"Ce délire est semblable à la larme batavique, qui s'évanouit si vous cassez seulement sa pointe." (1)
Lorsque Clérambault prononce ces mots qui servent d'exergue à ce propos miniature, il parle d'un postulat - "C'est l'Objet qui a commencé et qui aime le plus ou qui aime seul." - sur lequel se fondent toutes les déductions du malade atteint de délire érotomane, et qui aboutissent à la conviction qu'il est aimé. La pointe du délire d'érotomanie, comparé à une larme batavique(3), est le postulat. Ce postulat est une "idée-mère" qui donne lieu à toutes sortes d'interprétations de la part du délirant. Chaque acte commis par l'Objet, même les plus anodins, sont interprétées par le délirant comme des marques, des preuves d'amour à son égard. "Le délire érotomaniaque se développe en trois stades : stade d'espoir, stade de dépit, stade de rancune."(4) Lorsqu'on lit l'analyse de Clérambault, on se surprend, parfois, à penser qu'il aurait pu écrire la même chose s'il avait dit décrit l'amour non pathologique. Or, ce que nous apprend véritablement cette analyse, c'est la nature délirante de tout amour, plus ou moins sain. Cioran dit de l'amour, avec ironie, qu'il est "une intoxication métaphysique" ; on pourrait même se demander si l'amour n'est pas une atteinte à notre santé mentale. Délirer, c'est à proprement parler "sortir du sillon", s'égarer. "Délirer, c’est sortir du réel, sans savoir qu’on en est sorti, et sans pouvoir s’en rendre compte, puisque le réel est le délire. (…) L’idée n’est point délirante en soi, seul le sujet délire."(5) Le délirant transforme le réel en un autre réel, conforme à son délire. Un réel imaginé se substitue à un autre ; c'est pourquoi l'on ne peut dire du délirant qu'il perd pied dans le réel, il s'incruste dans son réel. Ses idées ne sont pas illogiques, délirantes, son propos même peut être fort bien raisonné et raisonnable, seulement, voilà, ses idées et ses raisonnements s'appliquent à un monde qui n'existe pas. "Une passion morbide, proche de la passion normale, anime le jaloux, le revendiquant, l’érotomane, à partir d’un thème bien défini qui polarise toute l’activité du malade et confère à sa conduite un style particulier et une qualité de moins en moins adaptée à la situation."(6) Dans la passion "normale" comme dans la passion maladive, il y a un point vers lequel converge toute la folie du délirant ou de l'amoureux, ou d'où part toute cette frénésie amoureuse. Si l'on détruit ce point, comme si l'on casse la pointe de la larme batavique, le délire, la folie cessent. Pour schématiser grossièrement, disons que la pointe du délire (du fou, au sens strict du terme) est une obsession et la pointe de la passion amoureuse est une émotion. Ceci explique d'ailleurs le fait que la perte d'émotion dans l'amour, ou l'incapacité de la convoquer, de la ressusciter, conduisent à la mort de cet amour, alors que sa recherche excite cet amour. Une émotion s'use peut-être plus vite qu'une obsession ; le problème de la grande majorité des amants est qu'ils ne sont peut-être pas assez atteints par la maladie d'amour, pas assez fous. L'émotion inspire et échappe, sans que l'on ne puisse rien faire. C'est en ce sens que l'amour est inspiration et produit des inspirés
(2)Cf. le beau livre de Jacques de Bourbon-Busset, Laurence ou la sagesse de l'amour fou.
(3)Littré, article "larme" : "Larmes-de-verre, ou larmes bataviques, petites masses de verre en fusion qu'on a laissées tomber dans l'eau froide et qui, par suite d'un refroidissement inégal, dû à la mauvaise conductibilité du verre pour le calorique, deviennent telles que, si l'on vient à casser la queue, la tête se met en poussière ; c'est là le phénomène qui excitait l'admiration des physiciens au XVIIe siècle."
(4)L'érotomanie, éd. Synthélabo, Coll. Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 1993, p. 66.
(5)Encyclopédie Universalis, article "délire" par Gabriel Deshaies.
(6) Ibidem.
Quelques chapitres...
Les roses du Pays d'Hiver
Retrouvez une nouvelle floraison des Roses de décembre ici-même.
!doctype>
Rechercher sur mon JIACO
Qui suis-je ?
- Holly Golightly
- Never Never Never Land, au plus près du Paradis, with Cary Grant, France
- Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
Almanach barrien
En librairie
Lettres
Voyages
Écosse
Kirriemuir
Angleterre
Londres
Haworth
Allemagne
Venise
New York
Liens personnels
Le site de référence de J.M. Barrie par Andrew Birkin (anglais)
Mon site consacré à J.M. Barrie (français ; en évolution permanente)
Site de la Société des amis de J.M.Barrie (français ; en construction)
Liens affiliés à ce JIACO
Blog Archive
- 2020 (1)
- 2019 (1)
- 2018 (4)
- 2017 (8)
- 2016 (1)
- 2015 (22)
- 2014 (15)
- 2013 (22)
- 2012 (34)
- 2011 (20)
- 2010 (34)
- 2009 (66)
- 2008 (74)
- 2007 (143)
-
2006
(447)
- décembre(21)
- novembre(19)
- octobre(20)
- septembre(21)
- août(33)
- juillet(23)
- juin(43)
- mai(44)
- avril(62)
- mars(50)
- février(51)
-
janvier(60)
- janv. 31(3)
- janv. 30(3)
- janv. 27(1)
- janv. 26(1)
- janv. 25(4)
- janv. 24(3)
- janv. 23(3)
- janv. 22(1)
- janv. 20(2)
- janv. 19(3)
- janv. 18(2)
- janv. 17(1)
- janv. 16(2)
- janv. 15(1)
- janv. 13(5)
- janv. 12(2)
- janv. 11(2)
- janv. 10(3)
- janv. 09(1)
- janv. 08(1)
- janv. 07(2)
- janv. 05(4)
- janv. 04(2)
- janv. 03(2)
- janv. 02(2)
- janv. 01(4)
- 2005 (217)
Archives
-
►
2018
(4)
- ► juillet 2018 (1)
- ► avril 2018 (1)
- ► février 2018 (1)
-
►
2017
(8)
- ► juillet 2017 (6)
- ► avril 2017 (1)
-
►
2015
(22)
- ► décembre 2015 (3)
- ► octobre 2015 (1)
- ► avril 2015 (1)
-
►
2014
(15)
- ► juillet 2014 (3)
- ► janvier 2014 (1)
-
►
2013
(22)
- ► novembre 2013 (1)
-
►
2012
(34)
- ► novembre 2012 (1)
- ► juillet 2012 (12)
- ► avril 2012 (1)
-
►
2011
(20)
- ► décembre 2011 (1)
- ► octobre 2011 (1)
- ► septembre 2011 (1)
- ► janvier 2011 (1)
-
►
2010
(34)
- ► novembre 2010 (1)
-
►
2009
(66)
- ► juillet 2009 (11)
- ► avril 2009 (8)
-
►
2008
(74)
- ► novembre 2008 (1)
- ► septembre 2008 (4)
- ► juillet 2008 (17)
- ► avril 2008 (11)
-
►
2007
(143)
- ► décembre 2007 (8)
- ► novembre 2007 (6)
- ► juillet 2007 (14)
- ► avril 2007 (18)
- ► février 2007 (16)
-
▼
2006
(447)
- ► décembre 2006 (21)
- ► novembre 2006 (19)
- ► octobre 2006 (20)
- ► septembre 2006 (21)
- ► juillet 2006 (23)
- ► avril 2006 (62)
- ► février 2006 (51)
- ► janvier 2006 (60)
-
►
2005
(217)
- ► décembre 2005 (62)
- ► novembre 2005 (98)
- ► octobre 2005 (49)