jeudi 26 janvier 2006
L’histoire est la suivante : Walter et Elinor s’aiment et vont se marier. Le fiancé déclare à sa promise connaître un peintre doué d’un don étonnant. Il est capable de peindre avec une telle perfection le visage de ses modèles que ceux-ci croient se mirer dans un miroir. Le prodige ne s’arrête pas là, car «il rend, à ce que l’on prétend, non seulement les traits du visage, mais jusqu’aux passions et aux sentiments les plus secrets du cœur.» Le peintre lit dans les pensées et l’âme des gens qui lui confient la réalisation de leur portrait, et grâce à son œuvre, pour qui sait la contempler, on peut apercevoir le destin de l’être représenté, en lisant dans le regard peint. Or, Walter a peur de laisser contempler son regard et, lui-même, entrevoit un regard étrange sur le visage de sa bien-aimée. Malgré tout, ils vont faire faire leur portrait respectif. L’un contemplant l’autre. Le peintre met en garde la jeune femme à l’encontre de son fiancé et, celle-ci refuse d’en tenir compte. Le peintre revient voir ses portraits et leurs propriétaires et, devant ses yeux, la prophétie lue dans le regard de l’homme et dans celui de la femme se réalise : Walter tue sa femme en déclarant : «Quoi, (…) le destin peut donc révoquer ses propres décrets ? » au moment où le peintre tente de s’y opposer. Elinor, à qui le peintre reproche son manque de prudence («Malheureuse femme, ne vous avais-je pas avertie ? » ) réplique : «Oui, mais je l’aimais» avant d’expirer.
Ce petit conte nous intéresse pour au moins deux raisons.
La première raison de notre intérêt concerne l’idée que la destinée humaine puisse être contenue dans un regard, dans un portrait ou en miniature. Ce thème a été repris, bien sûr, par Oscar Wilde (Le Portrait de Dorian Gray). Ce n’est qu’une variation sur le thème de la représentation et du double ; le destin ou la fatalité étant pensées comme double ou miniature de l’existence d’un sujet.
Le second titre d’intérêt est le suivant : un des personnages à qui il a été révélé son assassinat par l’être aimé ne se dérobe pas et n’essaie donc pas d’éviter son destin. La morale du conte semble aller à l’encontre de nos idées, selon lesquelles c’est l’évitement qui permet la réalisation de ce qui voulait être évité. Peut-on comprendre malgré tout différemment cette fin ? Il n’y a pas de doute : Elinor croit en la vérité de la prophétie, mais elle veut son destin, car elle aime Walter (et son destin) : une illustration de l’amor fati de Nietzsche. Sur ce point, au moins, elle est comparable aux héros tragiques qui croient en leur destin. Mais, elle ne fuit pas, contrairement aux modèles que nous avons passés en revue et tâche même de faire bonne figure, ce qui est le cas de dire ici. Et si, comme Œdipe, elle voulait son destin, mais consciemment alors que les héros tragiques le désirent sans le savoir ? Les contes d’Hawthorne ne sont pas tragiques mais bizarres, étranges, parfois inquiétants ; il y a quelque héritage gothique dans leur semblant de noirceur ; les personnages semblent s’abandonner et veulent toujours ce qui leur arrive, mais mollement, sans raison violente ou même sans raison du tout, si cela est possible. Ainsi, l’histoire de M. Wakefield qui, un jour, « sans l’ombre d’un motif » quitta sa femme et alla s’installer clandestinement pendant vingt ans dans une maison en face de la sienne. Pourtant, Hawthorne affirme que «Chaque événement, le plus futile en apparence, a sa raison d’être » et ajoute plus loin, à propos du caractère du héros en question, «il s’abîmait souvent en de longues et paresseuses méditations dont il ne voyait pas en lui-même le but, ou, s’il l’entrevoyait, qu’il n’avait pas l’énergie d’atteindre. Le sens des mots échappait souvent à son esprit errant. (…) Bref, c’était un caractère indéfinissable que celui de Wakefield, et probablement le seul de son espèce.» On peut dire que l’homme agit ainsi dans le seul but de faire une expérience, il tente le diable, il a envie d’aventure sans pour autant désirer le risque qui lui est inhérent. Il hésite à rentrer chez lui, s’y apprête, puis renonce, la main sur la poignée de la porte : « A cet instant, sa destinée tourné sur le pivot du hasard ». Il trouve à chaque instant des raisons – qui n’en sont pas - pour remettre à plus tard son retour : « Cette idée, en s’enracinant dans son esprit, y creuse, à son insu, un abîme entre sa femme et lui. ». Or, voilà que dix années après, il rencontre, par hasard, sa femme et en est saisi ; il tombe sur elle et s’enfuit avant qu’elle n’ait eu le temps de reconnaître. Encore dix ans plus tard, un soir de pluie, il rentre chez lui, sans plus de motifs qu’il n’en était sorti et reprend sa place auprès du feu qui réchauffe le foyer. La morale qu’en tire l’auteur est la suivante : « C’est qu’il n’est pas bon d’être sans but dans la vie ; si l’on reste trop longtemps seul avec d’inutiles rêveries, elles dégénèrent en divagations. »
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