lundi 23 janvier 2006
Longtemps après avoir lu le Horla, je me suis crue atteinte de folie. Je vivais dans l'attente d'une grave maladie mentale qui n'en est restée qu'à ses prémisses, j'ai abandonné la partie là où la majorité de l'humanité s'arrête : entre un profond dégoût de soi, des autres et des choses, et la peur du néant ; un point mobile, un petit poi(d)s, se promène dans ma poitrine, à moins que ce ne soit dans ma tête.
Quoi que l'on dise ou fasse, autrui est le support de notre normalité, de notre santé mentale quand, bien sûr, il n'est pas la cause de nos troubles. On pardonne, cependant, plus aisément aux autres lorsqu'ils sont responsables de nos maux que lorsqu'ils font de nous leur ignoble prétention au bonheur. Loulou, Céline, Destouches le disait déjà : c'est cette prétention qui gâche toute notre vie. Et pourtant ! Pas un être raisonnable n'échangerait un désespoir bien juteux avec cette mélopée insipide du quotidien.
Il est mon double, à moins que ce soit moi qui soit le sien. Nous nous attachons aux mouvements de l'autre comme si nous prolongions l'acte de fusion dans chaque tressautement de corps. Nos actes ont une double appartenance, comme le relief qu’imprime une main dédoublée par la lumière et l’ombre ou encore le pas qui se place deux fois. Je n'ai jamais eu la sensation d'être seule en moi, mais pour une fois cette sensation est saine et n'a rien de commun avec mes obsessions horlanesques d'antan, c'est plutôt une présence discrète qui sourd dans le bas ventre, un point de côté au cerveau. Il est mon cogito. Certes, mes conversations ont toujours l'air de dissertation de philosophie, heureusement je ne dépasse jamais le niveau baccalauréat. Avant « Il » je ne savais pas ce que signifiait le fait d'être soi-même. Je me reflétais et me répétais dans un autre corps.
Longtemps après avoir lu le Horla, je me suis cru atteinte de folie. Je me voyais enfermée dans la camisole. Je vivais en équilibre sur un sursis dansant. Funambule et désespérée.
J’attendais.
J’espérais.
J’espérais le pire qui me délivrerait de l’autisme. Le pire étant pour moi, à ce moment-là, le verdict de ma maladie mentale. Je quémandais encore une reconnaissance, mais sans fièvre, sans réelle volonté. Je me mesurais, par acquit de conscience, aux mots et aux actes des autres. Je n’épousais jamais leurs contours. Je ne parvenais pas à les rejoindre. Je demeurais au bord. Au bord des êtres et des choses. Un carreau, ou plutôt un miroir déformant, me séparait d’eux. Leurs paroles me touchaient, mais comme un écho qui caresse, de loin en loin. Leurs actes n’atteignaient jamais la chair, ils mouraient à la périphérie de mon être propre.
Je devenais épidermique. Je me désolidarisais, je me désagrégeais. Je ne croyais plus en ce que je faisais ou disais. J’essayais de me perdre dans des consciences étrangères, dans des livres et dans des films : mais mes enthousiasmes n’étaient plus qu’éphémères et inconsistants, des feux follets ; mes goûts n’avaient plus le temps de naître qu’ils étaient instantanément remplacés par d’autres plus perforants, et encore moins durables. Je n’avais plus ni la force ni la patience de me coaguler dans des envies ou des passions. Je voltigeais de lieu en lieu, je virevoltais d’idée en idée, j’hésitais entre plusieurs personnalités ; j’étais une bête aux abois, qui fuyait un danger, dont je ne savais s’il était imaginaire ou réel, mais il était peut-être d’autant plus réel qu’il était inventé de toutes pièces. Seul demeurait cet inextricable chagrin mâtiné d’angoisse. Je ne sais lequel des deux menait la danse, mais il me semble que c’était la seconde, car si l’on sait toujours plus aisément pourquoi l’on est triste, on ignore souvent pourquoi on a peur. Et je crevais de cette peur estropiée. J’étais menacée.
J’étais une immigrante, une apatride. Il avait fait de moi une sans-foyer, une sans-âme, alors même qu’il m’avait obligée à vivre.
Mon mal, je ne le voyais pas, mais je le sentais, impuissante, dépourvue des armes données par l’âge et l’expérience : mon fonds était mauvais et sans intérêt.
L’autre jour, alors que je me croyais complètement et irrémédiablement saine, je me suis surprise à replonger ; elle est revenue me tordre l’esprit, insidieuse, d’abord idée, puis sensation diffuse, et enfin douleur exquise,
une araignée qui monte et descend dans l’œsophage, Elle est là ; j’ai eu sinon la tentation du moins la vision de ma main. Un acte gratuit. Je m’offre une petite folie imaginaire à la Lafacadio
comme certaines bourgeoises s’offrent un Cartier ou un Mont-Blanc, en cas de déprime.
Moi, je me suis constituée folle comme l’on se constitue prisonnier.
Je n’ai pas plus de raison de poursuivre que de m’arrêter. Cet arbitraire, qui est le sel de l’existence, me torture. J’ai envie de crier. Je relâche la tension. Il me regarde d’un œil idiot. Décidément, je manque de volonté, ou de fantaisie. La veille toute pareille au sommeil, est-ce cela la folie ? Je me terre dans un corps, dans un monde, dans des relations, dans des sentiments, et j’étouffe. Tænia. L’Angoisse est mon tænia. L’Angoisse est mon obsession. Je suis obsession.
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C'est la même enfant sotte qui avait écrit ceci au même endroit...
Quelques chapitres...
Les roses du Pays d'Hiver
Retrouvez une nouvelle floraison des Roses de décembre ici-même.
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- Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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