lundi 20 février 2006

Réel plaisir de revoir cet épisode de la série Alfred Hitchcock présente ! Je ne me souvenais pas que Patrick Macnee
y faisait une incursion ! Avec ou sans melon, John est égal à lui-même (il se prénomme comme Steed ici). J'adore l'humour noir , très noir, d'Alfred. L'histoire : un homme, éleveur de poulets,
dans une ferme ultra-sophistiquée, se débarrasse d'une ancienne fiancée très cynique. Il l'étrangle avec le même geste qu'il réitère fréquemment pour trucider ses poulets. Il fait disparaître le corps en le broyant dans son moulin automatique et la donne à manger à ses volatiles, poussant le vice jusqu'à préciser que cet ingrédient donne un goût indéfinissable à la volaille. Il ne manque pas d'envoyer deux coqs à l'inspecteur de police bredouille, pour son Noël.
Hitchcock était un pervers, cela ne fait aucun doute à mes yeux et je ne m'en plains pas. Il éveille en nous des penchants assez difficiles à redresser et nous hésitons, un instant ou deux, entre l'horreur glacée et le rire cynique. C'est cette hésitation courte qui donne son prix à l'oeuvre d'Hitchcock. Alfred a une propension à mettre en scène des histoires aux relents de cannibalisme ou dans lesquelles l'estomac joue un rôle (d)étonnant. Cet épisode fait écho à celui précédemment évoqué du gigot. Certes, la morale est sauve, car dans l'épilogue, Sir Alfred précise le sort qui adviendra à l'assassin impuni... une mort qui ressemble à l'esprit de celle orchestrée par Patricia Highsmith dans la nouvelle connue sous le titre L'amateur d'escargots... * 
Digression absolue : à propos d'estomac, une pièce de Barrie porte le titre de Little Mary. Savez-vous ce que désigne cette expression ? L'estomac tout simplement et elle est passée dans le langage courant. Barrie is everywhere.
Tous les journaux en parlent. Il fait trop chaud, ce matin. Deux semaines d’affilée, sans la moindre interruption, que je suis en première page. Je ne sais pas comment je vais m’habiller. Couvertures locales et nationales. J’ai toujours voulu être célèbre. Pas de veine, d’avoir les bronches fragiles même en été. J’ignorais juste la manière. Je mangerais bien de la ratatouille à midi. J’existe enfin. L’important étant de faire réduire à petit feu les légumes. J’existe dans l’esprit des gens ; un être singulier et invisible qui devient le centre d’attraction d’une foule, un jouet pour un monstre aveugle et muet ; j’ai une place dans la tête poreuse et tortueuse d’inconnus, des gens que je frôle dans la rue et qui ne se doutent de rien, et je suis même présent dans les rêves de tas de gens célèbres. Ne pas mettre d’huile, juste un minuscule cube de beurre et quelques cuillères d’eau ; le gras m’écœure. Ça me fait un frôle d’effet d’être, par exemple, dans la tête de Jean-Paul Belmondo ou de Sophie Marceau et d’agiter, ne serait-ce que pendant deux ou trois millièmes de secondes, les neurones de la présentatrice du journal de vingt heures, aussi bien que ceux de la kiosquière au coin de la rue, la vieille qui ne me regarde jamais et qui ne sourit pas. Il faudra faire attention à ne pas être aussi négligent que la dernière fois. Qu’est-ce qu’ils pensent tous de moi ? Faire réduire les légumes mais s’arrêter à temps, avant qu’ils ne prennent une teinte marronnasse. Qu’est-ce qu’ils croient connaître de moi, de ma vie, de mes rêves et de mes déceptions ? Les légumes étaient trop cuits. Rien, ils ne savent rien, car ils n’ont pas assez d’imagination, voilà tout. Ils étaient ratatinés et tout mêlés ; j’ai jeté le plat à la poubelle. Le secret de la cuisson, c’est de savoir quel est le moment précis pour stopper le processus juste avant que les légumes ne se décomposent : lorsqu’ils sont encore à peine croquants et déjà fondants. En somme, c’est comme la mort. Il faut de la subtilité et du doigté. Je suis un artiste. J’aime porter du velours côtelé quelle que soit la saison. Aujourd’hui, je sens que Capra va me porter chance. J’aime ce costume bleu ; il met en valeur la couleur de mes yeux ; les yeux sont une porte sur le mensonge. Hier, j’ai encore oublié d’acheter du fil de nylon. Les yeux sont des vampires. Quelle autre méthode serait appropriée ? Le mal n’est pas ce que l’on croit. En somme, une notion très surfaite (« surfait » n’est-il pas le mot qu’emploient volontiers les snobs ? Il faudra surveiller mon langage), à l’instar de toutes les réputations, sans exception. Ils ne devinent pas mon mobile ni les raisons qui justifient le choix de mes victimes. Précisément : il n’y ni mobile ni raison véritables. Pour mettre un nom sur ce qu’ils appellent dédaigneusement mes « crimes », il est nécessaire qu’ils déroulent la pelote de mes émotions et qu’ils suivent le fil. Ils ne sont pas assez patients. La vérité est là, c’est moi. Clac, le fil je le romps avec mes dents ! Et, puisque les philosophes et les psychologues s’obstinent à penser que l’acte gratuit n’existe pas, je vais mettre sur le tapis un motif valable.

Je suis un cinémaniaque et je hais la laideur.

Mais n’est-ce pas déjà un motif ?

My funny Valentine Toutes celles que j’ai tuées avaient ce point commun : elles heurtaient ma vue par leur laideur et par la complaisance qu’elles semblaient tirer de leur état répugnant. Quand on est moche à ce point, on devrait se montrer discret et se sentir coupable, c’est la moindre des choses. Elles auraient dû demander pardon au monde entier de le blesser de cette manière. Le plus drôle, dans cette histoire, c’est que les flics n’oseront jamais l’admettre. Cela ne se fait pas de dire des choses pareilles, à moins de vouloir passer pour un cynique. Attitude mal vue dans la police... A cause de leur bonne éducation, innée ou forcée, j’en tuerai d’autres. Deux, quinze ou cent. Mille, pourquoi pas ?

My funny Valentine J’aime cette salle de cinéma et, entre toutes, c’est la plus charmante que je connaisse. Je vais lui rendre hommage de manière indélébile. Enfin, façon de parler, car j’ai trouvé une autre méthode. Le sang n’est ineffaçable que dans les tragédies de Shakespeare. Le plafond, on dirait du velours, il est de la même couleur que mon costume : bleu nuit. Partout, il y a de minuscules ampoules incrustées dedans. La voûte céleste doit ressembler à cela. Depuis le temps que j’attendais de revoir ce film. La vidéo ne me vaut rien. Je n’aime pas vraiment la solitude et le décor de mon cagibis n’est pas approprié. Mais non, Mister Capra, ce n’est pas tout à fait exact… It isn’t a wonderful life ! J’ai bien choisi mon jour, et Paris est si jolie aujourd’hui. My funny Valentine Je l’ai repérée dans la file d’attente. Elle ne doit pas avoir plus de vingt ans – tant mieux, elle n’aura pas trop ennuyé le monde par sa présence et ses jérémiades, car on doit fatalement se plaindre lorsque l’on est pourvue, comme elle, d’autant de disgrâces. Ses dents de devant sont mauvaises et tachées, défaut irrémédiable, à moins de les arracher et de les remplacer par des prothèses en porcelaine … et encore … avec cette bouche sèche et donc envieuse, rien n’est réparable. On gâcherait son temps à vouloir l’arranger. Pas moyen de traiter avec la laideur ; elle n’est pas honnête. Elle est perverse. Le nez est désespérant à force de mauvaise volonté ; il est tordu et penche du côté gauche ; il a un air sournois. Les yeux sont petits et recroquevillés : ils ont raison de se cacher derrière d’immenses lunettes. Le corps est négligé, aussi bien du point de vue de l’épiderme que de celui du vêtement. Je l’aurais épargnée si elle n’arborait pas cet air-là. De la supériorité ? De l’assurance, en tout cas. Et une bonne dose d’inconscience. Ne se rend-t-elle jamais compte à quel point elle est objectivement répugnante ? Je m’assois derrière elle. Elle est seule. Elle semble inquiète. Elle reluque à droite à gauche, elle aimerait bien se retourner, mais elle n’ose pas. Pense-t-elle à moi ? Pas été suffisamment puisqu’elle est tout de même venue ce soir. Ça m’ennuie de liquider une admiratrice de Capra, mais je n’ai pas le choix. D’habitude, je supprime celles qui tombent en pâmoison devant les films de Godard, de Chéreau ou d’Assayas, par exemple. Rien ne me donne plus d’inspiration dans ma démarche que l’ennui que suscitent chez moi certains cinéastes. Tout a commencé ainsi : un dimanche, par désoeuvrement, lors de la projection de Pierrot le fou. Je hais Godard. Un fou rire s’est soudain emparé de moi devant tant de naïveté – je déteste que l’on prétende m’éduquer - et personne pour le partager. Une sourde présence, pleine de réprobation a répondu à cette manifestation nerveuse. Ma réaction nerveuse offensait le Maître. Le déclic. Je suis passé à l’action le lendemain. Le poison met plusieurs heures à agir. Je n’en verrai heureusement jamais l’aboutissement D’abord, le corps se couvre lentement de minuscules cloques irritantes, une irrésistible démangeaison s’ensuit, puis les pustules s’élargissent dès qu’on les effleure, et c’est pire si on se laisse aller au plaisir de les gratter. Le processus s’accélère. Bientôt le corps est recouvert de cette vermine, sans un interstice de peau saine. La mort survient par asphyxie. Le mécanisme est très lent à se déclencher et à produire tous ses effets, aussi lent que la cuisson des légumes. J’en ai ramené la recette dans mes bagages ; le produit est inédit dans la plupart des coins du globe ; il leur faudra du temps avant de comprendre, s’ils y parviennent… La forêt amazonienne, c’est si loin … Et si j’ajoutais du cumin ? A moins que le paprika ne soit plus approprié pour cette composition de légumes ? Etrangler des individus dans une salle de cinéma devenait trop dangereux, surtout avec toute cette publicité que les journalistes m’ont faite. En plus, je me taillais avant la fin du film et je gâtais mon plaisir. Se placer derrière l’élue. Attendre que l’écran l’hypnotise. Veiller à ce qu’elle soit sous l’effet d’une émotion réelle. Ne pas faire de bruit. Attendre. Encore attendre. Faire semblant de mettre mon manteau (il fait toujours froid dans les salles de cinéma), pour induire en erreur et cacher mon geste à ceux qui sont assis derrière moi et à côté de moi, à droite et à gauche et, dans le même mouvement, prendre sa tête dans le lasso de fil de nylon que j’ai préparé et dont j’ai le secret. Mouvement vif, rapide, précis. Pas un cri. Je ne puis me payer le luxe d’un soupir de sa part, sinon tout est fichu. Terminé. La tête penche doucement. Je la tiens encore avec le fil de nylon. Pauvre marionnette. Je l’articule avec précaution. On dirait qu’elle s’endort. Une piqûre aussi indolore que celle d’un moustique, voilà qui est plus discret et tout aussi efficace. Bien sûr, ça rajoute de la laideur au monde, mais je ne suis pas là pour la contempler. Je ne verrai pas le corps dans son état final. Une semaine et demie ! Ils sont encore moins doués que je ne le présupposais. Ils ont mis une semaine avant de réaliser que les trois mortes étaient allées au cinéma dans les vingt-quatre qui ont précédé leur trépas. Maintenant, ils savent que c’est encore MOI et que je ne me contente plus du nylon. Les gens continuent, dans leur grande majorité, à aller au cinéma. Goût du risque, je-m’en-foutisme, inexpérience ? Personne ne croit à sa propre mort, pas même moi, pas plus que je ne crois à ma culpabilité. Ils cherchent le dénominateur commun, et ils commencent à renifler du bon côté. Encore un effort messieurs ! Soyez cyniques et vous m’attraperez peut-être. Mon mobile ? La laideur. Je le répète.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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