lundi 14 août 2006
Le premier épisode donne le ton de cette série épatante, comme seuls les anglais savent en porter à l'écran. TMC l'a rediffusé hier soir et je me suis, à nouveau, laissée emporter par l'amplitude et l'élégance de cette oeuvre télévisuelle, adaptée d'une série de livres de R.D. Wingfield. Cet auteur ne délivre que peu de confidences sur lui, ce qui attise ma curiosité...
- A Touch of Frost
- Night Frost, 1992, Constable, London (1995, Bantam, New York)
- Frost at Christmas
- Hard Frost
- Winter Frost
A ma connaissance, point de traductions de ces livres dans la langue de Molière... On ne peut que déplorer ce manque. Je suis, pour ma part, plus qu'encline à me jeter dans la lecture des originaux.
David Jason est un acteur à la fois très émouvant et complètement maître des sentiments qu'il accorde à son personnage fétiche depuis 1992.
Premier épisode.
William Edward "Jack" Frost est un homme déprimé, à qui il ne manque guère de raisons pour sombrer tout à fait dans une forme de cynisme discret. Sa femme est mourante et il la fuit dans son travail, accablé par son état et surtout par son incapacité à éprouver les sentiments qu'il estime devoir ressentir en cette occasion. Mais la maladie ne peut rien ranimer. L'amour était déjà mort depuis que les deux acteurs de ce couple se sont mutuellement déçus : l'une espérait mieux de son mari en terme de carrière et d'ambition, l'autre attendait simplement de la compréhension. Etre aimé pour soi, et rien que cela. Est-ce aussi simple ? Kundera nous avait déjà mis en garde :
"Si nous sommes incapables d'aimer, c'est peut-être parce que nous désirons être aimés, c'est-à-dire que nous voulons quelque chose de l'autre (l'amour), au lieu de venir à lui sans revendications et ne vouloir que sa simple présence."
Le monologue final de Frost (que je traduis à main levée, pardonnez donc la forme) est bouleversant et illustre à merveille la rude vérité de Kundera :
"La nuit dernière, je me suis assis là. Toute la nuit, je suis demeuré assis à cet endroit, dans l'attente d'éprouver quelque chose. Elle était ma femme ; elle était mourante et je ne pouvais rien ressentir pour elle. Dieu sait combien il y a d'années que les choses ont commencé à mal tourner pour nous. Quand nous avons découvert que nous ne pouvions pas avoir d'enfants, elle a simplement changé. Nous avons changé. Elle est devenue une femme d'intérieur implacablement fière. Tout devait être nettoyé, propre et rangé. Vous auriez dû me voir à cette époque. J'avais mon travail. Je suis un flic des rues. J'appartiens à tout ceci. Mais ce n'était plus assez bien pour elle désormais. Elle attendait de moi que j'obtienne une promotion, que je sois ambitieux, que je fasse quelque chose de ma vie. Elle voulait que je lui donne un motif d'être fière, voyez-vous. Et elle n'a eu que moi. Elle en est arrivée à être déçue à la fin. Je le sais. J'en suis venu à retarder le moment de rentrer chez moi, afin de ne pas voir cet air de déception sur son visage. Et puis j'ai cessé de rentrer chez moi. Je sais que je n'avais aucune excuse. De toute façon... J'ai... J'ai rencontré quelqu'un d'autre. Pourquoi pas ? Je m'étais décidé à quitter ma femme. Le jour même où j'ai trouvé le courage de le lui annoncer, son médecin m'a appelé au poste. "Elle a un cancer. Dix-ans mois d'espérance de vie." Elle avait toujours eu des ennuis avec son estomac. Elle pensait que c'était nerveux, ou ceci ou cela. Quoi qu'il en fût, elle voulut savoir. Elle espérait qu'elle pourrait faire face. Elle parla sans détours. Elle s'accrocha à moi pour la première depuis des années. Elle tremblait de la tête aux pieds. "Tu prendras soin de moi, Billy ? Tu prendras soin de moi, Billy ?" Je lui ai répondu qu'évidemment je serai là pour elle. Je suis sorti et je me suis saoulé. Et j'étais encore saoul quand je me suis retrouvé face à ce dingue qui avait un revolver. Et, avant qu'ils n'aient pu m'en empêcher, je marchais vers lui. Savez-vous à quoi je pensais ? La seule chose qui m'occupait l'esprit était la suivante : "Vas-y, pauvre con, bute-moi ! Finir comme ça ou autrement..." Et pour cet éclatant acte d'héroïsme, j'ai obtenu une médaille. Je pense que c'était le plus beau jour de sa vie pour ma femme. Elle se tenait à côté de moi, à Buckingham Palace. J'avais un haut de forme. Finalement, j'avais accompli quelque chose dont elle pouvait être fière. Et je n'étais même pas là quand elle est morte. Elle aurait apprécié. "Même maintenant, tu me laisses tomber, Billy. On ne peut jamais te faire confiance."
Moins raffiné que l'inspecteur Morse, Frost n'est pas non plus aussi cultivé que lui et officie davantage en cavalier seul dans la cité imaginaire de Denton. Son patronyme, qui signifie "gelé", dit son caractère ombrageux, distant, abrupt et terriblement efficace, que l'on peut parfois confondre avec de la froideur. Mais la glace se brise parfois et l'on entrevoit les tourments de cette âme solitaire.
Le schéma des épisodes veut que deux enquêtes occupent le devant de la scène : l'une qui prend le pas sur une autre, mineure celle-ci, mais qui exerce son attraction sur la première. Dans ce premier épisode, une disparition d'enfant est liée avec l'exhumation d'un cadavre vieux de trente ans.
Le réel point commun entre Frost et Morse est l'introspection sociale à laquelle les conduisent leurs enquêtes respectives. Morse est attaché à un contexte plutôt universitaire tandis que Frost oeuvre dans les franges moins ragoûtantes de la cité. Mais l'un et l'autre se définissent par un souci de tolérance et de compréhension de cette humanité déchue, charriée par les petits et grands crimes quotidiens. Un signe clanique les associe l'un à l'autre.
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