jeudi 1 décembre 2005
On ne présente plus cet érudit, qui a écrit avec bonheur plusieurs livres importants, dont je parlerai sûrement à un autre moment. Ne serait-ce que son Histoire de la lecture fait de lui un homme dont je suis la débitrice.
Alberto Manguel n'a pas son pareil pour raconter avec l'enthousiasme dont il est coutumier. Ici, il s'agit de la vie de Kipling. Il accomplit le prodige de faire la biographie de ce grand auteur en une centaine de pages, en allant à l'essentiel, en se payant le luxe de nous raconter des anecdotes, qui ne sont jamais anecdotiques, et en nous dressant un portrait plus vrai que nature de cet auteur immense. Il s'agit plus d'un panorama que d'une biographie, et ceci n'est pas une critique, mais plutôt une démarche originale et pertinente. Quand certains écrivent des biographies de 500 pages et plus et ne parviennent pas à cerner le personnage dont ils ont la charge, Manguel a l'art de nous projeter dans la vie de Kipling en quelques lignes bien senties, sans perdre de temps en digressions inutiles, en relevant ce qui fait saillie dans cette existence agitée. Un bonheur de lecture.
Il a récidivé en écrivant un roman sur la vie de Stevenson, que je chroniquerai peut-être.
Woody Allen fête aujourd'hui ses 70 ans. Bien sûr, il ne lira jamais ce billet, mais j'aimerais le remercier pour tous les merveilleux films qu'ils nous a offerts depuis 40 ans et lui dire que j'attends le prochain avec impatience !
J'ai appris une chose essentielle en regardant la plupart de ses films, dont aucun ne m'a vraiment déçue - bien que certains soient, parfois, plus faibles que d'autres : l'humour est notre seul salut et il faut savoir perdre avec le sourire. La classe me touche autant qu'un costume bien taillé ou un sac à main assorti à une paire de chaussures.
Un film, en particulier, m'avait transportée avec le même effet qu'ont sur moi certaines comédies musicales, La rose pourpre du Caire.
Même si la conclusion est triste et si la plupart des films de Woody Allen ont une fin - permettez moi d'être prosaïque - en eau de boudin, je retiens la magie de ce film, qui exprime le délicat rapport de la réalité et de la fiction. Peut-on aimer un personnage de fiction autant qu'un être réel ?
Oscar Wilde a déjà répondu lorsqu'il écrivit que la mort de Lucien de Rubempré fut ce qui lui causa son plus grand chagrin.
A certains égards, ce film fait écho à la question de Truffaut, à savoir : qu'est-ce qui est le plus important, la vie ou le cinéma ?
Alice est un film qui joue dans la même tonalité que La rose pourpre. Alice et son herbe magique, qui lui permet de s'évader de son quotidien étriqué. Alice qui s'ennuie et rêve d'un ailleurs ou d'un autrement. Alice, c'est un peu vous et moi, quelquefois, n'est-ce pas ?
Le film le plus époustouflant est peut-être celui qui fait le moins parler de lui : Zelig, ou l'histoire d'un homme-caméleon ; un film raconté comme si nous assistions à un documentaire. Woody y est épatant !
Un film de woody Allen, dans lequel ne joue pas Woody Allen, est toujours pour moi comme une journée parfaite, à un détail près. Même si j'entends Woody, sa petite musique, même si je reconnais ici ou là tel plan, j'ai besoin de le voir. Je suis une incroyante !
Woody Allen est un homme qui nous dit deux ou trois choses de notre vie, traversée en creux par l'absence de Dieu, mais il a le talent de ne jamais le dire de la même façon. Cet homme-là a du génie, croyez-moi.
Bon anniversaire, Woody. Je vous embrasse.
Votre dévouée Holly.
Je dédie ce billet à ma chatte. Elle regarde dans la même direction que moi, que vous : l'écran d'ordinateur.
Je lui rends hommage. J'espère qu'elle appréciera cette délicatesse. C'est bien légitime : elle passe ses journées sur l'accoudoir de mon fauteuil de bureau, pendant que je travaille, me murmurant des mots d'encouragements que je suis la seule à entendre. Je vous aurais bien parlé d'elle, mais elle désire demeurer anonyme. Par conséquent, je me tiens coite et mes lèvres demeurent à jamais scellées sur ses secrets.
Gaslight ou Hantise en version française est un film, qui est dans la lignée de certaines réalisations d'Hitchcock, comme Rebecca par exemple, ou à l'instar du Secret derrière la porte (Secret beyond the door) de Fritz Lang. En effet, il s'agit d'un duel couvert, d'un affrontement psychologique, entre une femme et son mari. Le thème du mari qui rend folle sa femme n'est pas un refrain original, mais le traitement, ici, se double d'une enquête policière. L'histoire m'a rappelé une nouvelle de William Irish, mais il s'agit en vérité d'une histoire originale de Patrick Hamilton (une pièce de théâtre). En 1939, Thorold Dickinson avait réalisé une adaptation de cette pièce, mais la MGM (quelle déception !) ordonna la destruction des négatifs afin de pouvoir en proposer la version de Cukor. Toutefois, le film de Dickinson n'a pas disparu de la circulation et eut un grand succès. A la même époque (en 1944), précédant de quelques mois Cukor, Tourneur tournait une excellente adaptation de la pièce, Angoisse (Experiment perilous).
Les deux films de Wolf Rilla, Le village des damnés et Les enfants des damnés, sont des classiques de l'étrange, de la science-fiction, au même titre que L'invasion des profanateurs de sépultures. Je cite volontiers ce que dit Stephen King*, dans sa brillante Anatomie de l'horreur**, au sujet du roman de Finney, L'invasion des profanateurs et qui peut convenir à tous les films dits d’horreur : « Peut-être que Finney n’avait besoin d’écrire qu’un seul roman d’horreur ; ça lui a suffit pour construire le moule où s’est coulé ce que nous appelons « le roman d’horreur moderne ». Si un tel genre existe bien, il ne fait aucun doute que Finney est un de ses créateurs. J’ai évoqué un peu plus haut l’idée de discordance, et c’est à mon avis un terme qui définit la méthode de Finney dans l’écriture de ce roman ; une note discordante, puis deux, puis un bouquet, puis un déluge. Et la mélodie de l’horreur finit par étouffer celle du bonheur. Mais Finney comprend parfaitement qu’il n’y a pas d’horreur sans beauté ; pas de discordance sans mélodie ; pas de méchanceté sans gentillesse. » (je souligne)
Je rapproche cette idée de discordance de ce que Freud nomme« l’inquiétante étrangeté » - « unheimlich » en Allemand et « uncanny » en Anglais. Cette expression désigne ce qui est, à la fois, et paradoxalement, familier et étranger, étranger dans la familiarité que nous ressentons face à une chose ou une situation. « L’inquiétante étrangeté » est à la fois une chose et son contraire. Le terme allemand, das Unheimlich est plus éloquent que la traduction française de ce terme. Il dit la bi-univocité du terme et comporte les deux acceptions de «familier» et de «dissimulé» ; das Unheimlich serait tout ce qui aurait dû rester caché, secret, mais qui se manifeste. Hoffmann est un des écrivains de l’inquiétante étrangeté, au même titre que Hawthorne dans certains de ses contes étranges. On retrouve ce sentiment identique lorsqu’on perd pied dans la réalité, que cette inquiétante étrangeté soit produite par un fait réel ou fictionnel. Cet événement se produit lorsque la conscience se détache d’un fait, comme si elle se dédoublait et qu’elle reste collée aux faits et d’autre part soit ailleurs, décollée d’elle-même et des faits, pour observer ces faits. Le décollement de rétine que l’on observe chez certains sujets pourrait servir de métaphore à ce décollement psychologique. L’homme doit sentir que le réel (ou la fiction) où il s’engage manifeste une stabilité, une fermeté, et qu’une armature le soutient. Or, tout ceci, que nous nommons cohérence, est le fait de la raison qui trouve ou plutôt établit des repères dans la réalité en question. Elle jette des ancres qui lui permettent d’assurer une stabilité au sujet. La manière dont nous abordons une œuvre de fiction nous paraît représentative de la manière dont nous abordons la réalité. Nous avons besoin que rien ne heurte la logique mise en œuvre dans les divers éléments de la réalité qu’elle cimente entre eux, et qu’elles assemblent selon un ordre ou un plan qui ne nous apparaît ni artificiel ni faux.
Cette édition de la Guerre des Mondes (le film original, nous n'avons pas vu le remake sorti dernièrement) a le mérite de comporter en guise de bonus (non sous-titré), la célèbre émission radiophonique d'Orson Welles !!!! En 1938, en effet, Welles diffusa une adaptation de son faux homonyme. L'émission radiophonique apparut tellement vraisemblable, car elle était entrecoupée de flash d'information, qu'elle engendra une folle panique parmi les auditeurs ! On peut en lire une retranscription en français ici.
Quant à L'affaire Thomas Crown, il faut préciser que c’était le film préféré de Steve McQueen pami tous ceux qu'il a tournés. Michel Legrand contribua beaucoup au film, et pas seulement d’un point de vue musical. En effet, le réalisateur (Norman Jewison) avait, comme l'explique le musicien, beaucoup de difficulté à monter son film et il avait décidé de le faire en fonction de la musique de Legrand. Ce dernier lui avait suggéré cette brillante idée. C'est ainsi qu'une partie d'échecs dura plus de sept minutes dans le film ! Le plus long baiser du monde serait dû à la musique de Legrand. Je pensais que c'était le baiser d'Ingrid Bergman et de Cary Grant dans Notorious qui détenait ce record torride ! Je vais chronométrer pour vérifier, mais je crains que Michel Legrand n’ait raison !
* Je reparlerai bientôt de Stephen King, auteur trop souvent décrié par un certain microcosme littéraire parisien et par certains « intellectuels », qui ne se sont jamais arrêtés devant la profondeur de certaines de ses œuvres.
** Essai en deux tomes, Ed. J'ai lu, où Stephen King analyse les raisons d'un genre littéraire, et s'interroge sur sa propre création, avec humour, voire ironie et dérision, le tout parfaitement documenté.
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