jeudi 12 octobre 2006
J'adore les éditions Allia, qui ont le chic pour éditer des petits bijoux, qui ne sont jamais en toc ! Celui-ci

est un diamant, un très petit carat (69 pages) mais dépourvu de la moindre inclusion, du plus infime défaut ! Pour la lectrice dévoreuse que je suis et pour la cinéphile en herbe que je me plais à devenir, ce livre possède un attrait indéniable, puisqu'il réunit mes deux passions principales.


est l'un des cinéastes que j'admire le plus avec Truffaut, Hitchcock, McCarey, Cukor et Capra. Je le redis souvent. Il est de ceux qui ont révolutionné ma façon de regarder le monde, simplement en décalant très légèrement ma vision sur la périphérie des événements, en prenant de la hauteur, celle que l'éclat de rire provoque. Ainsi que nous le rappelle la traductrice, Hélène Frappat, dans sa mini-postface, Lubitsch a dit que "La délicatesse, c'est une peau de banane sous le pied de la vérité"* ! Tout le paradoxe de la délicatesse, que je préfère nommer tact - un problème philosophique plus important qu'il n'y paraît - est que le reconnaître chez autrui ou s'en croire capable, c'est déjà fait preuve qu'on en manque ou qu'il fait défaut là où on l'identifie ! Il suffit de penser certaines choses pour les rendre vaines et inexistantes, car la mauvaise foi vient les dissoudre dans l'instant. Il suffit de penser certaines choses pour que, d’un coup de baguette magique, on les réduise aux cendres d’une existence qui ne dépasse pas la bonne intention. Voici un sujet pour mon adoré Vladimir Jankélévitch, expert ès « je-ne-sais-quoi » et « presque-rien », le philosophe le plus raffiné que je connaisse. Concevoir l'infinitésimal de l'âme humaine requiert une pensée qui se déploie à la vitesse de la lumière et un doigté conceptuel rare. Apparenté au juste milieu aristotélicien ou au kairos des stoïciens, le tact est cette catégorie particulière de l’agir situé entre la caresse du singulier et le respect de l’impératif moral à vocation universelle. Le tact est de l’ordre de la suggestion, de l’intuition, du dire à demi-mot, quand on chuchote à l’autre de vous rejoindre et de compléter votre propos ; c’est une communion des implicites. Le tact, c’est l’art de percevoir le discret, c’est la source vive de la morale, la fleur ou le fruit des Hespérides de l’amour véritable.

Lubitsch est le cinéaste le plus tactile au monde. La "Lubistch Touch" est l'autre nom de cette délicatesse dont sa réalisation et les dialogues témoignent à chaque film ; elle s'exprime par l'humour malicieux du réalisateur, qui ne prend jamais rien au sérieux - ce qui est peut-être la manière la plus appropriée de traiter des pires événements (To be or not to be en est un bel exemple).
Ce petit livre, qui est le témoignage d'un ami et collaborateur de Lubitsch (ils ont travaillé ensemble sur une dizaine de films), fut publié dans le New Yorker (le 11 mai 1981). Samson Raphaelson y évoque leur longue et pudique amitié, qui n'osait se dire que dans les réticences de l'âge mûr.
"Il y a néanmoins une chose que je puis assurer : il appréciait la valeur d'une scène, d'une image ou d'une interprétation comme seul un génie peut le faire. Un tel don est bien plus rare que le simple talent, épidémie répandu chez les médiocres." (pp. 9-10, je souligne)
Un jour, le grand homme mourant, Raphaelson s'aperçoit à quel point Lubitsch était important pour lui et se met, mû par une émotion intense, à rédiger une nécrologie, où il dit son admiration et cette affection qu'il avait été incapable d'exprimer à temps. Or, Lubitsch ne mourut pas tout de suite. Les années passèrent, Raphaelson conserva ce panégyrique posthume. Mais Lubitsch, par le fait plusieurs indiscrétions, en avait pris connaissance et... il proposa à son ami de le corriger, de travailler ensemble à ce portrait destiné à publication après sa mort, comme ils avaient coutume de s'épauler sur un film ! Cette anecdote pourrait être extraite d'un des films de Lubitsch tant est elle est représentative de l'esprit du cinéaste. Toutefois, dans un souci d'honnêteté, la nécrologie ne fut pas modifiée et Lubitsch fit promettre à son ami de la publier sans la moindre retouche le moment venu - ce qu'il fit... Hélène Frappat résume parfaitement cette philosophie : "(...) la différence entre le mensonge et la vérité, c'est qu'à ses mensonges, l'écrivain doit promettre de ne pas changer "le moindre mot"." (p. 68-69) Quelques extraits de ses films, ci-dessous. Je regrette de n'avoir pas d'extrait de La huitième femme de Barbe-bleue à proposer, car c'est un de mes films préférés du Maître. En revanche, je vous informe que l'on peut voir sur Youtube un film assez rare de Lubitsch, The smiling Lieutenant, découpé en parties pour l'occasion. Je suis persuadée que cela fera le bonheur de quelques-un(e)s. D'autant plus que l'auteur du livre que je chronique plus haut a participé à son élaboration. 

  Cluny Brown

   
  Trouble in Paradise

   




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