lundi 15 avril 2013

Rencontres…




{James Jarché*}


« Il existe des rapports incessants entre l'instinct et le destin, ils se soutiennent l'un l'autre, et ils rôdent la main dans la main autour de l'homme inattentif. Mais tout être qui sait diminuer en lui la force aveugle de l'instinct, diminue tout autour de lui la force du destin. Il semble qu'il crée une sorte de lieu d'asile, inviolable en proportion de sa sagesse, et ceux qui passent par hasard dans la zone éclairée de sa conscience acquise n'ont rien à craindre du hasard tant qu'ils s'attardent en cette zone. »


« Un être ne grandit que dans la mesure où il augmente sa conscience, et sa conscience augmente à mesure qu'il grandit. »
Maurice Maeterlinck, La sagesse et la destinée

***

À l’époque, j’étais un fleuve agité qui n’en finissait pas de ne pas trouver la mer.

Disgrâce absolue.
Rencontre impossible, en moi, de deux eaux. Tout n’est que rencontres. Bonnes ou mauvaises — essentiellement, cela ne dépend que de nous.

Et je n’étais pas encore mer. (Ni mère.) Mais j’étais déjà presque barrienne — l’ignorant cependant un petit moment encore.

J’errais, prisonnière à la fois des caprices de mon désir et de la fermeté de ma volonté. Prise entre deux courants contraires et d’égale tyrannie.

Hélas, il m’arrive encore de courts instants, mais trop souvent, de me retrouver au gré de cet état de l’âme passagère, errante, flottante, crispée entre deux flots — et, bien sûr, je ne manque jamais de m’y noyer à l’envi.

Chaque retour à la terre promise était (est) une résurrection. Parfois, il semble qu’il me faille, de temps à autre, rechuter et reprendre le cours à cette étape-là, la naissance, pour me sentir vivante.

J’étais perdue, pour la première fois de ma vie. Et Barrie m’a trouvée.

Il trouve toujours ses Enfants — moins perdus qu’égarés, dans les Limbes ou happés par les îles du Jamais et du Jamais-Plus. Il m’a bien repêchée ! Il a bien saisi de son hameçon — celui qui lui sert également à écrire, il lui suffit de le tremper dans cette encre spéciale qui est le sang de l’enfance — ce grand jeune homme à l’allure de poète qui rêvait de Jardins anglais, de faunes, de fées et de Mary A—. (Oui, cher Rémi, je parle de vous.) Parfois, Barrie prend une autre identité que celle, trop familière, sous laquelle nous le connaissions déjà. C’est simple ; c’est tout. Ce fut l’un de ces petits miracles quotidiens, parmi tant d’autres, que notre âme malformée ne prend jamais la peine de considérer ; sinon elle trouverait, dans cette contemplation, des trésors de beauté et s’effondrerait de honte devant eux. Peut-on être aveugle à ce point sans être un peu coupable ? Tout ce qui nous arrive nous arrive parce que nous y consentons. Les circonstances, les rencontres, les accidents et même les miracles ne sont qu’extrapolation de notre âme secrète. Si nous en sommes là, Rémi et moi, c’est parce que Barrie l’a voulu tout autant que nous. Lui plus que nous, certainement.

Prenez donc en main, à présent, inconnu et inconnue, Le Petit Oiseau blanc, roman né en 1902 en Angleterre et traduit, pour la première fois, en français, un siècle plus tard ; serrez-le contre votre cœur et fermez les yeux, puis songez un peu à tout cela…

Cher lecteur, futur spectateur, votre rencontre, ou pire votre non-rencontre, avec ce grand roman oublié en France dépend de tant de choses imprévisibles qu’il est impossible d’essayer de les imaginer ou même de les dénombrer. Ma rencontre avec ce texte était tout autant improbable — pensais-je, alors — que ma rencontre avec Rémi Prin — des années plus tard.

Improbable ? C’est faire bien peu de cas de « Maître Hasard » — comme j’aime à le nommer.

Dieu est-il le plagiaire du Hasard ou bien signe-t-il ses œuvres d’un patronyme anonyme lorsqu’il écrit sous le pseudonyme du Destin ou du Hasard ? Barrie se voyait bien en Anon. Je vois, désormais, Dieu sous les traits de Barrie et j’acquiesce par avance à (presque) toutes les rencontres qu’il me promet. Rémi fut l’une de ces rencontres et j’ai le sentiment que l’avenir me dit déjà : « Ce fut une rencontre importante. » Pour Barrie, pour moi, pour lui aussi, je l’espère. Mais, avant tout, pour le public de ce spectacle toujours en couveuse au moment où j’écris ces lignes — prise de vertige et d’enthousiasme devant cette folie qui est la nôtre.

Lorsque Rémi Prin m’écrivit pour la première fois, j’oscillais dangereusement entre la prudence la plus extrême et la folle déraison qu’inspire en moi le désir de donner tort à cette prudence (dont je ne me dépars qu’à regret). Je lui ai immédiatement téléphoné au lieu de lui répondre par courriel interposé — ma voix ne se donnant pourtant jamais mieux à entendre qu’étendue noir sur blanc, comme un écho ou un accord plaqué sur vélin. Je craignais probablement que la rédaction de ce courriel ne me donnât le temps de la réflexion et ne m’inspirât le désir de la fuite. J’ai dérobé depuis belle lurette la clef des champs, vous savez…

En effet, lorsque l’on évoque le simple nom de Peter Pan devant moi (et il s’agissait de cela : Rémi frappait à ma porte avec le nom de Peter en bouche), je me mords les lèvres au sang, afin de ne pas crier, préventivement, et ce, sur tous les tons, quelques injures. Je sais, par avance, que l’on ne manquera pas de salement m’éclabousser avec tous les clichés possibles et imaginables, charriés par plus d’un siècle d’aveuglement. La première, et non la moindre, de ces fausses évidences serait de dire que Peter Pan est « un garçon qui ne voulait pas grandir » ! Bien rares sont ceux qui sont capables d’avoir une vision pure du personnage et de son univers. Tous (ceux qui veulent lui faire la peau et les poches, en le mettant en scène, en l’illustrant, en l’écrivant — toute cette clique, donc), ou presque, ces gredins (parfois au féminin) sont contaminés par la même maladie de l’enfance trahie, assoiffés du mythe — ce mythe frelaté, qui a si peu à voir avec le personnage de Sir James. Incurables bêtes !

Rémi Prin a eu la chance ou l’intelligence — mais nous savons, avec Maeterlinck, dont L’Oiseau bleu doit beaucoup au Petit Oiseau blanc de Barrie, qu’il s’agit de la même chose, à savoir d’un état de conscience dans sa plénitude — d’évoquer illico presto Barrie et la biographie fantasmée que l’homme lui inspirait, suggérant même le cousinage possible du génie écossais avec la fantaisie d’un Cocteau. Se dessinaient alors devant moi les étapes possibles d’un voyage à travers les brumes de l’Écosse ; je pris une goulée d’air frais entre deux bouffées — purement imaginaires, cela s’entend — de tabac Arcadia ! Je décidai assez vite de donner une chance au projet de Rémi et de lui accorder ma confiance, prenant soin, toutefois, de le détourner de sa première idée, qui était, je crois, de mettre en scène la pièce Peter Pan — je connaissais parfaitement les écueils de l’entreprise et n’avait aucune envie de me replonger dans ce texte-là, après la merveilleuse expérience vécue auprès d’Alexis Moati (qui s'avéra être, par la suite, un parfait gougnafier – et je pense pire que ce mot) et de son équipe, lorsque nous donnâmes l’adaptation barrienne d’Andrew Birkin, Peter Pan, le petit garçon qui haïssait les mères.

Rémi savait bien qu’il existait un autre Peter, celui qui vivait dans les Jardins de Kensington, né avant son alter ego qui, lui, avait élu domicile dans une contrée bordée par le terrible et implacable Jamais. Il ne fallut aucun effort pour le convaincre de s’intéresser d’abord à ce bel enfant trop longtemps négligé…

L’une des qualités de Rémi Prin est de se vouer avec une réelle ardeur (trop rare, malheureusement, à notre époque) au texte. Il y a en lui, me semble-t-il, une capacité d’entente et, mieux encore, d’écoute du texte. J’ai toujours pensé qu’il était vain de vouloir  mettre en scène un texte (ou même de le traduire ou encore d’en ouvrir les pores, afin de le révéler aux autres, dans sa nudité) si l’on n’entendait pas, à travers lui, très distinctement, la voix de l’auteur. Il faut, littéralement, être hanté par le texte. Et avoir la modestie et l’intelligence de reconnaître que l’on ne possède jamais un texte. Il nous possède et il faut se laisser prendre tout entier. Pas de demi-mesures dans la vie et encore moins au théâtre !

Entendre la ou les voix d’un texte, c’est également une question de rencontres (seuls certains êtres entendent certaines voix, de cela je suis convaincue), et donc d’affinités électives. Et Barrie, plus que nul autre, est maître dans l’art de provoquer ces affinités-là. Sous couvert de Hasard.

L’élément le plus important est, comme souvent, lorsque l’on a affaire à un personnage de la trempe de Barrie, le plus invisible qui soit. Le secret est dans la béance, l’interstice, dans le temps d’attente auquel nous contraint souvent le voyage entrepris en terre barrienne.

Le narrateur du Petit Oiseau blanc, le Capitaine W—, laisse tomber une Lettre dans la rue afin qu’un jeune homme la ramasse et aille la poster ; ce faisant, il lui permet de retrouver l’amour de sa vie, qui l’attend au coin de la rue. Il provoque une rencontre. Notre destin nous attend toujours à cet endroit de la rencontre. Barrie ne dit pas à qui cette lettre était adressée. C’est pourtant le seul détail qui vaille et, peut-être, la raison secrète de ce spectacle. Mais nous ne le découvrirons qu’à la fin, cher Rémi. Lorsqu’il sera trop tard pour revenir en arrière. Barrie laisse le soin au lecteur d’écrire sur l’enveloppe le nom du destinataire. Dieu ? Oui, probablement. Qui d’autre ? Ou J. M. Barrie ? Vraisemblablement. Qui d’autre ? Ou encore vous, lecteur ? Nul doute possible. Qui d’autre ?

Mais cela revient toujours au même.

Il y a des êtres qui se rencontrent et des voix qui se répondent.
Et je crois que ma relation à Barrie, et aujourd’hui à Rémi Prin, est de cet ordre.

Céline-Albin Faivre


*J'imagine ainsi les Enfants Perdus poursuivis par Pilkington / Hook dans les Jardins de Kensington...

{Oeuvre de Brian Thomas Garofolin : un Peter Pan, feu follet glacé, magnifique oxymoron !}

Je me suis lentement (prudemment, on peut le dire) engagée auprès d'un jeune metteur en scène à la folle imagination, Rémi Prin. Nous avons fait connaissance, alors que j'attendais mon unique enfant, en 2010. Je raconte cette rencontre ici, sur le site de la compagnie théâtrale qu'il a créée, et dans le billet suivant.

Nous allons porter à la scène le premier roman que j'ai traduit en 2006, Le Petit Oiseau blanc de James Matthew Barrie. Je signale d'ailleurs, à toutes fins utiles, que ce roman, désormais épuisé, sera republié par mon éditeur originel, dans les mois qui viennent (dans une édition révisée et agrémentée de quelques bonus). Plus tard, le texte de l'adaptation que j'ai écrite sera également édité. En 2014, un gros volume en relation avec Peter Pan verra le jour et, je l'espère, prochainement, un texte assez célèbre de Barrie que l'on me réclame souvent à cor et à cri – car il n'existe pas en français.

Mais, aujourd'hui, il est question de mon adaptation, du travail de l'équipe soudée autour de Rémi Prin. Régulièrement, je viendrai vous parler de ce projet de longue haleine, et vous présenter les divers protagonistes de cette folle aventure. 

Aujourd'hui, avec sa permission et celle de Rémi Prin, j'aimerais être un intermédiaire entre vous et un jeune peintre (il n'a pas vingt-cinq ans !) de talent, Brian Thomas Garofolin, qui  nous a rejoints.  Il peindra des toiles pour notre décor, ainsi que les affiches. Brian m'a envoyé, il y a quelques mois, une lettre qui m'a touchée, parce qu'elle reflétait une ardeur, un amour et une intelligence trop rares. Ce n'était décidément pas une lettre conventionnelle, mais une vibration particulière. J'ai senti qu'il aimait Barrie, qu'il l'aimait vraiment, et avait à coeur de participer à sa reconnaissance dans notre pays. Il avait agrémenté cette lettre de quelques photographies de certaines de ses œuvres – aimées au premier regard ! Plus tard, il m'a fait l'amitié de me céder une étude de Barrie qui m'est devenue chère. 


{Oeuvre de Brian Thomas Garofolin}

Je vous invite à découvrir son travail ici et .  

Parmi ses œuvres, celles qui, dans mon esprit, se rapportent le plus à notre travail sont celles-ci :





{Oeuvres de Brian Thomas Garofolin}

Cet ami de Barrie et ce fin connaisseur de Cocteau provoque en moi un bel enthousiasme ! Il est de la noble race des Enfants Perdus !

***

À visiter le site de La Compagnie Le Tambour des Limbes : ici et, puisque c'est la sale manie de notre époque, la page Facebook : 

À SUIVRE...





{H. C. Andersen...}

Donnons des nouvelles, et des bonnes, puisque certains m'en demandent !

Après une expérience désagréable, mais fondatrice (si nous ne sommes pas trop friables, nous apprenons toujours de ceux qui nous blessent et nous mentent sans états d'âme), avec un metteur en scène hypocrite, mercenaire, vampire et inculte, dont le seul talent consiste à piller, toute honte bue, les autres pour mettre en scène des choses mortes et vulgaires, un metteur en scène qui pense pouvoir obtenir deux tiers (!) de mes droits d'auteur sur un texte dont il n'a pas écrit une ligne (il en serait bien en peine...), un metteur en scène qui m'appelait, les larmes au bord des yeux, sa "sœur", un metteur en scène excellent comédien (accordons-lui cela, comme on jette un morceau de pain rassis à une mauvaise bête) que j'ai aidé (et bien plus qu'il ne l'a jamais avoué à quiconque) à mettre en scène un beau Peter Pan... je suis revenue au vrai, avec notamment deux projets théâtraux en cours – à moyen et long terme...  

Et la vie est belle ! Et je compte bien le prouver, sans rien renier ou rogner, et surtout pas mon cœur d'enfant si avide d'amour et d'absolu qu'il en devient, parfois, mauvais conseiller !

On m'a souvent dit, depuis l'enfance, que je faisais peur – encore récemment. Je ne sais à quoi cela tient, peut-être au fait que, moi, je n'ai pas peur : ni de me montrer telle que je suis – y compris jusque dans mes laideurs –, ni de dire ce que je pense et ressens, entièrement, sans souci de ménager les autres et, surtout, sans calcul. Je ne pense pas devoir ma vérité à mes seuls amis ; ma générosité en cette matière est universelle. Je suis consciente que cette liberté que je me donne a un prix et je le paie comptant ; je suis consciente que cette liberté extrême du dire et du faire me rend monstrueuse aux yeux de certains. Et, voyez-vous, je le suis, car mon agir procède d'un manque de politesse certain. Mais la politesse est-elle toujours altruisme, ou même simple souci de l'autre, quel qu'il soit ? Personne n'est assez sot pour le croire.

Mon manque de politesse révèle sûrement une extrême vanité ou prétention : celle d'être aimée tout entière. Je veux que l'on m'aime (ou me haïsse) absolument. Et j'en ai autant pour les autres, pour tous les autres : je les aime ou les hais comme je veux l'être. Ma seule limite est le mensonge sous toutes ses formes. La pire d'entre elles étant le mensonge par omission, car au mensonge on ajoute la lâcheté. 

Travailler avec moi n'est pas facile, pas plus qu'il ne m'est facile de travailler avec les autres, de leur faire une place. Nous sommes donc à égalité, dans une époque qui ne revendique, très hypocritement, que cela... (Mais cela n'existe pas et fort heureusement ! La nature n'a rien de démocratique : il ne manquerait plus que cela !)

Le monde tel qu'il va me dégoûte. Notre civilisation est morte. Mon rôle n'est point de politiser, mais je n'en pense pas moins. Quoi qu'il arrive, cependant, rien ne m'ôtera ma pure joie de vivre, cette joie qui est apparentée aux mystères de l'univers et en est l'écho – à ne pas confondre avec le vil plaisir des insatiables pourceaux qui font la culture et la politique de cette triste époque, ne jurant que par la satisfaction immédiate, et dont le metteur en scène de ma sirène n'est que le pitoyable représentant ! 


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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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