vendredi 6 juillet 2007
Pour Fauna, toujours, ma vénitienne.



Non, je ne quitte pas le Carnaval, mais un mot tout de même que je répands ici, qui pisse au long cours, parce qu'il me faut célébrer la conjoncture des événements et parce que je peux rendre un peu grâce à ce temps qui m'est accordé en le gaspillant - le bon travail décuple parfois le temps. J'ai raté à moitié mon rendez-vous avec le Gilles (Pierrot) de Watteau,



mais nous nous verrons bientôt. Il est des promesses que l'on ne peut briser, surtout si elles ont été contractées dans un songe... J'ai rencontré d'autres personnages à Venise : Corto Maltese, Henry James, cette satanée George Sand, des détrousseurs de venelles, des curieux aux fenêtres et des gens qui pleurent amer. Je me suis reconnue dans les pierres que j'avais griffées lors de mes précédents voyages en cette terre multicolore. Je tourne en rond dans le labyrinthe de mon existence mais un nouveau fil d'Ariane, rouge sang et, quelquefois, orangé comme les intestins d'un poisson crevé, pend quelque part. Je le tire un peu à moi et la mémoire se confond alors avec une vision nocturne, celle du futur. J'ai trouvé ce que je suis venue chercher.

Je ne suis pas cinéphile si, par cinéphile, on entend celui qui est le gardien de la mémoire du cinéma et qui finit par ne revoir que les films, quand d'autres, comme moi, en découvrent encore beaucoup. Déjà presque vieille - après vingt-cinq ans, tout le monde est vieux pour moi -, le temps m'est compté et il me faut choisir entre creuser ou bien survoler. La décision s'impose presque d'elle-même et je vois davantage que je ne revois. Toutefois, Mort à Venise, est l'un des films que je rencontre encore quelquefois, avec ce frisson qui m'étrangle les sens et l'esprit.

Bien sûr, j'ai un lien particulier avec ce film, parce que Venise est mon amie depuis déjà onze ans. Une ou deux fois par an, je vais vérifier dans son ventre gonflé et verdâtre de noyé que mes sens ne se sont point émoussés et que je suis toujours mortelle, que je puis souffrir de sa beauté et de sa déchéance charnelle. Mon union à cette ville est organique, sensuelle, viscérale, irrationnelle, au-delà de toute séduction, puisque la Sérénissime ne s'abaisse pas à vous lancer des oeillades. Elle est, distante, hautaine, royale, courtisane dans ses bas-fonds, peut-être, paradoxalement, mais toujours aristocrate lorsque vous vous avisez de croire la comprendre. Elle vous donne une pichenette de mépris lorsque vous la pensez conquise. Vous devez vous efforcer d'être digne d'elle. Vous n'êtes qu'une veinule, qui charrie les déchets de ce corps gigantesque. Vous n'êtes que le fragment ou le plus infime pigment de ses pierres roses ou ocre.


Hors de question, vous le comprenez bien, de consentir à la vulgarité dans ce lieu. L'Hôtel des Bains



[L'hôtel des Bains de face]




[L'hôtel des Bains et sa façade arrière...]


est l'un des endroits, avec le Gritti et quelques rares hôtels, où l'on peut lui rendre hommage. Vous m'y trouverez si vous me cherchez là-bas. En robe de soirée, embaumée avec de la soie et des drapés cotonneux, je froufrouterai dans les longs corridors. De noir vêtue, avec une ombrelle peut-être, je me poserai sur le rebord de sable de la plage privée de l'hôtel mythique, là où s'alignent des cabines de bain à l'ancienne et néanmoins exotiques.


J'attendrai le moment que vient embrasser une vague ou deux. Mon jupon de coton ou de crêpe sera trempé et le léger froid me saisira , comme à un coeur à vif qui demande un peu de cuisson, lorsque la vague remontera sur mes jambes et mon buste.







Je ne me retournerai pas complètement, car je sais que l'ombre décatie de Gustav est derrière moi. Je ne veux pas encore entrer dans son sillage ; il n'est pas l'heure. Son maquillage coule, la teinture de ses cheveux fond sous le soleil impitoyable. Et un homme de plage le découvre mort,



tandis que Tadzio se confond avec l'horizon, toujours naissant. Tout est dit. L'implacable déclin de la vieillesse qui se condamne d'elle-même à la bouffonnerie et la jeunesse éternelle et distante, qui fait mine de vous aimer de loin, de son air boudeur.

Point de cruauté, mais le Temps, tel qu'il se dit dans les sonnets de Shakespeare ou entre les mots gorgés de magnifique pourriture de Baudelaire.




Tadzio et Gustav.




Holly et son ombre.

J'ai songé à cette ligne tranversale qui coupe toutes les histoires de Thomas Mann, à sa conception douloureuse et contradictoire de la nature de l'art. J'ai ouvert à nouveau Tonio Kröger :


"La littérature n'est pas un métier, mais une malédiction, sachez-le. Quand cette malédiction commence-t-elle à se faire sentir ? Tôt, terriblement tôt ; à une période de la vie où l'on devrait encore avoir le droit de vivre en paix et en harmonie avec Dieu et l'univers. Vous commencez à vous sentir marqué, en incompréhensible opposition avec les autres êtres, les gens normaux et comme il faut ; l'abîme d'ironie, de doute, de contradictions, de connaissances, de sentiments, qui vous sépare des hommes, se creuse de plus en plus, vous êtes solitaire et désormais il n'y a plus d'entente possible. Quelle destinée ! A supposer que le coeur soit resté assez vivant, assez aimant pour en sentir l'horreur !..." (trad. Félix Bertaux, Charles Sigwalt et Geneviève Maury, souligné par l'auteur)
Que l'on soit un raté ou non ne change rien à l'affaire. On ne vit plus que pour percevoir en soi la perfection de l'instant à écrire. Venise et la littérature on beaucoup en commun : l'une et l'autre aiment leur élus comme une mère. Et la meilleure mère au monde, c'est la mort.
******
Catégories :

Je suis de retour et en partance. En pointillés, mais en possession d'une nouvelle ombre qui me sied mieux au teint que la précédente.

Je vous promets que je n'invente rien.

Je me dois de vous rendre compte, par une image édifiante, d'une rencontre improbable mais réelle qui s'est produite à Venise. Je voguais très tranquillement. Je faisais mine d'observer l'horizon, la silhouette dodelinante, et je soupirais de temps en temps d'un air grippé, affaiblie par les assauts de la chaleur.

C'est "M. Golightly", qui, le premier, me dit d'un air sérieux, compassé, mais point alarmé qu'il serait peut-être judicieux de tourner la tête à gauche, puis de regarder sans froncer les sourcils -me demandant, par avance, avant que je ne m'exécute, de ne point hurler. En effet, il est très pudique et mon enthousiasme, parfois, le teinte de honte.
Je pris une forte respiration et me retournai brusquement. Le cri s'arrêta au bord des lèvres.

Que vis-je ?

Ceci :



[Cliquez sur l'image pour l'agrandir et lire le nom du bateau...]


"Who are you, stranger? Speak!" Hook demanded. "I am James Hook," replied the voice, "captain of the JOLLYROGER."

(Peter Pan)

Où que j'aille, James Matthew Barrie est là, pour moi, d'une manière ou d'une autre. Plus inquiétant pour certains, il m'apparaît toujours sous le signe du Capitaine Crochet (Cf. mon départ à l'aéroport d'Edimbourg, lorsque je quittai l'Ecosse). Mais mon affection pour cette créature hybride et ambiguë n'a jamais été démentie ...

TO BE CONTINUED... / A SUIVRE...
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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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