mercredi 3 mai 2006
Arrêt sur image. A raison d’un épisode par jour, de façon néanmoins disparate, je suis parvenue à la saison 3 et à l’épisode 6 - ce qui représente 29 épisodes. La saison 6 est en cours de diffusion aux Etats-Unis. Ce sera la fin. Me prend l’envie soudaine d’écrire trois lignes sur ce sujet. Les Soprano avatars modernes des Atrides ? Personne n’ignore plus le destin tragique de cette famille. Selon l’Orestie (Agamemnon, Les Choéphores et les si mal nommées Euménides), selon Giraudoux (Electre) ou O’Neill (Le deuil sied à Electre – quel titre sublime s’il en est !), la famille est une tragédie. Inutile de voyager aussi loin dans le temps ou l’espace, il suffit de contempler la sienne. Une famille n’est jamais, la plupart du temps, qu’un ramassis de haines mal recuites et d’hypocrisies plus ou moins bien dissimulées au regard inquisiteur du voisin ou consenties par lâcheté. J’admets des exceptions pour les âmes sensibles et pour ceux qui chérissent leur famille, naïvement, avec foi. De telles âmes existent. Sûrement. Ils ont peut-être (leurs) raison(s). Être orphelin demande du cran. Ne s’arme pas d’une vipère au poing le premier quidam venu. Pourquoi ? Parce que la solitude pèse, parce qu’il y l’amour des apparences (celles qui fleurent trop fort la lessive Le Chat ou la chicorée du matin, ou encore les week-ends à la campagne et les étés en Bretagne ou en Normandie), parce que l’on sonne creux et que l’insulte, le coup ou encore le murmure du ressentiment occupent la pièce qui fait écho lorsqu’elle est vide. Que de crimes comment-on en silence par peur de la résonance. Truisme. Les familles heureuses sont les pires. Ce sont celles qui ont, en général, la plus jolie façade. D’après la même loi, dans mon quartier, les maisons qui ont les dehors les plus propres sont souvent les cloîtres de la médiocrité et de convenables boîtes en fer blanc pour crimes lyophilisés. Un fond de culotte propre n’a jamais démenti la force du gonocoque. Être contraint d’aimer des gens, des étrangers, sous prétexte que l’on partage un petit patrimoine génétique est une aberration. La loi du sang n’est pas moins un hasard que celle de la camaraderie. On partage de l’ADN avec autant de raison qu’un banc dans un parc ou une rame de métro. Un adage populaire qui me tape sur les nerfs témoigne en faveur de tout ce qui précède : « On choisit ses amis ; on ne choisit pas sa famille. » Erreur. On choisit sa famille. On possède celle que l’on mérite. Il suffit de briser un des cercles concentriques. La famille est très grande ou se réduit à un seul être : soi-même. La spécularité du pronom personnel n’est pas feinte. Le crime, la vengeance et l’expiation. Trois actes. Cela ressemble à une autre trilogie. La naissance, la vie et la mort. Les trois heures du jour et de la nuit, qui se tiennent la main. Espoir, compromis et déception. Dieu, s’Il existait, parlerait par trinité. La famille Soprano est une famille ordinaire. A un détail près : le père est le parrain de la mafia locale. Un parrain c’est presque un Dieu pour un univers à la taille des lilliputiens. Une famille dans une autre famille. La pire n’est peut-être pas celle que l’on croit. Malgré ce que l’on feint de nous faire croire. On se croit protégé de la violence de certaines scènes (vive le grand guignol !) de la série (meurtres, tortures, nez qui pissent le sang, œil crevé, doigt coupé…) sous prétexte qu’elles se déroulent dans un monde en marge, qui a adopté des lois différentes. Le sont-elles réellement ? Tout est une question de cran, là encore. Jusqu’où peut-on desserrer ? Les personnages nous sont sympathiques non pas tant parce que l’on a adopté le postulat que leur monde n’est pas le nôtre et que leurs crimes sont justifiés car ils tuent en général leurs semblables ou pires - dans tous les cas, des êtres nuisibles à notre société, celle des gens qui respectent la loi générale, les préceptes qui leur servent de bonne conscience. Non. Nous éprouvons de l’attachement pour eux parce qu’ils nous ressemblent. Ce sont leurs péchés véniels qui nous lient à eux. Hypocrisie, mensonges, adultère, ressentiment, la malhonnêteté quotidienne. La séance d’investiture de Christopher (un de mes personnages préférés), le neveu de Tony Soprano,


a quelque chose de grand et de faux. Il jure fidélité à LA FAMILLE qu’il fera passer avant sa propre famille. Malgré l’oiseau de mauvais augure qui le guette à la fenêtre, Christopher se plie au rite. Il vend son âme. Pas de réel retour en arrière possible. On pressent que le personnage sombrera d’une manière ou d’une autre. De quel côté et à quelle profondeur ? Telle est ma question. L’ennemi public de William A. Wellman, avec James Cagney, qui a la gueule de biais et des yeux sadiques,
pourrait être une convenable parodie de Tony Soprano, à moins qu’il ne s’agisse de l’inverse. Il est présent dans un épisode. On ne note pas assez à quel point cette série s’inscrit dans la parodie et même l’auto-analyse, à travers des références cinématographiques et télévisuelles. On a droit au Parrain, à Amour, gloire et beauté, à Freaks, etc. Rares sont les épisodes qui ne se réfléchissent pas dans l’univers des images mouvantes. Course en parallèle de deux univers qui se recoupent dans l’écran qui occupe notre propre écran. Dans quelle boîte gigogne logeons-nous, au fait ? Je suis une droguée. J’ai The Sopranos dans la peau. La violence n’est pas de la pire espèce parce que l’humour veille. La série Oz, l’enfer (une prison où la loi est celle du plus fort),va plus loin, peut-être trop loin, car malgré l’humour malsain et salvateur qu’elle dégage, elle dérange le cœur et orchestre des contre et des hauts. Les Soprano est une série plutôt brillante, un honnête (s’il en est) compromis entre la série de divertissement pur (Desperate Housewives) et la série aux ambitions littéraires et aux relents existentialistes (Six Feet Under). Plus ambitieuse que la première, il lui fait défaut l’exploration profonde des méandres du cœur humain, du cœur quotidien, de notre perception de la vie et de la mort, qui est la raison d’être de la seconde. L’analyse des rapports familiaux dans Les Soprano est juste mais bien plus superficielle ou hypocritement dissimulée. La cruauté de la Famille est mieux exploitée que celle de la famille. Elle sert de modèle d’introspection à la seconde.

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