mardi 14 mars 2006

Extrait découpé dans les premières pages de ma thèse.

Concevoir une notion aussi diffuse et insaisissable que ce que l’on nomme le tragique, sans réellement savoir si quelque chose existe au bout de ce mot, révèle un esprit audacieux, relève fatalement d’un certain exercice de style plus que de la rigueur requise par les règles de la réflexion philosophique mise en exergue et en œuvre par Descartes. Il serait cocasse de s’apercevoir que l’on a flirté pendant des années avec un mot qui ne recouvre rien, mais on ne serait pas davantage pitre en s’entichant d’un vocable qui sonne bien (mais creux) qu’en s’affolant au contact du mot « vie ». Peut-être bien que le « tragique » est comme « la vie » : une imposture de la pensée et du langage dont on s’accommode car elle cache la nôtre, celle d’exister.

Pourtant il s’agit, malgré tout, plus de concevoir que de percevoir (l’un et l’autre étant des pendants réciproques), bien que cette conception soit moins le fruit d’une implacable logique mise en œuvre sur le réel que celui d’une certaine vision du monde, né des entrailles psychiques d’un être singulier, bien qu’ordinaire. Le style va de pair avec l’essai puisqu’il ne s’affirme que dans l’exercice de celui à qui il appartient ; quant à la rigueur, qui est le maître mot et étalon de la philosophie occidentale, elle n’appartient qu’à ceux qui ont la foi en une réalité immuable et universellement identique dans l’esprit des êtres qui habitent et pensent cette réalité, qui croient que le monde peut être compris et doit l’être. Telle n’est pas notre conviction. Certes, l’univers est à peu près le même univers dans la pensée des divers individus qui encombrent un temps et un espace communs et qui chaussent la même paire de lunettes, qu’elle soit celle de la science, de l’art ou de la philosophie, ou encore de celle de l’homme du commun. Pourtant, si l’on s’attachait – si cela était possible – à un recensement des visions du monde propres à chacun de ces groupes d’individus, on s’apercevrait sans nul doute qu’aucune n’est absolument identique à une autre, ne serait-ce que par d’infimes variations ; dès lors, à quoi bon, sinon pour se rassurer d’appartenir à un même genre, bien que d’espèces différentes, s’enfermer dans l’exiguïté du concept ?

Trahir le réel, sa richesse de matière et sa pauvreté de sens, est peut-être le seul courage dont nous soyons capables. Il est tellement plus aisé de se conformer aux modèles que ceux-ci soient de la science ou de la philosophie que de les inventer soi-même, quittes à être en porte-à-faux avec les vérités de raison, conventionnelles. En effet, ce que nous appelons les vérités de raison sont ce qui est admis communément par les scientifiques, les philosophes, les artistes, les moralistes, ou simplement par le sens commun. A l’opposé de ces vérités bien établies, bourgeoises, nous opposons ce que nous nommons les vérités de fait et qui sont le fait, précisément, de ceux qui les vivent, avant de les penser comme vraies ou non, et qui se moquent sûrement de savoir quelle valeur de vérité elles possèdent, puisque le seul critère de vérité est pour eux le ressenti. L’illusion et la passion d’un individu participent de ce genre de vérité de fait. En effet, ni la philosophie ni la science ne peuvent juger du monde que l’homme habite par sa passion ou par les illusions qu’il entretient. Cette vision du monde qu’il entretient comme un feu auquel il rajouterait sans cesse, jusqu’à sa mort, du petit bois.

Samedi, j’avais rendez-vous avec mon enfance.
Olympia, en matinée.
Le rendez-vous des vieux.
Ceux qui sont au bout et au bord. Moi, je suis au creux. Toujours en marge. Mais, désormais, j’achète des cahiers qui en sont dépourvus. Je prends toute la page.
Je m’étais préparée à cette rencontre. Du mieux que je le pus. En oubliant et en me rappelant. Noir et blanc. Piano. Je ne connais pas le solfège, je chante faux et je bats la mesure à contretemps.
La chanson est, paraît-il, un art mineur. Il faut creuser loin.
J’avais revêtu mon meilleur manteau, celui qui a une capuche et des boutons en corne. Un duffle-coat, qui me rappelle un vieux manteau que je possédais, enfant. Le premier manteau à capuche que j’ose depuis mes huit ans. Je n’ai rien à cacher. Je ne suis pas nonne. Je me découvre.
Enharnachée de la sorte, je me sentais à nouveau petite, bien que je ne sois pas très grande, dans le fond.
J’étais vaguement inquiète, à l’affût de cette petite fille. Comment allais-je pouvoir la reconnaître ? C’était une gamine avec un corps anguleux et un visage crispé. Mais ses yeux étaient immenses. Ils étaient aussi grands que sa faim. J’ai toujours aimé mordre.
Lorsque j’écoutais cette chanson de Guichard, « Mon vieux », je n’étais pas dans la position du chanteur : j’étais une enfant extrêmement consciente de ces « choses-là ». Celles de la chanson. Paroles de Jean Ferrat.


Mais quand on a juste quinze ans


On n'a pas le cœur assez grand


Pour y loger tout's ces chos's-là


Tu vois.

C’était pour de vrai. Pas comme le jeu des enfants.
J’ai fait l’économie du conditionnel et du subjonctif. Mon enfance s’écrivait au présent de l’indicatif.
Je savais bien également qu’ils allaient mourir avant que je n’aie le temps de leur rendre la pareille. Le meilleur et le pire. Je n’ai donc pas de regrets à opposer à ce passé que je n’ai de cesse de tanner dans mes fictions de mots ou de rêves. J’ai sucé leurs mots et leurs gestes comme un chien son os. Un bonbon qui a le goût de l’acide.
Daniel Guichard saurait-il me rendre ce que je n’ai pas perdu mais que je feins d’avoir égaré ?
Pourtant, Guichard, aujourd’hui, maintenant que je suis outrageusement heureuse, maintenant que cette saleté d’enfance est balayée par mille joies et mille chagrins, me rend ces années dans leurs moindres courbures.
Mon poing dans la gueule. Voilà que la gamine est amochée.
Bien fait ! Faudrait pas se complaire trop longuement dans la vanité des choses décédées.
Tout le monde est orphelin. On ne l’est pas plus à dix ans qu’à quatre-vingts ans. Et la jeunesse se remet droite plus vite que sa compagne, celle qui attend au bout et au bord quand je ne cesse d’être en creux.
Populaire. C’est un crime et une offense. Dans mon milieu, dans celui auquel je feins d’appartenir. Mais je sais d’où je viens. Je me remémore. Je suis une provocation.
Je puise ma force dans mes manques.
Il y a quelque chose de pitoyable à revenir sur ses pas.
On peut avoir envie de foutre le camp.
On peut être tenté de se moquer.
Naïf à ce point : faut être con ou pur. Finalement, ça revient au même.
L’émotion fait le grand écart entre notre tentation de se laisser aller et celle de se cambrer devant ce qui peut ressembler à une sensiblerie. Entre la sensibilité et la sensiblerie l’espace ne se mesure que par quelques lettres, que par quelques pas de deux. J’ai un point de côté.
Au cœur. La tendresse. Faut pas pleurer comme ça.
Tant pis.
J’ai le désir d’être conne, cet après-midi. Je me sens conne et ça me fait du bien.
Ouais, je chouine, je morve et je gigote un peu sur mon siège.
Je crois que je suis réconciliée avec mon ombre. Comme Peter Pan. Mais c’est Guichard qui l’a recousue.
Merci Monsieur.
Cette vidéo est extraite d'un petit film que j'ai réalisé (en cachette) avec ma caméra numérique, lors d'une "Convention" (un rassemblement de fans hystériques) organisée autour de la série Alias
Londres, juin 2005.
Victor Garber parle de sa relation avec la comédienne Jennifer Garner, l'héroïne de la série, et de sa future (à l'époque) maternité. A ses yeux, l'actrice a toutes les qualités... Il affirme même qu'elle est un ange... et avoue son bonheur de travailler à ses côtés. 
Victor Garber (et Ron Rifkin) furent mes deux motivations pour suivre cette série qui perdit de l'altitude, peu à peu, au fil des saisons.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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