vendredi 6 octobre 2006
Alors que je me tournai vers mes auteurs aimés, ma grande et belle famille adoptive, je tombai sur ce texte, qui pourrait avec une acuité rare parler de Barrie, mais aussi de tous les artistes que j'entends distinctement :
"Or la convalescence est comme un retour vers l’enfance. Le convalescent jouit au plus haut degré, comme l’enfant, de la faculté de s’intéresser vivement aux choses, même les plus triviales en apparence. Remontons, s’il se peut, par un effort rétrospectif de l’imagination, vers nos plus jeunes, nos plus matinales impressions, et nous reconnaîtrons qu’elles avaient une singulière parenté avec les impressions, si vivement colorées, que nous reçûmes plus tard à la suite d’une maladie physique, pourvu que cette maladie ait laissé pures et intactes nos facultés spirituelles. L’enfant voit tout en nouveauté ; il est toujours ivre. Rien ne ressemble plus à ce qu’on appelle l’inspiration, que la joie avec laquelle l’enfant absorbe la forme et la couleur. J’oserai pousser plus loin ; j’affirme que l’inspiration a quelque rapport avec la congestion, et que toute pensée sublime est accompagnée d’une secousse nerveuse, plus ou moins forte, qui retentit jusque dans le cervelet. L’homme de génie a les nerfs solides ; l’enfant les a faibles. Chez l’un, la raison a pris une place considérable ; chez l’autre, la sensibilité occupe presque tout l’être. Mais le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté, l’enfance douée maintenant, pour s’exprimer, d’organes virils et de l’esprit analytique qui lui permet d’ordonner la somme de matériaux involontairement amassée. C’est à cette curiosité profonde et joyeuse qu’il faut attribuer l’oeil fixe et animalement extatique des enfants devant le nouveau, quel qu’il soit, visage ou paysage, lumière, dorure, couleurs, étoffes chatoyantes, enchantement de la beauté embellie par la toilette. Un de mes amis me disait un jour qu’étant fort petit, il assistait à la toilette de son père, et qu’alors il contemplait, avec une stupeur mêlée de délices, les muscles des bras, les dégradations de couleurs de la peau nuancée de rose et de jaune, et le réseau bleuâtre des veines. Le tableau de la vie extérieure le pénétrait déjà de respect et s’emparait de son cerveau. Déjà la forme l’obsédait et le possédait. La prédestination montrait précocement le bout de son nez. La damnation était faite. Ai-je besoin de dire que cet enfant est aujourd’hui
un peintre célèbre ?"
(je souligne) - M. Thorpe appréciera peut-être.
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Je traduis ces jours-ci un des derniers textes écrit par Barrie et je mesure l'évolution sous-jacente qui sépare ce conte fantomal du diptyque qui met en scène Tommy Sandys ou du Petit Oiseau blanc. J'ai le sentiment de pouvoir dessiner, mieux que jamais, à main levée, son électrocardiogramme. Je sens palpiter son cœur. C'est du morse.
J'ai commencé à écrire sur le style de Barrie, car il n'existe quasiment pas d'études à proprement parler consacrées à ce seul aspect, alors qu'une pléthore d'ouvrages psychanalysent Barrie et Peter Pan. Pourtant, le style de Barrie est tout sauf discret.
Un extrait de mes notes jeté ici :
Barrie est un auteur au phrasé tout aussi alambiqué que son esprit tortueux le laisse présager. Il faut le traduire pour en être tout fait conscient, me semble-t-il, car une simple lecture dans la langue originale ne permet peut-être pas d'en prendre toute la folle mesure. A mon sens, il serait dommageable de gommer, dans la traduction, cette étrange prestance stylistique que certains ont nommé les "mannerisms" (des tics, des manies, etc.) de Barrie, sous prétexte de fluidité ou, pire, de modernisme. Que je hais cette notion frauduleuse ! Et que dire de ce délicieux nappage de mots rares, en provenance de la terre par excellence des fantômes, l'Ecosse ? Ces caractéristiques de la phrase torse, excédée par les conjonctions de coordination, par la distanciation provoquée par des juxtapositions temporelles "disharmonieuses" (en apparence) et par de constants ajournements de la pensée, distendue ici et là par de factices digressions, figure la cartographie psychique de l’auteur. Certains auteurs possèdent une musique que l'on reconnaît aux premières notes, c'est le cas de Jamie. C'est pourquoi je n'ai pas hésité une seconde, malgré mon expérience encore très limitée (mais déjà échaudée) de traductrice, à ne point mettre mon grain de sel dans son délicieux concassage de la phrase. Le texte est saturé de la conjonction de coordination « et », qui indique peut-être une volonté de prendre au lasso l’univers et de le tirer à lui. Ces « et » sont les nœuds qu’il fait sur cette corde qu'il ne lâche jamais, pas même à la fin du livre. Dans un ordre d’idées proche, je n’ai pas répudié le subjonctif imparfait (à de rares exceptions près, pour des raisons d’euphonie), car c’est son genre et, par procuration, le mien. On a trop tendance à le laisser mourir d’inanition de nos jours et, si je le bannis assez facilement dans le cadre des dialogues, sa place est pleinement justifiée dans le cadre du récit par la concordance des temps et par l’époque dans laquelle il s’inscrit – ou pas. Barrie est probablement un homme suranné mais, s’il l’est aujourd’hui, j’ose affirmer qu’il l’était tout autant avant-hier. Son anachronisme est existentiel, si je puis m’exprimer ainsi. Il est des êtres qui n’appartiennent pas à leur époque, mais qui n’auraient pas moins juré à un autre moment de l’histoire. Peter Pan n’a pas d’âge, son père non plus. Barrie est très glorieusement glorieux (un des mots qu'il emploie le plus). Il « adverbise » tout, même lorsqu'il ne le fait pas réellement, et chante à tue-tête la gloire du petit garçon insolent qu’il n’a pas cessé d’être (pour ne pas pleurer). Son dire qui demeure toujours si délicat et si prudent est justifié par son inimitable dit. Personne mieux que lui ne sait, au sein même de la réalité la plus ordinaire, nous déporter au bord des choses afin de les contempler avec un œil nouveau, qui aperçoit soudain ce qu’il n’aurait songé à regarder. [...]
De Peter Pan, il est hélas question aujourd'hui, dans les dernières pages de Libération (merci de m'en avoir informée, car je ne suis pas lectrice de ce quotidien-ci) et la traduction du Petit Oiseau blanc est signalée. Je rapporte une petite erreur : le personnage de Peter Pan apparaît dans le roman de Tommy, implicitement, avant de naître dans Le Petit Oiseau blanc. Si le journaliste avait lu ma préface, il le saurait... Dommage que l'article parle si abondamment de la suite écrite par une femme qui ne doute de rien et dont je n'ai pas envie de parler. Gageons que la mégère se proclamera bientôt mère de Peter Pan - qui les haïssait toutes. En effet, celle-ci prétend nous expliquer (dans les journaux anglais que j'ai lus) qui est Peter Pan mieux que ne l'a fait Barrie ! Dommage, dans le cas précis, que les us et coutumes de l'autodafé aient quasiment disparu de nos jours. J'espère que le fantôme de Barrie viendrait lui grignoter les doigts de pieds pendant son sommeil.
Trouvez-vous légitime que la suite de Peter Pan ait droit à tous les égards quand l'oeuvre de Barrie demeure ignorée ? Money, money...
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Je parle assez peu de musique sur ce JIACO. J'ai tort. Mais, dans ces conditions, il me faudrait aussi parler de peinture, et de mille autres choses qui font décoller mes talons du sol et flotter dans l'éther de mes songes. Je me prends tout à coup pour le héros de La Science des rêves de Gondry... La vie se charge de vous spécialiser, malgré vous, car les journées ne sont pas extensibles, hélas. Je suis un émule d'Antoine Doinel : qu'est-ce que j'aimerais m'ennuyer ! Pourtant... La musique, la grande, la petite, la variété, le foklore... Tout ceci est excessivement présent dans ma vie quotidienne. Je ne travaille jamais sans musique et sans thé.
Ma vie est jalonnée de morceaux, de chansons. Je sais exactement ce que j'écoutais lorsque je travaillais sur l'hypotypose kantienne par exemple ou bien quand j'essayais de comprendre Hegel. Ma tristesse des derniers jours, balayée par un sursaut de vie, aura le ton du dernier album de Bob Dylan.
Il m'accompagne en ce moment même, alors que je traduis une nouvelle oeuvre de Barrie. Je ne suis pas un critique musical mais je ne crois pas pouvoir me ridiculiser en affirmant que ce disque contient quelques chefs-d'oeuvre, dont celui-ci, "Beyond the horizon" - au-delà de l'horizon, par-delà ce qui est visible ou perceptible, de l'autre côté de nous-mêmes à la manière d'Alice, l'ailleurs dont on rêve tous, où même l'on se rend parfois, que l'on s'appelle Dorothy
ou non. C'est peut-être aussi le non-lieu de la vie, le paradis biblique...
Au-delà de l'horizon, au printemps ou à l'automne, l'amour l'attend éternellement, lui et chacun d'entre nous...
Il me semble que Dylan fait implicitement référence dans ce texte à au moins deux films, Lost Horizon de Frank Capra et Bells of St. Mary de McCarey. L'ensemble de l'album contient plusieurs clins d'oeil cinéphiliques et je ne parle pas du titre, qui est une évidence ironique.
Le désespoir tranquille et gai de Dylan, sa voix nasillarde, son style musical, tout ceci concourt à construire une atmosphère propice à la mélancolie, mais une mélancolie parfumée à la barbe à papa, pas ce genre de monstre tentaculaire qui amène à lui tous les beaux moments de la vie et s'en goinfre.
Les textes sont magnifiques, presque trop beaux pour n'être qu'écoutés.
Bien sûr, Dylan emprunte sans le citer des vers à Henry Timrod, un poète de la guerre civile, finalement assez peu connu, mort en 1867 à l'âge de 39 ans. Le procédé peut choquer. Je n'ai aucune indulgence pour le plagiat, mais je suis convaincue que, dans ce cas précis, Dylan - qui a trop de talent pour avoir besoin de celui des autres - joue aux devinettes avec nous. En effet, il suffit de regarder le titre de son album qui contient des lettres du nom du poète : Modern Times... [La preuve ici.]
Une autre des chansons de cet album, "When the deal goes down", a bénéficié d'un clip faussement démodé, ironique, illuminé par la présence de la nouvelle égérie de Woody Allen (dont on attend avec impatience le dernier film, après avoir assisté à un beau spectacle, qui met en scènes trois de ses pièces en un acte, au Théâtre de l'Atelier), l'inoubliable héroïne de Lost in translation, Scarlett Johansson.
Chaque prière muette est comme un nuage dans l'air...
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