samedi 20 mai 2006

Le chagrin est exponentiel. Un rien l'engraisse. Tout est prétexte à son extase. Rien ne peut traiter un chagrin d'amour. Il meurt de lui-même dans la plupart des cas car l'inconstance des âmes et la paresse l'assassinent. A petit feu. Comme une mort par arsenic, un poison délivré peu à peu, chaque jour. Il naît adulte et meurt en ayant la taille d'un atome. Il faut savoir l'envisager comme un personnage qui fait de l'ombre à votre jeu ou comme un convive indélicat qui prend part au festin de votre vie, à votre table, et se goinfre de vos joies ou mets les plus délicats. Il mourra par anorexie. Le chagrin vit tant qu'il existe, tant qu'il existe, chez son propriétaire, quelque chose à dévorer. La chair des souvenirs que l'on porte à sa bouche, la moelle des jolies choses passées que l'on suce. Il demeure tant que l'on retient ce qui nous attache encore à l'être perdu. Puis, lorsqu'il ne reste que l'ombre, l'écho et le squelette de ces choses, il meurt de mort naturelle. Il serait mort-né si nous n'étions pas tous autant que nous sommes des thésaurisateurs du bonheur. Ne parlent du chagrin d'amour que ceux qui ne le vivent pas. Il est l'indicible pour celui qui est atteint pour cette affection. Sagesse. En effet, il n'y a rien à dire puisqu'il ne reste rien. L’état d’âme est le flux de la conscience incarnée dans un objet, une idée, une part de soi ou d’un autre, qui se détache de l'être et part à la dérive dans les limbes du vécu. Le sujet mélancolique s'identifie à l'objet perdu et sombre avec lui. Le chagrin d'amour n'a guère eu la faveur des philosophes, en tant que cas sérieux pour une étude. C'est un tort. Si j'étais meilleur penseur [je ne me masculinise pas, mais j'use du masculin comme neutre ; rien de plus irritant pour moi que cette féminisation intempestive des mots, au mépris du bon sens et des règles du français ! Je ne suis pas vieux jeu ! Je trouve ceci affligeant.], je m'attellerais à cette tâche. Le chagrin d'amour est une flaque. Le chagrin d'amour est un trou noir. Il est les deux à la fois. On le croit profond, il n'est que surface ; on le croit superficiel, on le caresse, et la main plonge tout entière, puis le bras, puis le reste. Le chagrin d'amour est une tromperie. Il ne se laisse pas regarder en face, car on n'y voit jamais qu'un reflet de soi et non ce que l'on attend de voir : l'autre ou ce qui est à jamais perdu. Le chagrin d'amour est un deuil sans cadavre. Mais la mort d'un idéal ou d'une illusion n'est-ce pas aussi grave ? En tout cas, c'est dramatique à défaut d'être tout à fait tragique. C'est un chagrin aristocratique. Mais il en est d'autres, moins beaux, mais parfois tout aussi destructeur, comme le dégoût de soi. Il y a le chagrin du chagrin, qui ne s'arrête nulle part mais fait son miel de tout, même du néant. C'est le chagrin existentiel. Peut-on en guérir une fois atteint ? Je ne sais pas. Je n'y ai goûté que du bout des lèvres et je ne l'ai pas aimé. Les Allemands disent ce chagrin avec un mot très poétique. “Der Weltschmerz”. Mot allemand de genre masculin. Il désigne une forme de pessimisme et de mélancolie. Littéralement, on peut le traduire par “le mal du monde”. Le mot, chez les poètes allemands, désigne la douleur de vivre. C’est aussi une manière de concept qui a trait à la philosophie de l’existence. Le mot a été crée par le poète Jean Paul afin de décrire l’humeur déployée par Byron, dans des œuvres telles que Manfred et Childe Harold's Pilgrimage. Le Weltschmerz est exprimée, en France, dans les œuvres de Vigny, par exemple. Qui peut oublier le suicide de Chatterton ?*
La mort de Chatterton par Henry Wallis, 1856. Chatterton par Serge Gainsbourg Chatterton suicidé Hannibal suicidé Démosthène suicidé Nietzsche fou à lier Quant à moi Quant à moi Ça ne va plus très bien Chatterton suicidé Cléopâtre suicidée Isocrate suicidé Goya fou à lier Quant à moi Quant à moi Ça ne va plus très bien Chatterton suicidé Marc-Antoine suicidé Van Gogh suicidé Schumann fou à lier Quant à moi Quant à moi Ça ne va plus très bien Un antidote possible : Dani, l’héroïne de Truffaut (entre autres ! Mais c’est ce qui, en premier lieu, me relie à elle…) et son dernier album, Laissez-moi rire. J’aime les femmes qui ont des voix râpées par le tabac et l’alcool. Dani.  
 * En souvenir, une de mes chattes se nomme Kitty Bell.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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