lundi 15 janvier 2007
Celui qui veille (The Guardian)
par Walter de la Mare
in Le deuxième livre des fantômes, anthologie de Cynthia Asquith.
Très amoureuse de Walter de la Mare, dont l’œuvre représente désormais l’une des voies d’accès de mon univers fantasmatique et dont j’ai eu le plaisir de vous parler un peu ici et là, je me plais à découvrir très doucement, dans le texte, fragment par fragment, son œuvre insolite et poétique. La classe, les silences et le raffinement de cet auteur exceptionnel me soustraient durablement aux contingences de notre pauvre petit monde et à sa vulgarité de plus en plus affirmée. Et si vous croyez que je m’éloigne un seul instant de Barrie, vous faites erreur, puisque l’anthologie où ce texte a été publié a été éditée, en son temps, par Cynthia Asquith, femme ambiguë, très proche de mon baronnet préféré… Je vous reparlerai d'elle.
The Guardian est l’une de ses nouvelles les plus fameuses ; tous les anglo-saxons doivent la connaître, je le présume. Je l’ai relue au petit matin, pour calmer mes angoisses face au temps qui me nargue et me désigne de son doigt crochu les milliers de choses à lire et à écrire dans une journée, et je fais mine d’oublier les choses banalement prosaïques qui n’attendent pas plus que les autres… Je profite de ces lignes pour demander à mes plus proches pen friends de pardonner mon retard à leur répondre. Je suis incapable d’assurer une correspondance régulière, ce qui ne témoigne en rien d’un manque d’amitié ou d’intérêt, mais d’une faiblesse inhérente à ma complexion.
Dans ce court texte, qui n’excède pas une quinzaine de pages et qui pourrait faire office de conte de noël puisqu’il se déroule en partie à cette époque, Walter de la Mare s’ingénie à nous dire une drôle d’histoire, morcelée par une myriade de sous-entendus jamais éclaircis. Le principe de son écriture est de lever doute sur doute d’une phrase à l’autre, sans jamais offrir une seule possibilité pour le lecteur de retrouver son équilibre. Son pouvoir d’écrivain réside en sa capacité à ne jamais devancer notre peur par excès de déclarations ou par une description trop aigue de ce qui est à redouter, pas plus qu’il ne donne de réelle explication. L'angoisse, une peur très bien élevée mais une peur tout de même, demeure nichée dans l'inconscient du lecteur. La chute de cette nouvelle, que je me garderai de révéler, ne dissipe en rien le malaise du texte qui est comme une brume ou une toile d’araignée qui s’agrippe à chaque mot.
La tante d’un garçonnet prend soin de ce dernier, qui est orphelin de père. Son père était un homme mauvais, mais il ne semble pas avoir hérité de ses penchants vicieux. L’histoire se déroule sur plusieurs années, avant de s’arc-bouter dangereusement lors de sa douzième année. Nous retrouvons ce chiffre fétiche chez Barrie et Tournier – et quelques autres…
Elle s’aperçoit que l’enfant dont elle a la charge paraît très troublé. Elle s’imagine d’abord que quelque rêve le poursuit et l’empêche de dormir. Elle lui donne la permission de dormir avec une veilleuse, mais cela ne le calme pas. Il finit par lui avouer qu’il subit une étrange vision lorsqu’il tourne son regard sur un certain angle… Il voit… Satan ! Ou plus exactement une sorte d’être ailé qui ressemble aux illustrations de Gustave Doré lorsqu’il prête son imaginaire pictural au Paradis perdu de Milton
[un de mes livres préférés depuis mon ancienne lecture de la trilogie de Pullman] … La tante de l’enfant est fort compréhensive et ne brutalise pas son neveu afin qu’il renonce à ce qu’elle croit, avec plus ou moins de mauvaise foi, être un produit de son imagination. A ses yeux, il n’y a rien de malsain, à moins qu’elle ne feigne de le penser… Elle sait très bien qu’il existe des "anges gardiens", elle le reconnaît dans son for intérieur. Qui est ce gardien ou tuteur évoqué par la neutralité du titre ? Plusieurs interprétations sont possibles : la figure ailée qui devient l’ombre de l’enfant, le point de côté de son regard, un fantôme, la tante de l’enfant ou encore… la garde-malade du garçon, qui entre en scène après une fuite quasi mortelle dans les airs (il est tombé par la fenêtre - il aurait dû demander conseil à Peter Pan ! ). J’ai préféré donner comme traduction du titre de la nouvelle quelque chose de très vague, car cela me paraissait bien plus approprié au contenu de l’histoire, ainsi cela ne ferme aucune interprétation. Celui qui veille est peut-être celui qui protège et, pourquoi pas, celui qui ne peut plus fermer ses paupières sans danger et refuse la vie nocturne…
Je traduis un peu vite pour ce que j’espère être votre plaisir quelques lignes, qui ouvrent cette étrange histoire, qui n’est pas sans rappeler certaines des pages les plus fantastiques de ce cher Henry James, à la différence qu’il n’y a ici aucun indice d’une quelconque hystérie, même larvée. Nous sommes de plain-pied dans l’indicible.
« Il y a, j’en suis parfaitement consciente, beaucoup de gens excellents de par le monde qui fuient tout ce qui par nature s’apparente au tragique, et ce dès qu’il est question de son rapport avec les enfants. Ils le font d’autant plus aisément s’il est traversé par ce qu’ils considèrent être une veine de morbidité. Ma propre conviction – et ce n’est pas mon avis le plus faible - est que l’enfance est l’état des extrêmes, de même que le bonheur et le malheur s’opposent. Je parle en connaissance de cause - comme conséquence de mon observation et de mes expériences, bien avant que cette « psychiatrie » ne soit en vogue… -, lorsque j’affirme que quelques-unes des plus tristes, des plus graves et des plus profondes expériences de la vie se produisent dans les premières années et, si tel est bien le cas, les effets de celles-ci persistent par-delà la mort de celui qui a les vécues.
Je ne suis pas une mère. Je suis ce que l’on appelle une « vieille fille ». Cependant, même les « vieilles filles », je le suppose, sont autorisées à faire montre de leurs convictions. »
*****
Post-scriptum sans rapport immédiat avec ce qui précède :
Je ne suis pas une personne cultivée et c’est encore bien pire lorsqu’il s’agit de musique. Je remédie à ses faiblesses aux côtés de quelques esprits éclairés. Un magicien de mes amis du cercle (de fées) Barrie m’a offert un très beau disque, Smile de Brian Wilson.
Je l’écoute depuis environ deux semaines en boucle et je dois reconnaître que je suis enchantée et pénétrée par cette symphonie dont je ne connais pas, ma foi, d’équivalent. J’aime toutes les chansons qui composent ce chef-d’œuvre, en particulier la quasi intraduisible chanson Surf's Up et l'émouvant Child is father of the man (L’enfant est le père de l’homme). Ce disque est la bande-originale de mon travail de traduction autour de Barrie et seul un être proche de Barrie mais aussi des pensées littéraires de Holly pouvait avoir autant d’esprit pour m’envoyer ce présent magnifique. Merci J.-C. B. ! Soyez assuré que vous m’avez émerveillée et inspirée au moment où j’en avais besoin. J'essaierai de ne pas vous décevoir.
Merci également à ma chère amie Wictoria pour tout ce qu'elle m'apporte, jour après jour.
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