mercredi 12 octobre 2005
Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1994.
Les analyses et interprétations de Deleuze quant à l'oeuvre de Carroll me laissent pantoise, mais admirative. Une citation qui me parle en particulier : « Car le nom propre ou singulier est garanti par la permanence d’un savoir. Ce savoir est incarné dans des noms généraux qui désignent des arrêts et des repos, substantifs et adjectifs, avec lesquels le propre garde un rapport constant. Ainsi le moi personnel a besoin du Dieu et du monde en général. Mais quand les substantifs et adjectifs se mettent à fondre, quand les noms d’arrêt et de repos sont entraînés par les verbes de pur devenir et glissent dans le langage des événements, toute identité se perd pour le moi, le monde et Dieu. C’est l’épreuve du savoir et de la récitation, où les mots viennent de travers, entraînés de biais par les verbes, et qui destitue Alice de son identité. Comme si les événements jouissaient d’une irréalité qui se communique au savoir et aux personnes à travers le langage. Car l’incertitude personnelle n’est pas un doute extérieur à ce qui se passe, mais une structure objective de l’événement lui-même, en tant qu’il va toujours en deux sens à la fois, et qu’il écartèle le sujet suivant cette double direction. Le paradoxe est d’abord ce qui détruit le bon sens comme sens unique, mais ensuite ce qui détruit le sens commun comme assignation d’identités fixes. » (pp. 11-12) Ce que je comprends : Le monde et Dieu désignent des « plates-formes » sur lesquelles le sujet peut s’appuyer. Le monde est l’immanence et Dieu la transcendance. La boîte et le couvercle. Le fond et la forme. La matière et l’idée. Moi et non-moi. Le savoir est celui du fixe, du général, de l’éternel, de ce qui est mort peut-être aussi. Moi, Dieu et le Monde sont les trois Idées kantiennes de la raison ; elles sont les piliers, les conditions d’exercice de la pensée. Des identités fixes ou présupposées telles, ou plus exactement un cadre immobile et référentiel pour situer les êtres et les choses à l’intérieur, des abscisses et des ordonnées mentales. Le savoir est « incarné » dans des mots tels Dieu, le monde ou n’importe quel nom désignant une stabilité de surface ou une géométrie dans l’espace. L’incarnation est le processus qui désigne la « corporéisation » d’éléments incorporels, une quête de la chair, réelle ou symbolique (le substantif faisant office de chair dans le monde du langage). Le général est le garant du singulier, ce qui a pour conséquence directe de subordonner toute identité propre, limitée et déterminée, à un ensemble englobant et nécessairement plus vaste, et devient de ce fait un sous-ensemble dépendant. Les « points » par rapport au repère orthonormés n’existent qu’en fonction de cet arrière-plan et le transportent dans leur identité propre, implicitement. Il n’existe pas d’îlot isolé de sens, le monde et le langage forment une toile avec d’innombrables ramifications. L’image de la fonte des substantifs et des adjectifs a un envers, celui de la solidification, celle du langage, de la réification des êtres et des choses par le nom. Le flux du devenir est aussi celui du sang qui coule dans nos veines et nos artères. Les veines vont au cœur, les artères partent du cœur, de même l’homme va au monde et Dieu part du monde. Avoir une identité, c’est être et ne pas devenir, à cause du paradoxe attaché au temps, durer et durcir. Comment un événement peut-il aller dans deux sens à la fois ? Nul besoin d’être bigleux, de voir double pour le comprendre : tout ce qui est oscille immédiatement entre le déjà-plus et le non-encore. La distinction du bon sens et du sens commun est celle de la fonction et du résultat. Le bon sens est unique puisqu’il permet, selon la définition cartésienne, de distinguer le vrai d’avec le faux, le sens et le non-sens, il ne saurait se dédoubler en opposés. Le sens commun, lui, s’il s’applique à une multiplicité d’objets, n’en suppose pas moins une opinion identique et unique sur ces objets-ci. Or, si les identités sont floues et mobiles, plus rien ne retient les opinions et le sens commun… Le verbe indique une action et il subit les déclinaisons du temps quand le nom propre reste invariable. Suffirait-il de demeurer immobile ou de faire la planche pour avoir une identité ? Non, car il m’arrive(ra) fatalement des choses, des événements et ceux-ci m’appartiennent, que je le veuille ou non. Le paradoxe est en moi en tant que je suis sujet actif ou passif d’un verbe. Cette irréalité de l’événement ne l’est que par l’inadéquation d’un langage obligatoirement statique et de la logique qui en est issue à un monde en mouvement ou en devenir. Le mot tombe de biais ou de travers sur l’événement qui ne se laisse pas attraper.
Les analyses et interprétations de Deleuze quant à l'oeuvre de Carroll me laissent pantoise, mais admirative. Une citation qui me parle en particulier : « Car le nom propre ou singulier est garanti par la permanence d’un savoir. Ce savoir est incarné dans des noms généraux qui désignent des arrêts et des repos, substantifs et adjectifs, avec lesquels le propre garde un rapport constant. Ainsi le moi personnel a besoin du Dieu et du monde en général. Mais quand les substantifs et adjectifs se mettent à fondre, quand les noms d’arrêt et de repos sont entraînés par les verbes de pur devenir et glissent dans le langage des événements, toute identité se perd pour le moi, le monde et Dieu. C’est l’épreuve du savoir et de la récitation, où les mots viennent de travers, entraînés de biais par les verbes, et qui destitue Alice de son identité. Comme si les événements jouissaient d’une irréalité qui se communique au savoir et aux personnes à travers le langage. Car l’incertitude personnelle n’est pas un doute extérieur à ce qui se passe, mais une structure objective de l’événement lui-même, en tant qu’il va toujours en deux sens à la fois, et qu’il écartèle le sujet suivant cette double direction. Le paradoxe est d’abord ce qui détruit le bon sens comme sens unique, mais ensuite ce qui détruit le sens commun comme assignation d’identités fixes. » (pp. 11-12) Ce que je comprends : Le monde et Dieu désignent des « plates-formes » sur lesquelles le sujet peut s’appuyer. Le monde est l’immanence et Dieu la transcendance. La boîte et le couvercle. Le fond et la forme. La matière et l’idée. Moi et non-moi. Le savoir est celui du fixe, du général, de l’éternel, de ce qui est mort peut-être aussi. Moi, Dieu et le Monde sont les trois Idées kantiennes de la raison ; elles sont les piliers, les conditions d’exercice de la pensée. Des identités fixes ou présupposées telles, ou plus exactement un cadre immobile et référentiel pour situer les êtres et les choses à l’intérieur, des abscisses et des ordonnées mentales. Le savoir est « incarné » dans des mots tels Dieu, le monde ou n’importe quel nom désignant une stabilité de surface ou une géométrie dans l’espace. L’incarnation est le processus qui désigne la « corporéisation » d’éléments incorporels, une quête de la chair, réelle ou symbolique (le substantif faisant office de chair dans le monde du langage). Le général est le garant du singulier, ce qui a pour conséquence directe de subordonner toute identité propre, limitée et déterminée, à un ensemble englobant et nécessairement plus vaste, et devient de ce fait un sous-ensemble dépendant. Les « points » par rapport au repère orthonormés n’existent qu’en fonction de cet arrière-plan et le transportent dans leur identité propre, implicitement. Il n’existe pas d’îlot isolé de sens, le monde et le langage forment une toile avec d’innombrables ramifications. L’image de la fonte des substantifs et des adjectifs a un envers, celui de la solidification, celle du langage, de la réification des êtres et des choses par le nom. Le flux du devenir est aussi celui du sang qui coule dans nos veines et nos artères. Les veines vont au cœur, les artères partent du cœur, de même l’homme va au monde et Dieu part du monde. Avoir une identité, c’est être et ne pas devenir, à cause du paradoxe attaché au temps, durer et durcir. Comment un événement peut-il aller dans deux sens à la fois ? Nul besoin d’être bigleux, de voir double pour le comprendre : tout ce qui est oscille immédiatement entre le déjà-plus et le non-encore. La distinction du bon sens et du sens commun est celle de la fonction et du résultat. Le bon sens est unique puisqu’il permet, selon la définition cartésienne, de distinguer le vrai d’avec le faux, le sens et le non-sens, il ne saurait se dédoubler en opposés. Le sens commun, lui, s’il s’applique à une multiplicité d’objets, n’en suppose pas moins une opinion identique et unique sur ces objets-ci. Or, si les identités sont floues et mobiles, plus rien ne retient les opinions et le sens commun… Le verbe indique une action et il subit les déclinaisons du temps quand le nom propre reste invariable. Suffirait-il de demeurer immobile ou de faire la planche pour avoir une identité ? Non, car il m’arrive(ra) fatalement des choses, des événements et ceux-ci m’appartiennent, que je le veuille ou non. Le paradoxe est en moi en tant que je suis sujet actif ou passif d’un verbe. Cette irréalité de l’événement ne l’est que par l’inadéquation d’un langage obligatoirement statique et de la logique qui en est issue à un monde en mouvement ou en devenir. Le mot tombe de biais ou de travers sur l’événement qui ne se laisse pas attraper.
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