Cannes a sacré hier Pedro Almodovar en tant que cinéaste des femmes, en attribuant à toutes les actrices le prix d’interprétation. Une fois n’est pas coutume, il me paraît difficile de n’être pas d’accord. Tous ses films ne parlent que des femmes. Lorsqu’il est question des hommes, ceux-ci sont soit démissionnaires, soit lâches, parfois cadavres (objet que les femmes manipulent), ou bien encore (dans le meilleur des cas) travestis, aspirant peut-être à la générosité de la féminité. Certes, cette amplitude de sentiments et ce tourbillon de mouvements est quelquefois hystérique, mais elle est le symbole de la vie, qui est bouleversement, et non vulgarité.
La démesure est saine dans cet univers. Etrangement, Almodovar paraît très sage dans ce film, comme s'il se sentait assez sûr de lui pour faire une ascèce. Ce qu'il perd en bigarrure, il le gagne au centuple en force.
Volver est le récit bouillonnant, chaleureux et coloré de plusieurs destins de femmes entremêlés. Le film lui aurait été inspiré, a-t-il précisé, par le portrait de sa mère.
Rarement un film m'aura autant donné d'appétit ; la faim m'a harcelée du début à la fin!
Faim. Avoir de l'appétit pour l'existence est certainement une vertu. C'est un signe de grandeur de la part de l'artiste que de provoquer un ébranlement aussi physique.
Faim. De chair, de nourriture, de vie. On pourrait prendre à bras le corps l’écran et étreindre chacun des personnages, tant ces femmes paraissent vivantes ! Penelope Cruz est radieuse dans sa fatigue de femme pressée – exprimant une force à la Anna Magnani
- et chacune de ses femmes est belle à sa façon, même si elles ne correspondent pas toutes aux canons en vigueur dans notre société. La tante Paula, une vieille femme, possède un rayonnement que l’on ne retrouve quasiment jamais dans le cinéma. Pourtant, il y a des tas de vieilles de ce genre dans le monde, aux quatre coins de notre quartier. Mais le cinéma est trop souvent, de nos jours, l’art de la sensualité facile, l’apologie du corps sans défauts, la vénération d'une beauté à une seule dimension.
Hommage magnifique à la réalité, au monde des vivants (et des morts, dans une certaine mesure - il y a plusieurs façons de l’être : symboliquement, pour une part, par amnésie ou incompréhension…) J’ai songé, en plusieurs endroits, à Monteiro. La fougue, la sagesse, le respect de la vieillesse des méditerranéens, mais pas seulement. J’ai ressenti la présence d’une divinité incarnée. Notamment, lors de la préparation des repas qui est, curieusement mais simplement au premier abord, mêlé à un rite funéraire secret (le cadavre dans le congélateur). Monteiro joue aussi à cache-cache avec ses cadavres. La mort chez Almodovar paraît naturelle, même lorsqu’elle est criminelle. Pourquoi en avoir peur ? Tout n’est que jeu, somme toute. Si crime il y a (et c'est le cas), il est expié. Inutile de ressasser. Il faut du cran et ces femmes en ont toutes.
L’histoire n’est pas ce qui m’importe le plus lorsque je mange un film d’Almodovar. Je recherche une forme de vérité, d’impudeur, de robustesse dans ses films. Peut-être même que j’essaie d’y trouver une raison d’être meilleure avec mon prochain.
Le prix qu’on lui a attribué pour le scénario est presque une erreur, car la force du cinéaste ne réside pas tant dans l’agencement des divers plans, dans la ligne d’horizon qu’ils dessinent, que dans le regard qu’il pose sur chacun d’entre eux.
Et ce regard est un coup de soleil, mais il ne blesse pas, il fait revivre.
Volver signifie "revenir". D'entre les morts ou parmi les vivants - car on peut mourir sans le savoir ou le vouloir, à l'abri d'un silence coupable. Mais ce retour signifie plus vraisemblablement le cycle de la vie symbolisé par trois générations de femmes, les trois figures éternelles : la mère, l'amante et l'enfant. Ces figures ne sont que pièces, parfois dédoublées (les deux soeurs de la même génération par exemple) d'une image plus grande, celle qui nous contient : l'existence humaine.
Quelques chapitres...
Les roses du Pays d'Hiver
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