennemi en somme. L’accusation est portée de telle sorte que
tout ce que vous direz sera, quoi que vous fassiez, quelle que soit votre finesse dans les nuances, une preuve retenue contre vous. Pour ma part,
j’ai toujours considéré que rejeter ou barguigner la vie était, in fine, une
manière de se haïr soi-même à travers tous les autres et une volonté de
toute-puissance qui fricote dangereusement avec le délire. Nous sommes dans une
société pornographique, avec un idéal eugénique en ligne d’horizon. Il faut
l’avouer, le crier haut et fort, et, si possible, refuser cela. Le silence est
coupable.
Une société
sans grabataires, sans handicapés, sans trisomie 21 n’est pas, en ce qui me
concerne, mon idéal. J’ai été révulsée, dans l’attente de ma fille, que l’on
veuille m’imposer un test de dépistage de la trisomie. J’ai été choquée
d’apprendre, il y a quelques années, que l'on forçait plus ou moins la main aux
femmes pour leur faire subir une amniocentèse, afin de s’assurer, au moindre
risque (risque moins élevé que celui de faire une fausse couche et de perdre un
enfant sain, suite à cet examen), qu’elles n’aient pas un enfant
« anormal ». Combien de femmes ont eu, ont le courage et
l’intelligence de refuser ce dépistage ? Si vous attendez un trisomique,
on vous enjoint d’avorter. On déclarera que c’est votre DEVOIR de le faire et
vous le croirez, probablement, en toute bonne foi, ou par paresse (celle de la
pensée, la même qui vous incite à allumer votre téléviseur ou votre ordinateur
au lieu de lire Kant ou Dickens). « Voulez-vous, imposer une vie indigne à
un être humain ? » On veut de la dignité, on ne veut que cela – de la
naissance à la mort –, dans notre société pornographique, eugénique et
dépourvue de morale. On vous poussera gentiment dans le dos, on dira « I.
M. G. » par pudeur ! Les acronymes sont neutres et propres. On ne
parle plus d’avortement depuis longtemps, mais d’I. V. G. et on le présente
comme une avancée majeure pour La Femme. Si je ne nie pas du tout qu’il puisse
y avoir, de mon point de vue, des avortements « raisonnés » ou
« pardonnables » (viol, risque pour la mère, impossibilité
psychologique d’avoir un enfant…) et si je ne condamne pas ce choix
individuellement (qui serais-je pour le faire ?), je suis indignée lorsque
l’on en parle comme d’un droit fondamental ou d’un progrès pour l’humanité,
d’un droit qui ne mérite aucune discussion. Ce qui me gêne, vous le comprendrez
peut-être, est moins l’acte que sa banalisation et son extension. Étant
moi-même rescapée d’un avortement, il se peut que je ne sois pas très objective…
La prostituée, qui m’a donné, bien malgré
elle, la vie et m'a abandonnée à la naissance, avait déjà avorté plusieurs fois et, croyez-le ou non, sans le
moindre état d’âme. Après ma naissance, elle a même recommencé plusieurs fois.
Je ne dois de ne pas avoir fini dans la cuvette des chiottes qu’à un miraculeux
hasard. Son cas n’est pas extraordinaire. Il existe un certain pourcentage de
femmes agissant de la sorte, sans la moindre réflexion. La réponse ordinaire est que toutes les femmes souffrent de se
faire avorter, comme si leur souffrance justifiait A PRIORI l’acte ! Pour
certaines, c’est le cas et elles ne s’en remettent peut-être jamais – ce qui
tendrait à prouver que leur choix était mauvais. D’autres sont incapables
d’accéder à cette conscience qui leur permettrait peut-être de racheter le
crime qu’elles commettent autant contre elles-mêmes (d’abord contre
elles-mêmes, il faut le souligner) que contre l’humanité. Que l'on n'aille pas
me dire qu'avant des femmes perdaient la vie aux mains de « faiseuses
d'anges » (que cette expression est ironique et ignoble !) et que cela
justifie donc cette loi ! Cette justification est vicieuse. L'argument ne tient
pas la route, moralement parlant. On ne peut pas défendre le droit à vivre d’un
être contre celui d’un autre – à moins de nier, bien sûr, la vie dans l'embryon
ou le fœtus (ce que l’on fait d’ailleurs). Cette loi exprime simplement que seul le
droit du plus fort (celui qui peut s’exprimer et agir) est pris en compte, que
l’enfant à venir est virtuel et donc n’existe pas. Il n’existe pas, parce qu’il
n’a pas la conscience, cette même conscience que, pourtant, l’on gifle chaque
jour et refuse d’entendre en soi.
Dès
que l’on proclame un droit si fort (de même, ô ironie, que le « droit à
l’enfant » – notamment pour les homosexuels), je trouve cela détestable.
C’est un réflexe en moi. Nous n’avons droit à RIEN. Et nos devoirs ? Oui,
nos devoirs ! Envers l’humanité. Envers l’humanité en nous – s’il en reste un
peu…
J’ai connu, de
loin, un couple qui avait eu un enfant sans cerveau, doté simplement du tronc
cérébral, et qui était sourd, muet et aveugle. Les parents ont décidé (non, ils n’ont
rien décidé : aucun autre choix ne leur était possible) de garder (le
contraire de « jeter ») l’enfant, qui a vécu auprès d’eux jusqu’à
l’âge de 7 ans. Ils avaient coutume de dire que la vie de cet enfant avait un
sens, un sens pour eux et pour la fratrie, et qu’il leur avait apporté du
bonheur. À l’époque, moi-même, je trouvais cela un peu fou de s’occuper d’un
être qui vivait à peine. Il est vrai que le discours ambiant ne nous laisse
guère d’autre alternative que la chiennerie ordinaire ou la sainteté – cette
dernière étant toujours suspectée d'obscurantisme. Mais, plus le temps a passé, plus
j’ai compris leur choix. En effet, l’existence de cet enfant a eu un sens, a un
sens : celui de l’exemple. Il me rappelle qu’il existe des êtres
courageux, qui vont au bout de leur choix et de leur conviction, que cela
plaise ou non aux autres, sans peur du jugement. Cet enfant a existé pour me
permettre, à moi aussi, de penser à lui et à ses parents, pour mesurer mes
propres lâchetés et renoncements. Cet enfant vide du monde extérieur a le sens
qu’on lui offre. Il est vide pour nous permettre de voir le fond de notre âme
en lui.
« Nous en
sommes là ! » Je me répète souvent cette phrase. Je retiens mes
larmes. J’ai peur.
Un trisomique,
à l’instar d’un vieux ou d’un handicapé, ça gêne et, surtout, ça coûte cher à
la société. La triste vérité est là ! L’histoire de Vincent Lambert, qui
occupe le devant de la scène, est en l’illustration. Ses parents, sa mère
surtout, sont conspués, parce qu’ils refusent un assassinat. On se presse
d’ajouter, pour apporter implicitement la preuve qu’ils sont tarés, qu’ils sont des
« catholiques traditionalistes », ce qui sous-entend des intégristes,
à savoir des gens aveuglés par l’irrationnel. À eux, on dénie toute souffrance
rédemptrice et tout choix.
Et si la
vérité était autre ? Laissez place à ce doute, un seul instant. Vous êtes
emplis de la certitude d’avoir raison – moi aussi, mais peut-être pas de la
même certitude.
La bêtise de
ceux qui font et la lâcheté de ceux qui ne disent rien ne sont que paresse.
Cette « graisse » autour de l’esprit dont parlait, un jour, dans un
entretien, Brel. La bêtise s’exprime par la répétition en boucle – écholalie –
des mêmes « éléments de langage » et la lâcheté par le silence,
devenu alors complice.
Je n’évoque
pas les intellectuels. Il n'y en a que très peu et ceux qui ont le courage du
parler-vrai sont la plupart du temps muselés de fait ou par la peur du lynchage
via les médias et les « réseaux sociaux » – lesquels, ô progrès du
XXIe siècle,
permettent au premier imbécile venu de propager dans le monde entier son
inculture et les produits de son manque de matière cérébrale (lui, il a
pourtant un cerveau, contrairement à l'enfant évoqué plus haut !). Cette peur
d’être banni prend la forme d'une autocensure très puissante et fort efficace.
Ceux qui ont parlé sont morts médiatiquement.
Je pense
notamment, dans un autre registre, à Richard Millet, un homme courageux, l’un
des seuls écrivains français dignes de ce nom, et à la pétition rédigée contre
lui. Tous ceux qui l’ont signée et relayée n’ont pas une once de son
intelligence ni de son talent. Ils ne l’avaient même pas lu ou, s’ils l’avaient
fait, c’était pour faire semblant de ne pas le comprendre. Je me retiendrai de
qualifier ces vendus et ces abrutis. Ils devaient se sentir beaux et propres comme un militant
gauchiste, ce jour-là ! Ils ne méritent pas mes insultes, surtout pas
l’instigatrice, littérairement insignifiante, de cette cabale. Millet est un
exemple parmi d’autres. Le lynchage est à la mode.
Deux choix,
par conséquent, demeurent : être une ordure à la solde des diverses
idéologies, mises en place, très lentement, très pernicieusement, et ce, dès la
maternelle – car l’école est un instrument de propagande –, ou bien être banni
et fusillé. En effet, cela fonctionne ainsi. Attention à ce que vous pensez,
car la pensée est devenue délictueuse ! Le mieux est de continuer à ne
plus penser et de vous gaver de mauvais livres, de musique électronique et de
télé-réalité ! Et, surtout, n’oubliez pas de consommer. Je consomme, donc
je suis !
Dès que vous dissonez
un tantinet, vous êtes désormais repéré. Google sait tout sur vous. L’État
encore plus. Peu importe : le peuple donne déjà tout à Facebook. Je me souviens
de cette journaliste du service public qui parlait de « rééduquer »
tous ceux qui n’étaient pas « Charlie ». Par parenthèse, moi je ne
suis pas du tout Charlie, mais bien davantage professeur Choron, qui, lui, au
moins, était drôle !
La liberté
d’expression des uns ne doit pas être le bâillon des autres. Que serait-il
advenu si les mêmes crimes avaient été commis dans une autre rédaction, n’ayant
pas la faveur de Ceux-qui-ont-raison ? Une vie est une vie, non ? Un
crime est un crime. Ou, alors, il faut admettre que ne méritent de vivre que
certaines personnes – celles qui pensent ce qu'il faut et comme il faut. Je sens que, de suspecte, je passe
définitivement au rôle de coupable ; pourtant, vous ne savez rien de mes
opinions, mais vous croyez le savoir.
La liberté d’expression est variable,
mobile... Elle s’exerce toujours contre une autre liberté d’expression
possible ; et définir ses limites est toujours un exercice qui comporte
une nécessaire dose de mauvaise foi. Il faudrait donc lui donner un autre nom. La liberté
d’expression est le permis de penser de certains privilégiés.
Mon problème,
c'est que je n'ai pas l'esprit moutonnier et que j'ai la faiblesse de penser
que ma conscience parle mieux que les idéologies creuses et si actuelles que
l'on veut m'enfoncer à coups de slogans blancs sur fond noir ou de « profils »
arc-en-ciel sur les « réseaux sociaux » (Dieu que je hais cette
expression !) ; oui, ma conscience est plus juste que le catéchisme
prétendument républicain (l'adjectif est vidé de son sens, dès lors qu’il est
utilisé à longueur de journée par les politiques, afin de faire la guerre à
leurs adversaires et de les épingler comme « fascistes », alors que
ce sont eux, par leur mesure de rétorsion, qui sont de véritables fascistes)
que l’on m’intime, à distance, de réciter, avec force menaces à peine voilées.
Je me dis
alors, en respirant très lentement, que je suis heureuse de ne pas être devenue
professeur de philosophie, d'avoir eu la prescience de ce que cela impliquait
(j’ai mis une seule fois les pieds dans un de ces feus I. U. F. M. et cela m’a
suffi !) ; j’ai eu un bref courage à hauteur du risque et j’accepte
de mal finir (sans points retraite, peut-être à la rue un jour) – mais les
mains propres et le cœur en paix. Être professeur aujourd'hui, en 2015, c'est
être, bon gré mal gré, le collaborateur des idéologies rampantes : par
exemple, « l’égalité des chances », qui n’est en vérité, que
l’extermination des meilleurs élèves, le refus de l’excellence et d’un élitisme
qui était, souvent, le compagnon naturel de cette noble chose que l’on nommait
jadis « émulation ». À présent, mais ce n'est pas nouveau, les meilleurs élèves, à condition
qu’ils aient des parents fortunés, iront dans des écoles privées hors contrat.
Les autres, les pauvres, devront se contenter d’un enseignement médiocre et
très limité, s’ils n’ont pas la chance d’avoir des parents capables et ayant
l’envie de les éduquer et de les guider. Ce n’est pas l’explosion des mentions
« Très Bien » (multipliées par 13 depuis 15/20 ans) ou un pourcentage
toujours plus élevé de bacheliers qui peut faire illusion ! Ne pas avoir
de mention au bac aujourd’hui signifie avoir un niveau extrêmement bas – je
veux dire encore plus bas que bas – ou, exceptionnellement, le fait de ne pas
être pris en charge par le système, car trop différent ou dissonant. Les
autistes, Asperger ou autres, par exemple. Cela a failli être mon cas, au
primaire, avant mon salut par le latin et le grec. Le niveau suffisant pour
hurler avec les loups et se sentir un bon « citoyen », maniant la
bonne liberté d’expression, en fervent défenseur de l’écologie (nouvelle
religion) et du libéralisme moral, est donc très bas. Où l’on voit dans sa
splendeur s’épanouir le cynisme des politiques… Demandez-leur dans quel
établissement vont leurs propres enfants… Une petite anecdote savoureuse ?
Un mec de gauche (prononcer le mot en le suçant bien) de ma connaissance,
metteur en scène, qui trichait, qui était prêt à coucher, disait-il, pour que
son fils n’aille pas dans l’école publique près de chez lui, mais dans une
autre bien meilleure. La « mixité » sociale, comme ils disent
pudiquement, c’est une excellente chose ; l’école de la République est
magnifique ; oui, mais pas pour mes enfants. Sa justification, face à mon
effarement : « Je ne veux pas que mes enfants paient le prix de mes
idéaux. » Cela m'a laissée sans voix.
Avoir un
peuple le moins éduqué possible est le gage de pouvoir le manipuler le plus
aisément possible, n’est-ce pas ? Et ce n’est pas l’usage d’un ordinateur
ou d’une tablette inscrit au programme de maternelle qui va arranger les
choses… Au contraire. Tout cela est bien gerbant.
Que faire,
alors ?
Le salut est
en nous et l'a toujours été. Il ne faut pas l’attendre des autres, et surtout pas de l’école, dont
il faut se méfier comme de la peste. Et je songe à Thomas Bernhard dont le
propos n’a jamais été aussi vrai que celui qui est contenu dans Maîtres anciens.
« (…)
les professeurs ont toujours été, dans l'ensemble, les empêcheurs de vivre et
d'exister, au lieu d'apprendre la vie aux jeunes gens, de leur déchiffrer la
vie, de faire en sorte que la vie soit pour eux une richesse en vérité
inépuisable de leur propre nature, ils la leur tuent, ils font tout pour la
tuer en eux. »
« L'État
pense, les enfants sont les enfants de l'État, et agit en conséquence, et
depuis des siècles il exerce son action dévastatrice. C'est en vérité l'État
qui engendre les enfants, il ne naît que des enfants de l'État, voilà la
vérité. Il n'y a pas d'enfant libre, il n'y a que l'enfant de l'État, dont
l'État peut faire ce qu'il veut, l'État met les enfants au monde, on fait
seulement croire aux mères qu'elles mettent les enfants au monde, c'est du
ventre de l'État que sortent les enfants, voilà la vérité. »
Essayer de
créer du beau, un fragment de beau, là où l'on est, et avoir foi en son pouvoir
de contagion. Faire de son mieux dans ce que l'on entreprend et le moins de mal
possible aux autres. Ma vision est simple. Ma morale facile à suivre. Morale
individuelle, mais non pas individualiste, puisque celle-là s’adresse toujours à
l’autre : d’abord, à ceux que l’on aime, puis à ceux que l’on espère
pouvoir aimer.
Il est vrai
que j'ai de la chance (est-ce de l’inconscience ?), car je n'ai peur de
rien (en dehors de la mort de ceux que j'aime, de la mienne aussi). Ou, plus
exactement, je n'ai pas peur de ce « rien » qui nous agite ordinairement et
dont on se protège avec force mensonges et révérences hypocrites, sans même
s'en rendre compte, puisque cette fausseté est le maître d'œuvre de nos
relations avec les autres, depuis le plus jeune âge. L'ignoble petit jeu
social… Le banal et sordide jeu du paraître, de la danse du ventre – celle
des diplômes, du statut social, des signes extérieurs de richesse ou, pire, de
la morale qui s'affiche (être du bord politique qui vous donne la « carte », si
possible, je le répète, ou appartenir au bon réseau)... Le jeu, où la seule
règle est de ne jamais perdre la face devant le parterre de spectateurs et de
bien poser. Je suis mauvaise joueuse. J'adore gagner, mais selon mes règles que
je suis seule à connaître, et je déteste par-dessus tout tricher. Je m'expose,
la peau à vif, et je me contrefous de plaire ou de déplaire. J'entends être le
plus libre possible et refuse que l’on pense à ma place, en m’indiquant avec
empressement et sévérité ce qu’il est bon de penser et de dire.
Ne les écoutez
plus, mes amis ! Révoltez-vous, indignez-vous, mais pas avec ce con en carton-pâte
de Hessel, mais dans le silence de votre cœur et faites éclore en vous le
courage d’être un homme ou une femme, qui sait le véritable sens du mot
« dignité » !
Ayez aussi l’amour
de la bonté !
En ce qui me concerne, je vais
essayer d’y croire et, mieux encore, de le vivre.
vendredi 14 août 2015
... une critique de ce roman graphique et un entretien avec son créateur, Stephen White aka Stref, seront publiés ici même.
Mon prochain volume de traductions de Barrie se porte assez bien. J’espère mettre au monde un beau recueil de ses « œuvres de guerre », afin de montrer une autre facette de sa personnalité. Mon choix des titres à traduire en priorité a toujours été dicté par la volonté de placer Sir James sous une lumière ou une autre, de donner envie de le connaître. J'ai de bonnes raisons de croire que j'en aurai terminé avec ce nouvel opus à la fin de l'année. Ensuite, je ferai publier trois de ses romans ayant Thrums pour cadre, puis quelques pièces. Spécialiste des causes perdues d’avance, je persiste et signe. J’aime Barrie de toute mon âme et je me moque qu’il ne soit pas très lu ni à la mode. Pendant ce temps-là, paradoxalement, des peu scrupuleux profitent de mon travail (je viens de découvrir un site, qui reprend une partie de mon propre site et une partie de mes travaux publiés, mais la personne a tout de même eu la grâce de me citer). Grand bien leur fasse ! Je préfère ignorer les nuisibles, en ce moment. La joie augmente ma puissance d’exister (ou d’agir) et la tristesse la diminue, disait l’ami Baruch. Alors, cultivons cet état qui est le mien actuellement !
Mes livres plus personnels ont également retrouvé un nouvel élan, après ces mois difficiles, alourdis par mes actions (c’est loin d’être terminé !) contre le pâle metteur en scène ayant volé mon travail. J'espère d'ailleurs que ce dernier et ses petits copains seront condamnés, s’ils persistent (ils ne manqueront pas de le faire, c’est le propre de la bêtise), et de même les théâtres qui ont acheté mon travail, sans le savoir ou sans vouloir le savoir... La dernière trouvaille du gredin : la pièce est désormais une « œuvre collective ». En effet, il ne peut prétendre à aucune création, puisqu'il est incapable d'écrire deux lignes sans les souiller de dix fautes et il ne connaît goutte à l'anglais. Partant, il demande l'aide de son équipe, qui n'est guère plus solide que lui dans ce domaine. Comment peut-il accepter de contempler le reflet que sa conscience lui renvoie, après ses divers forfaits ? Mystère ! Je crois en la conscience humaine, qui existe probablement en tout être humain, même chez le froid psychopathe. Je sais également que nous pensons autrui à travers le prisme de notre propre vision du monde et de l’âme humaine et qu’il nous demeure, en dernière instance, étranger et inconnu…
Si je retourne au théâtre, après ces expériences sordides, ce sera pour mettre en scène « mon » Barrie, mais aussi Platon. Un de mes anciens projets, toujours vif en moi, me titille : retraduire et adapter Gorgias. Je sais exactement quelle mise en scène créer. Mais il faut trouver des financements pour ce dernier projet et je ne suis guère douée pour cela.
Je n'ai jamais fait aucun compromis dans ma vie, je n'ai jamais eu une activité salariée, j’ignore tout de l’état mercenaire... Je suis peut-être une handicapée de la société, un anachorète – très certainement... Misanthrope aux yeux de certains, je ne suis pourtant qu'une fille qui refuse de faire semblant, et ce, non pas par excès de morale, mais parce que, tout bonnement, cela me fait mal. Alceste est mon ami ; je n'ai pas envie de me moquer de lui, car je comprends sa quête, qui est celle de l'absolu. Mon problème est le suivant : je ne peux travailler avec autrui que si je ressens de l'amitié pour la personne concernée et si le rapport est aussi pur que possible (sans les mensonges ordinaires ou de circonstance, par exemple). J'ai eu la chance d'avoir, très jeune (16 ans et demi), trouvé un mari parfait pour moi. J'ai cru et crois toujours que le monde entier doit être à l'image de cette perfection initiale (l'étalon-mesure de tout le reste) dans ma relation à lui. Ce n'est pas un choix, c'est une nécessité pour moi. C'est cela ou je crève. Ce n’est pas une pose. Hélas ! Je suis à vif. Je me protège ainsi : en cultivant le meilleur des relations humaines et en fuyant tout ce qui ressemble à des liens un peu faux ou mondains, là où peut s'infiltrer tout ce qui me révulse. C'est comme un poison pour moi.
On pourrait croire que je suis condamnée à être souvent déçue. En amitié, ce n’est pas le cas. Mes amis véritables, ceux pour qui on peut donner un rein ou un morceau de soi, je les connais depuis l’enfance, l’adolescence. Ils sont toujours là. Quelques autres sont venus après, mais pas plus de trois ou quatre – dont ma jumelle. Les relations amicales, c’est autre chose. Je sais, en général, à quoi m’en tenir et leur accorde une place réelle, mais limitée. Il y a toujours moyen pour le lien de s’étoffer. La preuve de ma foi est là : je laisse sa chance et sa place au possible.
Je conçois que peu d'êtres puissent comprendre cet impératif catégorique, notamment lorsque je l'exprime aussi ouvertement. La plupart du temps, cela passe pour un enfantillage, un idéal qui confine à l'illusion ou, pire, à un aveu de faiblesse ou à un désordre psychique. Je n'ai rien à perdre, car je n'attends rien qui ne soit donné par l'âme entière et non du bout de cette dernière, donc il n’est rien qui puisse freiner mon besoin viscéral de dire ma vérité intérieure et de tout jauger à l'aune de mon exigence – qui, souvent, fait peur. Mais la personne envers laquelle je suis la plus exigeante, c'est moi. Je suis mon meilleur ennemi. La majeure partie de mon mépris, j'en suis bel et bien la destinataire. Tout est simple avec moi. Je ne joue pas, alors que tout nous porte à le faire, constamment : chez le boulanger, à la sortie de l’école, au café… On tient son rôle, n’est-ce pas ? J’essaie, néanmoins, de paraître « normale », de respecter les règles implicites, d'être un être de surface quand il le faut, mais cela me demande un grand effort et je suis incapable de tenir longtemps. Et, à quarante ans passés, j'ignore toujours comment jouer, sans pour autant faire l'effort d'apprendre, car je sais que j'y perdrais l'essentiel.
Non, je ne joue pas. Je ne sais pas y faire. Ce n’est pas tous les jours aisé pour moi de côtoyer les autres. En vieillissant, j’apprends à ne pas toujours dire TOUT ce que je pense. Mais tout ce que je dis, je le pense.
À mes risques et périls. Pour mon bonheur aussi, parfois. Lorsque j'étais enfant, encore assez petite, on m'affirmait, le regard entendu et le geste coupant, que je changerais. Les grandes personnes veulent toujours tuer en l'enfant ce qu'il a de meilleur, par vengeance, parce qu’ils se sentent coupables d’avoir assassiné, en eux, leur propre enfant. Ils formulent, dans le silence de leurs tourments, le souhait que tous partagent leur infortune. Je n'ai pas changé. Ensuite, on m'a dit que l'intelligence était l'adaptation au réel, tout en supposant que ce réel était, par conséquent, tissé de mensonges, de compromis ordinaires, de rapports flous avec les autres, etc. Je ne peux l'accepter aujourd'hui plus qu'hier.
Je suis donc un enfant. Je suis donc stupide. Suis-je vouée à n’être qu’une ratée aux mains propres ? Oui, certainement. Tant pis. Ce n'est pas de l'orgueil aveugle, mais une impossibilité à être autre.
(Sublime, sublime Classe morte...)
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- Never Never Never Land, au plus près du Paradis, with Cary Grant, France
- Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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