lundi 26 février 2007
Eh non ! Ce n’est pas la charmante Miss Holly qui vous tiendra compagnie aujourd’hui. Ne m’en veuillez point, cette exception est entièrement de son fait. Enfin presque…
Il y a plus d’années que Holly n’oserait l’avouer, j’ai incité la tenancière de ce journal à emprunter la route d’une charmante bourgade. Elle refusa. Je réitérai mon invitation. Elle refusa de nouveau. Malgré d’incalculables déconvenues, j’insistai. Et comme votre Holly est plus têtue qu’elle n’oserait l’avouer, elle campa sur ses positions. Mais je peux me montrer très patient. Je savais que ses pas finiraient par la mener, de gré ou de force, là où je l’attendais de pied ferme. Et comme votre Holly est plus rancunière qu’elle n’oserait l’avouer, elle décida, pour se venger, de m’obliger à vous servir de guide dans cette adorable ville, réputée pour ses délicieuses tartes et ses meurtres sanglants.
Bienvenue à Twin Peaks, 51 201 habitants.
Twin Peaks. Il y a fort à parier que vous ayez déjà entendu ce nom. Il est malheureusement aussi fort probable que vous n’ayez pas suivi ce feuilleton méconnu du très grand public. Pour résumer, Twin Peaks était une expérience télévisuelle unique qui consistait à confier à un auteur iconoclaste et reconnu (David Lynch) la création d’une série novatrice de qualité alors que le genre était plutôt moribond. Lynch, associé à l’excellent Mark Frost (qui avait acquis une solide réputation avec Hill Street Blues), s’attela à la tâche. Ils définirent ensemble un concept génial : mêler les deux genres les plus appréciés du public que sont la série policière et le soap opera en les assaisonnant de thèmes subversifs. La sauce aurait pu tourner à l’aigre, le public aurait pu rejeter cet objet télévisuel non identifié ; ce fut tout le contraire qui se produisit : des millions Américains regardèrent, fascinés, leur petit écran pour tenter de découvrir qui avait assassiné la magnifique Laura Palmer. Pendant plusieurs semaines, la série devint un véritable phénomène de société. Enfin, le grand public et les intellectuels s’accordaient sur un feuilleton ! Enfin, on pouvait voir quelque chose d’intéressant à la télévision ! La fin apocalyptique de la première saison laissa l’Amérique hystérique, peu habituée à connaître des « cliffhangers » aussi insoutenables depuis que l’on avait tiré sur l’ignoble J.R. Après des mois d’attente, Lynch nous dévoilait enfin la suite de son étrange récit. Et ce que virent les spectateurs était aux antipodes de leurs attentes. Dans une succession de scènes aussi géniales qu’ésotériques, avec une lenteur délicieusement insupportable, Lynch apportait des réponses qui ne faisaient qu’accentuer le mystère. Décontenancée, l’Amérique des ménagères comprit qu’il ne s’agissait pas d’une simple enquête policière, que la série se révélait bien plus complexe qu’on ne pouvait l’imaginer. Une partie du public décrocha. Très vite, ABC qui avait "commandité" et qui diffusait Twin Peaks, fit pression sur Lynch et Frost pour qu’ils nous dévoilent la clé du mystère, pour qu’ils livrent enfin au public le nom de l’assassin. Le but des auteurs était de faire durer l’intrigue le plus longtemps possible. Malgré leurs protestations, ils durent se soumettre et révélèrent à la va-vite ce secret si bien gardé. Mais, déjà, le public, perturbé par un désastreux changement de programmation, se désintéressait de cette ville et des ses trop nombreuses énigmes. Privée de sa principale intrigue, Twin Peaks dut affronter une dernière épreuve qui lui fut fatale : l’éloignement de Lynch, retenu sur le tournage de Wild at heart. La série sombra alors dans une sinistre parodie de ce qui avait fait son génie. Malgré quelques scènes mémorables, le grotesque finit par dominer et la série qui aurait définitivement sombré dans l’oubli et le ridicule si Lynch n’était revenu à bord pour tourner le « finale » de la deuxième saison.
Avec le talent qui le caractérise, il a su achever toutes les intrigues en cours pour mener Twin Peaks à de nouveaux sommets de créativité. Malgré un extraordinaire dernier épisode, ABC refusa à Lynch de poursuivre l’aventure. Certes, l’heure de gloire de la série était derrière elle mais les fidèles étaient suffisamment nombreux pour que survive un temps encore cet univers si particulier. Malheureusement, il n’y a pas que notre chère Holly qui soit obstinée. Les dirigeants d’ABC refusèrent de céder et Lynch renonça provisoirement à cette ville qui lui tint tant à cœur. Il y revint toutefois plus tard, le temps d’un long-métrage, mais ceci sera sans doute le sujet d’un autre billet.
Twin Peaks n’a, à l’heure actuelle, aucun équivalent, même si elle a inspiré de nombreuses autres séries et ouvert au genre des perspectives inespérées que d’ingénieux scénaristes ont le bon goût d’explorer. Sa richesse inépuisable a permis à de nombreux journalistes, thésards ou passionnés de se livrer à des analyses souvent très pertinentes. Un trimestriel du nom de Wrapped in Plastic
lui fut même consacré. Dans ses pages, les fans pouvaient y découvrir, plus de dix ans après la diffusion du dernier épisode, de nouveaux essais extrêmement documentés détaillant des aspects insoupçonnés de la série, des indices ou des interprétations de nombreuses phrases ou symboles qui jalonnent la série, apportant chaque fois une lumière différente sur ce bijou aux innombrables reflets.
Il n’est pas mon intention de vous livrer dans les lignes suivantes une synthèse ou une resucée de ce qui a déjà été écrit ailleurs. Non, je vais simplement vous raconter ce que Twin Peaks représente pour moi, comment et pourquoi cette ville est devenue mienne, comment je me suis perdu et retrouvé. Regarder cette série est une expérience très personnelle, une plongée sans retour dans son inconscient.
Car on trouve avant tout dans cette ville ce qui on y apporte.
A suivre…
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Comme pour presque toutes les séries, c’est par le générique que l’on entre dans la bourgade de Twin Peaks. Un panneau à l’entrée de la ville annonce fièrement 51 201 habitants, avant que ne défilent devant nos yeux de douces images d’une ville perdue dans la forêt, et qui vit de l’exploitation du bois. Mais ce ne sont pas ces quelques clichés qui attirent notre attention mais la mélodie qui les accompagne. Un air envoûtant nous apaise, nous enveloppe confortablement. Par instant, une pointe de tristesse, peut-être de nostalgie, transparaît dans cette mélodie mais si légèrement qu’elle n’altère en rien la sérénité dans laquelle vous voilà plongée. Oui, la musique d’Angelo Badalamenti, vieux comparse de Lynch, est indissociable de son œuvre. Cette introduction musicale est un piège.
En vous berçant de d’un rythme lent, elle vous donne une fausse impression de sécurité. Ce qui suit n’a vraiment rien de rassurant. Pourtant, nous restons dans cette impression de calme. Les images se succèdent lentement, comme l’eau des petites rivières, comme les légères rides que la brise forme sur un lac immobile. C’est justement par l’eau, le plus apaisant des éléments, que le malheur arrive. La musique, toujours aussi douce, devient pesante. Un sac en plastique s’est échoué sur la rive. Pollution malvenue dans un si beau paysage. Un vieil homme s’en approche.
Il y découvre un corps bleui à l’intérieur. Le ravissant visage du cadavre de Laura Palmer enveloppé dans ce sac s’imprime dans la rétine du spectateur et y laisse un souvenir qui ne s’effacera jamais.
Cette vision morbide et séduisante reflète parfaitement ce qui nous attend par la suite. La musique devient plus intense, plus déchirante. La nouvelle de la mort de Laura se répand dans la petite ville. On découvre une succession de visages qu’on devine être des proches de Laura. Impuissants, nous ne pouvons que les regarder pleurer sans connaître la nature des liens qui les unissaient à la pauvre défunte. L’émotion monte en violence, devient gênante et même insupportable lorsque Lynch s’attarde avec pudeur et cruauté sur les insoutenables hurlements de la mère de Laura.
Nous demeurons sous le choc.
A travers la souffrance des habitants, nous découvrons une petite ville comme il en existe tant d’autres. Un lycée, un restaurant pour routier, une station service, un hôtel, un bureau de police. Une petite ville hors du temps, perdue dans cette immense forêt près de la frontière canadienne. Une petite ville où l’on doit s’ennuyer lorsqu’on est jeune. Une petite ville où les personnes âgées pourraient rêver d’une retraite au calme s’il ne faisait pas si froid en hiver. Une petite ville où l’on a l’impression d’avoir vécu son enfance avant de partir pour la grande ville à l’âge adulte. Une ville rassurante par sa monotonie. Une ville où la surface cache d’insondables abîmes et des secrets plus noirs que les ongles du cadavre de Laura Palmer.
L’ambiance oppressante est légèrement atténuée par l’arrivée de Dale Cooper,
agent spécial du FBI chargé de l’enquête. Unique protagoniste extérieur à la ville, il est le seul à ne pas être a priori suspect. Tout comme nous, il ignore tout de cette ville et de ses mystères. Tout comme nous, il n’a qu’un but : les découvrir. Mais, rapidement, nous comprenons qu’il ne s’agit pas d’un enquêteur comme les autres ; tout aussi rapidement, nous comprenons que nous ne serons pas soulagés par la possibilité de nous identifier à lui. Ses méthodes peu orthodoxes et sa détermination sans faille vont bientôt transformer celui qui était la seule bouffée de fraîcheur de ce pilote en une autre source de mystères et d’inquiétude. Ne laissant aucun répit au spectateur, Lynch poursuit l’enquête dans une ambiance oppressante. Suivant les pas de Cooper, nous découvrons les premiers suspects, les premières énigmes. Chaque révélation accentue le malaise. La jolie Laura n’était pas l’ange que sa figure de porcelaine enveloppée d’un halo bleu nous laissait deviner. Elle cachait de lourds secrets. Et elle n’était pas la seule. Où que l’on regarde, règnent le doute et le mensonge. Même les plus innocentes figures deviennent alors suspectes.
Alors tombe la nuit sur la ville, au sens propre pour cette fois. Loin de permettre aux habitants un sommeil réparateur, elle sert à cacher de sombres desseins ou à avouer de terribles vérités que l’on n’oserait murmurer en plein jour. La forêt est là, omniprésente. Loin d’être amicale, elle nous étouffe comme elle étrangle les cris des victimes. On n’échappe pas à l’ombre de ses arbres majestueux. La forêt encercle la ville et ne lui propose aucune issue. Elle est prise au piège comme nous le sommes à notre tour. Ce sera un cri qui viendra nous délivrer. Un cri d’horreur, un cri à vous glacer le sang. Le paroxysme de cette journée d’angoisse. L’acmé de ce pilote. La dernière scène avant le générique.
Les noms de David Lynch et de Mark Frost apparaissant à l’écran nous rappellent que ceci n’était qu’une fiction. Nous demeurons mal à l’aise face à notre télévision. Les lourds secrets de la ville continuent à peser sur nous. Nous devinons que ce que nous avons vu n’était que la partie émergée d’une horreur plus grande encore. Et alors que nous sommes exsangues, épuisés, nous mourrons d’envie d’en savoir plus. Voilà comment je suis entré dans la ville de Twin Peaks. Il serait inexact de dire que ma soirée s’est achevée avec le générique de l’épisode. Mais ce qui a suivi, je compte bien le garder secret. Ce fut pour moi aussi angoissant que ce que je venais de voir. Cette série en fut même directement la cause. Et lorsque la fiction rejoint la réalité, on se dit qu’il n’y a pas de coïncidence. Que l’œuvre est vérité.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Elle ne fait que commencer. Ce n’est pas l’histoire de Twin Peaks que je compte vous dévoiler, mais les raisons qui m’ont fait y rester.
A suivre…
Le récit du pilote a pu vous laisser penser que cette série était effrayante, malsaine, voyeuriste ou absconse. Pourtant, c’est avant tout une profonde joie qui m’envahit lorsque je pense à cette petite ville. Vous en déduirez peut-être que je suis un être pervers, malade, dangereux. Même si vous aviez raison, cela ne changerait rien au fait que cette ville peut vous rendre heureux. Twin Peaks est un foyer pour ceux qui décident de s’y rendre. On s’y sent protégé et aimé. L’environnement y est familier, rassurant. Mais ça peut aussi être le lieu des secrets de famille, des grandes peurs d’enfant, des pires cauchemars. Twin Peaks est tout cela à la fois pour le spectateur comme pour les personnages. Car n’allez pas croire que vous pourrez regarder cette série à distance. Non, Twin Peaks parle de vous. Regarder cette série est une coulée dans son propre inconscient.
Toutes vos angoisses risquent de refaire surface. Car l’accueil chaleureux qu’on vous y réserve est un piège. Rassuré, vous abaissez vos barrières pour découvrir que ceux que vous aimez peuvent vous faire du mal. Vos amours, votre famille, vos amis, vos voisins, votre médecin, les représentants de l’autorité. Le danger peut surgir n’importe où. Mais Twin Peaks est également le lieu de tous vos fantasmes. Ici, il est plus facile de franchir la frontière entre le désir inavouable et la réalité. Parmi les dizaines de métaphores qui jalonnent la série, on pourra évoquer celle de la frontière entre la vie respectable et les pires débauches. Elle est ici matérialisée par la frontière qui sépare les Etats-Unis du Canada. Traversez-la, affranchissez-vous des règles de la morale ou de la loi des Etats-Unis et vous entrerez dans un territoire inconnu où un borgne vous aidera à assouvir tous vos fantasmes.
Un borgne ai-je dit ? C’est intéressant. J’aurais pu tout aussi bien pu vous parler d’un nain.
Ou d’un manchot.
Lorsque l’on entre à Twin Peaks, on sort de la normalité.
Ou d’un manchot.
Lorsque l’on entre à Twin Peaks, on sort de la normalité.
Comme dans les rêves, la réalité perd progressivement de sa substance. Et, lorsqu’on perd pied avec le réel, plus aucune règle ne s’applique, à part celles des séries télévisées. Mais, même ces règles-là sont détournées sans vergogne. Mieux, Lynch se moque ostensiblement d’elles par un soap dans le soap, Invitation à l’amour, feuilleton que les protagonistes regardent sans comprendre qu’il ne s’agit qu’une parodie de leurs propres mésaventures. Cette savoureuse mise en abyme n’est qu’un gadget au regard des innombrables niveaux de lecture de la série. En effet, chaque épisode est aussi riche et perturbant qu’un rêve. On peut décider d’ignorer ce qui nous a tourmenté avant notre réveil ou la fin du générique et laisser cette sensation d’inachevé peser sur nous ou, au contraire, chercher à comprendre et interpréter ce que l’on a vu ou vécu. Et c’est dans cet inconnu-là que se cachent les pires vérités. Ignorez votre inconscient si vous le souhaitez, lui ne vous ignorera pas.
Pour affaiblir un peu plus la frontière entre le rêve et la réalité, Lynch inscrit dans chaque personnage, fût-il totalement secondaire, des éléments qui pourraient paraître incongrus ou surprenants au premier abord. Mais en rendant l’ensemble totalement cohérent, on finit par ne plus remarquer ces détails jusqu’à les intégrer dans l’ordre naturel et mental des choses. Et, imperceptiblement, ces éléments étranges vont prendre une place grandissante jusqu’à nous mener dans un monde inquiétant où tout semble désormais pouvoir se produire.
Si les parallèles entre la structure de Twin Peaks et les diverses couches du rêve sont légion, le rôle des symboles est sans doute le plus visible. Lynch parsème son œuvre d’images déroutantes. Vous pouvez parfois passer des heures à chercher une signification à une scène revenant sans cesse (comme ces feux rouges se balançant au bout d’un fil et dont le seul but est de servir l’ambiance) et vous pouvez passez à côté d’un symbole tellement significatif que vous mourrez de honte de na pas l’avoir pas remarqué lorsqu’une bonne âme vous éclairera. Chaque image, chaque élément du décor, chaque prénom, chaque phrase peut revêtir une importance capitale, aussi bien pour dénouer les fils de l’intrigue que pour deviner ce qui animait l’auteur. Même la distribution est tout sauf innocente. Mais Lynch ne vous facilitera pas la tâche dans votre quête de la vérité car tout l’intérêt réside dans le mystère. Il est regrettable que les tâcherons qui lui ont succédé sur la série ne l’aient pas compris.
Twin Peaks a pour but de poursuivre dans la durée l’expérience de Blue Velvet qui consistait à explorer avec un voyeurisme assumé (Twin Peeks) la vie d’une petite communauté. Se servant du meurtre de Laura Palmer comme prétexte, il va plus loin que la curiosité malsaine du spectateur pour le morbide ou les mensonges coupables, pour les adultères ou les trahisons. Il se propose en effet de révéler avec une exhaustivité fascinante les secrets de chacun des habitants. C’est d’ailleurs avec maestria qu’il arrive à nous faire découvrir, sans jamais nous lasser ou nous égarer, les vices et vertus d’une quarantaine de protagonistes qu’il nous présente dès le pilote. Mais si Lynch dissèque froidement l’humanité et ses turpitudes, il le fait également avec amour, s’attardant aussi longtemps sur ce qui fait de l’homme un monstre qu’un être digne de compassion. Faute de place, je ne développerai pas le thème du monstre dans la série, tout comme je ne parlerai pas de la gémellité (Twin Peaks) trop évident pour que je m’y attarde. Mais sachez que Twin Peaks est un éblouissant diamant aux mille facettes qu’il est impossible d’appréhender dans sa globalité.
Vous l’aurez compris, rien n’est normal à Twin Peaks. Et même lorsque vous commencez à acquérir quelques certitudes, le sol se dérobe sous vos pieds et vous découvrez que rien n’est permanent ici, si ce n’est que, comme dans toutes les séries, les personnages sont pris dans une tourmente de rebondissements qui les ramènent toujours à leur point de départ. Car il n’y a pas d’issue à Twin Peaks. On n’en sort jamais. Chaque protagoniste qui a essayé d’en partir y est revenu de gré ou de force, aspiré par le tourbillon des événements. Même les rares étrangers à la ville n’en repartent jamais une fois qu’ils y ont mis les pieds. Vous ne ferez pas exception à la règle. La sensation d’éternel recommencement culmine avec le dernier épisode qui reprend des scènes, des personnages et même des répliques du premier épisode. Mais Lynch aime les paradoxes et joue avec le côté intemporel de la ville. Alors que tous les éléments, du relais routier tout droit sorti de Happy Days aux vêtements vieillots des habitants, évoquent les fifties, l’époque de l’American Dream idéal et éternel (encore un rêve), cette série est précisément située dans le temps. Comme le fait remarque l’excellent Guide du téléfan, le premier épisode se déroule le vendredi 24 février 1989 et chaque épisode dure très exactement une journée. Cette règle narrative, innocente au premier abord, pose un réel problème pour une série conçue pour durer éternellement : la chronologie de la série avance à un rythme beaucoup plus lent que le vieillissement des acteurs ne peut le permettre. Au lieu de s’en inquiéter, Lynch retournera deux ans plus tard dans le passé de la ville avec les mêmes acteurs en tournant Fire walk with me.
Mais comment peut-on alors se sentir heureux dans cette ville ? Tout simplement parce qu’on y trouve, comme dans son foyer, tout ce qui peut vous rendre heureux : un endroit convivial, des gens qu’on aime (car comment ne pas s’attacher à ces portraits truculents que Lynch nous brosse ?), un sens à notre vie (je reviendrai sur ce point un peu plus loin), l’amour (un thème forcément central dans une série qui prend modèle sur les soaps. D’ailleurs, avec toutes ces splendides actrices, cela aurait été dommage de ne pas exploiter cette ficelle. Et comme dans tous les bons soaps, l’amour ne peut être que contrarié) et même l’humour. Aussi étrange que cela puisse paraître, Twin Peaks arrive à nous faire rire. Cela n’a d’ailleurs en soi rien d’étrange que le rire vienne nous soulager dans les moments les plus tendus. Ce n’est donc pas innocemment que Lynch a glissé l’une des scènes les plus drôles de la série pendant l’enterrement de Laura Palmer. Non seulement Twin Peaks est follement drôle mais pourrait même passer pour loufoque tant les incongruités s’y accumulent. A ceux qui s’étonneraient de voir pareil mélange de genre, je citerais David Lynch qui ne comprend pas pourquoi on ne peut pas faire rire, pleurer et trembler les spectateurs dans un même film alors que l’on peut soi-même rire, pleurer et trembler dans la même journée. La vie est ainsi faite, pleine d’émotions contraires, de mystères insolubles, de fausses certitudes et de vrais bonheurs. Et il y a toujours cette musique dans l’air.
Plus qu’à un simple divertissement, c’est à une véritable quête initiatique que nous invitent les auteurs. On ne trouve pas dans cette ville que des secrets bien cachés ou des cadavres enveloppés. Le bien équilibre toujours le mal, bien qu’il soit parfois difficile de distinguer l’un de l’autre. Pour chaque horreur commise un rayon d’espoir nous illumine. Tout comme Cooper y a découvert bien plus que l’identité d’un assassin, j’y ai trouvé bien plus qu’une série haletante : un modèle qui a guidé ma vie pendant les années qui ont marqué la fin de mon adolescence et mon entrée dans le monde adulte. Ce modèle s’appelle Cooper. Par son courage, son intégrité, sa compassion, sa philosophie, sa volonté sans faille mais aussi par ses faiblesses, ses doutes et même par son côté obscur, il m’a montré une voie originale, certes difficile et incertaine, qui pouvait m’amener à donner le meilleur de moi-même. Il m’a montré qu’il pouvait être beau d’être humain… et quel pouvait en être le prix à payer. Là encore, la réalité rejoint la fiction lorsque mon destin suit celui des personnages.
Vous comprendrez sans doute pourquoi parler de cette série est un acte si personnel, si intime pour moi. J’aime cette série comme on aime son foyer, son pays. C’est le mien et cela peut devenir le vôtre. Si vous acceptez de vous glisser dans ce monde, si vous renoncez à toute rationalité pour vivre cette expérience, alors de nouvelles perspectives s’ouvriront à vous. Je ne vous promets pas que le voyage sera toujours plaisant ni que vous ne serez jamais déçu, mais je vous garantis une expérience qui ne ressemblera en rien à ce que vous avez pu connaître. Votre sac est prêt ? Alors suivez-moi. Je vous garantis que vous allez manger les meilleures tartes au monde.
[Le texte est écrit par David aka Ombre. et toutes les captures d'écran et la mise en page ont été faites par Holly.]
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Twin Peaks est pour moi d'abord la concordance et la dissonnance des visages.
C'est la couleur rouge sang qui hante mon esprit et m'affecte du syndrome de Lady Macbeth, c'est un écho particulier entre l'univers de deux ausculteurs de l'Amérique profonde, Stephen King et David Lynch (vous verrez que leurs univers sont très proches et que je ne les associe pas en vain), c'est aussi l'idée que Twin Peaks reprend certains thèmes des tragédies antiques, sans mot dire. Laura est une victime sacrificielle, le bouc émissaire qui expurge et cristallise à la fois le mal dans la société. Twin Peaks est une impossibilité à dire mais je me dois de me prêter au plus tôt à l'exercice, pour répondre à mon ami David.
David (qui porte joliment le prénom du frère de Barrie et de son héros) m'a connue au sortir de l'enfance, au lendemain d'un deuil. Il était très grand. J'étais petite et maigre, presque transparente, mais vive. J'avais 19 ans et j'étais maladroite, mais il me plut instantanément car il ne ressemblait pas à ces benêts, ces grandes tiges, ces garçons qui cherchent mauvaise aventure. Il était un rêveur, qui tétait tout autant que moi le lait de la fiction. Il me fut présenté par cet autre ami, qui compte tant pour moi, Olivier. Si j'évoquais Delphine, vous connaîtriez mes trois meilleurs amis, ceux de l'enfance qui demeure ; je les aime différemment, pour des raisons différentes, mais je les aime véritablement. L'amitié est un don. Seul l'ami véritable s'afflige de votre malheur et se réjouit de votre bonheur, sans arrière-pensées.Mais David est très particulier. Avec lui, je ne me suis jamais retenue. Il sait les pires choses de mon être que je ne dirai jamais à d'autres amis. Il connaît le pire et le meilleur, peut-être. Je sais qu'il goûte ma bizarrerie, qu'il attend de voir jusqu'où je pourrais aller dans ma folie. Notre relation est vacharde et tendre, mais toujours authentique. J'ai toute confiance en lui.
Croyez-vous que je laisserais quelqu'un d'autre écrire dans mon JIACO ?
Sans lui, je n'aurais jamais lu un comic book ni Stephen King et je n'aurais pas plus connu David Lynch, car ces deux-là attirent le lecteur et le spectateur au bord d'un abîme intérieur qui me faisait terriblement peur. Et pour cause. Certainement était-il plus inconscient que moi de ce danger ou mieux armé.
David a mis au moins 10 ans à me convaincre de regarder Twin Peaks.
Je m'y suis reprise à trois ou quatre fois avant de dépasser le troisième épisode. Non par manque d'intérêt, mais à cause d'une fascination que je jugeais malsaine et qui a ses raisons d'être. Le pire étant peut-être cette voie sanguine et cauchemardesque que l'oeuvre ouvrait en moi et qui me rappelle toutes les tentatives sérieuses d'écriture auxquelles je me suis livrée. Je m'apprête à vous dire les raisons de ce recul. Mais il vous faudra encore quelques jours de patience, le temps pour moi de me remettre d'aplomb.
Twin Peaks est une série emblématique. Non, ce n'est pas une série ou un feuilleton, c'est une oeuvre d'art baroque, puissante, monstrueuse par bien des aspects et une énigme. C'est aussi l'une des pièces du puzzle Lynch. A condition de prendre ce dernier mot dans toutes ces acceptions : le puzzle est à la fois le mystère et la figure éclatée que l'on doit reconstituer à partir de pièces éparpillées. Le signifiant et le signifié, un contenu qui déborde de son contenant.
La sortie en DVD zone 2 (et la seconde saison en zone 1) est annoncée et, cette fois-ci, ce serait la bonne, mais je n'y croirai que lorsque je tiendrai les coffrets entre mes mains. En attendant, je vais reprendre un café, saluer mentalement Cooper, puis songer à la pièce de Pinter à laquelle j'ai assisté ce week-end, à une belle rencontre d'amitié et aux Lettres d'Iwo Jima. De tout ceci, je vous parlerai ici.
Libellés :David Lynch,séries,Twin Peaks
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- Never Never Never Land, au plus près du Paradis, with Cary Grant, France
- Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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