mardi 6 mars 2007
Il semblerait que les fées se soient penchées sur mon cas, qui relève de l'urgence musicale. Merci Monsieur Barrie. Je suis certaine que vous avez dépêché une légion de petites dames nées dans un pétale de tulipe. Il est bon d'être inculte, cela réserve de grandes émotions, des découvertes qui vous fortifient, cela prouve aussi que l'on est encore en vie et loin d'être blasés. Le monde est jeune, nous le sommes encore plus. Déroulons le store de notre imaginaire. Sur un coin du rideau blanc se projettent ensemble passé, présent et indétermination de l'avenir. Je songe à la formule d'Elizabeth Goudge, dans l'indolent et ondoyant Pays du Dauphin vert,
lorsqu'elle parle, à propos d'autre chose, de cette corde trois fois tissée qui ne rompt pas. Et nous nous perdons dans ce point infime qui scintille et meurt. Une voix, une image, une idée peuvent rappeler à la vie éternelle ce que l'on croyait n'être qu'incandescence de l'instant. Rickie Lee Jones est capable de ce prodige.
En tout cas, certain monsieur plein d'esprit et d'allant, de sensibilité surtout (comment pourrait-il en être autrement d'un ami de Barrie ?), guidé par l'amitié et la connaissance des mes états d'âme sûrement, s'avisa d'écrire, sur un morceau de papier où était imprimé le baiser d'Audrey Hepburn et de Humphrey Bogart (Sabrina de Billy Wilder), deux citations qui ne pouvaient qu'enflammer mon imagination, déjà prompte à la combustion spontanée.
but what do birds leave behind,
of the wings that they came with
If a son's in a tree
building model planes?
***
From the blue and pale room I'd follow
Through the faces and the traces of
Treasure I keep hearing inside me
Que pouvais-je faire sinon partir en quête du sens profond de ces mots ?
Que trouvais-je ?
Un disque qu'il m'offrit, lors d'un autre envoi, accompagné, entre autres merveilles new-yorkaises, d'une photographie à la beauté où crépite par intermittences le merveilleux, cette beauté invisible et intuitive de braise qui parle autant à mon imaginaire qu'à mon esprit frappé par la foudre du rationnel. Je retombe en cendres devant la Beauté mais je ne la trouve pas aussi amère que le Poète. Peut-être parce que je la subis simplement au lieu de la tirer de mes ent(r)ailles.
Ramon Novarro, célèbre acteur à son époque, une photographie prise par George Hurrell. Un chevalier, un halo de lumière, une licorne dépossédée de son signe distinctif ? L'image suit la courbure de mes songes. Je ne veux rien savoir d'autre de cette image. J'écrirai son histoire.
Je me sens dans un monde qui est mien.
Je n'ai rien écrit de valable, rien accompli dont je sois fière pour le moment et l'on m'offre pourtant autant que si je n'avais pas failli. Etrange. Mais j'accepte le don.
Je prends le disque.
Pirates.
And I won’t need a pilot
Got a pirate who might sail
Somewhere I heard far awayYou answer me
So I’m holding on
To your rainbow sleeves
Le titre ne peut que m'enchanter, car j'en suis un, sous des dehors sages. Il s'agit du second album de la demoiselle au sourire troussé et au bonnet rouge.
Woody and the dutch on the slow train to Peking
D'abord une photographie de Brassaï qui m'arrête devant le pas du ressentir, avant de sortir la galette de son boîtier.
Un couple.
De loin, on dirait des enfants qui jouent une scène d'un autre âge que le leur. L'illusion subsiste encore lorsqu'on découvre qu'ils sont plus âgés qu'on ne l'aurait cru au premier regard. L'émotion revient en force. Elle vous plaque contre le mur. On demeure en retrait, dans l'attente de la suite, qui n'a plus le droit, MAINTENANT, de décevoir ce préambule.
Une légère appréhension au moment d'enclencher le disque, puis elle est là.
La voix d'une enfant faufilée dans certaines intonations. Non, pas seulement, ce serait trop simple. Un rythme plus dur, sûr de lui, conduit le voyageur au sein d'une intimité douloureuse, d'une mélancolie et d'une nostalgie qui se défendent d'elles-mêmes. Il y a du courage et de la foi dans ce ton, des larmes refoulées aussi, une forme de violence salutaire, une tendresse octroyée aux mauvais jours. Une voix de femme pourtant, on le sent à certains soupirs, dépouillée des artifices, des inutiles artifices de la féminité. Une voix d'émotion sauvage qui ne perd pas le texte dans sa course folle, qui est soutenue et propulsée par des paroles qui ont un sens aigu, qui racontent, toujours, une histoire triste, car ce sont les plus belles : celle des filles abandonnées par les garçons, qui ne gardent d'elles en souvenir qu'un tatouage, celle de cette femme enceinte qui perd son homme à cause d'une fusillade (histoire vraie). Cet album est cinéphilique, mais en creux, sans dommage. L'ombre de Nathalie Wood, de Brando, Sinatra, un ou deux fantômes de regrets, et vous poursuivrez le chemin seul, comme vous l'entendez.
Rickie Lee Jones parle de l'amour perdu (Lucky Guy),
Oh, he's a lucky guy
Oh, he's a lucky guy
He doesn't worry about me
When I'm gone
celui de Tom Waits, mais ne rentrons pas dans les détails, ce serait offensant et réducteur. On ne peut pas expliquer ce qui vous parle trop près du coeur. J'avais sept ans et elle avait déjà écrit ces huit chansons, presque trop belles pour n'être que des chansons.
But I lied to my angel and now he can't find me
Mais la supériorité de la poésie sur le roman est bien là : une chanson est une allumette que l'on craque et le monde apparaît aussitôt, sans autre effort que le geste détonateur. Le roman est un grand feu de joie, qui menace sans cesse de s'éteindre, et auquel il faut sacrifier ce que l'on possède de plus rare, de plus cher. Le nécessaire. Il faut tout calciner. Tout.
Ecrire une chanson, c'est peut-être trouver une seule image, mais la plus belle de toutes, celle qui pourra contenir toutes les autres, les vôtres.
Mademoiselle Rickie Lee Jones possède cet immense talent : une âme forte.
Si elle n'était qu'une femme, elle ne m'intéresserait pas. Mais il y a cet autre personnage dans le remblai élevé par chacun de ses pas, qui sautille derrière elle, qui joue à la marelle dans ses traces imprimées sur la neige, un enfant.
(Something for J.-C. )
*****************
Catégorie :Miscellanées
Libellés :musique,Rickie Lee Jones
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