mardi 14 mars 2006
Samedi, j’avais rendez-vous avec mon enfance.
Olympia, en matinée.
Le rendez-vous des vieux.
Ceux qui sont au bout et au bord. Moi, je suis au creux. Toujours en marge. Mais, désormais, j’achète des cahiers qui en sont dépourvus. Je prends toute la page.
Je m’étais préparée à cette rencontre. Du mieux que je le pus. En oubliant et en me rappelant. Noir et blanc. Piano. Je ne connais pas le solfège, je chante faux et je bats la mesure à contretemps.
La chanson est, paraît-il, un art mineur. Il faut creuser loin.
J’avais revêtu mon meilleur manteau, celui qui a une capuche et des boutons en corne. Un duffle-coat, qui me rappelle un vieux manteau que je possédais, enfant. Le premier manteau à capuche que j’ose depuis mes huit ans. Je n’ai rien à cacher. Je ne suis pas nonne. Je me découvre.
Enharnachée de la sorte, je me sentais à nouveau petite, bien que je ne sois pas très grande, dans le fond.
J’étais vaguement inquiète, à l’affût de cette petite fille. Comment allais-je pouvoir la reconnaître ? C’était une gamine avec un corps anguleux et un visage crispé. Mais ses yeux étaient immenses. Ils étaient aussi grands que sa faim. J’ai toujours aimé mordre.
Lorsque j’écoutais cette chanson de Guichard, « Mon vieux », je n’étais pas dans la position du chanteur : j’étais une enfant extrêmement consciente de ces « choses-là ». Celles de la chanson. Paroles de Jean Ferrat.


Mais quand on a juste quinze ans


On n'a pas le cœur assez grand


Pour y loger tout's ces chos's-là


Tu vois.

C’était pour de vrai. Pas comme le jeu des enfants.
J’ai fait l’économie du conditionnel et du subjonctif. Mon enfance s’écrivait au présent de l’indicatif.
Je savais bien également qu’ils allaient mourir avant que je n’aie le temps de leur rendre la pareille. Le meilleur et le pire. Je n’ai donc pas de regrets à opposer à ce passé que je n’ai de cesse de tanner dans mes fictions de mots ou de rêves. J’ai sucé leurs mots et leurs gestes comme un chien son os. Un bonbon qui a le goût de l’acide.
Daniel Guichard saurait-il me rendre ce que je n’ai pas perdu mais que je feins d’avoir égaré ?
Pourtant, Guichard, aujourd’hui, maintenant que je suis outrageusement heureuse, maintenant que cette saleté d’enfance est balayée par mille joies et mille chagrins, me rend ces années dans leurs moindres courbures.
Mon poing dans la gueule. Voilà que la gamine est amochée.
Bien fait ! Faudrait pas se complaire trop longuement dans la vanité des choses décédées.
Tout le monde est orphelin. On ne l’est pas plus à dix ans qu’à quatre-vingts ans. Et la jeunesse se remet droite plus vite que sa compagne, celle qui attend au bout et au bord quand je ne cesse d’être en creux.
Populaire. C’est un crime et une offense. Dans mon milieu, dans celui auquel je feins d’appartenir. Mais je sais d’où je viens. Je me remémore. Je suis une provocation.
Je puise ma force dans mes manques.
Il y a quelque chose de pitoyable à revenir sur ses pas.
On peut avoir envie de foutre le camp.
On peut être tenté de se moquer.
Naïf à ce point : faut être con ou pur. Finalement, ça revient au même.
L’émotion fait le grand écart entre notre tentation de se laisser aller et celle de se cambrer devant ce qui peut ressembler à une sensiblerie. Entre la sensibilité et la sensiblerie l’espace ne se mesure que par quelques lettres, que par quelques pas de deux. J’ai un point de côté.
Au cœur. La tendresse. Faut pas pleurer comme ça.
Tant pis.
J’ai le désir d’être conne, cet après-midi. Je me sens conne et ça me fait du bien.
Ouais, je chouine, je morve et je gigote un peu sur mon siège.
Je crois que je suis réconciliée avec mon ombre. Comme Peter Pan. Mais c’est Guichard qui l’a recousue.
Merci Monsieur.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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