lundi 6 novembre 2006
Malgré le peu de temps qui me reste - non pas à vivre, je l'espère ! - mais pour réaliser certains projets qui me tiennent à coeur, je ne résiste pas au plaisir de laisser ici une très petite note sur un film qui m'importe beaucoup.
Willkommen et bienvenue !
Cabaret de Bob Fosse - le projet avait été proposé à Billy Wilder et à Gene Kelly, mais ils déclinèrent - est l'un des plus beaux et des plus réussis films musicaux de toute l'histoire du cinéma. Sa bande originale, les numéros de Liza Minnelli et de Joey Grey, ceux impressionnants des travestis, la réalisation sans le moindre défaut, le climat bizarrement poétique et décalé, outré et expressionniste, d'une autre époque, l'entrelacement a priori improbable d'une fantaisie musicale plutôt osée et désespérée et de l'Allemagne de Weimar, l'interprétation de tous les acteurs, font de ce film aux huit Oscars
une réussite majeure. Ce film est un somptueux drame qui choisit la pudeur et la dérision pour ne pas dire la douleur d'âmes en perdition, l'effritement d'une société et la présence du mal chorégraphié dans les interstices d'un autre drame, celui d'existences en quête de rêve ou, plus humblement, d'elles-mêmes.
J'ai choisi quelques extraits dans l'idée de séduire ceux qui, par hasard, ne connaîtraient pas encore ce classique que j'ai revu hier. Le film est une adaptation de la comédie musicale Cabaret (1966) et de la pièce de théâtre I Am a Camera (1951), elles-mêmes adaptées du recueil de nouvelles Adieu à Berlin (1939) de Christopher Isherwood (1904-1986), qui plongent leurs racines dans son autobiographie estudiantine berlinoise.
Ce film chatoyant, parfois éclaté comme une vitre brisée par une bourrasque trop forte, bouleverse, réjouit et met quelquefois mal à l'aise, sans jamais choisir l'un des mutiples possibles qu'il fait vivre d'une seconde à l'autre. Nous sommes immergés dans la société décadente (une des obsessions de Bob Fosse), d'un Berlin, peu à peu vampirisé par les forces obscures du nazisme. Un curieux personnage, le maître de cérémonie du Club, magistralement incarné par Joel Grey, ponctue cette histoire de numéros où le cynisme (la lucidité ?) de la pensée le dispute à une inquiétante étrangeté cauchemardesque, empruntée aux contes de l'enfance. Le thème de l'enfance est d'ailleurs tissé avec beaucoup de tact dans le scénario et la réalisation. Il y a du Lola Montès et du Freaks dans Cabaret. Une oeuvre qui dépasse les critères de catégorisation, protéiforme, insolente et éblouissante.
L'un des aspects qui m'a le plus facinée est la qualité du silence qui s'instaure entre les personnages, à divers moments du film - c'est presque un paradoxe pour un film musical ! Les choses les plus importantes sont tues ou chuchotées entre deux attitudes de bravoure, par-delà l'excès des tempéraments. Chacun des personnages me paraît en devenir d'une maturité inaccessible sans l'épreuve de divers deuils, plus ou moins sous-entendus.
La violence de certaines scènes, complètement dédramatisées (par exemple, le jeune homme allemand qui chante un couplet patriotique et qui est repris en choeur par une foule qui devient d'autant plus effrayante qu'elle prend les habits de l'innocence) n'en est que plus intense.
Liza Minnelli est peut-être une enfant perdue, rejetée par un père oublieux (qui compte les mots qu'il emploie sur un télégramme d'excuse afin de ne pas payer de supplément), qui ne peut devenir mère, comme le suggère sa magifique vision d'un enfant (celui qui pourrait être le sien, si elle le laissait vivre, et qu'elle abandonne derrière elle), avant qu'elle ne décide de se faire avorter. Liza Minnelli interprète avec force énergie et sensibilité le personnage de Sally Bowles, une jeune artiste, qui rêve de devenir actrice, qui rêve de tout et de rien, sans très bien savoir si ce beau songe vaut mieux que sa vie réelle. C'est une fille légère, un peu dans les vapes, les yeux charbonneux avec des cils qui ressemblent à des pattes d'abeille chargées. Elle est étourdissante par la simplicité de ses entrées en matière avec les autres, elle se livre aussi facilement qu'elle se perd dans les méandres du sentiment amoureux. Elle se laisse toucher sans en faire un plat, elle couche facilement, mais ne consent pas aussi aisément à l'amour que l'on pourrait le croire, car lorsque le fameux amour advient en la présence de ce jeune homme (moins naïf qu'il n'y paraît), auquel Michael York donne sa chair, elle le laisse partir, de crainte qu'il ne la blesse un jour. La réalité est plus complexe, elle ne sera dite qu'entre les lignes...
Nota Bene :
Liza Minnelli a conçu ses coiffures et son maquillage, avec les conseils avisés de son père, le sulime Vincente M.
La mystérieuse femme qui apparaît au début et à la fin du film, assis au fond du club, le Kit Kat, et qui tient une cigarette
est un clin d'oeil à une peinture d'Otto Dix.
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