vendredi 24 mars 2006

Start spreading the news
I'm leaving today
I want to be a part of it, New York, New York
These vagabond shoes
Are longing to stray
And make a brand new start of it
New York, New York
I want to wake up in the city that never sleeps
To find I'm king of the hill, top of the heap
These little town blues
Are melting away
I'll make a brand new start of it
In old New York
If I can make it there
I'll make it anywhere
It's up to you, New York, New York.
I want to wake up in the city that never sleeps
To find I'm king of the hill, top of the heap
These little town blues
Are melting away
I'll make a brand new start of it
In old New York
If I can make it there
I'll make it anywhere
It's up to you, New York, New York
J'évoquais le livre d'Allan Bloom ici. J'ai commencé la lecture de cet essai remarquable. Le style en est, ma foi, fort plaisant et le contenu à la hauteur de mes attentes. L'auteur dresse un panorama de l'amour, que celui-ci soit Eros, Philia ou Agapè, selon la tripartition grecque. L'originalité ou le charme du propos est de nous emmener en voyage à travers les grands romans de la littérature mondiale. Nous y rencontrons Stendhal, Rousseau (que l'auteur a traduit), Tolstoï, Montaigne et surtout Shakespeare. Il manque quelqu'un à l'appel. Personne n'ignore que j'ai une passion pour Jane Austen et M. Darcy en particulier. Si vous négligez ce détail, vous faites fi d'un des piliers les plus solides de ma complexion. Allan Bloom analyse le roman de Jane Austen dans une perspective restrictive (rousseauiste et aristotélicienne) mais néanmoins éclairante.
"L'ironie véritable a beaucoup à voir avec cette vertu absente de la pensée moderne, la modération." "Ainsi, en dépit de son goût très marqué pour la litote, Austen est une romantique qui croit que l'aveugle amour a de bons yeux." "La plupart des mariages sont des relations humaines qui n'existent que par la loi et l'opinion publique. Seul un petit nombre connaît cet attachement profond où la compagnie de l'autre est un bonheur qui ne cesse pas." "On ne peut s'empêcher de songer à la remarque d'Aristote que l'orgasme et la pensée s'excluent mutuellement. Bien sûr rien n'empêche qu'un être humain ces deux choses, chacune en son temps. Mais si l'on a un patenaire unique, le choisit-on d'abord pour l'une ou pour l'autre, ou en fonction d'une cote mal taillée entre les deux ? Et si l'on it qu'iil vaut mieux avoir deux partenaires, un pour chacune de ces deux grandes activités, reste la question : lequel a la première place, laquelle est la principale ? Ceux qui ne veulent pas poser ces questions cachent leur tête dans le sable. (...) Tout cela peut sembler inapproprié dans une discussion concernant l'austère Jane Austen. Ces questions sont pourtant nécessaires précisément parce qu'à la différence des autres romantiques, Jane Austen célèbre l'amitié classique comme le coeur de l'amour romantique." (je souligne)
Andrew Sean Greer, dans son très beau roman, a (peut-être sans le savoir ?) mis en forme une idée que l'on trouve dans les Carnets de Barrie et énoncée de la sorte :

Carnet 31, 1908

Pièce féerique. Quelqu’un qui grandit à l’envers (un homme ou une femme qui naît vieux et vieillit en devenant jeune).

RÉSUMÉ DU LIVRE :

Baie de San Francisco, 1871. Max Tivoli naît avec l'apparence d'un homme de soixante-dix ans, condamné à avancer à reculons, à l'inverse du monde qui se précipite vers son destin. C'est à l'adolescence, lorsqu'il s'éprend éperdument d'Alice Levy, que sa vie commence véritablement. Elle devient soudain aussi scintillante et douloureuse que des morceaux de verre. Comment conquérir un cœur de dix-sept ans lorsqu'on en paraît cinquante ? Suspendu au temps qui fuit et lisse son apparence, ballotté par les bouleversements du siècle naissant, Max Tivoli parcourt le monde, avec la complicité mystérieuse de son ami Hughie, à la poursuite de son amour. Car Alice, comme dans les contes de fées les plus cruels, disparaît dès qu'il parvient à l'embrasser.

jeudi 23 mars 2006

Je suis venu te dire que je m'en vais et tes larmes n'y pourront rien changer...
Ce n'est qu'un au revoir, une parenthèse printanière, une ellipse momentanée, une suspension du temps et de l'espace. Je laisse ce JIACO sous bonne garde et je reviens vous écrire le 4 avril, si Dieu me prête vie... Ou peut-être avant... Sait-on jamais ? Mais toute chose en ce bas monde n'est qu'hypothèse, n'est-ce pas ? Je ne suis pas très loin mais je n'aurai pas le temps d'écrire de nouveau billet. Pas une seconde pour ce plaisir quotidien. A très vite. Merci à tous et à toutes pour vos visites et vos commentaires. Je suis reconnaissante.
mardi 21 mars 2006
Lewis Carroll aimait les jeux et la logique. Il a inventé un alphabet codé (The Alphabet-Cipher ) publié en 1888. Comment est-ce que cela fonctionne ? Rien de plus simple, un jeu d' enfants. Observez le tableau ci-dessous :
ABCDEFGHIJKLMNOPQRSTUVWXYZ
A abcdefghijklmnopqrstuvwxyz A
B bcdefghijklmnopqrstuvwxyza B
C cdefghijklmnopqrstuvwxyzab C
D defghijklmnopqrstuvwxyzabc D
E efghijklmnopqrstuvwxyzabcd E
F fghijklmnopqrstuvwxyzabcde F
G ghijklmnopqrstuvwxyzabcdef G
H hijklmnopqrstuvwxyzabcdefg H
I ijklmnopqrstuvwxyzabcdefgh I
J jklmnopqrstuvwxyzabcdefghi J
K klmnopqrstuvwxyzabcdefghij K
L lmnopqrstuvwxyzabcdefghijk L
M mnopqrstuvwxyzabcdefghijkl M
N nopqrstuvwxyzabcdefghijklm N
O opqrstuvwxyzabcdefghijklmn O
P pqrstuvwxyzabcdefghijklmno P
Q qrstuvwxyzabcdefghijklmnop Q
R rstuvwxyzabcdefghijklmnopq R
S stuvwxyzabcdefghijklmnopqr S
T tuvwxyzabcdefghijklmnopqrs T
U uvwxyzabcdefghijklmnopqrst U
V vwxyzabcdefghijklmnopqrstu V
W wxyzabcdefghijklmnopqrstuv W
X xyzabcdefghijklmnopqrstuvw X
Y yzabcdefghijklmnopqrstuvwx Y
Z zabcdefghijklmnopqrstuvwxy Z
ABCDEFGHIJKLMNOPQRSTUVWXYZ

Il donne une correspondance : une lettre est représentée par une autre lettre. Il suffit pour échanger des messages avec un tiers de convenir d'un mot ou d'une phrase qui sert de décrypteur, par exemple TRISTRAM. Si vous désirez écrire le message suivant : "Rendez-vous sur le pont Mirabeau", vous devez écrire d'abord le mot clef autant de fois que nécessaire afin que toutes les lettres du mot concordent avec celle du message, comme il suit :
TRISTRAMTRISTRAMTRISTRAMTRI
RENDEZVOUSSURLEPONTMIRABEAU
Il suffit alors de prendre la ligne qui commence par un T, d'avancer horizontalement, jusqu'à croiser une lettre qui est le point d'intersection avec la ligne verticale qui commence par un R. Le point d'intersection est la lettre K (si je ne louche pas !). Et ainsi de suite, avec toutes les lettres du message. Notre message codé devient donc (si, réellement, le strabisme ne m'a pas gagné) : KVVVXQVANKAMKCEBHEBEBIKNXRC Amusant, n'est-ce pas ?

lundi 20 mars 2006
Mon directeur de thèse bien-aimé me recommande la lecture de cet ouvrage. Je me suis empressée de l'acheter car il est l'un des rares prescripteurs, en ce bas monde, de mes lectures. Je le connais depuis longtemps et je lui dois de sublimes découvertes : Tom Jones et Tristram Shandy par exemple. Il a simplement échoué à me faire aimer la littérature allemande et Proust. Les lire, les admirer, oui ; les aimer, je ne le puis. Justement, il est question dans ce livre d'amour, la chose la plus intéressante au monde.

L'amour est d'abord un sentiment, une passion ou un désir avant que d'être un acte ; on est d'abord amoureux avant d'aimer, patient avant d'entrer en scène et d'être acteur. Coup de foudre paralysant en statue de sel ou subtile insinuation qui prend possession progressivement de l'être, mal grandissant dans le sein de l'homme ou de la femme, qui ne se laisse sentir que bien trop tard. Impossible d'éviter le coup. L'amour aime faire ses coups en douce, en traître.

"C'est le sort de tous les actes profonds que de ne devenir perceptibles que lorsque ceux-ci sont depuis longtemps engagés. Il en va ainsi des actes de l'amour comme de la composition d'une œuvre quelconque, qu'il s'agisse de l'herbe ou d'un livre, et de toutes choses qui ne commencent jamais, ou plutôt dont on ne pourra jamais dire quand ni comment elles ont commencé." (Clément Rosset, Le réel, Traité de l'idiotie, éd. Minuit, 1977, p. 130.)

Les amoureux sont étonnamment étourdis et oublieux d'eux-mêmes, dans les premiers temps… L'amour, à ses débuts, a quelque chose d'involontaire et d'inconscient ; il est gauche et imprudent. L'amour prend corps et se cheville en nous avant de se faire remarquer à la conscience, comme s'il voulait prendre de cours, de crainte que nous ne soyons tentés de l'esquiver. On se prend soudain à aimer un être, sans pouvoir expliquer les effets de cette machine souterraine qui a mis en branle notre cœur, notre âme et notre esprit. L'amour trouble et bouleverse. On ne sait pas pourquoi on s'est mis à aimer, et toutes les raisons ne viennent qu'après coup, et l'on ne s'entête pas trop à en chercher les causes, comme si l'amour lui-même suffisait à répondre à lui-même. Le second mouvement de l'amoureux qui se reconnaît, étonné, dans un sentiment jusqu'à présent ignoré de lui, est un mouvement vers l'objet de ce sentiment, un mouvement qui a envie de rendre ce qu'il a reçu, comme un gifle ou un baiser à qui manque son jumeau : l'amoureux se sent heureux, alors il veut faire plaisir, manifester des attentions qui ont pour but la satisfaction de celle ou celui à qui elles s'adressent. Un échange de bons procédés s'instaurent entre les deux amoureux qui deviennent amants, acteurs, et non plus simplement contemplateurs et spectateurs de quelque chose qui s'impose à eux et leur échappe. Une tension, un jeu de yo-yo s'établit entre les amoureux qui cherchent à se plaire et à se faire plaisir, pour se faire aimer ou pour continuer à l'être, à moins que ce soit simplement parce qu'ils aiment. L'amour s'exprime dans la volonté de donner quelque chose à autrui. Pourquoi ? Parce que le don fait plaisir à soi ou parce que l'on veut récompenser autrui de son amour et justifier son choix, ou pour son bien, indépendamment du sien propre ? Toutes les réponses sont possibles, cela dépend de l'espèce de l'amour qui est mis en jeu dans une relation humaine : amour de bienveillance ou amour de concupiscence, simple affection, noble amitié ou furieuse dévotion … Quoi qu'il en soit, si l'on écoute Descartes, le genre de l'amour est unique, même s'il diffère dans ses effets, il est un dans son essence. On "s'unit de volonté à un autre" : on se met à former un tout, dont on n'est qu'une partie : la plus importante ou la moindre, ou simplement une moitié de valeur équivalente. Or, l'amour est comparable à un élastique, il permet toutes les déformations et est susceptible de se rompre, à tout instant, dans un claquement, un bruit sec qui annonce la gifle ou le sifflement de la blessure. A chaque bout de l'élastique, moi et autrui, deux identités et deux altérités qui s'attirent et se repoussent : image bien pratique qui a pour vertu principale de suggérer la distance variable qui sépare et unit les aimés, selon que le bout de caoutchouc est plus ou moins tendu. Lorsqu'il n'y a pas ou plus de tension, l'élastique se recroqueville et se roule en boule, il perd sa figure et son utilité, comme les amants devenus couple… Cette tension de l'élastique symbolise la tension qui existe chez les amants entre leur désir de fusion et leur tendance à s'enfermer dans leur identité, entre l'envie de donner et les incapacités de l'égoïsme (la tentation de l'économie ou de l'avarice).

Plus troublante que cette anecdotique différence évoquée précédement, la conjugaison du verbe "résoudre". Il possède deux participes passés : "résolu", qui est la forme ordinaire, et "résous" qui s'attache au langage de la chimie ou à celui de la conversion. Exemple : "Le brouillard s'est résous en pluie."Au féminin, Littré préconise "résoute". Amusant, n'est-ce pas ? Il y a un inconvénient, parfois, à trop bien connaître les difficultés de la langue. Certaines erreurs appartiennent tellement au sens commun que les rectifier vous fait passer pour quelqu'un d'ignorant. Le revers de la médaille en somme.
dimanche 19 mars 2006
Barrie était armé de son fidèle Roget's Thesaurus. Je suis, quant à moi, accompagnée d'une armée : Grevisse en tête, Littré, Lalande, Gaffiot et Bailly, entre autres. Je suis réticente à me séparer de ce minuscule usuel, un Larousse, que je ne consulte pas assez, Le dictionnaire des difficultés de la langue française. Bien sûr, avec stupeur, je recense mes fautes et mes faiblesses, mais j'essaie au fil du temps de m'aguerrir aux subtilités de notre langue. J'y apprends par exemple la menue différence qui existe entre deux synonymes : second(e) et deuxième. Le premier s'entend dans une énumération qui ne comporte pas plus de deux termes, quand le second (justement !) exprime une énumération qui peut comporter plus de deux éléments. On habite, par conséquent, au deuxième étage si l'immeuble comporte plus de deux étages, mais au second si celui-ci est le dernier étage. 
« Peut-être qu’en effet nous changeons, à l’exception d’une petite parcelle de notre être, qui n’est pas plus grosse qu’une poussière dans l’œil. Et, comme elle, cette part de nous-même danse devant nous et captive notre vie tout entière. Je ne peux couper le cil auquel elle est suspendue. »

« Dédicace aux Cinq* », précédant la dernière version de la pièce Peter Pan.
*Enfants Llwelyn-Davies.
De tous les romans de James Matthew Barrie, le diptyque qui met en scène le personnage de Tommy Sandys constitue peut-être l’exhibition la plus impudiquement pudique de l’auteur. On comprendra que son épouse, Mary Ansell, ait pu lui demander de censurer certains passages trop intimes.
Tommy est un homme qui ne peut le devenir, condamné à l’enfance, par quelque impossibilité mystérieuse. Il ne peut se résigner à quitter le domaine de l’enfance dansante et chantante.
« Pauvre Tommy ! Il était toujours un garçon, essayant quelquefois, comme à présent, d’être un homme. Mais, toujours, quand il regardait autour de lui, il revenait en courant à son enfance, comme s’il la voyait lui tendre les bras pour l’inviter à jouer de nouveau. Il était si épris du fait d’être un garçon qu’il ne pouvait grandir. Dans un monde plus jeune, où il n’y aurait eu que des garçons et des filles, il eût été un noble personnage. »
Mais il demeure l’unique seigneur d’un royaume déserté par tous les autres. Tout le monde passe le gué de l’enfance. C’est une loi de nature. A moins que la nature ne vous oublie, ce qui semble avoir été le cas de Jimmy, tant psychologiquement que physiquement.

Le génie de James Matthew fut peut-être de renverser les rôles et de travestir causes et conséquence, de transmuer une impossibilité en désir et en refus.
Tommy et Grizel
Grizel, je semble être si différent de tous les autres hommes ; il semble y avoir quelque malédiction planant sur moi qui me rend incapable de vous aimer à leur manière. Je veux vous aimer, mon adorée. Vous êtes la seule femme que j’aie jamais désiré aimer, mais, selon toute évidence, je ne le puis. J’ai décidé de continuer ainsi, parce que cela me semble la meilleure chose pour vous. Mais est-ce le cas ? (…) Je vous avouerais tout et je vous laisserais la décision, mais la crainte que vous puissiez croire que je veux partir me retient (…) Je pense que je vous aime à ma façon, mais je pensais que je vous aimais à leur façon. Et cette façon est la seule qui ait de l’importance dans leur monde, qui n’est pas vraisemblablement pas le mien.

(chapitre XV)
"Cela ne signifiait pas que je n’aimais pas vos livres, dit-elle. Mais je vous aimais davantage et je pensais qu’ils vous faisaient du mal.
- A l’époque, j’avais des ailes, répondit-il et elle sourit. Elles sont bien déplumées à présent, n’est-ce pas, Grizel ? demanda-t-il d’un ton badin et il se tourna pour qu’elle examinât ses épaules.
-Il reste beaucoup de plumes, Monsieur, dit-elle. Et j’en suis ravie. Je n'avais de cesse de les arracher. Mais, désormais, j’aime savoir qu’elles sont toujours là, car cela signifie que vous demeurez dans la réalité, non pas parce que vous ne pouvez pas voler, mais parce que vous ne le voulez pas.
- J’ai toujours de petits combats avec moi-même, laissa-t-il échapper d’un air enfantin, bien que ce ne fût pas une chose qu’il eût besoin de lui dire. "
Et Grizel pressa sa main pour lui faire comprendre qu’elle le savait déjà aussi bien que lui.
(chapitre XXXIV)
vendredi 17 mars 2006
Lucrèce :
« L’enfant ressemble au matelot qu’ont rejeté des flots cruels ; il gît à terre, nu, incapable de parole, dépourvu de tout ce qui aide à la vie, depuis le moment où la nature l’a jeté sur les rivages de la lumière, après l’avoir péniblement arraché au ventre de sa mère. Il remplit l’espace de ses vagissements plaintifs, comme il est naturel à l’être qui a encore tant de maux à traverser. »
(De la nature, V, v .223) Barrie dit quelque chose de semblable. Si tel est le cas, il a d'illustres prédécesseurs. Prosaïquement, à mes yeux, Schopenhauer est simplement un homme lucide, doué d'un sens de l'autodérision peu commun. Sa philosophie, qui est pour une part un commentaire et un corrigé de la philosophie kantienne, fait preuve de son talent d'écrivain et de son humour (noir). Il est donc d'excellente compagnie pour les désespérés. S'il est pessimiste, son humeur me sied davantage que l'optimisme béat de quelques autres. C’est au XIXe siècle qu’apparaît le mot et que se développe le concept avec Schopenhauer (devancé par Léopardi) et son disciple Hartmann. Mais Schopenhauer ne se serait jamais désigné comme tel, et à vrai dire, il ne me semble pas légitime de lui attribuer un tel adjectif. Un élément biographique, aussi instructif qu’amusant, permet d’expliquer le « pessimisme » de Schopenhauer comme la conséquence d’un délire de persécution :
« Schopenhauer avait peur de la petite vérole, de la phtisie, de la lèpre et de toutes les autres maladies. Il portait un gobelet de cuir dans sa poche afin de ne pas s’exposer aux contagions en buvant dans des verres inconnus … Il avait peur des procès, des voleurs, des incendies, des révolutions, du poison, de ses amis, de son ombre. Il couchait avec une épée et des pistolets chargés, sautait dessus au moindre bruit. A partir de 1836, il ne logea plus qu’au rez-de-chaussée, pour se sauver plus facilement quand la maison brûlerait. Il n’osa jamais se faire faire la barbe , de crainte que le barbier ne lui coupât la gorge … Pendant une année entière, il faut obsédé par l’idée qu’on allait l’accuser d’un crime et lui faire un procès. Une autre fois, il se crut tout de bon empoisonné dans une prise de tabac. En 1813, il s’imagina qu’on voulait l’enrôler de force. Il fut poursuivi toute sa vie par la crainte d’être enterré vif. » (Arvède Barine, Le père du pessimisme contemporain, Revue bleue, 18 juillet, 1885.)

Pour Schopenhauer, la philosophie est une sorte de cosmologie qui, doit nous apprendre à comprendre l’essence du monde, sans toutefois nous expliquer le pourquoi, ni l’origine ni la destination de ce monde ( le woher et le wohin ne l’intéressent pas) . En vérité, seul le présent importe, une sorte de présent éternel :
« La philosophie est essentiellement la connaissance du monde, son problème est le monde ; c’est de lui seul qu’elle s’occupe et elle laisse les dieux en repos, elle espère qu’ils en feront de même à son égard. »


Le monde est pour lui comme une inscription tracée en caractères inconnus dans une langue mystérieuse qu’il s’agit de traduire : mais si la volonté est « aveugle » comment expliquer la composition de ce texte à déchiffrer qu’est l’univers ?
Le monde de Schopenhauer est la volonté qui se réfléchit dans l’intelligence comme dans un miroir ; l’univers est un phénomène cérébral.
«Oui voilà ce que je découvris dans cet objet à peine aussi gros qu’un gros fruit, et que le bourreau peut faire tomber d’un seul coup de manière à plonger d’un même coup dans la nuit le monde qui y est enfermé. Et ce monde n’existerait plus, si cette sorte d’objets ne pullulaient sans cesse, pareils à des champignons, pour recevoir le monde prêt à sombrer dans le néant, et se renvoyer entre eux, comme un ballon, cette grande image identique en tout, dont ils expriment cette identité par le mot d’objet. »
Autre affirmation surprenante de la part du philosophe : nous sommes responsables de notre être (de notre caractère) et non de nos actes qui en découlent (puisque ces actes s’inscrivent dans le monde physique, celui de la causalité, où il n’y a pas de place pour la liberté) ; on aurait pensé l'inverse ; il n’y a de liberté morale que métaphysique, là où la volonté, qui se manifeste dans un individu particulier, n’a aucun lien avec la connaissance, puisqu’elle lui est antérieure. La connaissance sert à l’individu à développer l’essence de l’être qu’il s’est choisi, en lui présentant des motifs d’agir.


« L’operari d’un homme donné est déterminé, extérieurement par les motifs, intérieurement par son caractère, et cela d’une façon nécessaire ; chacun de ses actes est un événement nécessaire. Mais c’est dans son esse que se retrouve la liberté. Il pouvait être autre ; et tout ce en quoi il est coupable ou méritant, c’est d’être ce qu’il est. Car quant à ce qu’il fait, cela en résulte jusque dans le détail comme corollaire. » (Le Fondement de la morale).
L’être humain doit peut-être simplement accepter les conséquences de ce que Schopenhauer appellerait son « caractère empirique. La vraie liberté consisterait alors dans la connaissance des causes qui nous déterminent, bien que cette connaissance soit impuissante à nous changer de caractère. Nous retrouvons par ce biais Spinoza.
Kant a posé le problème, dans La critique de la raison pure : si la liberté doit exister comme cause, elle ne peut pas commencer au sein de la série des causes et des effets qui précèdent l’acte dit libre, sinon ce dernier est déterminé. Or, un tel acte semble impossible, car il faudrait sortir de la chaîne causale où nos actes sont entrelacés. Kant accomplit un saut : l’acte libre va relever du caractère intelligible de l’individu et non de son caractère empirique (distinction peu facile que va reprendre par la suite Schopenhauer). Le caractère empirique peut être compris comme la somme des dispositions empiriques, conditionnées par la nature, tandis que le caractère intelligible serait ce qui se manifeste dans la série totale et entière des phénomènes qui tissent la trame de son caractère empirique. « (…) on dirait de lui très exactement qu’il commence de lui - même ses effets dans le monde sensible, sans que l’action commence en lui-même [i.e. comme l’effet d’une cause déterminante antérieure] (…) »
Or, une telle liberté ne peut se connaître… Kant, en platonicien, reprend le mythe d’Er à son compte : les âmes vont renaître, après avoir choisi leur « lot », celui-ci est un ensemble, dont on ne peut accepter certains fragments et en refuser d’autres : les âmes imprudentes vont passer leur vie à en découvrir le contenu fatal, au fur et à mesure. Il y a eu un libre choix, mais celui-ci ne se produit qu’une fois et il est impossible de revenir dessus. Qui veut la fin veut les moyens, et vice-versa. C’est un agrégat. Le destin est ce qui découle de ce libre choix… Ce choix est souverain, intelligible, on ne peut en demander raison au sujet. Le tragique se situe sur cette larme batavique. Cassez-en la pointe et tout s’écroule, tout s’émiette, tout se désagrège, tout perd son sens. Mais ce choix unique, premier et dernier, a-t-il été éclairé ?

Grâce à Barrie, à la faveur de la lecture d'un petit dictionnaire d'Ecossais (ou, plus précisément de Scots - appelé en scots the Scots leid, the Scotch tung, qui est une langue germanique parlée en Ecosse et dans le nord de l'Irlande, l'Ulster, et très proche de l'Anglais. Elle est reconnue comme une langue régionale en Ecosse ; elle constitue l'idiome propre aux Basses-Terres d'Ecosse), j'ai refais connaissance avec cet homme, demeuré célèbre par cette chanson qu'il rendit populaire (en lui ajoutant peut-être quelques vers), Auld Lang Syne [auld = old ; lang = long ; syne = since, ce qui équivaut à peu près à un "il y a longtemps" ou à un "depuis tout ce temps"]. La chanson est mélancolique et évoque le "bon vieux temps jadis", celui que la mémoire sort de sa remise et nous redonne au présent. En France, nous connaissons la chanson sous cette forme : "Ce n'est qu'un au revoir mes frères". Une version populaire de cette chanson :
Should auld acquaintance be forgot, And never brought to mind? Should auld acquaintance be forgot, And days of auld lang syne? And days of auld lang syne, my dear, And days of auld lang syne. Should auld acquaintance be forgot, And days of auld lang syne?
We twa hae run aboot the braes And pu'd the gowans fine. We've wandered mony a weary foot, Sin' auld lang syne. Sin' auld lang syne, my dear, Sin' auld lang syne, We've wandered mony a weary foot, Sin' auld ang syne.
We twa hae sported i' the burn, From morning sun till dine, But seas between us braid hae roared Sin' auld lang syne.
Sin' auld lang syne, my dear, Sin' auld lang syne. But seas between us braid hae roared Sin' auld lang syne.
And ther's a hand, my trusty friend, And gie's a hand o' thine; We'll tak' a cup o' kindness yet, For auld lang syne. For auld lang syne, my dear, For auld lang syne, We'll tak' a cup o' kindness yet, For auld lang syne.
Robert Burns est né le 25 janvier 1759. Il était le fils d'un pépiniériste. Malgré la grande pauvreté de ce dernier, ses enfants eurent la meilleure éducation possible. Robert alla à l'école mais sa formation intellectuelle fut essentiellement constituée par les lectures de son père et par les siennes. Arrivé à l'âge adulte, il connaissait l'Anglais, le Français de manière livresque et les chefs-d'oeuvre de la littérature anglaise ne lui étaient pas inconnus. Il s'essaya sans succès au métier de fermier. En vue d'émigrer, il vendit un premier recueil de poèmes qui eut un grand succès. Il épousa Jean Armour. Il est mort en 1796.

« Ici je m’arrête un moment pour exhorter le lecteur à n’accorder jamais aucune attention à sa raison quand elle entre en conflit avec toute autre faculté de son esprit. La simple raison, encore qu’utile et indispensable, est la plus pauvre faculté de l’esprit humain, et la moins digne de confiance ; et pourtant la grande majorité des gens ne se fient qu’à elle ; ce qui peut suffire à la vie ordinaire, mais non point à des fins philosophiques. »

jeudi 16 mars 2006

Après Louis-Ferdinand Céline, j’ai déjà expliqué que je ne pouvais plus rien lire.

Or, je me suis remise en selle, grâce à Camus. Phénomène très étrange si l’on considère l’écriture si propre, presque javellisée de Camus. Alors que Céline ... Mais sous la prose briquée, il y a quelque chose d’autre.

J’aime Camus, son œuvre, ses Carnets surtout. J’aime quand il parle des autres, également :

« Le style de Faulkner, avec son souffle saccadé, ses phrases interrompues, reprises et prolongées en répétitions, ses incidences, ses parenthèses et ses cascades de subordonnées, nous fournit un équivalent moderne, et nullement artificiel, de la tirade tragique. C’est un style qui halète, du halètement même de la souffrance. Une spirale, interminablement dévidée, de mots et de phrases conduit celui qui parle aux abîmes des souffrances ensevelies dans le passé, Temple aux délicieux enfers du bordel de Memphis qu’elle voulait oublier, et Nancy à la douleur aveugle, étonnée, ignorante, qui la rendra meurtrière et sainte en même temps. »

« Ce que voit Faulkner, c’est que la souffrance est un trou. Et que la lumière vient de ce trou, oui. »

(Camus, Avant-propos à son adaptation théâtrale de Requiem pour une nonne)

Explicitation du précédent message :
"À la fin, il se précipita, car il avait rêvé que sa mère pleurait ; il connaissait la cause de ses pleurs et un câlin de son merveilleux Peter lui rendrait rapidement le sourire. Oh, il était si sûr de lui ! Il était si désireux de se nicher dans ses bras que, cette fois-ci, il vola tout droit jusqu’à la fenêtre, qui était toujours ouverte pour lui. 
Mais la fenêtre était fermée et il y avait des barreaux et, à travers eux, il vit sa mère qui dormait paisiblement et enlaçait un autre petit garçon.
Peter s’écria : « Mère ! Mère ! » ; mais elle ne l’entendit pas : en vain, il frappa de ses petits poings les barreaux en fer. Il dut retourner en pleurs aux Jardins et il ne revit jamais plus sa mère adorée. Quel glorieux enfant avait-il eu l’intention d’être pour elle ! Ah, Peter, nous qui avons commis une grave faute, comme nous agirions différemment si nous avions une seconde chance ! Mais Salomon avait raison : il n’y a pas de seconde chance, pas de seconde chance pour la plupart d’entre nous. Lorsque nous atteignons la fenêtre, l’Heure de la Fermeture a sonné. Les barreaux en fer sont mis pour la vie." 

Ne te contente pas d’un amour médiocre : cinq étoiles luxe ou rien. "Rien" est un absolu, à sa façon, et je n’aime pas les gens tièdes. Tu dois me faire plaisir. Il n’y a pas de petits plaisirs ou de petites souffrances dans le registre du vécu. Le rêve est la serrure où l’œil de l’âme se colle pour apercevoir l’homme ou la femme qu’on n’a pas osé être quand il était encore temps. Il est temps jusqu’à ce qu’on s’habitue et se trouve installé quelque part.

Le rêve est un signet dans notre mémoire pour nous rappeler d’être modeste dans nos espoirs. L’occasion manquée est comme un tricot où l’on a sauté une maille par étourderie ou inconscience, à la restriction près que dans la vie ce genre d’oubli n’est pas rattrapable. On n’a droit qu’à une seule chance et ceux qui prétendent que ce n’est pas suffisant, en auraient-t-ils mille, qu’ils ne la saisiraient pas mieux.

mercredi 15 mars 2006
Cette petite fille était une amie de Barrie. Elle s'appelait Margaret
et mourut à l'âge de six ans, en 1895. L'histoire est très connue. Elle appelait James Matthew Barrie son ami, mais au lire de dire "my friendy", car elle ne prononçait pas les "r", elle disait "my fwendy". C'est ainsi que, sous la plume de Barrie, naquit le prénom Wendy. Peut-être que ce prénom existait auparavant, mais il doit beaucoup à James Matthew. La cape portée par l'enfant sur cette photo est la même que celle que portera, plus tard, Wendy Darling, le personnage de Barrie. On retrouve cette petite fille, dans une autre oeuvre de Barrie, Sentimental Tommy (le premier tableau d'un diptyque dont je suis folle amoureuse et dont j'aurai l'occasion de vous en parler, si Dieu me prête vie). Dans ce roman, Reddy est une amie d'enfance de Tommy, qui meurt à l'âge de six ans. Après la mort de Margaret, Barrie écrivit à son père ces mots : "Elle traverse le début de mon histoire (...)" Implicitement, il est aussi question d'elle dans The Little White Bird. De semblables histoires se tiennent aux quatre coins de l'oeuvre de Barrie, qui mélangea si bien réalité et fiction. C'est une des raisons de mon immense attachement, pour ne pas dire de ma dévotion, qui grandit chaque jour davantage.
Une nouvelle pièce pour le "musée Barrie" : une superbe photographie d'époque, tirée du film adaptée de l'oeuvre de Barrie, Quality Street : Mon bonheur ne serait pas complet aujourd'hui, si je ne citais pas Sir Barrie, dans Le petit oiseau blanc :
« Buvez encore, suggéra avec effronterie Madame Pinson. » Kate était son prénom et toutes les Kate sont impertinentes.
Je ne crois pas que cela s'applique à miss Katharine Hepburn, qui est la grâce et la classe incarnées. A moins que l'impertinence ne soit une qualité... Elle possède cette distance, froide, piquante, mais non dépourvue de sentiment, qui rend les femmes attrayantes. **************** Petit extrait du roman susnommé, qui illustre à la perfection le ton de Barrie : un appel à notre imagination, entre humour et ironie.

Maimie marcha le long d’un de ces rubans pendant quelques temps sans rencontrer qui que ce soit, mais à la fin elle aperçut une cavalcade de fées approcher. A sa grande surprise, elles semblaient revenir du bal et elle eut juste le temps de se cacher en pliant les genoux et en étendant les bras, afin de figurer une chaise de jardin. Il y avait six cavaliers en avant et six derrière, au centre marchait une dame très collet monté portant une longue traîne, tenue par deux pages. Sur la traîne, comme s’il se fût agi d’un divan, était étendue une jolie jeune fille. C’est de cette manière que se déplacent les fées appartenant à l’aristocratie. Elle était habillée d’une pluie d’or, mais la partie la plus enviable de sa personne était son cou, qui était bleu et avait la texture du velours. Bien sûr, elle arborait un collier de diamants. Aucune gorge d’albâtre n’aurait pu le mettre aussi parfaitement en valeur. Les fées de haute naissance obtiennent cet effet admirable en piquant leur peau : le sang bleu afflue et teinte leur peau. Vous ne pouvez rien imaginer d’aussi éblouissant, à moins que vous n’ayez vu des bustes de dames, dans les vitrines des joailliers.

Lien ici.

mardi 14 mars 2006

Extrait découpé dans les premières pages de ma thèse.

Concevoir une notion aussi diffuse et insaisissable que ce que l’on nomme le tragique, sans réellement savoir si quelque chose existe au bout de ce mot, révèle un esprit audacieux, relève fatalement d’un certain exercice de style plus que de la rigueur requise par les règles de la réflexion philosophique mise en exergue et en œuvre par Descartes. Il serait cocasse de s’apercevoir que l’on a flirté pendant des années avec un mot qui ne recouvre rien, mais on ne serait pas davantage pitre en s’entichant d’un vocable qui sonne bien (mais creux) qu’en s’affolant au contact du mot « vie ». Peut-être bien que le « tragique » est comme « la vie » : une imposture de la pensée et du langage dont on s’accommode car elle cache la nôtre, celle d’exister.

Pourtant il s’agit, malgré tout, plus de concevoir que de percevoir (l’un et l’autre étant des pendants réciproques), bien que cette conception soit moins le fruit d’une implacable logique mise en œuvre sur le réel que celui d’une certaine vision du monde, né des entrailles psychiques d’un être singulier, bien qu’ordinaire. Le style va de pair avec l’essai puisqu’il ne s’affirme que dans l’exercice de celui à qui il appartient ; quant à la rigueur, qui est le maître mot et étalon de la philosophie occidentale, elle n’appartient qu’à ceux qui ont la foi en une réalité immuable et universellement identique dans l’esprit des êtres qui habitent et pensent cette réalité, qui croient que le monde peut être compris et doit l’être. Telle n’est pas notre conviction. Certes, l’univers est à peu près le même univers dans la pensée des divers individus qui encombrent un temps et un espace communs et qui chaussent la même paire de lunettes, qu’elle soit celle de la science, de l’art ou de la philosophie, ou encore de celle de l’homme du commun. Pourtant, si l’on s’attachait – si cela était possible – à un recensement des visions du monde propres à chacun de ces groupes d’individus, on s’apercevrait sans nul doute qu’aucune n’est absolument identique à une autre, ne serait-ce que par d’infimes variations ; dès lors, à quoi bon, sinon pour se rassurer d’appartenir à un même genre, bien que d’espèces différentes, s’enfermer dans l’exiguïté du concept ?

Trahir le réel, sa richesse de matière et sa pauvreté de sens, est peut-être le seul courage dont nous soyons capables. Il est tellement plus aisé de se conformer aux modèles que ceux-ci soient de la science ou de la philosophie que de les inventer soi-même, quittes à être en porte-à-faux avec les vérités de raison, conventionnelles. En effet, ce que nous appelons les vérités de raison sont ce qui est admis communément par les scientifiques, les philosophes, les artistes, les moralistes, ou simplement par le sens commun. A l’opposé de ces vérités bien établies, bourgeoises, nous opposons ce que nous nommons les vérités de fait et qui sont le fait, précisément, de ceux qui les vivent, avant de les penser comme vraies ou non, et qui se moquent sûrement de savoir quelle valeur de vérité elles possèdent, puisque le seul critère de vérité est pour eux le ressenti. L’illusion et la passion d’un individu participent de ce genre de vérité de fait. En effet, ni la philosophie ni la science ne peuvent juger du monde que l’homme habite par sa passion ou par les illusions qu’il entretient. Cette vision du monde qu’il entretient comme un feu auquel il rajouterait sans cesse, jusqu’à sa mort, du petit bois.

Samedi, j’avais rendez-vous avec mon enfance.
Olympia, en matinée.
Le rendez-vous des vieux.
Ceux qui sont au bout et au bord. Moi, je suis au creux. Toujours en marge. Mais, désormais, j’achète des cahiers qui en sont dépourvus. Je prends toute la page.
Je m’étais préparée à cette rencontre. Du mieux que je le pus. En oubliant et en me rappelant. Noir et blanc. Piano. Je ne connais pas le solfège, je chante faux et je bats la mesure à contretemps.
La chanson est, paraît-il, un art mineur. Il faut creuser loin.
J’avais revêtu mon meilleur manteau, celui qui a une capuche et des boutons en corne. Un duffle-coat, qui me rappelle un vieux manteau que je possédais, enfant. Le premier manteau à capuche que j’ose depuis mes huit ans. Je n’ai rien à cacher. Je ne suis pas nonne. Je me découvre.
Enharnachée de la sorte, je me sentais à nouveau petite, bien que je ne sois pas très grande, dans le fond.
J’étais vaguement inquiète, à l’affût de cette petite fille. Comment allais-je pouvoir la reconnaître ? C’était une gamine avec un corps anguleux et un visage crispé. Mais ses yeux étaient immenses. Ils étaient aussi grands que sa faim. J’ai toujours aimé mordre.
Lorsque j’écoutais cette chanson de Guichard, « Mon vieux », je n’étais pas dans la position du chanteur : j’étais une enfant extrêmement consciente de ces « choses-là ». Celles de la chanson. Paroles de Jean Ferrat.


Mais quand on a juste quinze ans


On n'a pas le cœur assez grand


Pour y loger tout's ces chos's-là


Tu vois.

C’était pour de vrai. Pas comme le jeu des enfants.
J’ai fait l’économie du conditionnel et du subjonctif. Mon enfance s’écrivait au présent de l’indicatif.
Je savais bien également qu’ils allaient mourir avant que je n’aie le temps de leur rendre la pareille. Le meilleur et le pire. Je n’ai donc pas de regrets à opposer à ce passé que je n’ai de cesse de tanner dans mes fictions de mots ou de rêves. J’ai sucé leurs mots et leurs gestes comme un chien son os. Un bonbon qui a le goût de l’acide.
Daniel Guichard saurait-il me rendre ce que je n’ai pas perdu mais que je feins d’avoir égaré ?
Pourtant, Guichard, aujourd’hui, maintenant que je suis outrageusement heureuse, maintenant que cette saleté d’enfance est balayée par mille joies et mille chagrins, me rend ces années dans leurs moindres courbures.
Mon poing dans la gueule. Voilà que la gamine est amochée.
Bien fait ! Faudrait pas se complaire trop longuement dans la vanité des choses décédées.
Tout le monde est orphelin. On ne l’est pas plus à dix ans qu’à quatre-vingts ans. Et la jeunesse se remet droite plus vite que sa compagne, celle qui attend au bout et au bord quand je ne cesse d’être en creux.
Populaire. C’est un crime et une offense. Dans mon milieu, dans celui auquel je feins d’appartenir. Mais je sais d’où je viens. Je me remémore. Je suis une provocation.
Je puise ma force dans mes manques.
Il y a quelque chose de pitoyable à revenir sur ses pas.
On peut avoir envie de foutre le camp.
On peut être tenté de se moquer.
Naïf à ce point : faut être con ou pur. Finalement, ça revient au même.
L’émotion fait le grand écart entre notre tentation de se laisser aller et celle de se cambrer devant ce qui peut ressembler à une sensiblerie. Entre la sensibilité et la sensiblerie l’espace ne se mesure que par quelques lettres, que par quelques pas de deux. J’ai un point de côté.
Au cœur. La tendresse. Faut pas pleurer comme ça.
Tant pis.
J’ai le désir d’être conne, cet après-midi. Je me sens conne et ça me fait du bien.
Ouais, je chouine, je morve et je gigote un peu sur mon siège.
Je crois que je suis réconciliée avec mon ombre. Comme Peter Pan. Mais c’est Guichard qui l’a recousue.
Merci Monsieur.
Cette vidéo est extraite d'un petit film que j'ai réalisé (en cachette) avec ma caméra numérique, lors d'une "Convention" (un rassemblement de fans hystériques) organisée autour de la série Alias
Londres, juin 2005.
Victor Garber parle de sa relation avec la comédienne Jennifer Garner, l'héroïne de la série, et de sa future (à l'époque) maternité. A ses yeux, l'actrice a toutes les qualités... Il affirme même qu'elle est un ange... et avoue son bonheur de travailler à ses côtés. 
Victor Garber (et Ron Rifkin) furent mes deux motivations pour suivre cette série qui perdit de l'altitude, peu à peu, au fil des saisons.
lundi 13 mars 2006

Je n'ai guère chômé pendant mon week-end parisien. En effet, j'ai allié le plaisir au... plaisir. Je me suis rendue dans les deux plus célèbres librairies parisiennes, rue de Rivoli, en quête d'un viatique pour le monde merveilleux de Barrie. Très informatisée, je possède tout ce qu'il est possible d'acquérir en matière de dictionnaires et d'encyclopédies, et ce en plusieurs langues. Toutefois, je suis attachée au papier, aux livres que l'on fait vivre, en les cornant, en les griffant, en les mouillant... J'aime pleurer sur le papier bible, épais, rugueux ou doux (un zeugme du plus mauvais effet se tient ici). Que voulez-vous ? Je suis comme je suis et c'est très bien ainsi. J'étais donc partie en quête d'un dictionnaire d'Écossais (que je n'ai trouvé que ce matin : une édition ancienne Chambers, selon mes voeux, qui est davantage un glossaire de mots empruntés aux auteurs écossais classiques ...), d'un dictionnaire des fées et du folklore écossais et irlandais (je n'ai pas réellement mis la main sur ce prodigieux ouvrage et peut-être n'existe-t-il pas... mais j'ai trouvé des substituts divers et variés...) et d'un dictionnaire de vieil Anglais (recherche très complexe - expliquez-moi pourquoi !). De dilettante, je n'ai peut-être, dans certains domaines, que la dénomination poétique (je l'espère en tout cas) et j'ai décidé de devenir une grande fille. En matière de traduction littéraire. Si l'on reconnaît le bon ouvrier à ses outils, ainsi que me l’asséna à longueur de journée une vieille institutrice poilue et mauvaise comme une teigne, je désire le nec plus ultra. Rien n'est trop bon ou beau pour Barrie, qui m'entraîne loin de chez moi... Ne vous intéressez pas de trop près à un sujet précis, car vous risquez fort d'être propulsée dans des contrées inattendues... Je me suis mise en danger en explorant les écrits didactiques de YeatsIls n'ont rien à envier à sa prose fictionnelle et à ses poèmes, selon moi... Et me voilà partie sur ses traces, de livre en livre... Je me perds pour mon plus grand plaisir. Le point de départ étant Barrie, rappelons-le. Somme toute, je suis heureuse de mes acquisitions :

Ce dictionnaire est excellent. Il manque peut-être de pages mais pas d'épaisseur. Il m'a donné une satisfaction simple mais réelle. J'y ai trouvé la définition de WHILOM, mot qui n'a rien de sorcier (il indique une chose passée, qui n'a plus cours, il renvoie à un jadis) et qui doit être un peu trop vieux pour avoir une place dans les dictionnaires les plus usuels... A mon grand agacement. Étonnant. Plus qu'un dictionnaire étymologique, il est aussi un dictionnaire historique (certes, les deux sont liés), concis et précis. Grâce à lui, je suis bien aise de savoir que l'expression "fairy tale" fut employée pour la première fois par Walpole, dans ses Lettres, en 1749 ... et qu'elle provient du français. Quant au Brewer,

c'est un classique, qui recense mots et expressions dans les oeuvres de langues anglaises, entres autres. Ainsi, si vous vous souciez des fées, vous pourrez avoir un aperçu de leur dénomination, comme ci dessous :

Fairies,
good and bad. 1
AFREET or EFREET, one of the Jinn tribe, of which there are five. (See Story of the Second Calendar.)
APPARITION. A ghost.
ARIEL. (See ARIEL.)
BANSHEE or BENSHEE, an Irish fairy attached to a house. (See BANSHEE.)
BOGGART. (Scotch.) A local hobgoblin or spirit.
BOGIE or BOGLE, a bugbear (Scotch form of bug). (See BOGIE.)
BROWNIE, a Scotch domestic fairy; the servants’ friend if well treated. (See BROWNIE.)
BUG or BUGBEAR, any imaginary thing that frightens a person. (Welsh, bwg.) (See BUG.)
CAULD LAD (The), the Brownie of Hilton Hall. (See CAULD LAD.)
DJINN, JIN, or GINN (Arabian). (See JIXX.)
DUENDE (3 syl.), a Spanish house-spirit. (See DUENDE.)
DWARF, a diminutive being human or superhuman. (Anglo-Saxon, dweorg.)
DWERGER, DWERGUGH, or DUERGAR, Gotho-German dwarfs, dwelling in rocks and hills. (Anglo-Saxon, dweorgh.)
ELF (plu. ELVES), fairies of diminutive size, supposed to be fond of practical jokes. (Anglo-Saxon, œlf.) (See ELF.)
ELLE-MAID or ELLE-WOMAN, ELLE-FOLK, of Scandinvia.
ESPRIT FOLLET, the house-spirit of France.
FAIRY or FAERIE (plu. FAIRIES), a super-natural being, fond of pranks, but generally pleasing. (German and French, fee.)
FAMILIAR (A), an evil spirit attendant on witches, etc. (See FAMILIAR.)
FATA, an Italian fay, or white lady.
FATES, the three spirits (Clotho, Lachsis, and Atrpos) which preside over the destiny of every individual. (Latin, fata.)
FAY (plu. FAYS), same as Fairy (q.v.).
FEAR DEARG (The), i.e. Red Man. A house-spirit of Munster.
GEXII (plu.). The sing. genie and genius. Eastern spirits, whether good or bad, who preside over a man or nation. “He is my evil [or good] genius.” (Latin, genius.) (See GENIUS.)
GHOST, the immaterial body or noumenon of a human being. Supposed to be free to visit the earth at night-time, but obliged to return to its Hads at the first dawn.
GHOUL, a demon that feeds on the dead. (Persian.)
GNOME (1 syl.), the guardian of mines, quarries, etc. (Greek, , a Cabalistic being.) (See GNOMES.)
GOBLIN or HORGOBLIN, a phantom spirit. (French, gobelin; German, kobold.)
GOOD FOLK. (The). The Brownies or house-spirits.
GUARDIAN-ANGEL, an angelic spirit which presides over the destiny of each individual.
HABUNDIA, queen of the White Ladies.
HAG (A), a female fury. Milton (Comus 445) speaks of “blue meagre hags.”
HAMADRYAD, a wood-nymph. Each tree has its own wood-nymph, who dies when the tree dies.
HOBGOBLIN. (See above, GOBLIN.) Hob is Robin, as Hodge is Roger.
HORNS or HORNIE, the Devil. (See HORNIE.)
IMP, a puny demon or spirit of mischief. (Welsh, imp.)
JACK-A-LANTERN, a bog or marsh spirit who delights to mislead
JINN or GINN, (See JINN.) These Arabian spirits were formed of “smokeless fire.”
KELPIE (2 syl.). In Scotland, an imaginary spirit of the waters in the form of a horse. (See KELPIE.)
KOBOLD, a German household goblin, also frequenting mines. (German, kobold.) (See KOBOLD.)
LAM’IA (plu. LAM’LÆ), a hag or demon. Keats’s Lamia is a serpent which had assumed the form of a beautiful woman, beloved by a young man, and gets a soul. (Latin, Lamia.) (See LAMIA.)
LAMIES, African spectres, having the head of a woman and tail of a serpent. (See LAMIES.)
LAR (plu. LARES) (2 syl.), Latin household deitles. (See LARES.)
LEPRECHAUN, a fairy shoemaker.
MAB, the farles’ midwife. Sometimes incorrectly called queen of the fairies. (Welsh, mab.) (See MAB.)
MANDRAKE. (See MANDRAKE.)
MERMAID, a sea-spirit, the upper part a woman and the lower half a fish.
MERROWS, both male and female, are spirits of the sea, of human shape from the waist upwards, but from the waist downwards are like a fish. The females are attractive, but the males have green teeth, green hair, pig’s eyes, and red noses. Fishermen dread to meet them.
MONACIELLO or LITTLE MONK, a house-spirit of Naples.
NAIAD (plu. NAIADES [3 syl.] or NAIADS [2 syl.]), water-nymphs. (Latin.) (See NAIADS.)
NIS or NISSE (2 syl.), a Kobold or Brownie. A Scandinavian fairy friendly to farmhouses. (Contraction of Nicolaus.)
NIX (female, NIXIE), a water-spirit. The nix has green teeth, and wears a green hat: the nicie is very beautiful.
OSERON, king of the fairies.
OGRE [pronounce og’r], an inhabitant of fairyland said to feed on infant children. (French.)
ORENDS, mountain nymphs. (Greek, oros.)
OUPHE (2 syl.), a fairy or goblin,
PERI, a Persian fairy. Evil peris are called “Deevs.”
PIGWIDGEON, a fairy of very diminutive size.
PIXY or PIXIE (also pisgy, pisgie), a Devonshire fairy, same as Puck.
POUKE (1 syl.), same as Puck. (See POUKE.)
PUCK, a merry little fairy spirit, full of fun and harmless mischief. (Icelandic and Swedish, puke.) (See PUCK.)
ROBIN-GOODFELLOW, another name for PUCK.) (See ROBIN … .)
SALAMANDER, a spirit which lives in fire. (Latin and Greek, salamandra.) (See SALAMANDRA.)
SHADES, ghosts.
SPECTRE, a ghost.
SPOOK (in Theosophy), an elemental.
SPRITE, a spirit.
STROMKARL, a Norwegian musical spirit, like Neck. (See STROMKARL.)
SYLPH, a spirit of the air; so named by the Rosicrucians and Cabalists. (Greek, silphe; French, sylphids.) (See SYLPHS.)
TRITON, a sea deity, who dwells with Father Neptune in a golden palace at the bottom of the sea. The chief employment of tritons is to blow a conch to smooth the sea when it is ruffied.
TROLL, a hill-spirit. Hence Trolls are called Hill-people or Hill-folk, supposed to be immensely rich, and especially dislike noise. (See TROLLS.)
UN’DINE (2 syl.), a water-nymph. (Latin, unda.) (See UNDINE.)
URCHIN properly means a hedgehog, and is applied to mischievous children and small folk generally. (See URCHIN.)
VAMPIRE (2 syl.), the spirit of a dead man that haunts a house and sucks the blood of the living. A Hungarian superstition. (See VAMPIRE.)
WERE-WOLF (Anglo-Saxon, wer-wulf, manwolf), a human being, sometimes in one form and sometimes in another. (See WERE-WOLF.)
WHITE LADIES OF, NORMANDY. (See WHITE LADIES.)
WHITE LADY (The) of the royal family of Prussia. A “spirit” said to appear before the death of one of the family. (See WHITE LADY.)
WHITE LADY OF AVENEL (2 syl.), a tutelary spirit.
WHITE LADY OF IRELAND (The), the banshee or domestic spirit of a family.
WHITE MERLE (The), of the old Basques. A white fairy bird, which, by its singing, restored sight to the blind.
WIGHT, any human creature, as a “Highland wight.” Dwarfs and all other fairy creatures.
WILL-O’-THE-WISP, a spirit of the bogs, whose delight is to mislead belated travellers.
WRAITH (Scotch), the ghost of a person shortly about to die or just dead, which appears to survivors, sometimes at a great distance off. (See WRAITH, HOUSEHOLD SPIRITS.)
Mais si vous ne désirez que faire connaissance avec un(e) Brownie, vous lirez ceci :
Brownie : The house spirit in Scottish superstition. He is called in England Robin Goodfellow. At night he is supposed to busy himself in doing little jobs for the family over which he presides. Farms are his favourite abode. Brownies are brown or tawny spirits, in opposition to fairies, which are fair or elegant ones. (See FAIRIES.) 1
“It is not long since every family of considerable substance was haunted by a spirit they called Browny, which did several sorts of work and this was the reason why they gave him offerings … on what they called Browny’s stone.”—Martin: Scotland.
Ce gros livre est une Bible pour qui s'intéresse à la culture, à la littérature anglo-saxonne. Je ne crois pas qu'il ait d'équivalent français. Détrompez-moi.
Il ne me reste plus qu'à me rendre en Écosse, bientôt, tôt ou tard, afin de marcher dans les pas de Barrie.
vendredi 10 mars 2006

Une allusion de Barrie à Charles Lamb et à sa soeur, à leur tragique destin, et je me mets à lire leur vie, leur oeuvre que je connais très mal. Univers shakespearien : folie et meurtre, assassinat de soi-même... J'ai trouvé une nouvelle vocation : aimer le couple Lamb. Envers et contre tout. Hasard ou coïncidence, le week-end dernier, j'ai acheté ce livre
de Peter Ackroyd, auteur d'une magistrale biographie de Londres.
Il s'agit d'un roman qui met en scène le frère et la soeur... et Shakespeare. Je vous le recommande si d'aventure... Je me retire sur la pointe des pieds pendant quelques petits jours, à peine trois jours, mais je ne suis pas très loin. Chut ! J'écris...
jeudi 9 mars 2006

"Ce délire est semblable à la larme batavique, qui s'évanouit si vous cassez seulement sa pointe." (1)

L'amour fou peut être pris en deux sens : au sens strict comme l'évocation d'un amour anormal, à caractère pathologique, relevant de la psychiatrie ou de la psychologie et, d'autre part, dans le sens courant qu'on lui donne ordinairement, à savoir un amour d'un caractère assez exceptionnel, qui semble n'avoir pas de limites et atteindre une certaine perfection(2). Dans ce dernier sens, on dit que l'on aime à la folie, en effeuillant la marguerite. Nous voudrions ici jouer sur ces deux sens en étudiant la notion de délire. En effet, nous nous appuyons sur la pétition de principe selon laquelle la pathologie et ses excès peuvent servir de loupe à l'ordinaire et en permettre ainsi une meilleure compréhension. D'ailleurs, il ne nous paraît pas exclu qu'il y ait quelque anormalité, quelque part de folie - au sens psychiatrique - dans l'amour humain.

Lorsque Clérambault prononce ces mots qui servent d'exergue à ce propos miniature, il parle d'un postulat - "C'est l'Objet qui a commencé et qui aime le plus ou qui aime seul." - sur lequel se fondent toutes les déductions du malade atteint de délire érotomane, et qui aboutissent à la conviction qu'il est aimé. La pointe du délire d'érotomanie, comparé à une larme batavique(3), est le postulat. Ce postulat est une "idée-mère" qui donne lieu à toutes sortes d'interprétations de la part du délirant. Chaque acte commis par l'Objet, même les plus anodins, sont interprétées par le délirant comme des marques, des preuves d'amour à son égard. "Le délire érotomaniaque se développe en trois stades : stade d'espoir, stade de dépit, stade de rancune."(4) Lorsqu'on lit l'analyse de Clérambault, on se surprend, parfois, à penser qu'il aurait pu écrire la même chose s'il avait dit décrit l'amour non pathologique. Or, ce que nous apprend véritablement cette analyse, c'est la nature délirante de tout amour, plus ou moins sain. Cioran dit de l'amour, avec ironie, qu'il est "une intoxication métaphysique" ; on pourrait même se demander si l'amour n'est pas une atteinte à notre santé mentale. Délirer, c'est à proprement parler "sortir du sillon", s'égarer. "Délirer, c’est sortir du réel, sans savoir qu’on en est sorti, et sans pouvoir s’en rendre compte, puisque le réel est le délire. (…) L’idée n’est point délirante en soi, seul le sujet délire."(5) Le délirant transforme le réel en un autre réel, conforme à son délire. Un réel imaginé se substitue à un autre ; c'est pourquoi l'on ne peut dire du délirant qu'il perd pied dans le réel, il s'incruste dans son réel. Ses idées ne sont pas illogiques, délirantes, son propos même peut être fort bien raisonné et raisonnable, seulement, voilà, ses idées et ses raisonnements s'appliquent à un monde qui n'existe pas. "Une passion morbide, proche de la passion normale, anime le jaloux, le revendiquant, l’érotomane, à partir d’un thème bien défini qui polarise toute l’activité du malade et confère à sa conduite un style particulier et une qualité de moins en moins adaptée à la situation."(6) Dans la passion "normale" comme dans la passion maladive, il y a un point vers lequel converge toute la folie du délirant ou de l'amoureux, ou d'où part toute cette frénésie amoureuse. Si l'on détruit ce point, comme si l'on casse la pointe de la larme batavique, le délire, la folie cessent. Pour schématiser grossièrement, disons que la pointe du délire (du fou, au sens strict du terme) est une obsession et la pointe de la passion amoureuse est une émotion. Ceci explique d'ailleurs le fait que la perte d'émotion dans l'amour, ou l'incapacité de la convoquer, de la ressusciter, conduisent à la mort de cet amour, alors que sa recherche excite cet amour. Une émotion s'use peut-être plus vite qu'une obsession ; le problème de la grande majorité des amants est qu'ils ne sont peut-être pas assez atteints par la maladie d'amour, pas assez fous. L'émotion inspire et échappe, sans que l'on ne puisse rien faire. C'est en ce sens que l'amour est inspiration et produit des inspirés

(1)Gaëtan Gatian de Clérambault, L'érotomanie, éd. Synthélabo, Coll. "Les empêcheurs de penser en rond", Paris, 1993, p.74.

(2)Cf. le beau livre de Jacques de Bourbon-Busset, Laurence ou la sagesse de l'amour fou.

(3)Littré, article "larme" : "Larmes-de-verre, ou larmes bataviques, petites masses de verre en fusion qu'on a laissées tomber dans l'eau froide et qui, par suite d'un refroidissement inégal, dû à la mauvaise conductibilité du verre pour le calorique, deviennent telles que, si l'on vient à casser la queue, la tête se met en poussière ; c'est là le phénomène qui excitait l'admiration des physiciens au XVIIe siècle."

(4)L'érotomanie, éd. Synthélabo, Coll. Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 1993, p. 66.

(5)Encyclopédie Universalis, article "délire" par Gabriel Deshaies.

(6) Ibidem.

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