mardi 27 juin 2006
The Lodger Vidéo envoyée par misshollygolightly
The Lodger ou exercice sur le thème de Jack l'Eventreur par Alfred Hitchcock... dans un Londres ombrageux et aussi expressionniste que certains films allemands de genre.
Hitchcock affirma à Truffaut dans ses Entretiens , auxquels je ne cesse de revenir d'un film vu et revu à l'autre, qu'il considérait ce film comme le premier qui exprima véritablement l'essence de son cinéma. En effet, si comme je le crois souvent un artiste persiste à délivrer le même message et si le talent consiste à ne cesser de dire de mieux en mieux cette vérité première de l'être qui décide de l'exprimer par la voie du film, du livre, de la peinture (peu importe le support), toutes les obsessions et les thèmes d'Alfred Hitchcock sont présents ici. Superposition et juxtaposition des éléments qui nourriront ce génie d'homme : eros et thanatos (les menottes et l'alliance mises en perspective ; le fétichisme d'Alfred Hitchcock est aussi avéré que celui de Bunuel, obsédé par les pieds) ; la culpabilité innocente et réciproquement (le héros est innocent mais il est en quête de vengeance ; le tueur signe ses crimes d'une signature "The avenger" - "Le vengeur", bien que l'on ne sache rien de ses raisons ni de sa personnalité, mais ce simple nom l'unit et le met au même niveau que le "locataire" innocent...) ; le goût du sang du peuple (bêtise crasse et aveuglement de la foule qui crucifie sur une grille le malheureux héros ) ; un goût prononcé pour l'ambiguïté (qui résume l'oeuvre du Maître) ; un esthétisme poussé à l'extrême (le muet contraint à des trouvailles brillantes) ; un sadisme patent et un humour noir indélébile. Sans ignorer l'ironie que ne perçoivent pas toujours les spectateurs... Le suspense étant à peine le but mais plutôt le produit de tout ce qui précède...
Il est remarquable de constater à quel point l'art de l'écrivain ou de l'artiste en général s'effondre lorsque ce qui était à dire fut dit. Ensuite, vient l'heure de la technique et du radotage, même si les meilleurs savent masquer cette facilité de l'esprit et de l'âme qui reposent alors dans une certitude plus ou moins avouée de leur art. Il est très difficile de savoir quel est le moment de l'excellence d'un artiste, qui cristallise dans une oeuvre toutes ses possibilités, mais il est certain que ce moment existe. Il s'agit d'un climax ou d'un centre de gravité, un hapax, qui n'est pas nécessairement flagrant. Je ne me risquerai pas à donner mon hypothèse quant à la nature de ce "point de perfection" chez Hitchcock...
The lodger est le récit d'une erreur judiciaire en germe. Le faux coupable est un thème que Hitch. reprendra maintes fois, mais ce qui est plus intéressant encore c'est le plaisir sadique du réalisateur de mettre en balance les doutes du spectateurs. Il récidivera avec encore plus de force et de génie dans Soupçons ou L'ombre d'un doute. Il rencontrera dans le premier cas le même problème que dans ce film : faire passer la vedette pour un meurtrier potentiel. Les producteurs n'ont jamais accepté qu'un Cary Grant ou un Ivor Novello (le jeune premier de l'époque) soit coupable. Hitch. désirait que le doute sur la culpabilité subsiste, fidèlement au roman qu'il vampirise* pour notre plaisir. Tout le film repose sur cette tension, rendue palpable par des plans magnifiques, ingénieux (Hitchcock découpe les plans avec une précision maniaque ahurissante)...
J'ai choisi de présenter un extrait de la fin du film. Ce lynchage rappellera celui de Fury de Fritz Lang (Cf. ici) quelques années plus tard.
* Il possède en commun avec Truffaut (je songe plus précisément aux romans de Roché, mais ce serait valable pour toutes ses adaptations : il découpait des fragments de romans qu'il collait sur des cahiers et écrivait tout autour... Quel festin de mots !) cette capacité d'absorber un oeuvre (un roman) et de la déchiqueter pour la faire sienne.
Un petit extrait des Entretiens :
entretiens.
La fiction, dans son opération de création d’un univers, semble l’exact contraire du raisonnement philosophique, qui, lui aussi, crée un univers. Mais, quand la fiction a pour but de rendre l’illusion de la réalité qu’elle construit aussi réelle que possible en accumulant des détails qui parlent autant à nos sens qu’à notre intelligence et donnent une impression de vécu (c’est souvent en proportion de cette impression que l’on apprécie d’autant plus une fiction – « ça ne s’invente pas ») par une insistance sur le particulier et le singulier. Comme sous l’effet d’un enchantement ou d’une perversion, la fiction nous est plus réelle et plus proche que la réalité qu’elle plagie (elle nous donne à ressentir, nous livrant des émotions fortes que nous osons éprouver entièrement, dans la mesure où elles ne nous appartiennent pas : le lecteur ou le spectateur est une sorte de mère porteuse de l’émotion véhiculée par la fiction). A quoi tient donc ce caractère de vérité ou de vraisemblance que nous attribuons à la fiction, lorsque celle-ci atteint une forme de perfection ? Et, parallèlement, la philosophie déçoit-elle précisément à cause d’un manque de vérité ? Une fiction emporte notre adhésion par la cohérence qu’elle déploie avec elle-même. C’est pour cette raison qu’un roman autobiographique a autant de chances de succès auprès de notre raison qu’un récit de science-fiction ou un conte de fées. Il faut donc que la fiction respecte la logique qui a cours dans le monde qui est le sien. Nous avons une impression de réalité, même dans le réel objectif, uniquement sous cette condition. Le rêve, par exemple, peut ne pas nous satisfaire de ce point de vue par l’étrangeté qui peut émaner de lui, par cette absence d’ordre qu’il manifeste. On retrouve ce sentiment identique lorsqu’on perd pied dans la réalité, phénomène que Freud appelle « l’inquiétante étrangeté », que celle-ci soit produite par un fait réel ou fictionnel. Cet événement se produit lorsque la conscience se détache d’un fait, comme si elle se dédoublait et qu’elle reste collée aux faits et d’autre part soit ailleurs, décollée d’elle-même et des faits, pour observer ces faits. Le décollement de rétine que l’on observe chez certains sujets pourrait servir de métaphore à ce décollement psychologique. L’homme doit sentir que le réel (ou la fiction) où il s’engage manifeste une stabilité, une fermeté, et qu’une armature le soutient. Or, tout ceci, que nous nommons cohérence, est le fait de la raison qui trouve ou plutôt établit des repères dans la réalité en question. Elle jette des ancres qui lui permettent d’assurer une stabilité au sujet. La manière dont nous abordons une œuvre de fiction nous paraît représentative de la manière dont nous abordons la réalité. Nous avons besoin que rien ne heurte la logique mise en œuvre dans les divers éléments de la réalité qu’elle cimente entre eux, et qu’elles assemblent selon un ordre ou un plan qui ne nous apparaît ni artificiel ni faux. Est-ce que, pour autant, si l’on considère une autre mise en perspective de la réalité, la folie par exemple, on peut déduire des considérations précédentes que la logique est ce qui nous contraint à adhérer à une réalité, réelle ou fictionnelle ? On peut comprendre et entrer dans l’univers d’un paranoïaque ou d’un simple névrosé obsessionnel ou encore d’un phobique, et aller jusqu’à se perdre dans la réalité qu’il fait vivre par son raisonnement et ses actes, sans moyen de savoir où est l’objectivité, le réel réel. Le paranoïaque, le schizophrène ou l’obsessionnel ne manquent pas de logique. Au contraire serait-on tentés de dire. En effet, il n’y a personne de plus raisonnable ou rationnel qu’un fou. Parfois, la logique du fou est absolument plus logique et inflexible que celle d’un homme « sain ». Qu’est-ce qui alors différentie la réalité du fou et celle du non-fou si ce n’est la présence de la logique ? On dira sûrement que c’est l’application de cette logique qui fait toute la différence. La réalité du fou, et nous espérons que l’on nous accordera ce rapprochement, est une forme de fiction. A la différence près qu’elle remplace, du moins pour le fou, la réalité prosaïque ou objective du sujet sain. Elle s’y superpose et finit par prendre sa place. La fiction au sens strict du terme, elle, est un simple jeu, une illusion librement consentie par celui qui la subit, et qui ne cherche pas à faire œuvre d’imposture. Le rationnel est autant le propre de la réalité objective (scientifique ou philosophique) ou du sens commun que celui de la fiction (à condition qu’elle adopte une forme « classique ») ou bien celui de l’univers du psychotique ou de l’obsessionnel. Ce rationnel est insufflé par la logique qui est commune à ces trois réalités et consiste, pour être brefs, en l’application du principe de non-contradiction et celui du tiers exclu qui vont de pair. Le rationnel dont fait preuve la réalité philosophique est plus élaboré puisqu’il ne se contente pas de mettre en forme un matériau sensible comme dans le cas de la pensée du sens commun ou de la fiction, mais qu’il crée comme le fou une autre réalité qui se superpose à la première et se l’assimile. Cette réalité, comme celle du fou, privilégie un point de vue qui unifie et oriente la vision du monde du sujet. Le réel a besoin du rationnel pour exister dans la pensée du sujet, afin qu’il puisse conserver ce réel dans son for intérieur et le convoquer pour s’y projeter, pour faire corps avec son vécu et constituer ou retrouver son identité par rapport à ce réel qui peut donc être pensé et, partant, nommé. Toutefois, le rationnel ne suffit pas pour que le réel existe, il faut que la raison dresse un pont avec des référents concrets qui correspondent aux notions ou concepts en cause. Le rationnel n’est qu’une armature pour soutenir le réel dans la pensée et le langage. Or, il advient que la logique, qui est ce qu’il y a de rationnel dans le réel, sécrète ses propres objets au lieu de mettre en forme les intuitions, les sensations (la chair en un mot) que le sujet éprouve dans l’univers qui est le sien. Ainsi, le rapport de causalité que la raison établit entre deux événements, qui, eux-mêmes, ont été déterminés comme tels par la raison, peut se transformer en une sorte d’objet qui serait la causalité – ce que Hume met en évidence, en montrant que la causalité n’existe pas comme une qualité de l’objet auquel elle est rattachée. De même, n’importe quel concept comme celui de « chaise » ou de « trombone » peut devenir un objet qui remplace tous les objets auxquels il se réfère. Ce qui est vrai des concepts d’objets qui désignent des objets palpables est vrai également des objets impalpables que sont les émotions (plaisir, peine, angoisse, peur, espérance…) ou les sentiments (amour, haine, jalousie, désir de vengeance…). Le danger est par conséquent de raisonner à partir et sur ces objets virtuels, ces faux objets qui ne sont que représentations mentales de véritables objets et non de penser la réalité singulière, pour laquelle ils ne sont que des intermédiaires, des doubles. En effet, s’il est impossible à la raison de penser les choses de ce monde sur le mode du singulier – ce qui impliquerait de concevoir un concevoir un concept unique pour chacune des choses uniques en leur genre qui peuplent et constituent infiniment notre univers – il est en revanche à notre portée de ne pas oublier que l’universel met de côté tout ce qui porte le sceau du vécu, du ressenti d’un sujet. Ce n’est pas simplement cette chaise qui, en elle-même, est différente de toutes les autres chaises, même si elle a des milliers de sœurs, fabriquées à la chaîne, mais c’est aussi le regard de tel ou tel sujet qui va lui conférer un statut de chose singulière, unique. Si personne n’existait pour penser les diverses choses de l’univers, si un ordinateur, par exemple, avait la charge de leur appliquer artificiellement son entendement, il n’y aurait aucune manière pour lui de s’interroger sur la légitimité ou non de penser des choses singulières avec des outils à usage universel et répété. Mieux, sans sujet humain, la singularité n’existerait. Ce qui est singulier ne l’est que par la capacité du sujet à le reconnaître différent de tout autre. Mais un ordinateur extrêmement puissant ne pourrait-il pas en faire autant s’il était relié à un scanner qui l’informerait de toutes les particularités (jusqu’aux défauts qui passent inaperçus à l’œil humain) et le reconnaître comme singulier ? L’acte de reconnaissance que nous évoquons n’a rien de comparable, bien sûr, car il implique la conscience d’un sujet qui vive cette différence, qui puisse considérer une chose comme singulière simplement parce qu’il lui est possible d’en ressentir l’irrémédiable perte. La singularité de l’objet ou du sujet s’inscrit donc dans le registre du vécu, sinon la singularité est un concept aussi froid et vide que les autres. Nous sommes sur la voie de déterminer pourquoi la fiction est plus apte à dire et exprimer le tragique que ne le peut une pensée rationnelle. Une pensée qui tend à l’universel est aussi peu adaptée à la nature de ce qu’elle pense que la formule conventionnelle que l’on emploie pour présenter ses condoléances à quelqu’un dans le deuil. Cette prétendue empathie qui ne fait pas l’effort d’être originale pour compatir ne mérite en retour que cette autre formule, que l’on peut adresser à la philosophie : « Vous ne pouvez pas comprendre. »

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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