mardi 6 octobre 2009
Je dédie ce billet à Kaguya, qui, je le devine, possède une grande âme et à Joel D., qui a un regard d'homme bon. Merci pour vos beaux courriels. Je vous répondrai dès que possible. J'en profite pour présenter mes excuses à tous et à toutes pour ma (légendaire et terrible) lenteur à répondre. J'ai beaucoup de travail, dont un travail de fiction (un roman) que je veux mener à bien et au meilleur, si un tel prodige est possible. Je crois en l'impossible bien plus qu'aux possibles qui me tendent pourtant les bras. Je suis ainsi faite, pour le meilleur et le pire. Croyons qu'il s'agit là du meilleur et cela adviendra certainement.
*********
Certains naissent grands ;
Certains atteignent la grandeur ;
Parfois, ce sont les circonstances qui font les grands hommes ;
... et puis... il y a les autres...
Certains atteignent la grandeur ;
Parfois, ce sont les circonstances qui font les grands hommes ;
... et puis... il y a les autres...
Cette "morale", en avant-propos de Harvie Krumpet, est un peu celle que l'on pourrait appliquer au bouleversant film Mary and Max, mais aussi aux autres œuvres d'Adam Elliot.
C'est également une devise que l'on pourrait offrir à notre existence. Demeurer noble, quelles que soient les circonstances. Et aimer la vie jusqu'au bout,
même si nous sommes tous des orphelins de Dieu, même si « La compensation d'avoir tant souffert c'est qu'ensuite on meurt comme des chiens. » (Pavese, Le métier de vivre) Mais Harvie l'exprime mieux que moi et même mieux que certaines histoires russes qui parlent pourtant si bien de notre destin. Il le dit sans jamais se départir de cette tendresse et, surtout, de cet humour qui lui sont idiosyncratiques. Ce sont ces deux qualités entrelacées qui dominent ces histoires et qui servent de cadre au cheminement existentiel, très réaliste, d'un personnage ou d'un autre autre. Du très grand art que ce faussement simple - à ne pas confondre avec le simple prétentieux et creux, aveugle face à sa propre vanité. J'aime le simple complexe ; je hais le simple idiot, qui veut faire croire qu'il y a quelque chose si on crève sa surface.
Jusqu'à hier soir, je ne connaissais pas cet artiste. La nuit est passée et je n'ai cessé de repenser au film que j'avais découvert la veille, avec l'ardent désir d'en savoir plus sur cet homme et son art. C'est ainsi que j'ai exploré, fébrile, ce matin, ses autres œuvres, des courts-métrages, visibles sur Internet. Mais il faut acheter le DVD (zone 1, seulement), afin de rendre hommage au travail de cet artiste :
Déjà auteur de Harvie Krumpet (cliquez ici, pour voir ce film ou ici, sous-titré par un(e) fan), un court métrage qui met les tripes du spectateur sur la table, Adam Elliot réalise ici, avec Mary and Max, un chef-d'œuvre, déjà contenu en germe dans Harvie Krumpet. Peut-être même que Harvie Krumpet est tout simplement déjà un chef-d'œuvre, au fond. Un chef-d'oeuvre, non pas miniature, mais un chef-d'oeuvre tout simplement.
Mais commençons par dire le premier regard.
Hier soir, nous sommes allés voir Mary and Max.
J'écris ce billet, ce matin, d'un jet, comme la plupart de mes billets. Je ne parle pas de tous les films que je vois - cela serait impossible puisque j'en vois au moins un par jour, parfois davantage. Mais de celui-ci, je suis obligée de parler, même si je risque de fort mal le faire, parce que c'est peut-être l'un de mes deux films de l'année, toutes catégories confondues. Ce film est tellement parfait qu'il transcende le genre auquel il appartient : l'animation en pâte à modeler. Mais on oublie totalement l'exceptionnelle maîtrise du procédé, on oublie même que ces personnages ne sont pas des acteurs, tant ce qu'ils ont à nous dire nous concerne en propre et viscéralement. Roman d'apprentissage (Bildungsroman) ou de formation, mais aussi interrogation presque métaphysique, ou pour le moins existentielle, ce film est une fulgurance : la vie, la mort, la vieillesse, la folie, le handicap, l'amour, la grandeur et la finitude de l'homme sont les personnages invisibles de cette histoire simple, belle et cruelle.
La réalisation, les dialogues, la narration (Denis Podalydès est le narrateur dans la version française et Philip Seymour Hoffman dans la version originale) sont encore plus extraordinaires que la qualité de l'animation qui, pourtant, laisse sans voix.
Ce film est une merveille d'intelligence, de poésie et de sensibilité. La cruauté du film est mise en équilibre grâce à la voix du narrateur qui fait montre d'une tendresse qui enveloppe le spectateur autant que les personnages sur la toile, sinon cela serait insoutenable ou effroyablement pathétique. Mais, sans cette cruauté, ce ne serait pas une œuvre. Clément Rosset, un des rares contemporains qui méritent le titre de "philosophe", l'exprime dans son essai : "Tout ce qui vise à atténuer la cruauté de la vérité, à atténuer les aspérités du réel, a pour conséquence immanquable de discréditer le plus géniale des entreprises comme la plus estimable des causes (...)"
C'est ainsi que, malgré cette fin, qui ne peut pas être heureuse (elle ne l'est pas dans la vie, pourquoi le serait-elle à l'écran ?), on ne sort pas désespéré de cette expérience cinématographique, mais bien convaincu qu'il faut vivre, vivre, vivre jusqu'à sa propre fin, jusqu'à l'épuisement de ce que l'on peut être et faire. Même si c'est peu. Et jubiler si l'on peut encore dérober un sourire ou une joie, comme Harvie Krumpet, pensionnaire d'une maison de retraite, à la fin de sa vie, qui décide de se mettre à poil, -"au naturel" comme dit mon ami anglais -, en attendant un bus invisible dans un faux "abribus", installé au sein de la maison de retraite pour les victimes de la maladie d'Alzheimer, qui ont envie de prendre la poudre d'escampette. À poil, parce qu'il aime cela et qu'il ne voit pas de raison de se priver de ce dernier plaisir avant de passer l'arme à gauche. L'autre morale, qui découle de la première, est celle-ci : tant que l'on peut prendre un petit plaisir, cela vaut encore la peine de vivre. L'idée du suicide traverse l'oeuvre du réalisateur. D'ailleurs Harvie, plus ou moins volontairement, va fournir à une pensionnaire les moyens de son suicide. Mary, l'héroïne de notre film, sera aussi tentée par le suicide, mais choisira la vie et transmettra cette vie... Le propos est optimiste, in fine : la vie est une salope, mais elle vaut la peine d'être vécue, à condition de savoir en rire et de ne pas perdre sa tendresse pour les autres. La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie.
Certains enfants sont orphelins, bien qu'ayant des parents. C'est le cas de Mary. Certains orphelins, eux, ne le sont jamais, car l'amour de leurs parents absents leur a donné une force pour la vie, une force qui survit à leur disparition. Tel n'est pas le cas de Mary ni de Max.
L'auteur a mis cinq ans de sa vie dans ce film ; on se demande même comment il a pu aller au bout de ce rêve.
C'est également une devise que l'on pourrait offrir à notre existence. Demeurer noble, quelles que soient les circonstances. Et aimer la vie jusqu'au bout,
même si nous sommes tous des orphelins de Dieu, même si « La compensation d'avoir tant souffert c'est qu'ensuite on meurt comme des chiens. » (Pavese, Le métier de vivre) Mais Harvie l'exprime mieux que moi et même mieux que certaines histoires russes qui parlent pourtant si bien de notre destin. Il le dit sans jamais se départir de cette tendresse et, surtout, de cet humour qui lui sont idiosyncratiques. Ce sont ces deux qualités entrelacées qui dominent ces histoires et qui servent de cadre au cheminement existentiel, très réaliste, d'un personnage ou d'un autre autre. Du très grand art que ce faussement simple - à ne pas confondre avec le simple prétentieux et creux, aveugle face à sa propre vanité. J'aime le simple complexe ; je hais le simple idiot, qui veut faire croire qu'il y a quelque chose si on crève sa surface.
Jusqu'à hier soir, je ne connaissais pas cet artiste. La nuit est passée et je n'ai cessé de repenser au film que j'avais découvert la veille, avec l'ardent désir d'en savoir plus sur cet homme et son art. C'est ainsi que j'ai exploré, fébrile, ce matin, ses autres œuvres, des courts-métrages, visibles sur Internet. Mais il faut acheter le DVD (zone 1, seulement), afin de rendre hommage au travail de cet artiste :
Déjà auteur de Harvie Krumpet (cliquez ici, pour voir ce film ou ici, sous-titré par un(e) fan), un court métrage qui met les tripes du spectateur sur la table, Adam Elliot réalise ici, avec Mary and Max, un chef-d'œuvre, déjà contenu en germe dans Harvie Krumpet. Peut-être même que Harvie Krumpet est tout simplement déjà un chef-d'œuvre, au fond. Un chef-d'oeuvre, non pas miniature, mais un chef-d'oeuvre tout simplement.
Mais commençons par dire le premier regard.
Hier soir, nous sommes allés voir Mary and Max.
J'écris ce billet, ce matin, d'un jet, comme la plupart de mes billets. Je ne parle pas de tous les films que je vois - cela serait impossible puisque j'en vois au moins un par jour, parfois davantage. Mais de celui-ci, je suis obligée de parler, même si je risque de fort mal le faire, parce que c'est peut-être l'un de mes deux films de l'année, toutes catégories confondues. Ce film est tellement parfait qu'il transcende le genre auquel il appartient : l'animation en pâte à modeler. Mais on oublie totalement l'exceptionnelle maîtrise du procédé, on oublie même que ces personnages ne sont pas des acteurs, tant ce qu'ils ont à nous dire nous concerne en propre et viscéralement. Roman d'apprentissage (Bildungsroman) ou de formation, mais aussi interrogation presque métaphysique, ou pour le moins existentielle, ce film est une fulgurance : la vie, la mort, la vieillesse, la folie, le handicap, l'amour, la grandeur et la finitude de l'homme sont les personnages invisibles de cette histoire simple, belle et cruelle.
La réalisation, les dialogues, la narration (Denis Podalydès est le narrateur dans la version française et Philip Seymour Hoffman dans la version originale) sont encore plus extraordinaires que la qualité de l'animation qui, pourtant, laisse sans voix.
Ce film est une merveille d'intelligence, de poésie et de sensibilité. La cruauté du film est mise en équilibre grâce à la voix du narrateur qui fait montre d'une tendresse qui enveloppe le spectateur autant que les personnages sur la toile, sinon cela serait insoutenable ou effroyablement pathétique. Mais, sans cette cruauté, ce ne serait pas une œuvre. Clément Rosset, un des rares contemporains qui méritent le titre de "philosophe", l'exprime dans son essai : "Tout ce qui vise à atténuer la cruauté de la vérité, à atténuer les aspérités du réel, a pour conséquence immanquable de discréditer le plus géniale des entreprises comme la plus estimable des causes (...)"
C'est ainsi que, malgré cette fin, qui ne peut pas être heureuse (elle ne l'est pas dans la vie, pourquoi le serait-elle à l'écran ?), on ne sort pas désespéré de cette expérience cinématographique, mais bien convaincu qu'il faut vivre, vivre, vivre jusqu'à sa propre fin, jusqu'à l'épuisement de ce que l'on peut être et faire. Même si c'est peu. Et jubiler si l'on peut encore dérober un sourire ou une joie, comme Harvie Krumpet, pensionnaire d'une maison de retraite, à la fin de sa vie, qui décide de se mettre à poil, -"au naturel" comme dit mon ami anglais -, en attendant un bus invisible dans un faux "abribus", installé au sein de la maison de retraite pour les victimes de la maladie d'Alzheimer, qui ont envie de prendre la poudre d'escampette. À poil, parce qu'il aime cela et qu'il ne voit pas de raison de se priver de ce dernier plaisir avant de passer l'arme à gauche. L'autre morale, qui découle de la première, est celle-ci : tant que l'on peut prendre un petit plaisir, cela vaut encore la peine de vivre. L'idée du suicide traverse l'oeuvre du réalisateur. D'ailleurs Harvie, plus ou moins volontairement, va fournir à une pensionnaire les moyens de son suicide. Mary, l'héroïne de notre film, sera aussi tentée par le suicide, mais choisira la vie et transmettra cette vie... Le propos est optimiste, in fine : la vie est une salope, mais elle vaut la peine d'être vécue, à condition de savoir en rire et de ne pas perdre sa tendresse pour les autres. La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie.
Certains enfants sont orphelins, bien qu'ayant des parents. C'est le cas de Mary. Certains orphelins, eux, ne le sont jamais, car l'amour de leurs parents absents leur a donné une force pour la vie, une force qui survit à leur disparition. Tel n'est pas le cas de Mary ni de Max.
L'auteur a mis cinq ans de sa vie dans ce film ; on se demande même comment il a pu aller au bout de ce rêve.
L'histoire est inspirée de sa vie personnelle. En effet, il a, pendant 20 ans, entretenu une correspondance avec un New-Yorkais, et ce depuis l'âge de 17 ans. Ce correspondant était atteint d'un syndrome d'Asperger, maladie que je connais bien, pour en présenter moi-même certains traits (heureusement, très atténués) de cette maladie. Et, si ce film a une infime limite, elle viendrait non du film, mais d'une description parfois approximative de cet état. Soit, le sujet n'est pas tellement le sien, mais je préfère le souligner, puisque cette remarque s'appliquerait aussi à l'usage que l'auteur fait de la maladie de Gilles de la Tourette dans Harvie Krumpet. Ce qu'il convient de souligner, c'est que le dysfonctionnement, la maladie, l'anormalité sont la norme dans l'univers d'Adam Elliot et permettent, paradoxalement, de penser notre propre quotidien, censé être normal.
Mais revenons à l'histoire de Mary et de Max.
Max J. Horovitz a la quarantaine, il pèse 150 kilos et se nourrit de hot-dogs au chocolat, et d'une manière générale presque exclusivement de chocolat. Il est farouchement athée, donc lucide et sympathique. Il a adopté un poisson rouge comme animal de compagnie (ledit poisson nous fait immanquablement penser à un clin d'oeil au Sens de la vie, le génial film des Monty Python, film préféré de mon Amour de mari ; et il s'agit bien du sens de la vie dans ce film), qui finit invariablement dans la cuvette des toilettes, puisque les poissons rouges ont une durée de vie très limitée ; un chat borgne vient compléter le tableau de cette solitude irréfragable, que même l'amitié de Mary ne pourra totalement détruire. Lorsque nous faisons la connaissance de Max, il n'a pas d'ami (et c'est l'un de ses trois buts - ils les atteindra tous ; est-ce la raison pour laquelle il meurt ?), mais une voisine à moitié aveugle, au visage ridé comme le cul d'un éléphant - à qui il offrira presque tout l'argent qu'il a gagné à la loterie. Personne ne l'aime.
Mary Daisy Dinkle vit à Lamington Avenue, Mount Waverley, en Australie. Elle est un "accident", lui a dit sa mère. Son père travaille à l'usine : son rôle social, absurde, consiste en un seul geste : attacher les sachets de thé à leur fil au moyen d'une machine ; il fait oeuvre de taxidermiste pendant ses loisirs. Mary rêve, par conséquent, d'épouser un Écossais qui se nommerait Earl Grey.... Sa mère, Vera,
est alcoolique (elle dit à sa fille qu'elle teste un drôle de thé, nommé Sherry...), fume clope après clope et manifeste une curieuse et malsaine propension à voler. Mary est petite, assez laide, et myope. Son front porte une tache de naissance couleur "caca". Elle a un voisin, agoraphobe - mais elle dit qu'il est "homophobe" -, dont elle ramasse le courrier, moyennant quelques cents. Elle n'a pas d'autre ami qu'un coq qu'elle a sauvé de l'abattoir (motif déjà présent dans Harvie Krupet). Elle est secrètement amoureuse de son voisin, qu'elle finira par épouser.
Mais ni cette union ni l'intervention esthétique qui lui ôtera cette tache, hautement symbolique, ne la rendra heureuse pour autant. Et c'est bien là qu'il faut rechercher la véritable question : qu'est-ce que le bonheur et comment l'atteindre ? Le bonheur est en soi, bien entendu, et même si l'amitié, et par extension l'amour, est un moyen d'être "complet" (l'idée revient plusieurs fois dans le film), le bonheur ne dépend que de soi, car il faut d'abord s'aimer soi-même. Truisme, oui. Encore faut-il le mettre en pratique. L'échec des personnages provient de cette incapacité (provisoire).
En attendant, au début du film, personne n'aime Mary, pas plus qu'elle ne s'aime.
L'un comme l'autre, ils vivent entourés d'amis imaginaires, par l'intermédiaire d'un programme télévisé, qui constitue un idéal de vie pour eux. Dans ce monde-là, reflet inversé du leur : chaque personnage est intégré dans un clan et personne ne connaît l'exclusion qui est la leur.
Ces deux-là sont faits, non pas pour se rencontrer, comme la triste fin le démontrera, mais pour s'écrire toute une vie (ou une large part de celle-ci). Cela pourrait faire penser à 84 Charing Cross Road (livre pour lequel j'ai beaucoup d'affection), de loin. De très loin, si vous voulez mon avis. Cela pourrait tout aussi bien faire penser à ma propre relation épistolaire avec un américain qui vit dans l'Illinois.
Mais revenons à l'histoire de Mary et de Max.
Max J. Horovitz a la quarantaine, il pèse 150 kilos et se nourrit de hot-dogs au chocolat, et d'une manière générale presque exclusivement de chocolat. Il est farouchement athée, donc lucide et sympathique. Il a adopté un poisson rouge comme animal de compagnie (ledit poisson nous fait immanquablement penser à un clin d'oeil au Sens de la vie, le génial film des Monty Python, film préféré de mon Amour de mari ; et il s'agit bien du sens de la vie dans ce film), qui finit invariablement dans la cuvette des toilettes, puisque les poissons rouges ont une durée de vie très limitée ; un chat borgne vient compléter le tableau de cette solitude irréfragable, que même l'amitié de Mary ne pourra totalement détruire. Lorsque nous faisons la connaissance de Max, il n'a pas d'ami (et c'est l'un de ses trois buts - ils les atteindra tous ; est-ce la raison pour laquelle il meurt ?), mais une voisine à moitié aveugle, au visage ridé comme le cul d'un éléphant - à qui il offrira presque tout l'argent qu'il a gagné à la loterie. Personne ne l'aime.
Mary Daisy Dinkle vit à Lamington Avenue, Mount Waverley, en Australie. Elle est un "accident", lui a dit sa mère. Son père travaille à l'usine : son rôle social, absurde, consiste en un seul geste : attacher les sachets de thé à leur fil au moyen d'une machine ; il fait oeuvre de taxidermiste pendant ses loisirs. Mary rêve, par conséquent, d'épouser un Écossais qui se nommerait Earl Grey.... Sa mère, Vera,
est alcoolique (elle dit à sa fille qu'elle teste un drôle de thé, nommé Sherry...), fume clope après clope et manifeste une curieuse et malsaine propension à voler. Mary est petite, assez laide, et myope. Son front porte une tache de naissance couleur "caca". Elle a un voisin, agoraphobe - mais elle dit qu'il est "homophobe" -, dont elle ramasse le courrier, moyennant quelques cents. Elle n'a pas d'autre ami qu'un coq qu'elle a sauvé de l'abattoir (motif déjà présent dans Harvie Krupet). Elle est secrètement amoureuse de son voisin, qu'elle finira par épouser.
Mais ni cette union ni l'intervention esthétique qui lui ôtera cette tache, hautement symbolique, ne la rendra heureuse pour autant. Et c'est bien là qu'il faut rechercher la véritable question : qu'est-ce que le bonheur et comment l'atteindre ? Le bonheur est en soi, bien entendu, et même si l'amitié, et par extension l'amour, est un moyen d'être "complet" (l'idée revient plusieurs fois dans le film), le bonheur ne dépend que de soi, car il faut d'abord s'aimer soi-même. Truisme, oui. Encore faut-il le mettre en pratique. L'échec des personnages provient de cette incapacité (provisoire).
En attendant, au début du film, personne n'aime Mary, pas plus qu'elle ne s'aime.
L'un comme l'autre, ils vivent entourés d'amis imaginaires, par l'intermédiaire d'un programme télévisé, qui constitue un idéal de vie pour eux. Dans ce monde-là, reflet inversé du leur : chaque personnage est intégré dans un clan et personne ne connaît l'exclusion qui est la leur.
Ces deux-là sont faits, non pas pour se rencontrer, comme la triste fin le démontrera, mais pour s'écrire toute une vie (ou une large part de celle-ci). Cela pourrait faire penser à 84 Charing Cross Road (livre pour lequel j'ai beaucoup d'affection), de loin. De très loin, si vous voulez mon avis. Cela pourrait tout aussi bien faire penser à ma propre relation épistolaire avec un américain qui vit dans l'Illinois.
Elliot a prétendu, et c'est assez compréhensible, s'être inspiré du travail de Diane Arbus (pour qui j'éprouve beaucoup de respect et d'amour)
pour créer ses personnages. En effet, derrière la monstruosité apparente du trait se cache la plus grande humanité possible. On cadre de près, on rend hideux, pour montrer la beauté cachée. Je simplifie.
Elliot fait preuve à la fois d'un esprit espiègle, enfantin - dans le sens le plus noble que j'accorde à cet adjectif - et d'une compassion exceptionnelle.
pour créer ses personnages. En effet, derrière la monstruosité apparente du trait se cache la plus grande humanité possible. On cadre de près, on rend hideux, pour montrer la beauté cachée. Je simplifie.
Elliot fait preuve à la fois d'un esprit espiègle, enfantin - dans le sens le plus noble que j'accorde à cet adjectif - et d'une compassion exceptionnelle.
Max, comme Harvie, vit dans ce monde comme un étranger et l'interroge, faisant ressortir l'absurdité de notre condition et de nos rapports aux autres. Harvie possédait un carnet où il notait des FAITS - ce n'est pas du Wittgenstein, même si j'avoue y avoir pensé :
jusqu'à la découverte du Principe qu'il se tatoue sur les fesses.
Max, quant à lui, possède aussi un carnet, afin d'essayer de comprendre ce que les expressions du visage signifient, incapable lui-même d'exprimer ses émotions, sinon en prenant la distance de l'écrit, jusqu'à l'incapacité, qui se matérialisera par un geste brutal : arracher la lettre "M" de sa machine à écrire.
Les lettres de Mary le bouleversent et le terrorisent car elles l'obligent à s'interroger sur ses émotions.
Ou simplement à le rendre conscient de leur présence, inerte et muette. Il veut y répondre et il se met en danger en le faisant. Cela conduira à la rupture, lorsque Mary s'avisera de devenir une spécialiste des maladies mentales et de théoriser sa compréhension de la pathologie de son ami, qui se sentira trahi, lorsque son motif sera mis à nu, ou du moins le croit-il.
Une accumulation de malheurs s'abat et l'on se croirait au pays de Candide.
Mais l'univers semble, malgré ses failles, presque aussi parfait que celui décrit par Leibniz... Car la dernière image, malgré cette rencontre post-mortem des personnages - Mary rend enfin visite à Max, mais il est mort -, est l'image d'un Manhattan de métal qui s'illumine. Et Mary de sourire ou le triomphe de la volonté sur le déterminisme, ce qui est peut-être la meilleure façon de "lire" ce film. Malgré tout, nous sommes libres, quoi qu'il advienne... Libre d'aimer la vie pour ce qu'elle est.
Mais l'univers semble, malgré ses failles, presque aussi parfait que celui décrit par Leibniz... Car la dernière image, malgré cette rencontre post-mortem des personnages - Mary rend enfin visite à Max, mais il est mort -, est l'image d'un Manhattan de métal qui s'illumine. Et Mary de sourire ou le triomphe de la volonté sur le déterminisme, ce qui est peut-être la meilleure façon de "lire" ce film. Malgré tout, nous sommes libres, quoi qu'il advienne... Libre d'aimer la vie pour ce qu'elle est.
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- Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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